Pour Brad Simpson, stratège en chef, Gestion de patrimoine TD, les investisseurs sont devant un point de bascule qui survient seulement toutes les quelques décennies sur les marchés. Il livre ses explications à Greg Bonnell durant l’émission Parlons Argent en direct.
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Les marchés boursiers subissent une forte volatilité, passant en territoire négatif ou positif d’un jour à l’autre au gré des données économiques qui nous parviennent. Pour discuter de la façon dont les investisseurs peuvent se positionner dans ce contexte, je reçois Brad Simpson, stratège en chef, Gestion de patrimoine TD.
Bienvenue à l’émission, Brad. Les choses évoluent rapidement. La moitié de l’année est écoulée et, comme je le disais, en regardant les ventes au détail aujourd’hui on se dit « bon, d’accord ». Or, la réaction suscitée est positive. C’est très difficile de s’y retrouver sur le marché. Que faut-il en penser?
Oui. Dans le monde actuel, une bonne nouvelle peut s’avérer mauvaise. Je pense à l’inflation qui risque de persister. Et, dans le cas d’une mauvaise nouvelle, il n’y a rien de plus à en tirer. Si le négatif demeure négatif et que le positif peut se transformer en négatif, on arrive mal à voir comment vous allez prendre vos décisions et ce que nous réserve la suite des choses. En fait, c’est le défi auquel tout le monde fait face maintenant.
Alors, comment faire pour le relever? Chaque fois que j’y réfléchis – et je ne suis pas expert en la matière, mais simplement l’interviewer qui pose les questions – je me dis que la situation pourrait bien se résorber pour telle ou telle raison. Puis, j’ai l’impression d’aller un peu vite en affaires.
À mon avis, la clé de départ, c’est qu’il faut parfois songer à la façon de répartir ses placements. Un marché comme celui d’aujourd’hui nous rappelle l’énorme différence entre l’investissement et la répartition des placements, compte tenu des prix qui montent, du mouvement amorcé et du désir d’en profiter.
À bien des égards, le défi qui se pose – même si nous avons bénéficié d’une période de grande prospérité boursière qui se poursuit depuis plus longtemps que les douze à dix-huit derniers mois. En remontant jusqu’au printemps 2008, on constate que, globalement, les marchés boursiers n’ont pas cessé de progresser, malgré quelques soubresauts en cours de route.
Par la suite, la pandémie a frappé et le marché a dévissé, signalant à tous que les choses peuvent se corser, parfois. Mais, les banques centrales sont venues à la rescousse encore une fois et ont permis de relancer les marchés.
Je pense que cet interventionnisme peut parfois donner dans l’excès. Mais, actuellement, je ne crois pas que ce soit le cas. Les investisseurs sont devant un point de bascule qui survient toutes les quelques décennies. Nous sommes au beau milieu de cette période critique.
Vous savez, mon travail consiste en bonne partie à réfléchir à la façon de prendre de bonnes décisions de placement à long terme et de le faire avec constance. À mon sens, l’une des clés consiste à voir comment se prennent ces décisions. L’une des grandes difficultés vient du mal que nous avons à faire le point sur la situation actuelle, sans chercher à aller plus loin.
En maîtrisant mieux cet exercice, on peut alors commencer à bâtir son portefeuille.
Je suis prêt à me lancer...
Vous touchez un point important. Si l’on ne sait pas où l’on en est, il est difficile de déterminer vers quoi se diriger. C’est l’argument de base qu’il faut employer pour y voir clair. Où en sommes-nous et où voulons-nous aller?
Oui. Il m’arrive de consulter les données à l’écran de mon ordinateur ou d’écouter ce qui se dit, et je n’en reviens pas de constater à quel point nous avons la mémoire courte. Revenons dans le temps. Au printemps 2020, les marchés financiers plongent, littéralement. On redoute une répétition de la Grande Dépression, comme on n’en a pas connue depuis les années 1930. Tout le monde s’inquiète, ne sachant trop quoi faire.
Deux ans et demi plus tard, qu’est-il arrivé? Le scénario de la Grande Dépression ne s’est pas matérialisé. En fait, les banques centrales sont entrées en jeu et ont déclaré qu’elles allaient intervenir. Qu’ont-elles fait? Elles ont mis l’économie mondiale à l’arrêt. Ni plus ni moins. Je répète sans cesse que les marchés ne sont pas mécaniques, mais plutôt biologiques, à l’image des êtres humains. Les marchés sont donc des entités vivantes.
Si on plonge un corps sain dans le coma – comme dans le cas du marché financier – qu’on le réanime en lui injectant de l’adrénaline et qu’on lui plaque un défibrillateur, voilà une bonne analogie de ce qui s’est passé durant six mois, du printemps 2020 jusqu’en septembre environ. Dans ce contexte, nous avons sans doute administré trop d’adrénaline à cette entité biologique.
Un peu trop. Est-ce que ça peut se reproduire? Est-ce que les banques centrales vont encore venir à la rescousse? Ou se fatiguer de ramer?
Non. En réalité, le processus s’est déroulé comme suit : l’économie a reçu une dose d’adrénaline, ce qui a gonflé la valeur des actifs financiers : actions, obligations, biens immobiliers – tout ce qui peut accroître le bilan personnel. Pour répondre à votre question à savoir si les banques centrales pourraient répéter le scénario, disons que le problème découle de notre dépendance au médicament administré. Chaque fois, on s’attend que les banques centrales nous tirent d’affaire.
Malheureusement, elles n’interviendront pas cette fois-ci parce qu’elles ont d’autres dossiers plus pressants que les liquidités sur les marchés financiers actuellement. Au contraire, elles estiment que trop de liquidités y circulent – trop d’adrénaline – et elles ne s’intéressent pas tant à porter secours aux marchés financiers.
Les banques centrales sont surtout préoccupées par l’inflation et c’est pourquoi elles n’entendent pas jouer les secouristes cette fois-ci. Fait étonnant dans le cas présent, c’est la première fois depuis la fin des années 1990 que les marchés financiers doivent se débrouiller tout seuls. Ça fait longtemps.
Vous dites que nous avons la mémoire courte. Je voulais remonter aux années 1970, décennie durant laquelle je suis né. Sans être vieux, je ne suis plus tout à fait jeune. Il y a longtemps que les gens ont eu à parler sérieusement de stagflation. Pour en revenir à notre mémoire courte, certaines personnes remontent à une époque dont ils ne se souviennent même pas en faisant la comparaison avec les années 1970. Est-ce trop simplifier?
Oui, tout à fait. C’est le même exemple que celui de la pandémie au printemps 2020, où nous devions être frappés par une dépression. Nous utilisons ces périodes comme cadre de référence afin d’appréhender la réalité – et je peux le comprendre. Il y a du vrai là-dedans. Par contre, ça ne tient pas compte des progrès de la société. Et le monde des années 1970 ne se compare pas du tout à celui dans lequel nous vivons en 2022.
Et les mécanismes mis au point pour faire fonctionner le système financier au quotidien dérouteraient quiconque dans le contexte des années 1970. Je pense qu’il faut dès le départ voir les choses dans cette perspective. Ensuite, il faut se dire à propos de cette époque que la stagflation était causée en bonne partie par le marché de l’emploi. Aujourd’hui, le taux de chômage aux États-Unis s’établit à 3,6 %. Ce n’est pas demain la veille que l’on risque une flambée du taux de chômage.
De plus, la stagflation se caractérise par une faible croissance et une forte inflation, ce qui plombe l’emploi. Ce n’est pas le cas actuellement. Nous avons publié un document volumineux sur la stagflation il y a quelques semaines. Il faut reconnaître que les craintes suscitées par la stagflation ne sont pas sans fondement. La stagflation dessine un portrait sombre.
Si le chômage grimpe, que la croissance s’essouffle et que l’inflation flambe, il faut tout faire pour redresser la situation. Nous pourrions nous trouver dans un environnement de ce genre, mais ce n’est pas la réalité actuelle.
Aujourd’hui, l’économie et le marché financier redémarrent, deux ans à peine depuis la pandémie, au prix d’efforts incroyables. Et je m’étonne que nous arrivions mal à le comprendre. Il y a neuf mois, les gens auraient dit que le prix des biens durables ne cessait de monter. Que c’était le facteur à retenir. On se serait plaint de ruptures de stocks dans les magasins. Pourtant, l’approvisionnement se rétablit tant bien que mal et le prix des biens durables commence à redescendre.
Et les données de l’indice des directeurs d’achats rattaché au secteur de la fabrication sont en recul. Et le repli est rapide. Tout ça, grâce à l’injection d’adrénaline que nous avons reçue. Dans ce contexte, on se dit que ce sera maintenant le prix des services qui va augmenter et faire grimper l’inflation.
Attendez une minute… C’est comme si nous n’avions rien appris des six derniers mois, et encore moins de la différence entre la situation actuelle et celle des années 1970.
Je ne dis pas qu’il n’y aura pas de difficultés structurelles à surmonter. Par contre, il faut se méfier de notre extraordinaire propension à extrapoler à partir de ce qui se passe dans l’immédiat. Et je ne parle pas seulement des investisseurs ordinaires, j’englobe aussi les professionnels du placement, les concepteurs, les stratèges et leur façon de voir les choses. Et, à mon avis, il y a là un réel problème. Dans notre cas,
je ne crois pas que personne excelle à prédire l’avenir. Je pense aussi que ce n’est pas mon rôle. Par contre, je dois me concentrer sur le présent et voir comment prendre les décisions aujourd’hui sans ignorer le bruit ambiant.
[TRAME MUSICALE]
Bienvenue à l’émission, Brad. Les choses évoluent rapidement. La moitié de l’année est écoulée et, comme je le disais, en regardant les ventes au détail aujourd’hui on se dit « bon, d’accord ». Or, la réaction suscitée est positive. C’est très difficile de s’y retrouver sur le marché. Que faut-il en penser?
Oui. Dans le monde actuel, une bonne nouvelle peut s’avérer mauvaise. Je pense à l’inflation qui risque de persister. Et, dans le cas d’une mauvaise nouvelle, il n’y a rien de plus à en tirer. Si le négatif demeure négatif et que le positif peut se transformer en négatif, on arrive mal à voir comment vous allez prendre vos décisions et ce que nous réserve la suite des choses. En fait, c’est le défi auquel tout le monde fait face maintenant.
Alors, comment faire pour le relever? Chaque fois que j’y réfléchis – et je ne suis pas expert en la matière, mais simplement l’interviewer qui pose les questions – je me dis que la situation pourrait bien se résorber pour telle ou telle raison. Puis, j’ai l’impression d’aller un peu vite en affaires.
À mon avis, la clé de départ, c’est qu’il faut parfois songer à la façon de répartir ses placements. Un marché comme celui d’aujourd’hui nous rappelle l’énorme différence entre l’investissement et la répartition des placements, compte tenu des prix qui montent, du mouvement amorcé et du désir d’en profiter.
À bien des égards, le défi qui se pose – même si nous avons bénéficié d’une période de grande prospérité boursière qui se poursuit depuis plus longtemps que les douze à dix-huit derniers mois. En remontant jusqu’au printemps 2008, on constate que, globalement, les marchés boursiers n’ont pas cessé de progresser, malgré quelques soubresauts en cours de route.
Par la suite, la pandémie a frappé et le marché a dévissé, signalant à tous que les choses peuvent se corser, parfois. Mais, les banques centrales sont venues à la rescousse encore une fois et ont permis de relancer les marchés.
Je pense que cet interventionnisme peut parfois donner dans l’excès. Mais, actuellement, je ne crois pas que ce soit le cas. Les investisseurs sont devant un point de bascule qui survient toutes les quelques décennies. Nous sommes au beau milieu de cette période critique.
Vous savez, mon travail consiste en bonne partie à réfléchir à la façon de prendre de bonnes décisions de placement à long terme et de le faire avec constance. À mon sens, l’une des clés consiste à voir comment se prennent ces décisions. L’une des grandes difficultés vient du mal que nous avons à faire le point sur la situation actuelle, sans chercher à aller plus loin.
En maîtrisant mieux cet exercice, on peut alors commencer à bâtir son portefeuille.
Je suis prêt à me lancer...
Vous touchez un point important. Si l’on ne sait pas où l’on en est, il est difficile de déterminer vers quoi se diriger. C’est l’argument de base qu’il faut employer pour y voir clair. Où en sommes-nous et où voulons-nous aller?
Oui. Il m’arrive de consulter les données à l’écran de mon ordinateur ou d’écouter ce qui se dit, et je n’en reviens pas de constater à quel point nous avons la mémoire courte. Revenons dans le temps. Au printemps 2020, les marchés financiers plongent, littéralement. On redoute une répétition de la Grande Dépression, comme on n’en a pas connue depuis les années 1930. Tout le monde s’inquiète, ne sachant trop quoi faire.
Deux ans et demi plus tard, qu’est-il arrivé? Le scénario de la Grande Dépression ne s’est pas matérialisé. En fait, les banques centrales sont entrées en jeu et ont déclaré qu’elles allaient intervenir. Qu’ont-elles fait? Elles ont mis l’économie mondiale à l’arrêt. Ni plus ni moins. Je répète sans cesse que les marchés ne sont pas mécaniques, mais plutôt biologiques, à l’image des êtres humains. Les marchés sont donc des entités vivantes.
Si on plonge un corps sain dans le coma – comme dans le cas du marché financier – qu’on le réanime en lui injectant de l’adrénaline et qu’on lui plaque un défibrillateur, voilà une bonne analogie de ce qui s’est passé durant six mois, du printemps 2020 jusqu’en septembre environ. Dans ce contexte, nous avons sans doute administré trop d’adrénaline à cette entité biologique.
Un peu trop. Est-ce que ça peut se reproduire? Est-ce que les banques centrales vont encore venir à la rescousse? Ou se fatiguer de ramer?
Non. En réalité, le processus s’est déroulé comme suit : l’économie a reçu une dose d’adrénaline, ce qui a gonflé la valeur des actifs financiers : actions, obligations, biens immobiliers – tout ce qui peut accroître le bilan personnel. Pour répondre à votre question à savoir si les banques centrales pourraient répéter le scénario, disons que le problème découle de notre dépendance au médicament administré. Chaque fois, on s’attend que les banques centrales nous tirent d’affaire.
Malheureusement, elles n’interviendront pas cette fois-ci parce qu’elles ont d’autres dossiers plus pressants que les liquidités sur les marchés financiers actuellement. Au contraire, elles estiment que trop de liquidités y circulent – trop d’adrénaline – et elles ne s’intéressent pas tant à porter secours aux marchés financiers.
Les banques centrales sont surtout préoccupées par l’inflation et c’est pourquoi elles n’entendent pas jouer les secouristes cette fois-ci. Fait étonnant dans le cas présent, c’est la première fois depuis la fin des années 1990 que les marchés financiers doivent se débrouiller tout seuls. Ça fait longtemps.
Vous dites que nous avons la mémoire courte. Je voulais remonter aux années 1970, décennie durant laquelle je suis né. Sans être vieux, je ne suis plus tout à fait jeune. Il y a longtemps que les gens ont eu à parler sérieusement de stagflation. Pour en revenir à notre mémoire courte, certaines personnes remontent à une époque dont ils ne se souviennent même pas en faisant la comparaison avec les années 1970. Est-ce trop simplifier?
Oui, tout à fait. C’est le même exemple que celui de la pandémie au printemps 2020, où nous devions être frappés par une dépression. Nous utilisons ces périodes comme cadre de référence afin d’appréhender la réalité – et je peux le comprendre. Il y a du vrai là-dedans. Par contre, ça ne tient pas compte des progrès de la société. Et le monde des années 1970 ne se compare pas du tout à celui dans lequel nous vivons en 2022.
Et les mécanismes mis au point pour faire fonctionner le système financier au quotidien dérouteraient quiconque dans le contexte des années 1970. Je pense qu’il faut dès le départ voir les choses dans cette perspective. Ensuite, il faut se dire à propos de cette époque que la stagflation était causée en bonne partie par le marché de l’emploi. Aujourd’hui, le taux de chômage aux États-Unis s’établit à 3,6 %. Ce n’est pas demain la veille que l’on risque une flambée du taux de chômage.
De plus, la stagflation se caractérise par une faible croissance et une forte inflation, ce qui plombe l’emploi. Ce n’est pas le cas actuellement. Nous avons publié un document volumineux sur la stagflation il y a quelques semaines. Il faut reconnaître que les craintes suscitées par la stagflation ne sont pas sans fondement. La stagflation dessine un portrait sombre.
Si le chômage grimpe, que la croissance s’essouffle et que l’inflation flambe, il faut tout faire pour redresser la situation. Nous pourrions nous trouver dans un environnement de ce genre, mais ce n’est pas la réalité actuelle.
Aujourd’hui, l’économie et le marché financier redémarrent, deux ans à peine depuis la pandémie, au prix d’efforts incroyables. Et je m’étonne que nous arrivions mal à le comprendre. Il y a neuf mois, les gens auraient dit que le prix des biens durables ne cessait de monter. Que c’était le facteur à retenir. On se serait plaint de ruptures de stocks dans les magasins. Pourtant, l’approvisionnement se rétablit tant bien que mal et le prix des biens durables commence à redescendre.
Et les données de l’indice des directeurs d’achats rattaché au secteur de la fabrication sont en recul. Et le repli est rapide. Tout ça, grâce à l’injection d’adrénaline que nous avons reçue. Dans ce contexte, on se dit que ce sera maintenant le prix des services qui va augmenter et faire grimper l’inflation.
Attendez une minute… C’est comme si nous n’avions rien appris des six derniers mois, et encore moins de la différence entre la situation actuelle et celle des années 1970.
Je ne dis pas qu’il n’y aura pas de difficultés structurelles à surmonter. Par contre, il faut se méfier de notre extraordinaire propension à extrapoler à partir de ce qui se passe dans l’immédiat. Et je ne parle pas seulement des investisseurs ordinaires, j’englobe aussi les professionnels du placement, les concepteurs, les stratèges et leur façon de voir les choses. Et, à mon avis, il y a là un réel problème. Dans notre cas,
je ne crois pas que personne excelle à prédire l’avenir. Je pense aussi que ce n’est pas mon rôle. Par contre, je dois me concentrer sur le présent et voir comment prendre les décisions aujourd’hui sans ignorer le bruit ambiant.
[TRAME MUSICALE]