
Les marchés financiers connaissent une période de volatilité depuis le début de l’année. Anthony Okolie discute avec James Orlando, directeur et économiste principal, Groupe Banque TD, qui suit plusieurs indicateurs pour déterminer s’ils laissent entrevoir une récession imminente.
James, les investisseurs s’inquiétant de plus en plus d’une récession, vous avez rédigé un rapport dans lequel vous comparez un certain nombre d’indicateurs, comme les marchés boursiers, aux périodes antérieures de tensions financières. Avant de parler des résultats du rapport, pouvez-vous nous dire ce qu’est exactement l’indice de stress financier?
Oui, merci, Anthony. Alors, quand on pense aux fluctuations, aux tensions du marché, il y a en fait beaucoup de marchés différents. Il y a les marchés boursiers, les marchés obligataires et les marchés des devises. Donc, quand on veut comparer la situation actuelle au passé, il ne faut pas juste regarder les marchés boursiers… c’est un excellent baromètre, mais il faut adopter un point de vue global sur ce qui se passe sur les marchés financiers en général.
Pour ce faire, pour faire la synthèse, on a utilisé des indicateurs différents de tous les marchés que j’ai mentionnés et on a synthétisé, on est parvenu à un indice unique, une méthode pour mesurer les tensions dans le système financier. On prend, par exemple, les marchés boursiers, les marchés obligataires et les marchés des devises et on en déduit le niveau de stress global. C’est bien de pouvoir les synthétiser en un seul indice et de le comparer à différents événements passés.
Qu’est-ce que vos recherches indiquent sur la probabilité d’une récession lorsque l’on compare la volatilité actuelle des marchés aux replis antérieurs?
C’est une bonne question. On accorde beaucoup d’attention aux marchés boursiers. L’indice S&P 500 s’est approché d’un marché baissier. Le NASDAQ a reculé de plus de 20 %. Heureusement, au Canada, la Bourse de Toronto s’est bien mieux comportée. Elle n’a diminué que d’un maximum de 5 %, simplement parce qu’on est plus exposés aux produits de base qui se portent extrêmement bien en ce moment.
Mais on a regardé en arrière et on a pris plusieurs épisodes passés, on est remonté jusqu’à la Grande Dépression. Et on a séparé les récessions, les périodes où l’économie américaine a vraiment connu la récession, et les reculs boursiers où on n’est pas entrés en récession. On s’est aperçu que les épisodes de récessions du passé ont été beaucoup plus graves que notre situation en 2022, au cours des trois dernières récessions.
La pandémie, la crise financière mondiale et l’éclatement de la bulle technologique, on a connu des replis massifs des marchés boursiers allant de plus de 30 % durant la pandémie à plus de 50 % durant la crise financière mondiale. Le repli de près de 20 % de l’indice S&P 500 est donc négligeable par rapport.
Et on a également constaté que, si l’on examine les épisodes passés, par exemple, les guerres commerciales de 2018, le choc des prix pétroliers en 2015, la crise de la dette souveraine, et j’en passe… Ces replis sont tous de l’ordre de moins de 20 % environ, mais très proche de ce qu’on connaît en 2022.
On pense donc que le repli observé sur les marchés boursiers s’apparente plus à une correction du marché boursier ou à un rééquilibrage de la croissance économique plutôt qu’à une vraie récession pour l’instant. Et, de toute évidence, les choses peuvent changer. Mais compte tenu de ce qu’on a vu jusqu’à maintenant, il s’agit de corrections, qui ne se transforment pas en récessions, et non de récessions réelles.
C’est une excellente image, qui permet d’examiner les marchés boursiers. Dites-nous en plus sur les devises, en particulier le dollar américain, qui a récemment été très vigoureux par rapport à un panier de devises. C’est ce qui a dominé l’actualité cette année. Que nous apprend l’appréciation du billet vert sur les récessions américaines passées?
Encore excellente question. Pour ce qui est du dollar américain, en général, souvent, lorsqu’il y a une aversion pour le risque… lorsque les investisseurs sont inquiets par rapport à l’économie mondiale... ils cherchent une valeur refuge. Et le dollar américain a toujours été cette monnaie refuge. Donc ils vendent leurs actifs risqués et achètent des titres du Trésor américain, et quand on achète des titres du Trésor américain, il faut parfois acheter le dollar américain. Et c’est ce qui se produit pour les investisseurs internationaux. Ce qu’on voit, c’est cette recherche de valeur refuge, et c’est pourquoi, comme vous l’avez indiqué, le dollar américain s’apprécie. Il s’apprécie par rapport à quelques monnaies, ou plutôt à de nombreuses grandes monnaies, aux marchés développés homologues des États-Unis. Par exemple, il a pris beaucoup de valeur par rapport au yen, mais aussi à la livre sterling, l’euro, ces monnaies se sont dépréciées par rapport au dollar américain. Le dollar américain a donc la cote.
C’est donc en grande partie une question d’aversion pour le risque, mais c’est aussi lié au fait que l’économie américaine se porte beaucoup mieux que ces autres économies. Elle se porte mieux que les économies européennes qui sont fortement influencées par ce qui se passe avec les prix des produits de base, en tant qu’importatrices d’énergie et qui dépendent de ces prix de l’énergie. À mesure que les prix de l’énergie augmentent, la possibilité pour ces économies de résister au choc de ces prix est bien inférieure par rapport à ce qui se passe aux États-Unis.
Le Japon est également un importateur d’énergie. Et la Banque du Japon va un peu à contre-courant des banques centrales du monde entier. La plupart des banques centrales cherchent à relever les taux d’intérêt à un niveau inflationniste, alors que la Banque du Japon s’y oppose en ce moment. Ils ne veulent pas augmenter les taux d’intérêt. Donc, en termes relatifs pour les marchés obligataires, il ne faut pas investir dans le yen par rapport aux titres du Trésor américain parce que votre taux de revenu est beaucoup moins élevé. Tous ces facteurs influent sur les devises, ce qui favorise le dollar américain.
Cela dit, dans un cas typique d’aversion pour le risque, on constate une appréciation du dollar américain beaucoup plus marquée qu’à l’heure actuelle. On prend ça en compte. Le dollar américain est une valeur refuge, il a bougé, mais il ne signale pas de récession à nos yeux.
Et un autre indicateur que vous suivez dans l’indice de stress financier, ce sont les écarts de taux. Quelles tendances voyez-vous et qu’est-ce que cela vous dit sur l’économie américaine?
Oui, alors lorsqu’on fait référence aux écarts de taux, on parle des taux obligataires des grandes sociétés américaines. Lorsque les investisseurs ne se sentent pas très à l’aise face à l’économie, ils ne se sentent pas à l’aise à l’égard des bénéfices de ces sociétés. Et, naturellement, ils veulent vendre les obligations de ces sociétés. Cela fait augmenter le taux de ces obligations.
Et, habituellement, lorsque les investisseurs sont très inquiets, ils font beaucoup de dumping. Cela fait grimper les taux. Et on constate que ces taux augmentent. Mais, fait intéressant, aux États-Unis, les taux et les écarts de taux relatifs aux titres du Trésor américain, il s’agit donc d’écarts de taux, on examine donc l’écart de taux d’un titre d’une société américaine par rapport au taux du gouvernement américain… et ces écarts sont en fait inférieurs aux valeurs passées pour certaines obligations de qualité investissement. Ils ont commencé à augmenter un peu au niveau des obligations de catégorie spéculative.
Et ce qu’on montre, c’est que oui les gens sentent qu’il y a plus de risque dans le système. Ils sont un peu plus craintifs qu’en 2021. Mais ces taux obligataires et ces écarts demeurent bien en deçà des valeurs historiques, donc ça ne laisse entrevoir aucune récession imminente.
Et même lorsqu’on regarde l’Europe et les obligations des sociétés européennes, les écarts de taux sont beaucoup plus élevés qu’aux États-Unis, donc par rapport aux sociétés américaines, mais ils n’ont pas encore atteint des niveaux très inquiétants. Ils n’ont même pas atteint le niveau de la crise de la dette souveraine en Europe. On souligne la même chose pour les marchés du crédit. Oui, ils se resserrent, mais pas trop. Ils sont très loin de ce qui s’est passé durant la pandémie mondiale.
Eh bien, c’est fascinant de voir tous ces éléments différents qui constituent l’indice du stress financier. C’est très intéressant. En somme, qu’est-ce que l’indice indique sur la possibilité d’une récession, du moins à court terme?
Alors, lorsqu’on évalue le stress financier, les conditions financières ont une incidence sur la croissance économique. Il y a un lien direct ici et une tendance historique. Ce qu’on montre, c’est que, oui le niveau de stress a augmenté un peu. Mais c’est davantage un ralentissement de la croissance économique qu’une contraction pure et simple.
Et, de toute évidence, les choses peuvent changer. Les marchés boursiers pourraient encore chuter. Mais on a constaté une amélioration de l’appétit pour le risque au cours des dernières semaines, les marchés boursiers rebondissent et certaines monnaies s’apprécient un peu par rapport au dollar américain. C’est le cas au Canada, le dollar canadien s’est apprécié la semaine dernière.
Donc, oui, on va avoir un ralentissement de la croissance, c’est logique. L’inflation est élevée, les taux d’intérêt sont élevés, le risque géopolitique est élevé. Tout cela pèse sur la croissance économique. Et les marchés boursiers, les marchés obligataires et les devises signalent la même chose. Mais ils ne laissent pas entrevoir le pire scénario, ce que vous voyez dans les journaux partout dans le monde à l’heure actuelle, c’est-à-dire une importante récession mondiale. Ils ne le signalent pas encore.
Eh bien, James, votre rapport est fascinant. Merci beaucoup de nous en avoir parlé.
Merci à vous.
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