Les États-Unis sont entrés en période électorale. Il va falloir patienter quelques mois avant la fin officielle de la course à l’investiture, mais un nouveau duel entre le démocrate Joe Biden et le républicain Donald Trump semble de plus en plus probable. Christian Medeiros, gestionnaire de portefeuille, Répartition des actifs à Gestion de Placements TD, parle des répercussions sur les marchés et le commerce mondial.
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C’est une nouvelle année d’élections présidentielles aux États-Unis. Il reste encore plusieurs mois avant la fin officielle de la course à l’investiture, et tant de choses peuvent se produire, mais on s’attend de plus en plus à un nouveau duel entre le démocrate Joe Biden et le républicain Donald Trump. Quelles sont les conséquences pour les marchés, l’économie et le commerce mondial? Nous allons entendre le point de vue de Christian Medeiros, vice-président et gestionnaire de portefeuille à Gestion de Placements TD. Il est en studio avec moi. Ravie de vous voir.
Également.
Allons-y. Comme je l’ai dit, il est encore tôt. La date de l’élection est encore très lointaine. Rien n’est joué.
Mais quels sont les enjeux?
Il reste 280 jours avant l’élection. C’est encore loin, mais il n’est jamais trop tôt pour se préparer aux différents scénarios. L’enjeu dépasse l’accès à la Maison-Blanche. C’est bien sûr un scrutin très important, mais il y a aussi l’élection de la Chambre des représentants et du Sénat. Le Congrès est toujours en campagne pendant l’élection présidentielle.
Oui.
Il est intéressant de noter qu’en ce moment, aucun parti n’a vraiment de majorité. À la Chambre des représentants, tous les sièges sont sur la sellette. La majorité pourrait facilement basculer selon la case cochée en haut du bulletin. Au Sénat, seul un tiers des sièges sont renouvelés à chaque élection présidentielle. Si on regarde la composition du Sénat pour cette élection, elle favorise largement les républicains. Il est donc très probable que la majorité bascule du côté des républicains.
Il y a donc deux scénarios probables. Un dans lequel Biden aurait sans doute un gouvernement divisé avec une Chambre démocrate et un Sénat républicain. Ce serait un renversement. Si Trump gagne, si tant est qu’il remporte l’investiture, la Chambre des représentants et le Sénat seraient sans doute de son côté. On aurait donc un gouvernement unifié. Les investisseurs pourraient se trouver dans deux scénarios très différents après les élections en fin d’année.
Vous avez apporté quelques graphiques. J’aimerais qu’on les examine, parce qu’on entend toujours dire qu’un gouvernement divisé est souvent préférable à un gouvernement unifié. Regardons concrètement ce qui s’est passé, plutôt que de discuter dans le vague. Voici le premier graphique. Qu’est-ce qu’il nous montre?
On a une série chronologique depuis les années 1970 qui montre les périodes où le gouvernement était divisé, quand la Chambre, le Sénat et la Maison-Blanche n’étaient pas aux mains du même parti. Ce sont les bandes violettes. Le terme « trifecta » indique que les trois organes du gouvernement sont aux mains du même parti.
On constate que les rendements sont en fait assez similaires. Un gouvernement divisé est peut-être préférable, mais de peu. Ça dissipe l’idée répandue chez les investisseurs qu’un gouvernement divisé est très préférable, parce que la politique n’interfère pas avec le marché. Mais historiquement, la différence est mince.
Oui. On voit un écart de 1 %, mais pour rejoindre ce que vous dites, on ne voit pas vraiment de corrélation importante avec la situation économique. Vous avez un autre graphique pour nous. Regardons-le.
Il y a un raisonnement heuristique très répandu chez les investisseurs voulant que les républicains sont intrinsèquement meilleurs pour les affaires, les marchés et l’économie. Si on regarde les rendements du S&P 500 pendant les années de présidence républicaine en rouge par rapport aux années de présidence démocrate en bleu, on voit qu’en réalité, les démocrates surpassent les républicains. Quand on explore un peu les données...
Et de loin.
De loin.
Oui.
Ce ne sera pas toujours le cas. Il y a beaucoup d’autres facteurs en jeu. Le but est simplement de montrer qu’il vaut mieux se concentrer sur l’équilibre des pouvoirs à Washington, sur les possibilités et sur les politiques susceptibles d’être mises en œuvre. On aura alors une meilleure idée de ce qui se produira sur les marchés.
OK. Merci d’avoir dissipé ces mythes. Parlons des politiques qui comptent le plus. On peut dire que Biden a réussi à mettre en place des politiques importantes. À quoi ressemblerait, selon vous, un second mandat Biden?
S’il est réélu, il poursuivra sans doute le programme Build Back Better de sa campagne de 2020.
Il a fait voter une loi sur les infrastructures, la loi CHIPS qui subventionne la fabrication de semi-conducteurs haut de gamme –
Ce qui veut dire ramener la production...
Ramener la production aux États-Unis, relocaliser le secteur technologique. Il a aussi fait adopter des politiques sociales en faveur des aidants et des soins de santé – des politiques de redistribution. Il aimerait continuer sur cette lancée. Mais si le gouvernement est divisé, il aura du mal à faire passer de nouvelles mesures budgétaires en plus de celles de son premier mandat. On se retrouverait donc plutôt dans une situation de statu quo.
OK. On va parler du commerce dans un instant, car je crois que c’est un enjeu important pour les partenariats et le paysage des partenariats mondiaux. On va y venir dans un instant. Pour le moment, parlons de fiscalité. Qu’est-ce que vous anticipez si... Tout dépend, bien sûr, de l’éventualité d’un gouvernement divisé ou unifié. Mais qu’anticipez-vous si Trump est élu, ou si Biden est élu?
Pour mettre la question en contexte, en 2017, Trump a fait passer une loi fiscale très importante, qui a considérablement réduit l’impôt des sociétés et des particuliers. Certaines baisses d’imposition des sociétés, comme celle du taux d’imposition global, sont des baisses définitives. Il a ramené ce taux de plus de 30 % à environ 20 %
C’est définitif.
Oui, on ne pourra plus faire marche arrière. Par contre, certaines politiques vont expirer fin 2025 et en 2026, comme la Loi de l’impôt sur le revenu et la comptabilisation des coûts de dépréciation, de recherche et de développement des sociétés.
Ce sont des décisions majeures.
Oui.
Quand on essaie de relocaliser et d’attirer les entreprises au pays, ces mesures les incitent à revenir.
Exactement. Des milliers de milliards de dollars d’impôt sont en jeu. Si Trump est président, il est très probable qu’il prolonge toutes ces mesures et qu’il aille même encore plus loin.
Oui.
Il est très favorable aux réductions d’impôt. C’est sa politique depuis le début. Selon nous, Biden devra probablement prolonger la plupart de ces mesures, mais il est très sensible aux politiques de redistribution. Il veut augmenter l’impôt sur certaines sociétés et sur les revenus en haut de la distribution pour financer une partie de son ambitieuse politique budgétaire. On peut imaginer qu’un gouvernement Biden reconduirait moins de réductions d’impôt, alors que Trump en introduirait de nouvelles.
Serait-il juste de dire qu’on aurait presque un gouvernement très favorable aux affaires et à l’économie avec Trump, alors que Biden serait plus modéré et devrait davantage bifurquer pour tenter d’imposer les riches en vue d’une redistribution.
Exactement. Si le gouvernement est divisé, Biden devra négocier fort avec le Congrès pour voir quelles mesures peuvent être prolongées et quelle part de l’impôt peut servir au financement de son programme Build Back Better. S’il veut passer d’autres lois sur les infrastructures, la haute technologie et les semi-conducteurs, il voudra peut-être utiliser en partie ces renouvellements pour financer sa politique budgétaire. En revanche, Trump aurait bien plus de marge de manœuvre, surtout si le gouvernement est unifié, pour reconduire toutes ces mesures, voire les pousser un peu plus loin.
Qu’en est-il de la déréglementation? Tout le monde n’a pas le même point de vue sur la déréglementation. Pour certains, c’est une excellente nouvelle et pour d’autres, c’est inquiétant. À quoi peut-on s’attendre, selon l’issue des élections?
La déréglementation est un enjeu extrêmement important pour Trump. On l’a vu pendant son premier mandat, et elle le resterait s’il était réélu. Et la déréglementation est particulièrement importante pour deux secteurs. Elle toucherait tous les secteurs, mais surtout les services financiers et l’énergie. Quand Trump a gagné les élections en 2016, le secteur des services financiers a grimpé en flèche juste après les élections, avec une hausse d’environ 20 % entre le scrutin et le début de son mandat en janvier. Le secteur des services financiers est lourdement réglementé, et toute déréglementation lui est donc favorable.
Deuxièmement, l’énergie. On se souvient du slogan de Trump pendant la campagne des primaires : « drill, baby, drill ». Il veut éliminer une grande partie des réglementations en matière de forage aux États-Unis, des réglementations environnementales, etc. pour accroître l’autosuffisance énergétique des États-Unis. J’imagine qu’il allégerait fortement les réglementations actuelles dans le secteur de l’énergie.
Alors que Biden, non, j’imagine.
Biden serait davantage en faveur de la réglementation et du statu quo, voire d’un resserrement des réglementations.
On a parlé de fiscalité. On a parlé de la déréglementation. Passons maintenant au commerce, car c’est la question cruciale. De façon générale, pour l’un et l’autre des candidats, où se situent les grandes différences?
Pour Trump, le commerce se situe au premier plan de son programme politique. Et il envisage des mesures beaucoup plus audacieuses que Biden. Il parle surtout d’instaurer des droits de douane de 10 %, sur toutes les importations.
Pour tout le monde.
Pour tout et tout le monde. Certains pays pourraient être exemptés, mais il n’a pas précisé lesquels.
10 %, c’est énorme. Il imposerait une hausse considérable des tarifs douaniers pour les alliés, mais aussi pour les ennemis du pays. On entrerait dans un monde potentiellement plus inflationniste. Cette mesure perturberait fortement les chaînes d’approvisionnement. Les coûts monteraient en flèche. Ce serait un choc pour beaucoup de pays qui ont l’habitude de commercer avec les États-Unis.
Croyez-vous que... On peut négocier. Qui sait? On ne peut qu’émettre des conjectures. Je me demande s’il imposerait vraiment des tarifs douaniers de 10 % pour tout le monde, ou s’il s’agit plutôt d’un point de départ pour des négociations. On verra.
Qu’en est-il de la Chine? Les relations étaient déjà compliquées, mais ça ne s’est pas arrangé. Comment vont-elles évoluer, selon vous?
Les politiques de Trump sont encore plus extrêmes à l’égard de la Chine. Et il a deux projets. D’une part, mettre fin aux ententes commerciales avec la Chine, ce qui entraînerait une forte hausse à deux chiffres des tarifs douaniers. C’est extrêmement punitif. D’ici quatre ans, il veut couper tous les liens commerciaux avec la Chine sur les biens essentiels à la sécurité nationale des États-Unis, ce qui englobe pour lui un grand nombre de secteurs. Il envisage donc un important découplage avec la Chine. C’est aussi...
Très inflationniste.
Très inflationniste, et très important pour beaucoup de multinationales américaines qui importent énormément de Chine, ou qui exportent vers la Chine. C’est sans doute l’une des politiques les plus perturbatrices que Trump nous prépare. Dans la deuxième moitié de son mandat, il a accordé une place prépondérante à la guerre commerciale avec la Chine.
Vous vous souvenez de ses tweets qui ont déboussolé les marchés? Ils ont vraiment marqué les esprits. Il n’y a aucune raison de ne pas le croire sur parole. Il est entièrement en son pouvoir, s’il est président, d’instaurer une politique commerciale même s’il ne contrôle pas le Congrès.
Et s’il a l’appui du Congrès, ce qui est probable s’il gagne, il pourrait même aller plus loin. À mon avis, c’est sans doute sa politique commerciale qui aura le plus d’impact s’il gagne l’élection.
Voilà pour Trump. Selon vous, qu’arrivera-t-il avec la Chine si Biden est réélu? Va-t-il maintenir le statu quo, où s’engager vers une escalade? La situation n’est pas au beau fixe.
À Washington, le sentiment envers la Chine est très négatif toutes tendances confondues. Je ne m’attends pas à ce que les relations avec la Chine s’améliorent. Il y a clairement des divergences entre les deux grandes puissances, beaucoup de vues et de priorités divergentes qu’on ne pourra pas réconcilier, peu importe qui est président. Mais je dirais que Biden a travaillé un peu plus avec la Chine au cours des derniers mois. La Chine, quant à elle, va adopter une position plus agressive.
Par ailleurs, les deux pays n’ont pas les mêmes points de vue sur leurs alliés dans la région, comme Taïwan et d’autres alliés. Bref, Trump est un peu plus isolationniste, tandis que Biden est plus susceptible de faire jouer les alliances. Il y aura donc des ramifications très différentes pour la région et pour l’approche américaine.
L’un des gagnants de cette situation, c’est le Mexique, et je suppose que ça va se poursuivre.
Oui, c’est assez paradoxal. Quand Trump est arrivé au pouvoir en 2016, il était extrêmement négatif à l’égard du Mexique pour plusieurs raisons, non seulement à cause du commerce, mais aussi de l’immigration. Mais le Mexique est le grand gagnant du rapatriement du secteur manufacturier et de l’éloignement avec la Chine. Cette politique a profité au voisin immédiat des États-Unis, qui est devenu très attrayant en raison des coûts plus faibles et de sa proximité. Donc oui, le Mexique en a bénéficié, mais le pays doit se méfier de l’approche extrêmement punitive de Trump en matière d’immigration mais aussi sur d’autres questions. Il y a beaucoup de contre-courants à surveiller, même si l’on partage une frontière avec les États-Unis.
Où se situe le Canada dans ces contre-courants? On a déjà dit que Trump et son équipe font partie des architectes de l’ACEUM. On peut espérer que si cette équipe retourne au pouvoir, l’entente sera honorée.
La présidence de Trump s’est avérée très perturbante pour le Canada. D’abord, l’ALENA est devenu l’ACEUM, après un processus long et compliqué. On a aussi subi une hausse punitive des tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium. Trump entretenait des relations très acrimonieuses avec Trudeau qui était déjà premier ministre à l’époque.
Il ne faut pas s’attendre à avoir d’excellentes relations avec Trump. Mais soyons clairs, Trump et Biden ont tous deux adopté une position plus isolationniste. Pour eux, ce sont les États-Unis qui priment. Ils sont axés sur la politique industrielle et la volonté de reconstruire et de soutenir le secteur manufacturier américain.
Et le Canada n’a pas nécessairement sa place dans ce projet. Le Canada va devoir s’armer de beaucoup plus de lucidité quant à ses relations avec les États-Unis. On doit veiller à ce que nos industries soient compétitives et nous intégrer à la chaîne d’approvisionnement américaine.
Et avoir ces conversations au niveau des États.
Tout à fait, parce que les grands projets de Biden pour les infrastructures et les semi-conducteurs comportaient beaucoup de dispositions pour acheter américain. Le Canada va donc avoir des relations plus tendues avec les États-Unis quoi qu’il en soit, parce qu’on se dirige vers un monde plus isolationniste.
Mais il ne faut pas oublier, comme vous l’avez dit tout à l’heure, qu’il reste encore... combien de jours avant le scrutin?
280.
Oui. Il peut se passer beaucoup de choses. Même en deux semaines, le contexte peut changer. Est-ce que vous surveillez les évolutions de ce côté? Qu’est-ce qui pourrait changer en cours de route?
Beaucoup de choses peuvent changer. Tant de choses peuvent changer les sondages à l’approche d’une élection. Cette fois-ci, il y a beaucoup de facteurs très spécifiques. Les deux candidats sont âgés et pourraient avoir des problèmes de santé. L’un des candidats a des démêlés avec la justice.
On est confrontés à beaucoup de problèmes géopolitiques qui vont changer le cours des élections. Et la trajectoire de l’économie aura aussi un impact important. Les candidats sortants ont tendance à perdre quand on entre en récession, et ils ont tendance à gagner quand l’économie se porte bien. Il est donc fort possible que les marchés et l’économie aient eux-mêmes un impact sur l’issue des élections présidentielles dans 280 jours.
Christian, merci beaucoup.
Merci.
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[MUSIQUE]
C’est une nouvelle année d’élections présidentielles aux États-Unis. Il reste encore plusieurs mois avant la fin officielle de la course à l’investiture, et tant de choses peuvent se produire, mais on s’attend de plus en plus à un nouveau duel entre le démocrate Joe Biden et le républicain Donald Trump. Quelles sont les conséquences pour les marchés, l’économie et le commerce mondial? Nous allons entendre le point de vue de Christian Medeiros, vice-président et gestionnaire de portefeuille à Gestion de Placements TD. Il est en studio avec moi. Ravie de vous voir.
Également.
Allons-y. Comme je l’ai dit, il est encore tôt. La date de l’élection est encore très lointaine. Rien n’est joué.
Mais quels sont les enjeux?
Il reste 280 jours avant l’élection. C’est encore loin, mais il n’est jamais trop tôt pour se préparer aux différents scénarios. L’enjeu dépasse l’accès à la Maison-Blanche. C’est bien sûr un scrutin très important, mais il y a aussi l’élection de la Chambre des représentants et du Sénat. Le Congrès est toujours en campagne pendant l’élection présidentielle.
Oui.
Il est intéressant de noter qu’en ce moment, aucun parti n’a vraiment de majorité. À la Chambre des représentants, tous les sièges sont sur la sellette. La majorité pourrait facilement basculer selon la case cochée en haut du bulletin. Au Sénat, seul un tiers des sièges sont renouvelés à chaque élection présidentielle. Si on regarde la composition du Sénat pour cette élection, elle favorise largement les républicains. Il est donc très probable que la majorité bascule du côté des républicains.
Il y a donc deux scénarios probables. Un dans lequel Biden aurait sans doute un gouvernement divisé avec une Chambre démocrate et un Sénat républicain. Ce serait un renversement. Si Trump gagne, si tant est qu’il remporte l’investiture, la Chambre des représentants et le Sénat seraient sans doute de son côté. On aurait donc un gouvernement unifié. Les investisseurs pourraient se trouver dans deux scénarios très différents après les élections en fin d’année.
Vous avez apporté quelques graphiques. J’aimerais qu’on les examine, parce qu’on entend toujours dire qu’un gouvernement divisé est souvent préférable à un gouvernement unifié. Regardons concrètement ce qui s’est passé, plutôt que de discuter dans le vague. Voici le premier graphique. Qu’est-ce qu’il nous montre?
On a une série chronologique depuis les années 1970 qui montre les périodes où le gouvernement était divisé, quand la Chambre, le Sénat et la Maison-Blanche n’étaient pas aux mains du même parti. Ce sont les bandes violettes. Le terme « trifecta » indique que les trois organes du gouvernement sont aux mains du même parti.
On constate que les rendements sont en fait assez similaires. Un gouvernement divisé est peut-être préférable, mais de peu. Ça dissipe l’idée répandue chez les investisseurs qu’un gouvernement divisé est très préférable, parce que la politique n’interfère pas avec le marché. Mais historiquement, la différence est mince.
Oui. On voit un écart de 1 %, mais pour rejoindre ce que vous dites, on ne voit pas vraiment de corrélation importante avec la situation économique. Vous avez un autre graphique pour nous. Regardons-le.
Il y a un raisonnement heuristique très répandu chez les investisseurs voulant que les républicains sont intrinsèquement meilleurs pour les affaires, les marchés et l’économie. Si on regarde les rendements du S&P 500 pendant les années de présidence républicaine en rouge par rapport aux années de présidence démocrate en bleu, on voit qu’en réalité, les démocrates surpassent les républicains. Quand on explore un peu les données...
Et de loin.
De loin.
Oui.
Ce ne sera pas toujours le cas. Il y a beaucoup d’autres facteurs en jeu. Le but est simplement de montrer qu’il vaut mieux se concentrer sur l’équilibre des pouvoirs à Washington, sur les possibilités et sur les politiques susceptibles d’être mises en œuvre. On aura alors une meilleure idée de ce qui se produira sur les marchés.
OK. Merci d’avoir dissipé ces mythes. Parlons des politiques qui comptent le plus. On peut dire que Biden a réussi à mettre en place des politiques importantes. À quoi ressemblerait, selon vous, un second mandat Biden?
S’il est réélu, il poursuivra sans doute le programme Build Back Better de sa campagne de 2020.
Il a fait voter une loi sur les infrastructures, la loi CHIPS qui subventionne la fabrication de semi-conducteurs haut de gamme –
Ce qui veut dire ramener la production...
Ramener la production aux États-Unis, relocaliser le secteur technologique. Il a aussi fait adopter des politiques sociales en faveur des aidants et des soins de santé – des politiques de redistribution. Il aimerait continuer sur cette lancée. Mais si le gouvernement est divisé, il aura du mal à faire passer de nouvelles mesures budgétaires en plus de celles de son premier mandat. On se retrouverait donc plutôt dans une situation de statu quo.
OK. On va parler du commerce dans un instant, car je crois que c’est un enjeu important pour les partenariats et le paysage des partenariats mondiaux. On va y venir dans un instant. Pour le moment, parlons de fiscalité. Qu’est-ce que vous anticipez si... Tout dépend, bien sûr, de l’éventualité d’un gouvernement divisé ou unifié. Mais qu’anticipez-vous si Trump est élu, ou si Biden est élu?
Pour mettre la question en contexte, en 2017, Trump a fait passer une loi fiscale très importante, qui a considérablement réduit l’impôt des sociétés et des particuliers. Certaines baisses d’imposition des sociétés, comme celle du taux d’imposition global, sont des baisses définitives. Il a ramené ce taux de plus de 30 % à environ 20 %
C’est définitif.
Oui, on ne pourra plus faire marche arrière. Par contre, certaines politiques vont expirer fin 2025 et en 2026, comme la Loi de l’impôt sur le revenu et la comptabilisation des coûts de dépréciation, de recherche et de développement des sociétés.
Ce sont des décisions majeures.
Oui.
Quand on essaie de relocaliser et d’attirer les entreprises au pays, ces mesures les incitent à revenir.
Exactement. Des milliers de milliards de dollars d’impôt sont en jeu. Si Trump est président, il est très probable qu’il prolonge toutes ces mesures et qu’il aille même encore plus loin.
Oui.
Il est très favorable aux réductions d’impôt. C’est sa politique depuis le début. Selon nous, Biden devra probablement prolonger la plupart de ces mesures, mais il est très sensible aux politiques de redistribution. Il veut augmenter l’impôt sur certaines sociétés et sur les revenus en haut de la distribution pour financer une partie de son ambitieuse politique budgétaire. On peut imaginer qu’un gouvernement Biden reconduirait moins de réductions d’impôt, alors que Trump en introduirait de nouvelles.
Serait-il juste de dire qu’on aurait presque un gouvernement très favorable aux affaires et à l’économie avec Trump, alors que Biden serait plus modéré et devrait davantage bifurquer pour tenter d’imposer les riches en vue d’une redistribution.
Exactement. Si le gouvernement est divisé, Biden devra négocier fort avec le Congrès pour voir quelles mesures peuvent être prolongées et quelle part de l’impôt peut servir au financement de son programme Build Back Better. S’il veut passer d’autres lois sur les infrastructures, la haute technologie et les semi-conducteurs, il voudra peut-être utiliser en partie ces renouvellements pour financer sa politique budgétaire. En revanche, Trump aurait bien plus de marge de manœuvre, surtout si le gouvernement est unifié, pour reconduire toutes ces mesures, voire les pousser un peu plus loin.
Qu’en est-il de la déréglementation? Tout le monde n’a pas le même point de vue sur la déréglementation. Pour certains, c’est une excellente nouvelle et pour d’autres, c’est inquiétant. À quoi peut-on s’attendre, selon l’issue des élections?
La déréglementation est un enjeu extrêmement important pour Trump. On l’a vu pendant son premier mandat, et elle le resterait s’il était réélu. Et la déréglementation est particulièrement importante pour deux secteurs. Elle toucherait tous les secteurs, mais surtout les services financiers et l’énergie. Quand Trump a gagné les élections en 2016, le secteur des services financiers a grimpé en flèche juste après les élections, avec une hausse d’environ 20 % entre le scrutin et le début de son mandat en janvier. Le secteur des services financiers est lourdement réglementé, et toute déréglementation lui est donc favorable.
Deuxièmement, l’énergie. On se souvient du slogan de Trump pendant la campagne des primaires : « drill, baby, drill ». Il veut éliminer une grande partie des réglementations en matière de forage aux États-Unis, des réglementations environnementales, etc. pour accroître l’autosuffisance énergétique des États-Unis. J’imagine qu’il allégerait fortement les réglementations actuelles dans le secteur de l’énergie.
Alors que Biden, non, j’imagine.
Biden serait davantage en faveur de la réglementation et du statu quo, voire d’un resserrement des réglementations.
On a parlé de fiscalité. On a parlé de la déréglementation. Passons maintenant au commerce, car c’est la question cruciale. De façon générale, pour l’un et l’autre des candidats, où se situent les grandes différences?
Pour Trump, le commerce se situe au premier plan de son programme politique. Et il envisage des mesures beaucoup plus audacieuses que Biden. Il parle surtout d’instaurer des droits de douane de 10 %, sur toutes les importations.
Pour tout le monde.
Pour tout et tout le monde. Certains pays pourraient être exemptés, mais il n’a pas précisé lesquels.
10 %, c’est énorme. Il imposerait une hausse considérable des tarifs douaniers pour les alliés, mais aussi pour les ennemis du pays. On entrerait dans un monde potentiellement plus inflationniste. Cette mesure perturberait fortement les chaînes d’approvisionnement. Les coûts monteraient en flèche. Ce serait un choc pour beaucoup de pays qui ont l’habitude de commercer avec les États-Unis.
Croyez-vous que... On peut négocier. Qui sait? On ne peut qu’émettre des conjectures. Je me demande s’il imposerait vraiment des tarifs douaniers de 10 % pour tout le monde, ou s’il s’agit plutôt d’un point de départ pour des négociations. On verra.
Qu’en est-il de la Chine? Les relations étaient déjà compliquées, mais ça ne s’est pas arrangé. Comment vont-elles évoluer, selon vous?
Les politiques de Trump sont encore plus extrêmes à l’égard de la Chine. Et il a deux projets. D’une part, mettre fin aux ententes commerciales avec la Chine, ce qui entraînerait une forte hausse à deux chiffres des tarifs douaniers. C’est extrêmement punitif. D’ici quatre ans, il veut couper tous les liens commerciaux avec la Chine sur les biens essentiels à la sécurité nationale des États-Unis, ce qui englobe pour lui un grand nombre de secteurs. Il envisage donc un important découplage avec la Chine. C’est aussi...
Très inflationniste.
Très inflationniste, et très important pour beaucoup de multinationales américaines qui importent énormément de Chine, ou qui exportent vers la Chine. C’est sans doute l’une des politiques les plus perturbatrices que Trump nous prépare. Dans la deuxième moitié de son mandat, il a accordé une place prépondérante à la guerre commerciale avec la Chine.
Vous vous souvenez de ses tweets qui ont déboussolé les marchés? Ils ont vraiment marqué les esprits. Il n’y a aucune raison de ne pas le croire sur parole. Il est entièrement en son pouvoir, s’il est président, d’instaurer une politique commerciale même s’il ne contrôle pas le Congrès.
Et s’il a l’appui du Congrès, ce qui est probable s’il gagne, il pourrait même aller plus loin. À mon avis, c’est sans doute sa politique commerciale qui aura le plus d’impact s’il gagne l’élection.
Voilà pour Trump. Selon vous, qu’arrivera-t-il avec la Chine si Biden est réélu? Va-t-il maintenir le statu quo, où s’engager vers une escalade? La situation n’est pas au beau fixe.
À Washington, le sentiment envers la Chine est très négatif toutes tendances confondues. Je ne m’attends pas à ce que les relations avec la Chine s’améliorent. Il y a clairement des divergences entre les deux grandes puissances, beaucoup de vues et de priorités divergentes qu’on ne pourra pas réconcilier, peu importe qui est président. Mais je dirais que Biden a travaillé un peu plus avec la Chine au cours des derniers mois. La Chine, quant à elle, va adopter une position plus agressive.
Par ailleurs, les deux pays n’ont pas les mêmes points de vue sur leurs alliés dans la région, comme Taïwan et d’autres alliés. Bref, Trump est un peu plus isolationniste, tandis que Biden est plus susceptible de faire jouer les alliances. Il y aura donc des ramifications très différentes pour la région et pour l’approche américaine.
L’un des gagnants de cette situation, c’est le Mexique, et je suppose que ça va se poursuivre.
Oui, c’est assez paradoxal. Quand Trump est arrivé au pouvoir en 2016, il était extrêmement négatif à l’égard du Mexique pour plusieurs raisons, non seulement à cause du commerce, mais aussi de l’immigration. Mais le Mexique est le grand gagnant du rapatriement du secteur manufacturier et de l’éloignement avec la Chine. Cette politique a profité au voisin immédiat des États-Unis, qui est devenu très attrayant en raison des coûts plus faibles et de sa proximité. Donc oui, le Mexique en a bénéficié, mais le pays doit se méfier de l’approche extrêmement punitive de Trump en matière d’immigration mais aussi sur d’autres questions. Il y a beaucoup de contre-courants à surveiller, même si l’on partage une frontière avec les États-Unis.
Où se situe le Canada dans ces contre-courants? On a déjà dit que Trump et son équipe font partie des architectes de l’ACEUM. On peut espérer que si cette équipe retourne au pouvoir, l’entente sera honorée.
La présidence de Trump s’est avérée très perturbante pour le Canada. D’abord, l’ALENA est devenu l’ACEUM, après un processus long et compliqué. On a aussi subi une hausse punitive des tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium. Trump entretenait des relations très acrimonieuses avec Trudeau qui était déjà premier ministre à l’époque.
Il ne faut pas s’attendre à avoir d’excellentes relations avec Trump. Mais soyons clairs, Trump et Biden ont tous deux adopté une position plus isolationniste. Pour eux, ce sont les États-Unis qui priment. Ils sont axés sur la politique industrielle et la volonté de reconstruire et de soutenir le secteur manufacturier américain.
Et le Canada n’a pas nécessairement sa place dans ce projet. Le Canada va devoir s’armer de beaucoup plus de lucidité quant à ses relations avec les États-Unis. On doit veiller à ce que nos industries soient compétitives et nous intégrer à la chaîne d’approvisionnement américaine.
Et avoir ces conversations au niveau des États.
Tout à fait, parce que les grands projets de Biden pour les infrastructures et les semi-conducteurs comportaient beaucoup de dispositions pour acheter américain. Le Canada va donc avoir des relations plus tendues avec les États-Unis quoi qu’il en soit, parce qu’on se dirige vers un monde plus isolationniste.
Mais il ne faut pas oublier, comme vous l’avez dit tout à l’heure, qu’il reste encore... combien de jours avant le scrutin?
280.
Oui. Il peut se passer beaucoup de choses. Même en deux semaines, le contexte peut changer. Est-ce que vous surveillez les évolutions de ce côté? Qu’est-ce qui pourrait changer en cours de route?
Beaucoup de choses peuvent changer. Tant de choses peuvent changer les sondages à l’approche d’une élection. Cette fois-ci, il y a beaucoup de facteurs très spécifiques. Les deux candidats sont âgés et pourraient avoir des problèmes de santé. L’un des candidats a des démêlés avec la justice.
On est confrontés à beaucoup de problèmes géopolitiques qui vont changer le cours des élections. Et la trajectoire de l’économie aura aussi un impact important. Les candidats sortants ont tendance à perdre quand on entre en récession, et ils ont tendance à gagner quand l’économie se porte bien. Il est donc fort possible que les marchés et l’économie aient eux-mêmes un impact sur l’issue des élections présidentielles dans 280 jours.
Christian, merci beaucoup.
Merci.
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