Les fortes hausses des taux d’intérêt décrétées par les banques centrales ont fortement freiné le secteur immobilier. Greg Bonnell s’entretient avec Colin Lynch, chef, Placements immobiliers mondiaux, Gestion de Placements TD, de l’état de l’habitation et de l’immobilier commercial.
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Les hausses des taux de la banque centrale visant à lutter contre l’inflation ont des répercussions sur de nombreux segments de l’économie; mais aucun secteur n’est plus exposé que l’immobilier. Notre invité Colin Lynch, chef, Placements immobiliers mondiaux, Gestion de Placements TD se joint à nous pour discuter des possibles difficultés à avenir pour le secteur.
Colin, c’est un plaisir de vous avoir avec nous aujourd’hui. Nous vivons une période intéressante; les banques centrales sont très agressives face à l’inflation. Comment ces deux facteurs influencent-ils l’immobilier? Peut-être même qu’ils nuisent à l’immobilier?
Eh bien, tout d’abord, je suis heureux d’être de retour et merci de m’avoir invité. Ces deux facteurs sont certainement pertinents pour l’immobilier. Commençons par l’inflation. Lorsque vous construisez un nouvel immeuble, il y a des coûts de construction, et ce sont des coûts de main-d’œuvre. Il y a aussi les coûts des matériaux. Pensez à l’acier et au béton. Tous ces éléments sont pris en compte dans le coût de construction d’un nouvel immeuble. Au bout de la ligne, les coûts de construction augmentent.
Maintenant, on peut regarder l’autre facette de cet exemple : l’achèvement de l’immeuble. En fin de compte, dans un contexte fortement inflationniste, du moins en théorie, la valeur de ces immeubles devrait augmenter en partie parce que les coûts de construction d’un nouveau bâtiment ont augmenté.
L’autre facteur est le revenu. Si on prend la valeur d’un bien et que le revenu augmente au fil du temps, en théorie la valeur devrait aussi augmenter au fil du temps. Dans le secteur immobilier, qu’est-ce qui génère un revenu? Eh bien, ce sont ces loyers. Dans un contexte de forte inflation, si les loyers augmentent pour cette raison, en théorie, le revenu aussi devrait augmenter. Et la valeur en capital devrait aussi augmenter.
Mais il y a un bémol dans ce scénario : comme pour toute autre entreprise, il y a des revenus et des dépenses. Les loyers sont donc le revenu. Quelles sont les dépenses? Eh bien, les coûts d’entretien et de nettoyage, l’immeuble, le capital, les réparations, et tout ça. Tous ces éléments peuvent aussi augmenter. Mais en théorie, le revenu et la valeur en capital devraient augmenter. Tout ça à cause de l’inflation.
C’est intéressant! L’inflation nous a tellement inquiétés en tant qu’investisseurs. Mais ça n’est peut-être pas entièrement négatif pour l’immobilier. Ça peut être positif.
Exactement. Et la clé c’est : quel est l’état de l’économie? Si l’économie est en croissance et que l’inflation est élevée, les biens immobiliers s’en sortent généralement bien, car, en fin de compte, les loyers vont augmenter plus rapidement que les dépenses.
Si l’économie est au ralenti et que l’inflation est élevée, et c’est là que vous vous retrouvez dans une situation difficile, parce que la croissance de l’économie est ce qui dicte le prix des loyers. Donc, si vos dépenses augmentent en raison de l’inflation, mais vos loyers n’augmentent pas aussi vite que vos dépenses, et c’est là le problème. Et c’est tout à cause de l’inflation.
Ensuite, il y a les banques centrales. Et qu’est-ce qu’une hausse de taux représente? En fin de compte, ça signifie que les coûts d’exploitation en général augmentent pour l’immobilier. C’est ça le coût d’emprunt : le coût pour emprunter de l’argent pour exploiter l’immeuble ou en construire de nouveaux. Et ça ne fait qu’augmenter les dépenses, que vous construisiez des immeubles ou que vous en exploitiez, selon que vous avez ou non un levier financier.
Cela augmente le profil de risque de l’immobilier. Il devient alors très important de comprendre si l’effet de levier est utilisé. Est-ce qu’on contracte une dette pour construire ou exploiter un immeuble? Si c’est le cas, quelle est cette forme d’effet de levier? C’est pas forcément négatif, mais quand les taux d’intérêt montent, c’est plus difficile.
Il y a un an, peut-être 18 mois, les idées reçues aurait été que, oui, à un moment donné, les banques centrales allaient relever les taux. À un moment donné, même si l’année 2023 était encore loin, on pensait qu’il y aurait une montée en flèche, mais la remontée sera sûrement très lente, très graduelle. La quantité de taux qu’on a vus passer, l’ampleur observée en cette courte période, on a fait beaucoup de progrès à cet égard. Y a-t-il certains projets immobiliers dans ce type d’environnement avec des coûts d’emprunt qui augmentent si fortement et si rapidement qui risquent de ne pas être réalisés?
Oui, il y a certainement des projets qui risquent de ne pas être réalisés. Pensez-vous qu’on a déjà vu le résultat final? Non, parce qu’on est encore relativement au début du cycle. Et je ne veux pas dire par là que le nombre total de hausses a été fait de façon précoce. Je parle d’un horizon de temps, de l’époque où on ne pensait même pas à la hausse des taux, jusqu’à aujourd’hui. C’est une très courte période par rapport aux cycles précédents.
Il faut du temps pour que les répercussions des taux se fassent sentir dans le système. Et dans le cas des promoteurs ou des biens immobiliers, les chiffres prennent du temps pour commencer à s’ajuster, etc. Il y a donc une pause marquée en ce moment. On voit beaucoup de projets qui allaient être entamés sur le marché, comme la construction de copropriétés et d’autres projets semblables, mais maintenant, les gens se disent « peut-être pas tout de suite. Peut-être plus tard. On va voir comment les choses progressent. »
Ça n’a pas entraîné beaucoup d’annulations directes. Mais j’ai l’impression qu’il y aura quelques annulations, car les calculs ont changé pour certaines personnes sur le marché.
Maintenant, si on faisait cette démission en irect devant un auditoire et on répondait aux questions des gens, vous devez savoir que si on parle d’immobilier dans le contexte qu’on connaît, avec la situation actuelle, quelqu’un va inévitablement parler de krach. Quels sont les dangers d’un effondrement du marché immobilier? Est-ce qu’on est un peu trop inquiets? Et quels sont les paramètres fondamentaux?
Oui, je dirais qu’on a vu clairement edes ffondrements par le passé. Différents facteurs ont motivé certains de ces krachs. Aujourd’hui, je dirais que le risque d’une telle chute est relativement faible. Le risque d’une baisse est relativement important.
Alors, qu’est-ce qui fait la différence entre une baisse et un krach? Au Canada, nous avons encore quelques avantages. Une forte croissance démographique. Et qu’est-ce qui explique ça? Eh bien, notre immigration. En fait, le Canada est considéré comme un endroit très attrayant.
Quand la croissance démographique est robuste, les chances qu’on continue de voir une bonne croissance économique augmentent. Ce n’est pas certain, mais c’est plus probable. En fin de compte, comme l’immobilier sert l’économie et, plus généralement, la société, il soutient l’économie en étant un endroit où les gens travaillent, distribuent des biens ou les vendent, mais il soutient aussi la société en offrant aux gens un endroit où vivre.
Donc, s’il y a plus de gens qui viennent au pays, ça signifie qu’un plus grand nombre de personnes occuperont des emplois, etc, et ça signifie qu’à long terme, tout ça constitue une bonne base pour l’immobilier. À court terme, c’est aussi une bonne base, car le gouvernement, à l’échelle fédérale, a augmenté ces cibles en matière d’immigration. Ça aide aussi.
De toute évidence, il y a des difficultés. Et les facteurs défavorables sont l’augmentation des coûts d’emprunt et les préoccupations sur la croissance économique à court terme. Dans l’Ouest, les prix de l’énergie ont fortement augmenté. Et cela a suscité un certain optimisme. Si on équilibre tout ça, on se dit qu’il y a certainement un risque de baisse à court terme, mais un véritable krach? C’est difficile à dire. Et vous pouvez regarder partout dans le monde et en arriver, peut-être pas aux mêmes conclusions, mais à des conclusions semblables.
Aux États-Unis, ils ont traversé la crise financière mondiale en 2008. Même chose pour le Royaume-Uni. Et le montant de l’effet de levier dans le système est beaucoup moins élevé aujourd’hui qu’en 2008. Dans la situation actuelle, avec la hausse des coûts d’emprunt, c’est une bonne chose. On pourrait regarder les marchés un par un et dire, oui, il y a des risques, c’est sûr. Mais est-ce que tout s’effondre? On ne peut pas le dire encore.
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