
La Réserve fédérale américaine a procédé à une autre hausse de taux de trois quarts de point, ramenant les taux à leur plus haut niveau depuis 2008. Toutefois, la banque centrale a laissé entendre qu’elle pourrait commencer à ralentir le rythme des hausses lors des prochaines rencontres. Anthony Okolie discute avec James Marple, économiste principal, Groupe Banque TD, des perspectives pour l’économie américaine.
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James, la Fed a de nouveau relevé son taux de 75 points de base, soit sa quatrième hausse d’affilée. Et elle a également laissé entendre que le rythme des futures hausses de taux pourrait commencer à ralentir. Alors qu’est-ce qui a retenu votre attention aujourd’hui? Eh bien, c’est certainement le message clé : qu’elle a examiné l’ampleur des hausses qu’elle a imposées à ce jour, et qu’elle veut maintenant au moins évaluer l’impact de ces hausses avant d’envisager une autre hausse importante des taux. Le message demeure le même : elle ne pense pas être encore à la fin. Elle pense toujours que d’autres hausses de taux s’en viennent, mais elle veut au moins évaluer l’impact de ces hausses sur l’économie et le resserrement des conditions financières. Elle sera donc peut-être un peu plus tournée vers l’avenir ou un peu plus attentive à la façon dont les données entrent en jeu, plutôt que de s’engager à maintenir un certain rythme de hausses. D’accord. Donc, si les hausses de taux n’ont pas encore cessé, on en prévoit encore d’autres, alors à quoi vous attendez-vous? Eh bien, je m’attends à des hausses encore plus importantes. Je pense que c’est un peu plus qu’une question ouverte de se demander à combien s’élève le taux final. J’imagine qu’elle va encore l’augmenter à la prochaine rencontre, et probablement à la rencontre suivante aussi. Elle a fait passer les taux d’intérêt à un niveau supérieur à son taux prévu à long terme. Cela signifie que la Fed elle-même pense que le taux est en territoire restrictif. Bien sûr, le taux reste inférieur au taux d’inflation. Et il y a un débat quant à savoir dans quelle mesure il doit s’élever au-dessus du taux d’inflation pour qu’il devienne vraiment restrictif. C’est donc une cible un peu plus mobile, et c’est beaucoup plus important de surveiller les données sur l’inflation ainsi que d’autres indicateurs de la façon dont l’économie pourrait réagir aux hausses de taux qu’on a observées. Elle parle d’inflation parce que l’inflation est, bien sûr, toujours élevée. On a également des données sur le marché de l’emploi aux États-Unis, qui viennent d’être publiées, et qui montrent toujours qu’il est très solide. Alors en quoi est-ce que cela vient jouer sur le fait que la Fed dépasse sa cible et cause un atterrissage brutal pour l’économie américaine? Eh bien, certainement le fait qu’on n’a pas observé de signes de ralentissement réel sur le marché du travail. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a peu d’éléments sous-jacents. Le taux d’offres d’emploi n’est pas aussi élevé qu’il l’était à son sommet. Malheureusement, selon les données du dernier mois, il a augmenté plutôt que diminué, de sorte qu’à l’heure actuelle, le marché de l’emploi reste très, très serré. La Fed aimerait voir des signes de ralentissement. Elle l’a vu dans l’économie. Le marché de l’habitation est certainement en baisse. La croissance du PIB a été pratiquement nulle au cours des trois derniers trimestres. Elle a rebondi au troisième trimestre, mais elle a certainement ralenti au cours de la dernière année. Mais tant que le marché du travail est vigoureux, elle ne peut pas vraiment dire qu’elle a obtenu l’effet qu’elle voulait voir. Je pense que cela accroît la probabilité que ça continue jusqu’à ce que quelque chose ne fonctionne plus, parce qu’il n’y a pas le moindre indicateur précurseur qui pourrait lui faire dire : « Regardez, on voit que les choses commencent à ralentir. Peut-être qu’on pourrait maintenant faire une pause. » Et je pense que cela signifie que tant que le marché du travail ne montre pas de signes de ralentissement... Surtout avec les salaires qui semblent aussi être élevés. Exactement. La croissance des salaires et le rythme de la croissance de l’emploi. Le rythme de croissance de l’emploi est encore plus rapide qu’en 2019, même si le niveau de l’emploi est revenu au-dessus de son sommet prépandémique. Alors oui, je pense que plus ça dure, plus les taux sont élevés et plus il est probable que, malheureusement, il y ait quelque chose qui ne fonctionne plus et qu’il y ait un atterrissage brutal. D’accord. Il y a eu beaucoup de rumeurs, y compris de la part des législateurs, au sujet des répercussions économiques des hausses de taux massives décrétées par la Réserve fédérale, et on se demande si cette approche a été la meilleure. Est-ce que cela commence à entrer en ligne de compte dans les décisions prises par les décideurs? Je ne pense pas. Je ne pense pas que la Fed réagisse à la façon dont les politiciens élus réagissent. Ça risque de compliquer les choses. En fait, cela peut être contre-productif, car la Fed doit affirmer son indépendance et s’assurer de ne pas réagir à ce que les politiciens lui disent de faire. Je dirais toutefois que la situation budgétaire est importante. Et plus on augmente les déficits et les mesures supplémentaires, plus elle doit faire de choses pour augmenter les taux d’intérêt. Donc, si les politiciens veulent vraiment faciliter la tâche de la Fed, la meilleure chose à faire est de mettre de l’ordre dans les finances publiques. De plus, il ne sera peut-être pas nécessaire d’imposer autant de hausses de taux pour remettre l’économie sur pied. Quels autres risques potentiels entrevoyez-vous pour les perspectives de la Fed? Eh bien, on a certainement vu ces poches de risque sur les marchés financiers. Ce qu’on a vu au Royaume-Uni. Il y a encore beaucoup de risques géopolitiques. Le dollar est très solide, et on en a constaté certaines conséquences partout dans le monde. Je pense qu’il est difficile de savoir quel va être le prochain type de choc. Mais plus les taux augmentent, plus il est probable qu’il y ait un problème sur les marchés financiers. Et c’est ce que je surveillerais. Encore une fois, si on ne voit pas de ralentissement graduel dans les données, le risque est que ça arrive plus abruptement. Et j’aimerais parler un peu du dollar américain, qui, encore une fois, continue de surpasser un panier de devises. Mais il est certain qu’après ça, le dollar américain s’est légèrement déprécié. À votre avis, comment le dollar américain va-t-il se comporter à court terme? Je ne crois pas qu’il va baisser. Par rapport au dollar canadien, en particulier, la capacité de la Banque du Canada de relever les taux d’intérêt est davantage limitée que celle des États-Unis. On a plus de prêts hypothécaires à taux variable. L’endettement des ménages est plus élevé. Les coûts du service de la dette vont augmenter assez rapidement au cours de la prochaine année. Et je pense que la Banque du Canada en est consciente. Il va donc probablement y avoir un léger écart entre les taux directeurs au Canada et aux États-Unis. Ça va continuer d’alimenter les pressions à la hausse sur le dollar américain. On pourrait dire la même chose de l’euro, où l’inflation globale persiste. En Europe, l’inflation de base n’est pas aussi forte, mais son économie continue de souffrir des effets directs de la guerre en Ukraine. Sa réponse politique va donc être limitée. Tout cela semble indiquer que le dollar américain demeure solide. Et, bien sûr, si un événement quelconque qui comporte des risques se produit, la ruée vers les valeurs refuges sera également avantageuse pour le dollar américain. Je dirais donc qu’il est toujours solide et qu’il sera peut-être encore un peu plus élevé plus tard. James, merci beaucoup de vous être joint à nous. Je vous en prie. [MUSIQUE]