
La Réserve fédérale américaine a relevé les taux d’intérêt de trois quarts de point de pourcentage dans le but de contrôler l’inflation, qui a progressé à un rythme inégalé depuis décembre 1981. Anthony Okolie discute avec James Marple, économiste principal, Groupe Banque TD, des conséquences pour l’économie américaine.
La Réserve fédérale américaine a relevé les taux d’intérêt de 75 points de base, comme s’y attendaient les marchés, et la Banque centrale a aussi indiqué que d’autres hausses de taux pourraient avoir lieu. James, qu’est-ce qui a retenu votre attention aujourd’hui?
Eh bien, plusieurs choses. Premièrement, ce communiqué est accompagné du résumé des projections économiques, les membres de la Fed y ont mis à jour leurs perspectives de croissance, d’inflation, d’emploi et, bien sûr, de l’évolution future du taux des fonds fédéraux. Ce qui est particulièrement frappant, c’est que, contrairement à leurs prévisions passées, c’est-à-dire un taux de chômage inchangé à 3,5 % à la suite de la hausse des taux, ils prévoient maintenant un montant plus élevé pour la hausse des taux, mais ils revoient aussi à la baisse leurs attentes de croissance économique.
Ils réduisent la vitesse à laquelle, selon eux, l’économie pourrait croître à un niveau inférieur de ce qu’on appelle le rythme potentiel de l’économie. Ils voient donc un impact économique réel de leur hausse de taux, avec un taux de chômage qui augmente, même plus que ce à quoi ils s’attendaient à long terme, soit environ 4 %. Ils l’ont fait passer au-dessus de 4,1 %.
Et l’autre chose, bien sûr, c’est qu’ils augmentent vraiment leurs prévisions pour les hausses des taux d’intérêt. Il y a une différence de 100 points de base par rapport à ce qui était prévu en mars pour le taux prévu pour quelques années par rapport à ce qu’il est maintenant, jusqu’à 3,75 points de pourcentage. Il reste donc encore beaucoup de chemin à faire par rapport à la situation actuelle. Je pense que ce qu’ils disent, c’est qu’ils accusaient peut-être du retard, mais ils ont revu leurs copies, et ils comprennent qu’ils doivent ramener les prix vers la cible et, pour ce faire, ils pourraient devoir sacrifier une partie de la production économique et des emplois.
Oui, et je veux me concentrer sur pce point arce que vous soulignez les différences entre mars et aujourd’hui. Qu’est-ce que ce changement de ton lors de cette réunion du FOMC vous dit sur l’inquiétude de la Fed à l’égard de l’inflation?
Eh bien, l’inflation continue de nous surprendre à la hausse. Au début, ils disaient que l’inflation était transitoire. De toute évidence, ils ont modifié leur position à cet égard, mais ils ne sont pas devenus simplement optimistes quant aux défis liés à l’offre. Et, évidemment, le conflit en cours en Ukraine continue de faire grimper les prix des produits de base et les prix de l’énergie restent élevés.
Mais ils voient que cela évolue maintenant aussi vers les services, les prix. Et en fait, non seulement l’inflation est élevée, mais il semble beaucoup plus difficile de dire que la situation est spécifique. Cela semble beaucoup plus général. De toute évidence, ce qui est inquiétant, c’est qu’en ce moment, on commence aussi à voir des prévisions élevées à l’égard de l’inflation future et ce à quoi les gens s’attendent en matière de salaires. Une fois que c’est intégré dans les salaires et que les attentes des gens changent vraiment pour l’avenir, le problème est beaucoup plus difficile à régler et la situation plus difficile à renverser.
Alors oui, ils sont inquiets. Je ne dirais pas qu’ils paniquent, mais ils considèrent cette situation comme quelque chose qui nécessitera, encore une fois, un sacrifice sur le plan de l’économie réelle afin de contenir l’inflation.
Et vous parlez de tous ces facteurs, de la chaîne d’approvisionnement. Outre le fait que les attentes des consommateurs semblent confuses en ce moment, ne croyez-vous pas que cette dernière décision de la Fed est suffisante pour devancer l’inflation?
Je pense qu’on commence à voir des signes de ralentissement de la demande, et, de toute évidence, la Fed ne peut pas faire grand-chose pour influer sur certains défis liés à l’offre, en particulier à l’échelle mondiale. Mais ils peuvent influer sur la demande, et on a vu aujourd’hui un rapport sur les ventes au détail inférieur aux attentes, même en termes nominaux. Ce qu’on a observé au cours des derniers mois, c’est que les dépenses nominales demeurent élevées, mais que ce sont surtout les prix qui ont augmenté. Maintenant, on commence même à voir des signes que certains de ces indicateurs nominaux s’affaiblissent.
Des grands magasins comme Target ont indiqué qu’ils avaient trop de stocks. Cela signifie probablement qu’ils devront baisser les prix. Je pense donc que certains de ces prix montrent des signes de ralentissement, et que du côté des services, on devra continuer de surveiller la croissance des salaires et le marché de l’emploi. Mais en raison de ces indicateurs avancés deralentissement dans les secteurs sensibles aux taux d’intérêt, l’habitation ralentit et les prêts hypothécaires. On a vu le nombre de demandes de prêt hypothécaire augmenter.
La transmission de la politique monétaire se fait comme nous le prévoyons et cela devrait ralentir l’inflation. La question est de savoir à quel rythme cela va se faire… il y a beaucoup moins de certitude à cet égard, et à savoir si cela peut survenir sans entraîner l’économie dans un repli complet.
Et, bien sûr, avec les taux… les hausses de taux qui deviennent plus importantes, je déteste utiliser le mot redouté, mais comment cela influe-t-il sur les préoccupations liées à la menace d’une récession?
Eh bien, vous l’avez vu dans les projections de la Fed, dans leur résumé des projections économiques. Ils affichent une croissance ralentie, une croissance économique de 1,7 %. On n’est pas loin de zéro. On considère qu’il s’agit d’une récession à chaque fois que l’économie se contracte, avec une croissance inférieure à 0 %, et un taux de chômage en hausse.
Eh bien, le taux de chômage augmente dans le résumé des projections économiques. Donc la marge est faible. Bien sûr beaucoup de choses pourraient bien se passer. Il y a beaucoup de raisons de s’attendre à ce que l’économie demeure résiliente. Les ménages ont d’importantes économies pour surmonter encore une partie de l’inflation. On observe des bilans assez solides dans l’ensemble, peu de signes en Amérique du Nord, de difficulté financière.
Mais ce sera difficile et, comme je l’ai dit, il doivent avoir de la chance sur le plan de l’inflation. Si certaines des forces inflationnistes diminuent, peut-être certaines des choses qu’ils ne peuvent pas contrôler, avec un ralentissement graduel de la demande, on aura peut-être un atterrissage en douceur et on évitera une récession.
L’un des secteurs où les marchés se sont extrêmement bien comportés, bien sûr, c’est le dollar américain, qui s’est apprécié par rapport à un panier d’autres monnaies. Que pensez-vous de l’engouement pour le dollar américain? Quelles perspectives voyez-vous pour le dollar canadien prochainement?
Eh bien, tant que la Fed mène le bal en matière de hausses de taux, le dollar demeurera bien soutenu. En Europe, par exemple, on a observé certaines préoccupations, la BCE commence à revoir à la hausse ses politiques concernant son impact sur les taux obligataires dans l’ensemble de la zone euro. Il y a un élargissement des écarts entre les pays émetteurs de titres souverains, entre l’Italie et l’Allemagne et une contrainte sur la vitesse de normalisation de la politique. Ils ont aussi vu beaucoup plus d’inflation liée aux problèmes d’offre, peut-être pas tant dictée par la demande. Mais je pense que tant que… la Fed continue d’être audacieuse et de relever les taux, le dollar continuera de bien se comporter.
James, merci beaucoup d’avoir été avec nous aujourd’hui.
Tout le plaisir est pour moi, Anthony.
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