Le secteur de l’automobile a investi massivement dans le marché des véhicules électriques en prévision d’une hausse de la demande. Toutefois, les consommateurs semblent faire d’autres choix, comme les véhicules hybrides. David Mau, vice-président, directeur et gestionnaire de portefeuille, Gestion de Placements TD, discute des conséquences pour le secteur de l’automobile.
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L'industrie automobile a passé des années à investir massivement dans ses offres de véhicules électriques. Mais au cours des derniers mois, un changement assez radical s'est opéré. David Mau, de Gestion de Placements TD, nous rejoint pour en discuter. Bonjour, David. Bonjour, Greg. Pendant très longtemps, les véhicules électriques étaient l'avenir. Les constructeurs automobiles y investissaient massivement, mais le consommateur s'est exprimé. C'est une évolution assez intéressante. Oui. Les ventes de véhicules électriques, dans l'ensemble, augmentent toujours. En 2023, les ventes de véhicules électriques ont bondi de 47 % dans le monde. J'entends. C'est-à-dire 18 % de... toutes les ventes de voitures neuves l'an dernier. C'est important. Mais vous faites allusion à un ralentissement, et nous le constatons. En 2024, jusqu'ici, la croissance des ventes devrait ralentir de 47 % à un peu plus de 30 %. Il y a donc un déclin significatif dans la demande de nouveaux véhicules électriques. En Amérique du Nord, la proportion est beaucoup plus faible que les 47 % que je viens d'évoquer. Pourquoi? Parce qu'une bonne partie de la croissance des véhicules électriques se situe dans des pays hors de l'Amérique du Nord. En Europe et en Chine, entre autres. Les constructeurs vont devoir faire face à une situation assez difficile d'ici peut-être deux ans, jusqu'à ce que les consommateurs puissent parvenir au point où ils absorberont les prix plus élevés. En effet, les véhicules électriques sont en général plus chers. C'est le principal problème. Et c'est la principale raison pour laquelle nous assistons à un déclin des ventes. Et puis, le 2e problème relié à la demande de véhicules électriques, c'est que l'on se rend compte que l'infrastructure de chargement n'est pas suffisamment solide pour que l'on s'engage à engager un véhicule électrique. Oui. Chaque fois que je vois des commentaires des chefs de la direction de Ford, de GM, ou des grands constructeurs, s'ils ne construisent pas exclusivement des véhicules électriques comme Tesla, ils parlent justement de la composition de leurs ventes, en particulier des véhicules hybrides. Oui. Depuis quelques années, on s'intéresse aux véhicules électriques, mais il y a une évolution en faveur d'un intérêt accru pour les véhicules hybrides. La raison en est que les véhicules hybrides répondent à 2 des principaux problèmes que je viens d'évoquer. Les hybrides sont moins chers à construire, moins chers à vendre, donc moins chers à acheter. Et les véhicules hybrides, comme leur nom l'indique, sont dotés d'un moteur électrique et d'un moteur à essence. Le problème de l'autonomie ne se pose pas de la même façon. Lorsque le moteur électrique n'a plus de charge, le moteur à essence peut continuer à tourner. Je pense que cela répond à deux questions très importantes que se posent les acheteurs. Surtout au niveau du prix. Considérez un véhicule hybride typique, comme le Honda Insight ou le Toyota Prius, le prix de départ tourne autour de 30 ou 35 000 $ américains. Alors que la plupart des véhicules tout électriques à moyenne autonomie se vendent à 40, 45 000 $ américains ou plus. Il s'agit du prix de départ. C'est une grosse différence et c'est un obstacle pour les nouveaux acheteurs qui hésitent à se lancer sur le marché. Il y a la règle 1:6:90 de Toyota dont on parle. De quoi s'agit-il? Oui. C'est très intéressant. La règle 1:6:90 de Toyota fait partie d'un mémorandum interne que Toyota a distribué à ses employés et à ses concessionnaires, et qui a bien entendu fuité. La règle 1:6:90 est la suivante: en fonction des études et des recherches de Toyota, le constructeur a conclu que la quantité de matières premières, les minerais qui entrent dans la composition d'un véhicule électrique - le cobalt, le lithium, le nickel - la quantité de ressources nécessaires pour construire un véhicule électrique - ça, c'est donc le 1 -, permet de construire 6 hybrides rechargeables, ou 90 véhicules ordinaires. Toyota a conclu que quand on considère la réduction du carbone d'un véhicule électrique par rapport à 90 véhicules hybrides, ces 90 véhicules hybrides réduisent les émissions de carbone 37 fois plus qu'un seul véhicule électrique. Le but du mémorandum était d'informer les concessionnaires et les employés que Toyota va se concentrer sur les véhicules hybrides, plutôt que d'investir beaucoup de temps et d'argent dans les véhicules électriques. Car le résultat que procurent les véhicules hybrides est, au niveau financier aussi bien qu'au niveau écologique, bien supérieur à celui des véhicules électriques. C'est le genre d'argument qui, s'il était adopté plus généralement, pourrait compromettre la thèse centrale des véhicules électriques. Est-ce que les véhicules électriques vont connaître un ou deux ans difficiles? Peut-être. Mais il y a toujours des améliorations dans les procédés de fabrication des véhicules électriques. Les batteries s'améliorent constamment, les prix baissent, et la production augmente. Donc, à un moment donné, nous atteindrons un point d'équilibre, où on peut espérer que les véhicules électriques et les hybrides seront comparables. Parlons de certains des défis que nous avons constatés dans le secteur des véhicules électriques. S'il y a une faiblesse de la demande des consommateurs, le pick-up est toujours une option très populaire: le pick-up traditionnel, très populaire en Amérique du Nord, avec un moteur à combustion interne. Alors, voilà où je veux en venir: il y a eu des retards dans la fabrication des pick-up électriques. Oui. Tesla va mettre à pied 10 % de son personnel dans le monde entier. C'est un gros chiffre. Ici-même en Ontario, Ford, l'usine Ford de Oakville devait commencer à construire des véhicules électriques en 2025. Or, le constructeur a annoncé que cela sera retardé à 2027. Il s'agit d'un report de deux ans. La raison évoquée par Ford, c'est que le constructeur veut donner au marché le temps de se développer. Essentiellement, Ford attend que la demande soit au rendez-vous. Dans deux ans, on peut espérer que la technologie se soit améliorée, et que les véhicules pourront être produits plus efficacement et meilleurs marché. Bon. Les véhicules doivent surmonter de nombreux obstacles, les véhicules électriques, et la valeur de revente. Vous dites que la technologie évolue rapidement. Qu'est-ce que cela signifie pour l'acheteur d'un véhicule électrique qui envisage de le revendre dans 2 ans? Oui. C'est tout à fait pertinent. Selon certaines études dont j'ai eu connaissance, les valeurs de revente pour l'ensemble des voitures, que ça soit des moteurs à combustion interne, des hybrides ou des véhicules électriques, le taux d'amortissement typique sur 5 ans est d'environ 40 %. Pour toutes les catégories de véhicules. Quand on considère spécifiquement les véhicules électriques, le taux est plus élevé et se situe à environ 50 %. Si vous achetez un véhicule électrique de 100 000 $ et que dans 5 ans, il en vaut au maximum 50 000, il y a une ou deux raisons à cela. Il y a un élément très important: c'est que, au fur et à mesure que de nouveaux modèles de véhicules électriques sont construits et mis en marché, l'un des objectifs est justement de réduire le prix. Imaginez, Tesla l'a déjà fait une ou deux fois depuis un an, que le constructeur réduit les prix. Si Tesla réduit les prix de leur modèle Y de 10 000 $, tous les modèles Y existants en circulation vaudront moins. Ça, c'est un facteur très important, au fur et à mesure que les constructeurs réduisent les prix. Il y a un autre élément. On en a déjà parlé. La technologie s'améliore très rapidement. Si vous considérez un véhicule électrique d'il y a 4 ou 5 ans, la technologie de la batterie s'est énormément améliorée depuis lors. Donc, les nouveaux véhicules électriques aujourd'hui sont dotés d'une batterie dont l'autonomie est plus importante, qui se charge plus rapidement. Et la technologie de bord, le système d'exploitation qui fait fonctionner la voiture, les fonctions d'assistance à la conduite, de sécurité, même de divertissements, se sont améliorés considérablement. Donc, on commence à se rendre compte que d'ici 2-3-4 ans, leur véhicule électrique tout neuf va commencer à devenir obsolète. Ou du moins démodé. Et cela dissuade certains acheteurs de se décider. Non seulement la voiture se périme très rapidement, mais la valeur de revente n'est pas aussi élevée, par comparaison d'autres types de voitures. Ce qui plombe la demande actuelle. Nous avons parlé tout à l'heure de l'évolution de la demande. Cela n'est pas utile non plus pour la demande aujourd'hui, car les acheteurs, ceux qui s'inquiètent de la valeur de revente, vont se dire qu'ils vont attendre un an ou deux ans pour que la technologie rattrape avant d'acheter un véhicule électrique. Quand on conjugue tous ces éléments, de quoi les investisseurs doivent-ils se rappeler dans ce secteur? Les investisseurs qui s'intéressent aux constructeurs automobiles doivent comprendre quelle est leur position concurrentielle dans l'industrie. S'agit-il de chefs de file du marché ou s'efforcent-t-ils de rattraper les chefs de file? Les valorisations sont importantes. Tesla est le seul constructeur automobile dont la valorisation, ou du moins le rapport cours-bénéfice est nettement plus élevé que les autres. La plupart des constructeurs automobiles classiques ont des ratios cours-bénéfice nettement inférieurs à 10, plutôt autour de 5. Après l'évolution d'aujourd'hui, je pense que le ratio cours-bénéfice de Tesla est de presque 50.