Depuis quelque temps, les prix du pétrole sont en proie à une forte volatilité. Greg Bonnell reçoit Daniel Ghali, stratège principal, Produits de base à Valeurs Mobilières TD pour parler des difficultés du secteur et de la façon dont l’incertitude entourant la production pourrait peser sur les prix en 2023.
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Le prix du pétrole brut reste volatil. Les investisseurs soupèsent bien sûr les inquiétudes liées à l’offre et la demande. Selon notre invité, les pressions baissières pourraient venir du fait que les marchés tablent sur un scénario idéal qui risque de ne pas se concrétiser. Voici Daniel Ghali, stratège principal, Produits de base à Valeurs Mobilières TD. Daniel, ravi de vous retrouver.
Merci, Greg. Merci de l’invitation.
GREG BONNELL : La question mérite qu’on s’y arrête, parce qu’on a vécu des semaines et une année peu ordinaires. Et ces derniers jours, le pétrole a effacé ses gains de l’année, avant un retour soudain à plus de 80 $ le baril. Qu’est-ce qui se passe?
Vous avez tout à fait raison, Greg. On a l’impression que les participants aux marchés des produits de base et les marchés en général célèbrent la fin de la crise de l’énergie. Ils n’ont pas tort, car les prix du pétrole brut sont presque revenus à leurs niveaux du début de l’année. On s’attend à une demande en berne parce qu’on se dirige vers une récession. Et la réalité, c’est que la production a récemment rattrapé son retard, malgré la contre-performance antérieure.
On est donc dans un contexte dans lequel les prix du pétrole ont considérablement baissé, et les gens commencent à envisager l’avenir en se disant que le pire est peut-être derrière nous, pour ce qui est de la crise de l’énergie.
GREG BONNELL : Mais que devraient-ils anticiper? Ont-ils raison de croire que la crise est passée?
DANIEL GHALI : C’est la question. À mon avis, il y a un certain degré de complaisance sur le marché. Pour ce qui est de la demande, elle va certainement ralentir. Mais avec un avertissement sérieux : la demande mondiale va quand même continuer de croître. Peut-être à un rythme plus lent, mais elle va continuer de croître. Et ça soulève surtout la question d’où proviendront les barils supplémentaires. Si vous me suivez dans le labyrinthe de cette problématique, vous verrez vite des trous dans le raisonnement.
Tout d’abord, d’où vont venir ces barils? Premièrement, des États-Unis, l’un des plus grands producteurs mondiaux. Au risque de me répéter, puisqu’on en a déjà parlé à plusieurs reprises, il y a un décalage historique entre le prix du pétrole brut et la production provenant des États-Unis et d’autres régions du monde. Cet écart s’explique en partie par les contraintes ESG qui interdisent les dépenses en immobilisations dans ce secteur. Mais il faut aussi voir que les participants ont changé de comportement. Les parties prenantes veulent que ces entreprises leur rendent leur capital plutôt que de réinvestir dans leurs activités.
À l’extérieur des États-Unis, la croissance attendue pour l’année prochaine provient surtout de quelques producteurs, et cette croissance n’a rien à voir avec le contexte de prix élevés que l’on connaît actuellement. C’est le résultat d’anciens projets qui vont s’achever au cours de la prochaine année. Il nous reste donc tous les autres producteurs, à savoir ceux de l’OPEP+. C’est là que réside surtout le risque lié à la production l’an prochain.
Ensuite, la Russie se pose comme l’un des facteurs de risque les plus évidents du côté de l’offre. Jusqu’à présent, les exportations russes se portent plutôt bien, notamment parce que les autres pays ont fait des réserves par crainte que les sanctions imposées ne perturbent leurs résultats économiques. Le monde entier a donc fait des réserves en prévision.
Un autre grand point d’interrogation, c’est que personne ne sait vraiment à quoi ressembleront les sanctions du G7, ni quelles seront les retombées sur les marchés pétroliers. Il faut aussi tenir compte de l’OPEP dans son ensemble. La Libye présente un énorme risque géopolitique. Le pays est embourbé dans une crise politique depuis 2014. La période des élections approche, ce qui pourrait encore une fois entraîner un risque pour la production dans ce pays.
Pour rappel, on a perdu cette année environ un million de barils libyens par jour. Si ça se reproduit l’année prochaine, qui va compenser cette baisse de production?
GREG BONNELL : Compte tenu de toute l’incertitude et de toutes les variables, la fin de cet épisode de volatilité semble encore bien loin. Le cours du West Texas Intermediate, la référence américaine, a grimpé de près de 3 %. L’autre jour, il avait chuté de près de 3 % en une seule séance. Ce sont des cours en dent de scie. J’imagine qu’il ne faut pas s’attendre à une accalmie dans un tel contexte.
DANIEL GHALI : Non, pas du tout. Je pense que la volatilité va persister, notamment parce que la liquidité a été fortement entravée. C’est vrai pour tous les marchés mondiaux, mais surtout pour celui du pétrole brut, où l’on a observé un exode des gestionnaires de fonds qui s’étaient positionnés en prévision d’une perturbation due aux sanctions du G7. Actuellement, on entend que l’on se dirige vers des sanctions édulcorées ou vers un manque de consensus au sein du G7 sur la sévérité des sanctions à l’égard du pétrole russe.
GREG BONNELL : Après chaque réunion de l’OPEP et chaque décision, on dirait qu’on ne parle plus que de la suivante. On est dans un cycle perpétuel d’attente de la prochaine décision. L’OPEP veut-elle arriver à un prix précis pour le pétrole brut? Les niveaux actuels sont certainement conformes à ce qu’on pourrait appeler le prix d’exercice de l’option de vente de l’OPEP. L’OPEP serait sans doute plus à l’aise si les prix étaient plus élevés qu’à l’heure actuelle. On dit cela parce que les prix sont très proches du niveau où ils étaient au moment de l’accord historique de la dernière réunion, quand l’OPEP a réduit sa production pour la première fois depuis la pandémie.
Si on y pense, la capacité de réserve mondiale est vraiment concentrée dans quelques pays qui sont à la tête de l’OPEP. Aujourd’hui, ce sont les producteurs d’appoint des marchés pétroliers. Ils ont la mainmise sur le marché en raison de tous les problèmes qu’on a déjà évoqués, tant aux États-Unis et que chez les autres producteurs. Il est donc dans leur intérêt et en leur pouvoir de maintenir des prix plus élevés.
Plus tôt cette année, il y a seulement quelques mois, il y a eu des tensions entre l’OPEP et Washington concernant les prix du pétrole brut. Et bien sûr, l’administration Biden a décidé de puiser dans la réserve stratégique de pétrole. Au final, que va-t-il se passer? Ces réserves ne dureront pas éternellement.
Oui, c’est tout à fait exact. Il y a beaucoup de variables en jeu. Vous avez parlé du désaccord entre l’Arabie saoudite et les États-Unis au sujet de la réserve stratégique et de la baisse de production de l’OPEP. Si l’on regarde le risque géopolitique global au Moyen-Orient, il y a une nation, à savoir l’Iran, qui est déjà soumise à de lourdes sanctions, qui fait des progrès par rapport à ses ambitions nucléaires, et qui déstabilise l’équilibre des forces au Moyen-Orient.
Cela incite donc l’Arabie saoudite à maintenir sa relation stratégique avec les États-Unis. Mais en même temps, si l’on se projette dans 10 ans, la demande de pétrole aura normalement diminué. Il est logique de monétiser la situation au maximum, tant que c’est possible.
GREG BONNELL : Avec autant d’incertitude, autant de volatilité, autant de variables, peut-on raisonnablement tenter de prévoir combien coûtera en moyenne le baril de pétrole à l’approche de 2023?
Oui, tout à fait. Je crois que la plupart des banques du côté vente s’attendent à une hausse des prix. En général, c’est parce que l’offre est restreinte, et nous sommes d’accord avec ce point de vue. On s’attend à ce que les prix remontent à plus de 100 $ le baril. On est toujours – Il y a encore un fort potentiel de hausse.
L’idée fondamentale, pour moi, c’est que la probabilité de hausse est vraiment forte. Même si on pense que le prix du pétrole atteindra 100 $ le baril, il n’y aura pas besoin d’une grosse perturbation pour que le baril grimpe à 120 $.
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Le prix du pétrole brut reste volatil. Les investisseurs soupèsent bien sûr les inquiétudes liées à l’offre et la demande. Selon notre invité, les pressions baissières pourraient venir du fait que les marchés tablent sur un scénario idéal qui risque de ne pas se concrétiser. Voici Daniel Ghali, stratège principal, Produits de base à Valeurs Mobilières TD. Daniel, ravi de vous retrouver.
Merci, Greg. Merci de l’invitation.
GREG BONNELL : La question mérite qu’on s’y arrête, parce qu’on a vécu des semaines et une année peu ordinaires. Et ces derniers jours, le pétrole a effacé ses gains de l’année, avant un retour soudain à plus de 80 $ le baril. Qu’est-ce qui se passe?
Vous avez tout à fait raison, Greg. On a l’impression que les participants aux marchés des produits de base et les marchés en général célèbrent la fin de la crise de l’énergie. Ils n’ont pas tort, car les prix du pétrole brut sont presque revenus à leurs niveaux du début de l’année. On s’attend à une demande en berne parce qu’on se dirige vers une récession. Et la réalité, c’est que la production a récemment rattrapé son retard, malgré la contre-performance antérieure.
On est donc dans un contexte dans lequel les prix du pétrole ont considérablement baissé, et les gens commencent à envisager l’avenir en se disant que le pire est peut-être derrière nous, pour ce qui est de la crise de l’énergie.
GREG BONNELL : Mais que devraient-ils anticiper? Ont-ils raison de croire que la crise est passée?
DANIEL GHALI : C’est la question. À mon avis, il y a un certain degré de complaisance sur le marché. Pour ce qui est de la demande, elle va certainement ralentir. Mais avec un avertissement sérieux : la demande mondiale va quand même continuer de croître. Peut-être à un rythme plus lent, mais elle va continuer de croître. Et ça soulève surtout la question d’où proviendront les barils supplémentaires. Si vous me suivez dans le labyrinthe de cette problématique, vous verrez vite des trous dans le raisonnement.
Tout d’abord, d’où vont venir ces barils? Premièrement, des États-Unis, l’un des plus grands producteurs mondiaux. Au risque de me répéter, puisqu’on en a déjà parlé à plusieurs reprises, il y a un décalage historique entre le prix du pétrole brut et la production provenant des États-Unis et d’autres régions du monde. Cet écart s’explique en partie par les contraintes ESG qui interdisent les dépenses en immobilisations dans ce secteur. Mais il faut aussi voir que les participants ont changé de comportement. Les parties prenantes veulent que ces entreprises leur rendent leur capital plutôt que de réinvestir dans leurs activités.
À l’extérieur des États-Unis, la croissance attendue pour l’année prochaine provient surtout de quelques producteurs, et cette croissance n’a rien à voir avec le contexte de prix élevés que l’on connaît actuellement. C’est le résultat d’anciens projets qui vont s’achever au cours de la prochaine année. Il nous reste donc tous les autres producteurs, à savoir ceux de l’OPEP+. C’est là que réside surtout le risque lié à la production l’an prochain.
Ensuite, la Russie se pose comme l’un des facteurs de risque les plus évidents du côté de l’offre. Jusqu’à présent, les exportations russes se portent plutôt bien, notamment parce que les autres pays ont fait des réserves par crainte que les sanctions imposées ne perturbent leurs résultats économiques. Le monde entier a donc fait des réserves en prévision.
Un autre grand point d’interrogation, c’est que personne ne sait vraiment à quoi ressembleront les sanctions du G7, ni quelles seront les retombées sur les marchés pétroliers. Il faut aussi tenir compte de l’OPEP dans son ensemble. La Libye présente un énorme risque géopolitique. Le pays est embourbé dans une crise politique depuis 2014. La période des élections approche, ce qui pourrait encore une fois entraîner un risque pour la production dans ce pays.
Pour rappel, on a perdu cette année environ un million de barils libyens par jour. Si ça se reproduit l’année prochaine, qui va compenser cette baisse de production?
GREG BONNELL : Compte tenu de toute l’incertitude et de toutes les variables, la fin de cet épisode de volatilité semble encore bien loin. Le cours du West Texas Intermediate, la référence américaine, a grimpé de près de 3 %. L’autre jour, il avait chuté de près de 3 % en une seule séance. Ce sont des cours en dent de scie. J’imagine qu’il ne faut pas s’attendre à une accalmie dans un tel contexte.
DANIEL GHALI : Non, pas du tout. Je pense que la volatilité va persister, notamment parce que la liquidité a été fortement entravée. C’est vrai pour tous les marchés mondiaux, mais surtout pour celui du pétrole brut, où l’on a observé un exode des gestionnaires de fonds qui s’étaient positionnés en prévision d’une perturbation due aux sanctions du G7. Actuellement, on entend que l’on se dirige vers des sanctions édulcorées ou vers un manque de consensus au sein du G7 sur la sévérité des sanctions à l’égard du pétrole russe.
GREG BONNELL : Après chaque réunion de l’OPEP et chaque décision, on dirait qu’on ne parle plus que de la suivante. On est dans un cycle perpétuel d’attente de la prochaine décision. L’OPEP veut-elle arriver à un prix précis pour le pétrole brut? Les niveaux actuels sont certainement conformes à ce qu’on pourrait appeler le prix d’exercice de l’option de vente de l’OPEP. L’OPEP serait sans doute plus à l’aise si les prix étaient plus élevés qu’à l’heure actuelle. On dit cela parce que les prix sont très proches du niveau où ils étaient au moment de l’accord historique de la dernière réunion, quand l’OPEP a réduit sa production pour la première fois depuis la pandémie.
Si on y pense, la capacité de réserve mondiale est vraiment concentrée dans quelques pays qui sont à la tête de l’OPEP. Aujourd’hui, ce sont les producteurs d’appoint des marchés pétroliers. Ils ont la mainmise sur le marché en raison de tous les problèmes qu’on a déjà évoqués, tant aux États-Unis et que chez les autres producteurs. Il est donc dans leur intérêt et en leur pouvoir de maintenir des prix plus élevés.
Plus tôt cette année, il y a seulement quelques mois, il y a eu des tensions entre l’OPEP et Washington concernant les prix du pétrole brut. Et bien sûr, l’administration Biden a décidé de puiser dans la réserve stratégique de pétrole. Au final, que va-t-il se passer? Ces réserves ne dureront pas éternellement.
Oui, c’est tout à fait exact. Il y a beaucoup de variables en jeu. Vous avez parlé du désaccord entre l’Arabie saoudite et les États-Unis au sujet de la réserve stratégique et de la baisse de production de l’OPEP. Si l’on regarde le risque géopolitique global au Moyen-Orient, il y a une nation, à savoir l’Iran, qui est déjà soumise à de lourdes sanctions, qui fait des progrès par rapport à ses ambitions nucléaires, et qui déstabilise l’équilibre des forces au Moyen-Orient.
Cela incite donc l’Arabie saoudite à maintenir sa relation stratégique avec les États-Unis. Mais en même temps, si l’on se projette dans 10 ans, la demande de pétrole aura normalement diminué. Il est logique de monétiser la situation au maximum, tant que c’est possible.
GREG BONNELL : Avec autant d’incertitude, autant de volatilité, autant de variables, peut-on raisonnablement tenter de prévoir combien coûtera en moyenne le baril de pétrole à l’approche de 2023?
Oui, tout à fait. Je crois que la plupart des banques du côté vente s’attendent à une hausse des prix. En général, c’est parce que l’offre est restreinte, et nous sommes d’accord avec ce point de vue. On s’attend à ce que les prix remontent à plus de 100 $ le baril. On est toujours – Il y a encore un fort potentiel de hausse.
L’idée fondamentale, pour moi, c’est que la probabilité de hausse est vraiment forte. Même si on pense que le prix du pétrole atteindra 100 $ le baril, il n’y aura pas besoin d’une grosse perturbation pour que le baril grimpe à 120 $.
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