Le résultat par action trimestriel des grandes banques canadiennes est en hausse. Kim Parlee reçoit Mario Mendonca, directeur général, Valeurs Mobilières TD. Selon lui, on ne peut pas parler d’un trimestre de très haute qualité pour les banques, même si elles ont dépassé les prévisions consensuelles de 7 % en moyenne. Il nous explique pourquoi.
[CARILLON]
KIM PARLEE : Cinq des six grandes banques canadiennes ont battu les prévisions consensuelles ce trimestre. La CIBC les a manquées d’à peine 1 %. Un peu plus tôt, Mario Mendonca de Valeurs Mobilières TD m’a parlé de ces résultats et de ce qui se profile pour l’avenir.
Mario, commençons par un aperçu global des bénéfices des banques canadiennes. Dans vos commentaires, vous dites, je cite : « Ce n’est pas ce que nous appellerions un trimestre de très haute qualité. » Expliquez-moi un peu votre point de vue.
MARIO MENDONCA : Avec plaisir. Les bénéfices sont en hausse. Le résultat par action a progressé d’environ 5 % sur 12 mois. Les bénéfices avant impôts et provisions ont augmenté d’environ 4 %.
À mon avis, ce n’est pas un trimestre de très haute qualité à cause de la façon dont les banques ont surpassé les estimations. Les six banques ont toutes dépassé les prévisions des analystes. La CIBC se situe juste un peu en dessous.
Mais elles doivent surtout ces résultats à la baisse des pertes sur créances, qui sont demeurées extrêmement faibles. Aucune des banques, à part peut-être la Banque Nationale, n’a vraiment généré de revenus supérieurs à ce que l’on espérait.
De mon point de vue, c’est un trimestre d’assez faible qualité, car les gains proviennent presque exclusivement du crédit.
KIM PARLEE : D’accord. Voyons cela un peu plus en détail, à la lumière d’autres thèmes. Parlez-moi un peu du crédit. Où en est-on actuellement?
MARIO MENDONCA : Le crédit, c’est une question intéressante. Au cours du trimestre, pendant les trois derniers mois, nos banques canadiennes ont affiché de piètres résultats, en partie à cause de leur faible valorisation par rapport à certaines banques américaines. Mais elles ont clairement perdu de la valeur.
En toute logique, le marché commençait à craindre l’émergence de la question du crédit. Étant donné que la Fed et la Banque du Canada augmentent les taux d’intérêt et retirent des liquidités du marché, on craignait un atterrissage brutal et des pertes sur créances.
Ça ne s’est pas produit durant ce trimestre. Rien ne va dans ce sens. Les taux de défaillance demeurent très faibles, de même que la formation de prêts douteux bruts.
Le chômage demeure très faible. Et quand on écoute les dirigeants des banques, on a clairement l’impression que le crédit n’est pas l’enjeu principal à court terme. Il se peut que ça change.
On va sans doute entrer dans un cycle de crédit à un moment donné. Mais à l’heure actuelle, je ne vais pas entrer dans les chiffres et dans mes recommandations sur l’émergence d’un grand cycle de crédit.
KIM PARLEE : Intéressant. On va surveiller ça de près. Selon vous, pas de problème à court terme. On verra ce que l’avenir nous réserve. Qu’en est-il des marges?
MARIO MENDONCA : Les marges sont très positives pour les banques canadiennes. Depuis un temps, les marges étaient sous pression en raison de la baisse des taux. L’évolution des taux, en particulier la dernière hausse, fait évidemment grimper les titres à court terme. Mais on voit aussi une hausse des taux à cinq ans.
Avec la hausse des taux, les banques qui ont énormément de dépôts – comme la Banque Royale – les banques qui ont une base de dépôts très importante vont accroître leurs marges un peu plus vite que celles qui ont plutôt recours au financement sur le marché de gros. Cette hausse un effet très important sur toutes nos banques, mais surtout sur celles qui ont de gros volumes de dépôts.
KIM PARLEE : Passons en revue quelques banques. Pour la Banque de Montréal, un ralentissement des bénéfices avant impôts et provisions?
MARIO MENDONCA : Oui. Les résultats sont conformes à ceux du groupe, pour ce qui est des bénéfices avant impôts et provisions. C’est bien. Mais elle a perdu l’avance qu’elle affichait auparavant.
La Banque de Montréal est fortement axée sur les marchés financiers. C’est de là qu’elle tire une grande partie de ses revenus, et on note un ralentissement. Par rapport à d’autres banques, la hausse des taux ne lui procure pas le même élan.
Je m’attends donc à un ralentissement de la croissance du bénéfice avant impôts et provisions. L’un des atouts de la Banque de Montréal, c’est qu’en 2023, elle récoltera les fruits de l’acquisition de Bank of the West. Je crois que les bénéfices avant impôts et avant provision vont surtout s’améliorer en 2023. Au second semestre, elle risque d’accuser un léger retard sur ses pairs.
KIM PARLEE : OK. Passons à la Scotia. Même chose. Selon vous, les bénéfices avant impôts et provisions risquent d’être à la traîne. Mais elle a affiché de très bons résultats ce trimestre?
MARIO MENDONCA : Tout à fait. Un excellent deuxième trimestre. Je crois que la Scotia risque d’être à la traîne, parce qu’elle est loin d’être en mesure de profiter autant que ses pairs de la hausse des taux.
Mais elle a pris une position très intéressante. Sur le plan international, elle s’est positionnée pour profiter d’une baisse des taux. Ça porte préjudice à son revenu d’intérêts net en cas de hausse des taux.
C’est simplement la position adoptée par la banque. Elle a déjà fait d’excellentes prédictions par le passé. À l’heure actuelle, elle est positionnée en vue d’une baisse des taux.
Je maintiens que la hausse des taux va entraîner une croissance des marges pour l’ensemble du groupe. Pour moi, la Scotia est aussi en bas de la liste parce que je ne vois pas vraiment d’où émergera l’élan pour une progression des bénéfices en 2023.
J’ai mentionné l’acquisition de Bank of the West par la Banque de Montréal. À la Scotia, il n’y a rien d’une telle ampleur et de vraiment significatif pour alimenter la dynamique en 2023.
KIM PARLEE : Qu’en est-il de la CIBC? Vous parlez de ses niveaux de capitaux, et des occasions à venir. Que retenez-vous d’autre?
MARIO MENDONCA : La CIBC fait face à une problématique semblable. Elle affiche un ratio de fonds propres très solide, dans l’absolu. Mais comme la Scotia, relativement aux autres, elle ne bénéficie pas tout à fait de la même souplesse que ses pairs.
Ce qui est intéressant avec la CIBC, c’est qu’elle s’est mise à prêter à un rythme très soutenu au cours des 12 à 18 derniers mois. C’est une bonne nouvelle. Ça lui a permis d’améliorer les bénéfices. Mais elle en est clairement au point où un ralentissement est inévitable.
Je crois qu’on verra un ralentissement pour deux raisons. D’abord, elle a absorbé une grande partie de son capital excédentaire. Et la croissance a ses limites.
Ensuite, elle s’est fortement tournée vers les prêts immobiliers commerciaux aux États-Unis. Elle devrait peut-être marquer une pause dans ce secteur, surtout si un cycle de crédit s’amorce en 2023. C’est l’un des points à surveiller, selon moi.
KIM PARLEE : Et pour la Banque Nationale?
MARIO MENDONCA : La Banque Nationale est un peu énigme pour moi. J’ai toujours été ébahi de sa capacité à augmenter ses revenus tirés des marchés financiers, dans presque n’importe quel contexte. Ce trimestre, ses produits tirés de la négociation sont en hausse de 39 % sur 12 mois.
C’est du jamais-vu pour les autres banques. Elle bénéficie d’une position de volatilité à long terme qui lui est favorable quand le monde semble en proie à l’instabilité. Elle excelle dans la négociation de produits dérivés sur actions.
C’est ce qui explique de très solides résultats sur les marchés financiers. On a eu une petite frayeur ce trimestre, avec la hausse des prêts douteux bruts dans sa filiale cambodgienne, ABA. Je crois que les banques ont maîtrisé la situation. J’en comprends un peu les raisons.
Je ne crois pas que la hausse de ces prêts douteux bruts au Cambodge va avoir un impact important sur les bénéfices. Mais c’est quelque chose qu’il faudra surveiller à partir de maintenant.
KIM PARLEE : Mario, on ne peut pas parler de la TD, pour des raisons évidentes. Mais parlez-moi de RBC. Vous avez parlé des marges des banques qui ont de gros volumes de dépôts. Qu’est-ce que vous voyez?
MARIO MENDONCA : RBC bénéficie indéniablement de marges plus élevées. Je crois que ce sera important au deuxième trimestre, et dans la deuxième moitié de 2022. Ce qui me déroute, c’est qu’une banque qui détient tous ces atouts, tant par sa structure que par son ampleur, n’a pas vraiment affiché de résultats de premier ordre ces derniers trimestres.
Au deuxième trimestre, c’est la seule à enregistrer une baisse de revenus sur 12 mois. Ses bénéfices avant impôts et provisions n’ont pas non plus augmenté sur 12 mois. Cette banque ne présente donc pas les caractéristiques qu’on attend d’une banque de premier ordre.
Je suis bien plus optimiste pour le deuxième semestre. Je pense qu’avec la croissance des marges et, d’après ce qu’on constate, un nouvel élan de croissance des prêts, elle devrait connaître un deuxième semestre assez solide. Mais il faut regarder les choses en face. Cette banque de premier ordre, du moins au cours des derniers trimestres, n’a pas affiché des rendements à la hauteur de son statut.
KIM PARLEE : Permettez-moi de vous poser une dernière question. Vous avez parlé de ce que vous allez surveiller pour chacune de ces banques. On est au bord d’une période de ralentissement, de récession ou de stagflation. Quel sera l’effet sur les bénéfices des banques?
MARIO MENDONCA : D’accord. C’est une question très complexe. Pour l’instant, à très court terme, je porte surtout attention à la façon dont les marges vont faire grimper les résultats. Je surveille le risque de ralentissement des marchés financiers.
Mais il semble inévitable que l’on finisse par entrer dans un cycle de crédit. Reste à savoir si la récession sera attribuable au comportement des consommateurs, ou plutôt aux entreprises.
Selon la cause, certaines banques seront plus touchées que d’autres. Et dans un deuxième temps, si les entreprises sont à l’origine de la récession, quels secteurs seront touchés? Les biens immobiliers commerciaux? Dans ce cas, je serais inquiet pour la CIBC et la croissance de son portefeuille d’immobilier commercial aux États-Unis.
L’agriculture? La Banque de Montréal risquerait de souffrir, car elle est très active dans l’agriculture. Le cycle s’en vient. On n’en voit aucun signe pour le moment.
Par expérience, je sais qu’il est déraisonnable pour un analyste ou même un investisseur de prendre des décisions en fonction d’un cycle de crédit quand il n’y a encore aucune preuve de son existence. On finira par en reparler. Et le moment venu, je devrai être parfaitement clair sur les secteurs qui, à mon avis, seront les plus touchés. Ce qui m’amènera à déterminer quelles banques seront elles aussi les plus touchées.
KIM PARLEE : Mario, merci beaucoup du temps que vous nous avez consacré.
MARIO MENDONCA : Merci.
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