
Le rebond très attendu de l’économie chinoise devait contribuer à compenser les faiblesses de l’économie mondiale. Toutefois, la reprise est compliquée. Haining Zha, gestionnaire de portefeuille à Gestion de Placements TD, examine les défis de la Chine et l’état du commerce mondial.
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À la fin du Sommet du G7 au Japon, les dirigeants ont exprimé la nécessité de réduire les risques en diminuant leur dépendance envers la Chine. Mais ils ont aussi affirmé qu’ils ne cherchaient pas à se désolidariser de son économie. Les responsables à Beijing ont toutefois qualifié ces commentaires et le sommet d’anti-chinois. Qu’est-ce que cela signifie pour le commerce mondial et la croissance économique? Haining Zha, gestionnaire de portefeuille à Gestion de Placements TD se joint à nous. Haining, ravi de vous revoir.
Merci de me recevoir.
Alors, parlons un peu de cette rhétorique, qui n’est évidemment pas positive pour les relations commerciales. Comment l’analyser?
Alors. En effet, ce n’est bon pour personne, y compris pour l’économie et les marchés mondiaux. Mais si on examine vraiment l’annonce, le concept d’atténuation des risques est préférable à celui de désolidarisation, parce que cela signifie qu’ils essaient encore d’imposer des garde-fous et d’atténuer les répercussions économiques. De ce point de vue, c’est plutôt positif par rapport à ce qu’on a vu jusqu’à maintenant.
Les termes utilisés sont essentiels ici. À la fin du G7, on a eu cette idée que la tendance était d’abord à la sécurité avant la croissance économique. L’aspect le plus évident, c’est le concept de relocalisation. Qu’est-ce que ça signifie pour la Chine?
Alors. C’est une préoccupation à long terme, mais à court terme, l’impact pourrait être moins important que ce à quoi on s’attend. Par exemple, le processus de relocalisation est plus compliqué que ce que les gens pensent. Prenons l’exemple d’Apple, qui tente d’augmenter sa production en Inde, mais le rendement de son usine indienne n’est que de 50 %, ce qui n’est pas favorable à la rentabilité à long terme.
Il y a aussi une autre société technologique taïwanaise, Wistron, dans la chaîne d’approvisionnement d’Apple qui a décidé de sortir complètement de l’Inde, invoquant des inquiétudes vis-à-vis de l’exploitation et de la gestion de la main-d’œuvre. La relocalisation ou tout autre type d’ajustement dans une chaîne d’approvisionnement est toujours un chemin long et tortueux. Parfois, on peut même se retrouver dans une impasse. Les répercussions à court terme pourraient donc être moins importantes qu’attendu.
OK, c’est intéressant, il faut garder un œil là-dessus. Parlons de l’économie chinoise.
Bien sûr, cette année, on avait de grands espoirs quant à la baisse des restrictions liées à la COVID qui a été très importante là-bas. Or, ça a été un peu inégal. Que se passe-t-il exactement? Oui, alors au début de l’année, après la longue période de confinement de la Chine et une croissance inférieure à la tendance, on avait grand espoir d’assister à une reprise en V, tout comme ce fut le cas aux États-Unis. Mais, pour moi, il y a trois principales différences par rapport aux États-Unis.
Premièrement, le gouvernement américain a injecté une importante somme d’argent dans le secteur des ménages, ce que le gouvernement chinois n’a pas fait. Deuxièmement, la politique monétaire américaine était très simple à cette époque, la politique monétaire chinoise n’a pas vraiment bougé. Troisièmement, le marché immobilier américain est en plein essor parce qu’il y a toujours un déficit structurel du côté de l’offre, tandis qu’en Chine, le secteur immobilier connaît des difficultés très importantes parce que les promoteurs immobiliers tentent de réduire les dettes.
Donc, pour toutes ces raisons, la reprise de la consommation et de l’économie, dans l’ensemble, a été timide ou, comme vous le dites, inégale. Cette inégalité se reflète sur plusieurs fronts. Par exemple, si on compare le secteur des services à celui des biens, il est plus solide.
Et dans le secteur des services, les voyages et la restauration sont plus solides que les services aux entreprises ou les services aux ménages. Pour les biens, le produit haut de gamme est plus solide que le produit moyen ou bas. La reprise économique est donc très inégale.
Quel sera l’effet sur les bénéfices des sociétés? Certains titres sont avantagés, d’autres ne le sont peut-être pas puisque la reprise est inégale.
Alors, oui, on le voit dans les bénéfices des sociétés. Prenons l’exemple des sociétés baromètres. Alibaba, par exemple, dont le chiffre d’affaires affiche une croissance de seulement 2 % sur 12 mois. Et si l’on prend le segment chinois du commerce de base, ses revenus ont diminué de 3 % sur 12 mois. Il s’agit principalement d’activités de détail en ligne et hors ligne.
De ce côté, on constate la faiblesse de l’économie. Une autre société baromètre, Tencent, affiche des bénéfices nettement supérieurs. Le chiffre d’affaires a augmenté de 11 % sur 12 mois et le bénéfice d’exploitation affiche une croissance de 30 % sur 12 mois. Mais les raisons sont spécifiques, et pas liées à la vigueur macroéconomique.
Par exemple, ses revenus de gains internationaux ont augmenté de 25 % sur 12 mois. De plus, si on regarde sa publicité en ligne, elle augmente de 17 %, parce qu’elle monétise uniquement le mini-programme et les comptes vidéo. Donc ce sont des raisons spécifiques. Prenons le cas de certaines sociétés cotées sur le marché intérieur, au premier trimestre, le chiffre d’affaires global et les revenus affichent une croissance à un chiffre faible, ce qui, encore une fois, indique une très faible reprise de l’économie chinoise.
C’est intéressant, car avec l’abandon des restrictions liées à la COVID et la réouverture de l’économie, non seulement on pensait que ce serait bon pour l’économie chinoise, mais que ce serait également une bouffée d’air frais en ce début d’année pour l’économie mondiale. Vous dites qu’il se passe plutôt l’inverse. Expliquez-moi cela.
En effet, les gens espèrent que la réouverture chinoise soit le moteur de la croissance économique mondiale. Je partagerais cette idée si, dans les pays développés, on maintenait une dynamique de croissance positive, parallèlement au redressement progressif de l’économie. Ce serait le cas parce que les deux dynamiques se renforceraient mutuellement.
Mais, de plus en plus, on voit un scénario où le moteur de croissance des économies développées s’essouffle en raison du resserrement de la politique monétaire. Selon ce scénario, il faudrait que l’économie chinoise rattrape le terrain perdu et pour combler cette lacune…
les Chinois doivent bien vendre à quelqu’un, non?
Alors. Ça ne va pas marcher. Si je peux faire une analogie, l’économie chinoise est comme un patient qui sort de l’ICU après le confinement. S’attendre à ce que le patient récupère et aille de l’avant tout de suite semble trop optimiste.
Il me reste environ une minute, mais j’aimerais que vous nous en disiez plus sur la situation de l’emploi. Pour beaucoup d’économies, la vigueur de l’économie se reflète dans le marché du travail. Qu’en est-il de ce point de vue?
Alors. En fait, traditionnellement, l’un des indicateurs qui attirent l’attention, c’est le taux de chômage des jeunes. Or, le taux de chômage en Chine n’est pas un bon indicateur de l’orientation économique globale pour des raisons structurelles parce qu’en Chine, on est encore dans un processus d’urbanisation.
Donc, quand le marché du travail va bien, les travailleurs qui quittent une région rurale restent en ville et travaillent. Mais lorsque la situation sur le marché du travail n’est pas bonne, le flux s’inverse et la population urbaine est réduite, ce qui maintient le taux de chômage au même niveau. C’est pourquoi, si vous regardez les séries chronologiques, elles évoluent dans une fourchette très étroite.
Toutefois, le taux de chômage des jeunes est un indicateur beaucoup plus sensible. Et en début d’année, au cours des derniers mois, on remarque qu’il est en hausse. Et la dernière tendance est au-dessus de 20 %. Alors dans de bonnes conditions sur le marché du travail, si l’année est bonne, cette mesure demeurerait à peu près stable et augmenterait entre juin et août. Mais la tendance à la hausse constante nous indique que l’économie demeure faible. Et on a besoin d’une meilleure reprise du marché du travail.
Haining, vos perspectives sont toujours très intéressantes. C’est toujours un plaisir de vous recevoir. Merci d’être venu.
Merci de m’avoir reçu.
[MUSIQUE]
À la fin du Sommet du G7 au Japon, les dirigeants ont exprimé la nécessité de réduire les risques en diminuant leur dépendance envers la Chine. Mais ils ont aussi affirmé qu’ils ne cherchaient pas à se désolidariser de son économie. Les responsables à Beijing ont toutefois qualifié ces commentaires et le sommet d’anti-chinois. Qu’est-ce que cela signifie pour le commerce mondial et la croissance économique? Haining Zha, gestionnaire de portefeuille à Gestion de Placements TD se joint à nous. Haining, ravi de vous revoir.
Merci de me recevoir.
Alors, parlons un peu de cette rhétorique, qui n’est évidemment pas positive pour les relations commerciales. Comment l’analyser?
Alors. En effet, ce n’est bon pour personne, y compris pour l’économie et les marchés mondiaux. Mais si on examine vraiment l’annonce, le concept d’atténuation des risques est préférable à celui de désolidarisation, parce que cela signifie qu’ils essaient encore d’imposer des garde-fous et d’atténuer les répercussions économiques. De ce point de vue, c’est plutôt positif par rapport à ce qu’on a vu jusqu’à maintenant.
Les termes utilisés sont essentiels ici. À la fin du G7, on a eu cette idée que la tendance était d’abord à la sécurité avant la croissance économique. L’aspect le plus évident, c’est le concept de relocalisation. Qu’est-ce que ça signifie pour la Chine?
Alors. C’est une préoccupation à long terme, mais à court terme, l’impact pourrait être moins important que ce à quoi on s’attend. Par exemple, le processus de relocalisation est plus compliqué que ce que les gens pensent. Prenons l’exemple d’Apple, qui tente d’augmenter sa production en Inde, mais le rendement de son usine indienne n’est que de 50 %, ce qui n’est pas favorable à la rentabilité à long terme.
Il y a aussi une autre société technologique taïwanaise, Wistron, dans la chaîne d’approvisionnement d’Apple qui a décidé de sortir complètement de l’Inde, invoquant des inquiétudes vis-à-vis de l’exploitation et de la gestion de la main-d’œuvre. La relocalisation ou tout autre type d’ajustement dans une chaîne d’approvisionnement est toujours un chemin long et tortueux. Parfois, on peut même se retrouver dans une impasse. Les répercussions à court terme pourraient donc être moins importantes qu’attendu.
OK, c’est intéressant, il faut garder un œil là-dessus. Parlons de l’économie chinoise.
Bien sûr, cette année, on avait de grands espoirs quant à la baisse des restrictions liées à la COVID qui a été très importante là-bas. Or, ça a été un peu inégal. Que se passe-t-il exactement? Oui, alors au début de l’année, après la longue période de confinement de la Chine et une croissance inférieure à la tendance, on avait grand espoir d’assister à une reprise en V, tout comme ce fut le cas aux États-Unis. Mais, pour moi, il y a trois principales différences par rapport aux États-Unis.
Premièrement, le gouvernement américain a injecté une importante somme d’argent dans le secteur des ménages, ce que le gouvernement chinois n’a pas fait. Deuxièmement, la politique monétaire américaine était très simple à cette époque, la politique monétaire chinoise n’a pas vraiment bougé. Troisièmement, le marché immobilier américain est en plein essor parce qu’il y a toujours un déficit structurel du côté de l’offre, tandis qu’en Chine, le secteur immobilier connaît des difficultés très importantes parce que les promoteurs immobiliers tentent de réduire les dettes.
Donc, pour toutes ces raisons, la reprise de la consommation et de l’économie, dans l’ensemble, a été timide ou, comme vous le dites, inégale. Cette inégalité se reflète sur plusieurs fronts. Par exemple, si on compare le secteur des services à celui des biens, il est plus solide.
Et dans le secteur des services, les voyages et la restauration sont plus solides que les services aux entreprises ou les services aux ménages. Pour les biens, le produit haut de gamme est plus solide que le produit moyen ou bas. La reprise économique est donc très inégale.
Quel sera l’effet sur les bénéfices des sociétés? Certains titres sont avantagés, d’autres ne le sont peut-être pas puisque la reprise est inégale.
Alors, oui, on le voit dans les bénéfices des sociétés. Prenons l’exemple des sociétés baromètres. Alibaba, par exemple, dont le chiffre d’affaires affiche une croissance de seulement 2 % sur 12 mois. Et si l’on prend le segment chinois du commerce de base, ses revenus ont diminué de 3 % sur 12 mois. Il s’agit principalement d’activités de détail en ligne et hors ligne.
De ce côté, on constate la faiblesse de l’économie. Une autre société baromètre, Tencent, affiche des bénéfices nettement supérieurs. Le chiffre d’affaires a augmenté de 11 % sur 12 mois et le bénéfice d’exploitation affiche une croissance de 30 % sur 12 mois. Mais les raisons sont spécifiques, et pas liées à la vigueur macroéconomique.
Par exemple, ses revenus de gains internationaux ont augmenté de 25 % sur 12 mois. De plus, si on regarde sa publicité en ligne, elle augmente de 17 %, parce qu’elle monétise uniquement le mini-programme et les comptes vidéo. Donc ce sont des raisons spécifiques. Prenons le cas de certaines sociétés cotées sur le marché intérieur, au premier trimestre, le chiffre d’affaires global et les revenus affichent une croissance à un chiffre faible, ce qui, encore une fois, indique une très faible reprise de l’économie chinoise.
C’est intéressant, car avec l’abandon des restrictions liées à la COVID et la réouverture de l’économie, non seulement on pensait que ce serait bon pour l’économie chinoise, mais que ce serait également une bouffée d’air frais en ce début d’année pour l’économie mondiale. Vous dites qu’il se passe plutôt l’inverse. Expliquez-moi cela.
En effet, les gens espèrent que la réouverture chinoise soit le moteur de la croissance économique mondiale. Je partagerais cette idée si, dans les pays développés, on maintenait une dynamique de croissance positive, parallèlement au redressement progressif de l’économie. Ce serait le cas parce que les deux dynamiques se renforceraient mutuellement.
Mais, de plus en plus, on voit un scénario où le moteur de croissance des économies développées s’essouffle en raison du resserrement de la politique monétaire. Selon ce scénario, il faudrait que l’économie chinoise rattrape le terrain perdu et pour combler cette lacune…
les Chinois doivent bien vendre à quelqu’un, non?
Alors. Ça ne va pas marcher. Si je peux faire une analogie, l’économie chinoise est comme un patient qui sort de l’ICU après le confinement. S’attendre à ce que le patient récupère et aille de l’avant tout de suite semble trop optimiste.
Il me reste environ une minute, mais j’aimerais que vous nous en disiez plus sur la situation de l’emploi. Pour beaucoup d’économies, la vigueur de l’économie se reflète dans le marché du travail. Qu’en est-il de ce point de vue?
Alors. En fait, traditionnellement, l’un des indicateurs qui attirent l’attention, c’est le taux de chômage des jeunes. Or, le taux de chômage en Chine n’est pas un bon indicateur de l’orientation économique globale pour des raisons structurelles parce qu’en Chine, on est encore dans un processus d’urbanisation.
Donc, quand le marché du travail va bien, les travailleurs qui quittent une région rurale restent en ville et travaillent. Mais lorsque la situation sur le marché du travail n’est pas bonne, le flux s’inverse et la population urbaine est réduite, ce qui maintient le taux de chômage au même niveau. C’est pourquoi, si vous regardez les séries chronologiques, elles évoluent dans une fourchette très étroite.
Toutefois, le taux de chômage des jeunes est un indicateur beaucoup plus sensible. Et en début d’année, au cours des derniers mois, on remarque qu’il est en hausse. Et la dernière tendance est au-dessus de 20 %. Alors dans de bonnes conditions sur le marché du travail, si l’année est bonne, cette mesure demeurerait à peu près stable et augmenterait entre juin et août. Mais la tendance à la hausse constante nous indique que l’économie demeure faible. Et on a besoin d’une meilleure reprise du marché du travail.
Haining, vos perspectives sont toujours très intéressantes. C’est toujours un plaisir de vous recevoir. Merci d’être venu.
Merci de m’avoir reçu.
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