Greg Bonnell de Parlons Argent s’entretient avec Marisa Jones, analyste de crédit, Services publics à Gestion de Placements TD, à propos des répercussions potentielles de la hausse des coûts d’énergie sur les services publics.
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On voit souvent les services publics comme un secteur défensif en période d’incertitude. Avec la hausse de l’inflation, est-ce toujours vrai? Pour nous éclairer sur le sujet, j’accueille Marisa Jones, analyste du crédit aux services publics à Gestion de Placements TD. Marisa, bienvenue à l’émission. Ravi de vous revoir.
Merci. C’est un plaisir de vous retrouver. Merci.
L’inflation a clairement marqué l’année 2022, ainsi que les fortes hausses de taux pour tenter de la juguler. Quel a été l’impact sur le secteur des services publics?
Oui, comme le savent la plupart des investisseurs, c’est un secteur défensif. Mais si l’on va un peu plus loin, c’est la raison pour laquelle ces titres se sont plutôt bien comportés par rapport aux autres actions ou aux titres à revenu fixe. Mais au-delà de leur nature essentielle, il faut tenir compte du fait que les services publics réglementés sont très défensifs en raison de leur capacité à absorber des coûts plus élevés. Et c’est parce que la réglementation sur la tarification permet aux services publics de répercuter la hausse des coûts. La structure tarifaire permet de répercuter les hausses de prix des combustibles, les prix des obligations, que ce soit par l’intermédiaire des taux d’intérêt, etc. sur le consommateur. C’est donc non seulement un secteur défensif essentiel, mais aussi un secteur qui offre un rendement réel plus défensif aux investisseurs. Je pense qu’en 2023, il ne faut pas s’attendre aux mêmes rendements par rapport au marché qu’en 2022. Mais si vous pensez comme moi et comme vous l’avez dit dans votre introduction que l’on s’en va vers un ralentissement économique, peut-être une récession, pour les raisons que j’ai mentionnées, je crois que les services publics continueront de bien se comporter en 2023.
Comme vous l’avez mentionné, c’est un secteur réglementé. Il est possible de répercuter les hausses de coûts sur les consommateurs. Y a-t-il un risque? Les politiciens entendent de plus en plus l’électorat se plaindre de la montée en flèche de l’inflation et des prix à la consommation, mais aussi des hausses de taux d’intérêt qui visent à lutter contre ce phénomène. Ça devient vraiment difficile pour les ménages. Y a-t-il un risque que des pressions politiques s’exercent sur certains services publics pour donner un peu de répit aux consommateurs?
Certainement. Et c’est l’une des choses que je suis de près pour les entreprises que j’analyse. D’abord, j’ai dit qu’il s’agissait d’un secteur défensif. Cependant, il y a trois volets que je surveille. Le premier, c’est l’abordabilité, comme vous l’avez dit. Il y a aussi la sécurité énergétique. Et enfin la durabilité, c’est-à-dire la façon dont les services publics gèrent la transition énergétique et les politiques environnementales. Au sujet de l’abordabilité qui est au centre des préoccupations – c’était le cas en 2022 et je m’attends à ce que ça continue – les organismes de réglementation ou les gouvernements tentent d’aider leurs populations à faire face à cette hausse des coûts. Ce que l’on commence à voir dans différentes régions, et c’est le cas dans presque toutes les régions que je regarde, c’est que le gouvernement met en place des plans pour améliorer l’abordabilité. Le risque, c’est de savoir qui va assumer les coûts. Et dans beaucoup de cas, le gouvernement apporte un soutien financier direct soit aux clients, soit aux services publics. On obtient un résultat net positif. Le gouvernement va... Vous avez peut-être vu qu’à New York, par exemple, il y a beaucoup d’arriérés de 60 jours. On donne donc de l’argent directement aux services publics pour les clients qui ont le plus de difficulté à faire face aux coûts, pour les aider à effacer leurs arriérés. C’est une aide aux consommateurs, mais ça aide aussi les services publics à gérer ce genre de risques. Il y a donc des côtés positifs, mais aussi des côtés négatifs. Il est arrivé que les gouvernements ou organismes de réglementation cherchent des moyens de faire participer les compagnies de services publics à certaines mesures de soutien. Et souvent, ces compagnies avaient déjà des plans avant 2022 pour aider leurs clients à faire face aux coûts et à payer leurs factures. Il y avait des plans. Ce qui m’inquiète, c’est qu’un organisme de réglementation dise : Grâce à nous, vous atteignez un certain rendement. Peut-être qu’au lieu d’avoir un rendement de 10 %, on pourrait le rabaisser à 9,5 %. Ça risque de nuire aux flux de revenu. Ça risque de faire baisser le cours boursier de certains de ces services publics. Pour prendre un exemple très rare et inhabituel, en Nouvelle-Écosse, le gouvernement est intervenu et a contourné le processus réglementaire. Nova Scotia Power était en audience sur les tarifs avec son organisme de réglementation, puis le gouvernement est intervenu et a fait passer une loi pour plafonner les coûts non liés aux combustibles pour les deux prochaines années, peu importe l’issue de l’audience sur les tarifs. D’un point de vue purement financier, ce n’est pas nécessairement très négatif pour Nova Scotia Power. Ce n’est pas tellement négatif du point de vue des paramètres de crédit. Là où c’est très négatif, c’est que ça mine la confiance des investisseurs.
Vous entendez ce discours sur le marché? Est-ce que les participants prennent note de ces mesures?
Tout à fait, oui. L’agence de notation S&P a abaissé la note de Nova Scotia Power de deux crans après cette décision, ce qui est significatif. Paradoxalement, à long terme, le financement par emprunt va augmenter les coûts pour la compagnie, qui va au bout du compte les répercuter sur ses clients. Du côté des actions, les investisseurs boursiers investissent dans Emera, qui détient Nova Scotia Power. La grande question est de savoir comment cette décision pèsera sur Emera, et s’il y aura d’autres interventions politiques ou perturbations pour la compagnie. Les deux parties réfléchissent à la question et se demandent ce qu’elles peuvent faire. Si on constate effectivement une baisse des flux de revenu, faudra-t-il lever des capitaux ou vendre des actifs? Il pourrait y avoir des répercussions plus importantes à long terme.
Fascinant. Il faut effectivement en avoir conscience quand on investit dans ce secteur. Et la sécurité énergétique est un thème important cette année. On commence à penser au rôle des services publics dans ce domaine. Est-ce que ça entre en jeu ou est-ce que c’est un problème lointain?
Non, pas du tout. C’est un thème omniprésent. On a pris conscience avec les événements géopolitiques, surtout en Europe après l’invasion russe, que l’on a tous besoin de cette sécurité sur notre sol, que ce soit au Canada ou aux États-Unis, en Amérique du Nord. Par ailleurs, quelles sont les occasions pour nous, en tant que producteur de gaz naturel, d’exporter en Europe et dans d’autres régions pour renforcer la sécurité de la production? C’est donc un thème omniprésent. On peut difficilement prédire l’effet sur les prix cette année, mais c’est un facteur important que les investisseurs ne doivent pas négliger.
[MUSIQUE]
On voit souvent les services publics comme un secteur défensif en période d’incertitude. Avec la hausse de l’inflation, est-ce toujours vrai? Pour nous éclairer sur le sujet, j’accueille Marisa Jones, analyste du crédit aux services publics à Gestion de Placements TD. Marisa, bienvenue à l’émission. Ravi de vous revoir.
Merci. C’est un plaisir de vous retrouver. Merci.
L’inflation a clairement marqué l’année 2022, ainsi que les fortes hausses de taux pour tenter de la juguler. Quel a été l’impact sur le secteur des services publics?
Oui, comme le savent la plupart des investisseurs, c’est un secteur défensif. Mais si l’on va un peu plus loin, c’est la raison pour laquelle ces titres se sont plutôt bien comportés par rapport aux autres actions ou aux titres à revenu fixe. Mais au-delà de leur nature essentielle, il faut tenir compte du fait que les services publics réglementés sont très défensifs en raison de leur capacité à absorber des coûts plus élevés. Et c’est parce que la réglementation sur la tarification permet aux services publics de répercuter la hausse des coûts. La structure tarifaire permet de répercuter les hausses de prix des combustibles, les prix des obligations, que ce soit par l’intermédiaire des taux d’intérêt, etc. sur le consommateur. C’est donc non seulement un secteur défensif essentiel, mais aussi un secteur qui offre un rendement réel plus défensif aux investisseurs. Je pense qu’en 2023, il ne faut pas s’attendre aux mêmes rendements par rapport au marché qu’en 2022. Mais si vous pensez comme moi et comme vous l’avez dit dans votre introduction que l’on s’en va vers un ralentissement économique, peut-être une récession, pour les raisons que j’ai mentionnées, je crois que les services publics continueront de bien se comporter en 2023.
Comme vous l’avez mentionné, c’est un secteur réglementé. Il est possible de répercuter les hausses de coûts sur les consommateurs. Y a-t-il un risque? Les politiciens entendent de plus en plus l’électorat se plaindre de la montée en flèche de l’inflation et des prix à la consommation, mais aussi des hausses de taux d’intérêt qui visent à lutter contre ce phénomène. Ça devient vraiment difficile pour les ménages. Y a-t-il un risque que des pressions politiques s’exercent sur certains services publics pour donner un peu de répit aux consommateurs?
Certainement. Et c’est l’une des choses que je suis de près pour les entreprises que j’analyse. D’abord, j’ai dit qu’il s’agissait d’un secteur défensif. Cependant, il y a trois volets que je surveille. Le premier, c’est l’abordabilité, comme vous l’avez dit. Il y a aussi la sécurité énergétique. Et enfin la durabilité, c’est-à-dire la façon dont les services publics gèrent la transition énergétique et les politiques environnementales. Au sujet de l’abordabilité qui est au centre des préoccupations – c’était le cas en 2022 et je m’attends à ce que ça continue – les organismes de réglementation ou les gouvernements tentent d’aider leurs populations à faire face à cette hausse des coûts. Ce que l’on commence à voir dans différentes régions, et c’est le cas dans presque toutes les régions que je regarde, c’est que le gouvernement met en place des plans pour améliorer l’abordabilité. Le risque, c’est de savoir qui va assumer les coûts. Et dans beaucoup de cas, le gouvernement apporte un soutien financier direct soit aux clients, soit aux services publics. On obtient un résultat net positif. Le gouvernement va... Vous avez peut-être vu qu’à New York, par exemple, il y a beaucoup d’arriérés de 60 jours. On donne donc de l’argent directement aux services publics pour les clients qui ont le plus de difficulté à faire face aux coûts, pour les aider à effacer leurs arriérés. C’est une aide aux consommateurs, mais ça aide aussi les services publics à gérer ce genre de risques. Il y a donc des côtés positifs, mais aussi des côtés négatifs. Il est arrivé que les gouvernements ou organismes de réglementation cherchent des moyens de faire participer les compagnies de services publics à certaines mesures de soutien. Et souvent, ces compagnies avaient déjà des plans avant 2022 pour aider leurs clients à faire face aux coûts et à payer leurs factures. Il y avait des plans. Ce qui m’inquiète, c’est qu’un organisme de réglementation dise : Grâce à nous, vous atteignez un certain rendement. Peut-être qu’au lieu d’avoir un rendement de 10 %, on pourrait le rabaisser à 9,5 %. Ça risque de nuire aux flux de revenu. Ça risque de faire baisser le cours boursier de certains de ces services publics. Pour prendre un exemple très rare et inhabituel, en Nouvelle-Écosse, le gouvernement est intervenu et a contourné le processus réglementaire. Nova Scotia Power était en audience sur les tarifs avec son organisme de réglementation, puis le gouvernement est intervenu et a fait passer une loi pour plafonner les coûts non liés aux combustibles pour les deux prochaines années, peu importe l’issue de l’audience sur les tarifs. D’un point de vue purement financier, ce n’est pas nécessairement très négatif pour Nova Scotia Power. Ce n’est pas tellement négatif du point de vue des paramètres de crédit. Là où c’est très négatif, c’est que ça mine la confiance des investisseurs.
Vous entendez ce discours sur le marché? Est-ce que les participants prennent note de ces mesures?
Tout à fait, oui. L’agence de notation S&P a abaissé la note de Nova Scotia Power de deux crans après cette décision, ce qui est significatif. Paradoxalement, à long terme, le financement par emprunt va augmenter les coûts pour la compagnie, qui va au bout du compte les répercuter sur ses clients. Du côté des actions, les investisseurs boursiers investissent dans Emera, qui détient Nova Scotia Power. La grande question est de savoir comment cette décision pèsera sur Emera, et s’il y aura d’autres interventions politiques ou perturbations pour la compagnie. Les deux parties réfléchissent à la question et se demandent ce qu’elles peuvent faire. Si on constate effectivement une baisse des flux de revenu, faudra-t-il lever des capitaux ou vendre des actifs? Il pourrait y avoir des répercussions plus importantes à long terme.
Fascinant. Il faut effectivement en avoir conscience quand on investit dans ce secteur. Et la sécurité énergétique est un thème important cette année. On commence à penser au rôle des services publics dans ce domaine. Est-ce que ça entre en jeu ou est-ce que c’est un problème lointain?
Non, pas du tout. C’est un thème omniprésent. On a pris conscience avec les événements géopolitiques, surtout en Europe après l’invasion russe, que l’on a tous besoin de cette sécurité sur notre sol, que ce soit au Canada ou aux États-Unis, en Amérique du Nord. Par ailleurs, quelles sont les occasions pour nous, en tant que producteur de gaz naturel, d’exporter en Europe et dans d’autres régions pour renforcer la sécurité de la production? C’est donc un thème omniprésent. On peut difficilement prédire l’effet sur les prix cette année, mais c’est un facteur important que les investisseurs ne doivent pas négliger.
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