Depuis des mois, les marchés boursiers sont aux prises avec une inflation élevée, des taux d’intérêt en hausse et un ralentissement de la croissance. Greg Bonnell reçoit Bill Booth, cochef des placements à Epoch Investment Partners. Selon lui, les marchés semblent connaître un changement de régime, où l’inflation élevée et la croissance au ralenti deviennent la nouvelle normalité.
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[MUSIQUE]
Le marché est en berne après une nouvelle hausse de taux musclée de la Fed qui martèle son intention de poursuivre sur sa lancée pour juguler l’inflation. Pour y voir plus clair, j’accueille Bill Booth, cochef des placements à Epoch Investment Partners. Bill, bienvenue. J’ai hâte d’entendre ce que ça vous inspire.
Ravi d’être avec vous, Greg, merci.
Allons droit au but. On peut dire que l’après-midi d’hier a été mouvementée. On a eu la hausse de 75 points de base que l’on attendait. On a entendu le discours très ferme habituel de Jerome Powell. La réaction du marché a été intéressante. Au bout du compte, il est en baisse. Pouvez-vous me faire part de ce que vous observez?
Les jours d’annonce de taux, ça devient les jours de tous les maux pour les investisseurs. La volatilité qui accompagne ces annonces est vraiment remarquable. Comme vous l’avez souligné, les réactions du marché ont été intéressantes, avec un repli initial, puis un rebond pendant la conférence de presse pour finir par un décrochage à la clôture. Il est maintenant très clair que la seule mission de la Fed dans la vie, du moins à ce stade de son existence, c’est de tuer l’inflation. Et le message, c’est qu’elle est plus ou moins prête à tout pour ramener l’inflation aux cibles à long terme.
Je crois que les investisseurs sont aux prises avec la réalité que la Fed est prête à sacrifier l’économie dans une certaine mesure, et à sacrifier le marché de l’emploi. Et Powell a dit en substance que si la Fed allait faire une erreur, ce serait celle de maintenir des taux trop élevés trop longtemps, mais pas celle de les baisser prématurément. Je crois que c’est ce dont on commence à prendre conscience. On est dans un contexte de taux durablement élevés.
Il semblait vraiment vouloir donner une douche froide. Si on revient à Jackson Hole, on peut tirer une croix sur un retour en arrière. Il n’était pas d’humeur à laisser présager un changement de cap. C’était vraiment la douche froide, parce que le dernier espoir pour les investisseurs, c’était de se dire que, d’accord, la Fed doit être ferme. Elle doit maîtriser l’inflation. Mais quand ce sera fait, elle ne tardera pas à revenir à des taux moins élevés. Mais ça semble vraiment hors de question maintenant.
Oui, je crois que la Fed craint vraiment que l’inflation soit durablement perçue comme une fatalité dans l’esprit des consommateurs américains. Il est donc évident que l’inflation est une priorité. Je ne crois pas que la Fed va s’arrêter de sitôt. En fait, ce qui a vraiment créé la surprise hier, c’est que le taux final se situe maintenant autour de 4,6 % en 2023.
C’est vrai que le secteur des technologies est particulièrement touché. C’est logique, parce que la hausse des taux se répercute d’abord sur les ratios d’évaluation. Or, les actions technologiques très performantes ont affiché des ratios très élevés pendant ces dix dernières années d’assouplissement quantitatif. Et avec ce changement de régime, ces actions subissent de plein fouet la contraction des évaluations que l’on observe sur le marché.
Bill, parlons un peu de ce changement de régime qui a fait l’objet de publications sur le site Web d’Epoch l’autre jour. J’ai jeté un œil à l’un des livres blancs que vous avez publiés cet été. On s’était habitués à un certain régime, ces dix dernières années. Si j’ai bien lu le livre blanc, cette époque est révolue. Il n’y aura pas de retour en arrière.
On entre dans une nouvelle décennie. Qu’est-ce que ça veut dire pour les investisseurs?
D’abord et avant tout, il faut s’habituer à une inflation plus forte. Il est certain que l’on a connu une décennie d’inflation modeste et somme toute, de croissance économique satisfaisante. À long terme, l’inflation sera sans doute plus forte que ce à quoi on s’est habitués. Je ne dis pas qu’elle atteindra 5 ou 6 %, mais il se peut que 3 % devienne le nouveau 2 %.
Du point de vue de la croissance économique, de nombreux facteurs pèsent sur la croissance potentielle des économies dans le monde. Il ne fait aucun doute que la population vieillit, ce qui ralentira naturellement la croissance. Il y a tous les problèmes d’approvisionnement associés à la COVID. Et avec le conflit entre la Russie et l’Ukraine, on amorce sans doute une nouvelle ère de démondialisation.
L’avantage de la démondialisation, c’est que les chaînes d’approvisionnement seront peut-être plus fiables. Mais fatalement, les coûts vont augmenter. En ce qui concerne l’avenir, la croissance sera probablement plus faible que celle qu’on a connu ces dix dernières années, et l’inflation sera probablement plus élevée.
Quand on pense aux investisseurs qui recherchent un rendement dans ce contexte, où peuvent-ils se tourner? Quel est leur état d’esprit? Comme vous l’avez dit, il fut un temps où, si vous aviez misé sur les actions technologiques, bravo. C’était très lucratif, et vous avez profité de l’appréciation des cours et de la montée en flèche. Où peut-on trouver du rendement maintenant?
Si on revient sur les dix dernières années, c’est intéressant de regarder d’où vient le rendement des actions. Il provient des fluctuations des ratios d’évaluation, de la croissance des bénéfices et des dividendes.
Ce qui est intéressant, c’est que la hausse des évaluations a fortement contribué aux rendements exceptionnels de la dernière décennie. Maintenant, je crois qu’il faut revenir à la croissance des bénéfices et aux dividendes pour générer le gros des rendements sur les marchés boursiers. Pour nous, il s’agit de rechercher des sociétés qui vendent des produits et services dans des marchés finaux dont la croissance est structurelle, des sociétés exposées à une croissance durable, des sociétés rentables.
Beaucoup de sociétés technologiques non rentables, qui vendent des idées, ont eu les faveurs des investisseurs ces dernières années. Je crois que c’est bel et bien terminé. En fin de compte, quand vous achetez une action, vous achetez une entreprise. Les gens ont parfois tendance à l’oublier.
Ils voient un symbole et un prix. Ils ne se rendent pas compte qu’il y a vraiment une entreprise derrière ce titre et ce prix. Il faut miser sur les sociétés qui sont rentables, qui génèrent des liquidités, et qui ont un bilan très solide. Parce que ce qui va caractériser cette nouvelle ère, c’est sans doute la volatilité et l’incertitude.
L’ordre mondial semble quelque peu s’effondrer. On a des problèmes géopolitiques de toutes parts. On a une crise de l’énergie qui plonge l’Europe dans la tourmente. À l’avenir, l’éventail des résultats sera probablement plus vaste que ce à quoi les dix dernières années nous ont habitués.
Il va falloir s’armer de deux qualités et je suis choqué qu’à mon âge, elles me fassent encore défaut. Avec ce changement de paradigme, il va falloir être patient. Et il va falloir mettre ses émotions de côté. Dernièrement, j’ai été surpris par mon manque de patience et mon émotivité excessive. Je suppose qu’étant donné la voie que nous empruntons, on va devoir faire preuve d’un peu plus de discipline en tant qu’investisseurs.
Oui, tout à fait. Il ne faut pas laisser l’arbre cacher la forêt. Si on observe ce qui se passe sur les marchés aujourd’hui, certains secteurs offrent des perspectives de croissance à long terme très intéressantes, comme l’énergie verte, l’automatisation ou la technologie en général. Évidemment, la technologie alimente vraiment une nouvelle révolution industrielle, de l’Internet des objets au nuage, en passant par les mégadonnées.
Si on prend un peu de recul par rapport à la volatilité du quotidien, on peut se demander si la situation a tant changé que ça. Dans 10 ans, aura-t-on plus ou moins besoin de semi-conducteurs? L’automatisation va-t-elle s’accélérer ou ralentir?
Si vous pouvez faire preuve de patience, on peut considérer le délestage de certains titres comme une occasion. L’un des arguments que j’entendais tout le temps, quand le marché était haussier, c’est que tout est tellement cher. J’ai raté l’occasion d’acheter telle ou telle action. Pour certains investisseurs, c’est peut-être une deuxième chance, sachant qu’il y aura encore des moments difficiles à court terme. Mais si vous faites vos recherches et vos analyses fondamentales, si vous avez confiance dans certaines sociétés et dans les marchés finaux qu’elles servent, vous verrez peut-être de bonnes occasions à saisir là où beaucoup d’autres sont guidés par la crainte.
[MUSIQUE]
Le marché est en berne après une nouvelle hausse de taux musclée de la Fed qui martèle son intention de poursuivre sur sa lancée pour juguler l’inflation. Pour y voir plus clair, j’accueille Bill Booth, cochef des placements à Epoch Investment Partners. Bill, bienvenue. J’ai hâte d’entendre ce que ça vous inspire.
Ravi d’être avec vous, Greg, merci.
Allons droit au but. On peut dire que l’après-midi d’hier a été mouvementée. On a eu la hausse de 75 points de base que l’on attendait. On a entendu le discours très ferme habituel de Jerome Powell. La réaction du marché a été intéressante. Au bout du compte, il est en baisse. Pouvez-vous me faire part de ce que vous observez?
Les jours d’annonce de taux, ça devient les jours de tous les maux pour les investisseurs. La volatilité qui accompagne ces annonces est vraiment remarquable. Comme vous l’avez souligné, les réactions du marché ont été intéressantes, avec un repli initial, puis un rebond pendant la conférence de presse pour finir par un décrochage à la clôture. Il est maintenant très clair que la seule mission de la Fed dans la vie, du moins à ce stade de son existence, c’est de tuer l’inflation. Et le message, c’est qu’elle est plus ou moins prête à tout pour ramener l’inflation aux cibles à long terme.
Je crois que les investisseurs sont aux prises avec la réalité que la Fed est prête à sacrifier l’économie dans une certaine mesure, et à sacrifier le marché de l’emploi. Et Powell a dit en substance que si la Fed allait faire une erreur, ce serait celle de maintenir des taux trop élevés trop longtemps, mais pas celle de les baisser prématurément. Je crois que c’est ce dont on commence à prendre conscience. On est dans un contexte de taux durablement élevés.
Il semblait vraiment vouloir donner une douche froide. Si on revient à Jackson Hole, on peut tirer une croix sur un retour en arrière. Il n’était pas d’humeur à laisser présager un changement de cap. C’était vraiment la douche froide, parce que le dernier espoir pour les investisseurs, c’était de se dire que, d’accord, la Fed doit être ferme. Elle doit maîtriser l’inflation. Mais quand ce sera fait, elle ne tardera pas à revenir à des taux moins élevés. Mais ça semble vraiment hors de question maintenant.
Oui, je crois que la Fed craint vraiment que l’inflation soit durablement perçue comme une fatalité dans l’esprit des consommateurs américains. Il est donc évident que l’inflation est une priorité. Je ne crois pas que la Fed va s’arrêter de sitôt. En fait, ce qui a vraiment créé la surprise hier, c’est que le taux final se situe maintenant autour de 4,6 % en 2023.
C’est vrai que le secteur des technologies est particulièrement touché. C’est logique, parce que la hausse des taux se répercute d’abord sur les ratios d’évaluation. Or, les actions technologiques très performantes ont affiché des ratios très élevés pendant ces dix dernières années d’assouplissement quantitatif. Et avec ce changement de régime, ces actions subissent de plein fouet la contraction des évaluations que l’on observe sur le marché.
Bill, parlons un peu de ce changement de régime qui a fait l’objet de publications sur le site Web d’Epoch l’autre jour. J’ai jeté un œil à l’un des livres blancs que vous avez publiés cet été. On s’était habitués à un certain régime, ces dix dernières années. Si j’ai bien lu le livre blanc, cette époque est révolue. Il n’y aura pas de retour en arrière.
On entre dans une nouvelle décennie. Qu’est-ce que ça veut dire pour les investisseurs?
D’abord et avant tout, il faut s’habituer à une inflation plus forte. Il est certain que l’on a connu une décennie d’inflation modeste et somme toute, de croissance économique satisfaisante. À long terme, l’inflation sera sans doute plus forte que ce à quoi on s’est habitués. Je ne dis pas qu’elle atteindra 5 ou 6 %, mais il se peut que 3 % devienne le nouveau 2 %.
Du point de vue de la croissance économique, de nombreux facteurs pèsent sur la croissance potentielle des économies dans le monde. Il ne fait aucun doute que la population vieillit, ce qui ralentira naturellement la croissance. Il y a tous les problèmes d’approvisionnement associés à la COVID. Et avec le conflit entre la Russie et l’Ukraine, on amorce sans doute une nouvelle ère de démondialisation.
L’avantage de la démondialisation, c’est que les chaînes d’approvisionnement seront peut-être plus fiables. Mais fatalement, les coûts vont augmenter. En ce qui concerne l’avenir, la croissance sera probablement plus faible que celle qu’on a connu ces dix dernières années, et l’inflation sera probablement plus élevée.
Quand on pense aux investisseurs qui recherchent un rendement dans ce contexte, où peuvent-ils se tourner? Quel est leur état d’esprit? Comme vous l’avez dit, il fut un temps où, si vous aviez misé sur les actions technologiques, bravo. C’était très lucratif, et vous avez profité de l’appréciation des cours et de la montée en flèche. Où peut-on trouver du rendement maintenant?
Si on revient sur les dix dernières années, c’est intéressant de regarder d’où vient le rendement des actions. Il provient des fluctuations des ratios d’évaluation, de la croissance des bénéfices et des dividendes.
Ce qui est intéressant, c’est que la hausse des évaluations a fortement contribué aux rendements exceptionnels de la dernière décennie. Maintenant, je crois qu’il faut revenir à la croissance des bénéfices et aux dividendes pour générer le gros des rendements sur les marchés boursiers. Pour nous, il s’agit de rechercher des sociétés qui vendent des produits et services dans des marchés finaux dont la croissance est structurelle, des sociétés exposées à une croissance durable, des sociétés rentables.
Beaucoup de sociétés technologiques non rentables, qui vendent des idées, ont eu les faveurs des investisseurs ces dernières années. Je crois que c’est bel et bien terminé. En fin de compte, quand vous achetez une action, vous achetez une entreprise. Les gens ont parfois tendance à l’oublier.
Ils voient un symbole et un prix. Ils ne se rendent pas compte qu’il y a vraiment une entreprise derrière ce titre et ce prix. Il faut miser sur les sociétés qui sont rentables, qui génèrent des liquidités, et qui ont un bilan très solide. Parce que ce qui va caractériser cette nouvelle ère, c’est sans doute la volatilité et l’incertitude.
L’ordre mondial semble quelque peu s’effondrer. On a des problèmes géopolitiques de toutes parts. On a une crise de l’énergie qui plonge l’Europe dans la tourmente. À l’avenir, l’éventail des résultats sera probablement plus vaste que ce à quoi les dix dernières années nous ont habitués.
Il va falloir s’armer de deux qualités et je suis choqué qu’à mon âge, elles me fassent encore défaut. Avec ce changement de paradigme, il va falloir être patient. Et il va falloir mettre ses émotions de côté. Dernièrement, j’ai été surpris par mon manque de patience et mon émotivité excessive. Je suppose qu’étant donné la voie que nous empruntons, on va devoir faire preuve d’un peu plus de discipline en tant qu’investisseurs.
Oui, tout à fait. Il ne faut pas laisser l’arbre cacher la forêt. Si on observe ce qui se passe sur les marchés aujourd’hui, certains secteurs offrent des perspectives de croissance à long terme très intéressantes, comme l’énergie verte, l’automatisation ou la technologie en général. Évidemment, la technologie alimente vraiment une nouvelle révolution industrielle, de l’Internet des objets au nuage, en passant par les mégadonnées.
Si on prend un peu de recul par rapport à la volatilité du quotidien, on peut se demander si la situation a tant changé que ça. Dans 10 ans, aura-t-on plus ou moins besoin de semi-conducteurs? L’automatisation va-t-elle s’accélérer ou ralentir?
Si vous pouvez faire preuve de patience, on peut considérer le délestage de certains titres comme une occasion. L’un des arguments que j’entendais tout le temps, quand le marché était haussier, c’est que tout est tellement cher. J’ai raté l’occasion d’acheter telle ou telle action. Pour certains investisseurs, c’est peut-être une deuxième chance, sachant qu’il y aura encore des moments difficiles à court terme. Mais si vous faites vos recherches et vos analyses fondamentales, si vous avez confiance dans certaines sociétés et dans les marchés finaux qu’elles servent, vous verrez peut-être de bonnes occasions à saisir là où beaucoup d’autres sont guidés par la crainte.
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