Le taux des obligations du Trésor américain à 10 ans frôle les 5 %, les investisseurs évaluant les répercussions d’une politique monétaire musclée et d’une politique budgétaire expansionniste. Hafiz Noordin, vice-président, directeur et gestionnaire de portefeuille, Titres à revenu fixe à gestion active, Gestion de Placements TD, discute des perspectives des marchés obligataires.
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Le bon du Trésor à 10 ans tourne autour du niveau clé de 5 % aux États-Unis alors que les investisseurs assimilent encore un rapport sur le PIB résilient des États-Unis. Quelle pourrait être l'évolution du marché obligataire après la récente hausse spectaculaire des rendements? Hafiz Noordin de gestion de placements TD nous rejoint pour en discuter. Bonjour, Hafiz. Bonjour, Greg. Donc nous avons beaucoup de matières à aborder. L'économie américaine se porte bien selon les statistiques parues aujourd'hui. Le rendement du bon du trésor américain tutoie les 5 % depuis quelque temps. Où en sommes-nous? Comme vous l'avez dit, il s'agit d'une hausse considérable de 4 à 5 % pour le bon du Trésor américain à 10 ans. En général, ce qui fait augmenter les rendements des bons du Trésor, c'est qu'il y a une politique monétaire resserrée, c'est-à-dire la hausse des taux d'intérêt par les banques centrales, ou bien une politique budgétaire très assouplie, c'est-à-dire d'importants emprunts par le gouvernement. La surprise, c'est que nous avons eu les deux. Ce que l'on attendait cette année, c'était le resserrement de la politique monétaire. C'est, comme vous le dîtes, les statistiques nous montrent une forte croissance tirée par les États-Unis. Une inflation qui même si elle recule est toujours largement au-delà de l'objectif de 2 %, et puis il y a des marchés du travail très tendus, ce qui entraîne un maintien de la croissance des salaires, ce qui pourrait, craint-on, alimenter une nouvelle série de statistiques de l'inflation. L'inflation persiste plus longtemps que prévu, mais ce qui est étonnant, cette année, c'est le desserrement de la politique budgétaire à une époque où l'on s'attendrait à ce que la politique budgétaire se resserre. Le déficit budgétaire aux États-Unis aurait dû être inférieur à 5 % du PIB alors qu'il se rapproche des 6 à 7 % du PIB. Voilà beaucoup plus d'argent qui doit être emprunté sur les marchés, ce qui alimente cette évolution depuis peu. On parle de déficit budgétaire plus important que prévu, de dépenses plus importantes que prévu à Washington. Le moment est-il venu de commencer à envisager les justifiés du marché obligataire? Ils se sont fait sentir ici l'an dernier, ou plutôt au Royaume-Uni l'an dernier, est-ce que ce sera le cas aux États-Unis? Le marché obligataire ne joue plus le même rôle qu'autrefois. Antérieurement, la banque centrale, avec ces programmes KIWI, était acheteuse d'obligations et les fonds de richesses souveraines et les gestionnaires d'autres pays étaient systématiquement participants sur le marché des obligations américaines. Ils prennent leur recul, les banques américaines n'ont pas autant de dépôt qu'elles en avaient. Il y a le resserrement quantitatif. Alors les acheteurs marginaux sont plus sensibles aux prix. Je ne dirais pas nécessairement que nous sommes dans une période où les justifiés règnent, ce n'est pas le cas que nous avons vu en Grèce ou en Italie, mais il y a beaucoup plus de sensibilité aux prix et davantage d'importance attachée à l'idée de la juste valeur des obligations du gouvernement américain, compte tenu des perspectives budgétaires et des taux directeurs qui devront être maintenus plus longtemps plus élevés. Étant journaliste, j'aime bien les pourcentages. 4 %, 5 %, est-ce que dans le monde réel, c'est important ou non que le rendement des bons du Trésor à 10 ans atteigne ou non 5 %? Les seuils psychologiques, ça compte, parce que le marché est constitué d'êtres humains qui ont tous des biais comportementaux. Les 5 %, encore une fois, c'est un chiffre rond, mais il faut aussi se rappeler que le marché doit s'appuyer sur les périodes historiques pendant lesquelles le bon du trésor américain était à 5 %. La période de 2006-2007 qui a précédé la grande crise financière, le pic du bon du Trésor américain à cette époque était de 5 à 5,2. Donc les marchés... ont fait remonter les rendements, et maintenant on se demande si la situation à ce stade de ce cycle-ci est semblable à celle de 2006-2007. On pourrait affirmer que la croissance se portait très bien l'époque comme aujourd'hui, mais il y avait sans doute davantage de potentiel de croissance dans l'économie mondiale. La Chine se portait beaucoup mieux, l'Europe aussi, on voit pourquoi les taux étaient plus élevés à l'époque. Mais inversement, il y avait également moins de dettes des gouvernements par rapport à aujourd'hui. Donc il y a un potentiel de croissance moins élevée, mais davantage de dettes et davantage de déficits pour les gouvernements. Ces deux facteurs semblent s'annuler. 5 % pourraient donc représenter un rendement approprié à court terme, mais pour l'avenir, il faut se demander ce qui va se produire lorsque le marché du travail commence à présenter quelques failles, comment les taux vont-ils évoluer, nous pensons qu'il y a encore davantage de marge au niveau cyclique pour que les rendements des bons du Trésor américain diminuent. Le monde devient de plus en plus dangereux. Il y a deux semaines, un énorme problème géopolitique au Moyen-Orient qui se rajoute au conflit russo-ukrainien... Il y a beaucoup de risques. Les obligations sont traditionnellement un refuge. Est-ce que cela pourrait être le cas dans l'avenir? À long terme les obligations devraient continuer d'offrir ce refuge dans un portefeuille. Depuis quelques mois, elles n'ont pas pu remplir ce rôle. Les corrélations entre les actions et les obligations sont devenues plus positives. Les actions les obligations montent et descendent ensemble. cela remonte essentiellement à l'idée qu'il existe des préoccupations relatives au financement des déficits budgétaires et au grand nombre d'émissions d'obligations, ce qui biaise les corrélations. À l'heure actuelle... le statut de refuge est davantage dévolu au dollar américain et à l'or. Ce sont deux marchés sur lesquels cette corrélation est davantage négative par rapport aux actions. Mais dans la situation d'ensemble et à plus long terme, les rendements obligataires continueront de représenter un refuge de par leur qualité, surtout les bons du trésor américain, puisque beaucoup d'investisseurs étrangers sont toujours présents sur le marché américain lorsqu'ils cherchent à se protéger, à protéger leurs capitaux. Les banques centrales s'expriment, la nôtre a pris la parole hier. La banque centrale européenne a fait son annonce aujourd'hui. La Fed la semaine prochaine. Qu'en concluez-vous? - Je conclus de toutes ces annonces que les banques centrales sont en pause, mais en veille. Elles ont beaucoup resserré les données sur la croissance, demeurent résilientes, mais elles ne s'emballent pas. L'inflation recule, par rapport au pic qui a été atteint. affiche une tendance au retour à l'objectif, mais lentement. L'idée qu'elles veuillent se maintenir à ces niveaux restrictifs dans le cadre d'une pause pour voir comment la situation se déroulera, mais tout en s'engageant à maintenir les taux plus élevés plus longtemps. Voilà l'équilibre qu'elles cherchent à établir. Ne pas sembler trop accommodante, mais démontrer leur engagement à réduire l'inflation, c'est-à-dire en annonçant qu'il n'y aurait pas de réduction de taux prochainement. Pour la Fed et la Banque du Canada, c'est le deuxième semestre de l'an prochain que l'on peut escompter des réductions de taux si la cible de l'inflation n'est pas atteinte l'an prochain.