La Banque du Canada affirme qu’il faudra peut-être plus de temps que prévu pour ramener l’inflation à sa cible de 2 %. Les taux d’intérêt sont maintenant à leur plus haut niveau depuis 2001. Andrew Kelvin, stratège en chef, Canada et chef, Stratégie mondiale liée aux taux à Valeurs Mobilières TD, aborde le ton plus ferme de la banque centrale.
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[LOGO SONORE] * La Banque du Canada (BdC) a encore une fois procédé à une hausse de 25 points de base, haussant son taux directeur à 5 %. C’est le plus haut niveau depuis 2001. Elle a également annoncé que ramener l’inflation à la cible prendra plus de temps que prévu au départ. Beaucoup de choses se passent en ce moment. Notre invité aujourd’hui est Andrew Kelvin, stratège en chef, Canada et chef, Stratégie mondiale liée aux taux à Valeurs Mobilières TD. C’est une excellente journée pour te recevoir, mais c’est toujours un plaisir de te voir. * Merci de m’avoir invité. Avec plaisir. * Il se passe donc beaucoup de choses en ce moment. Commençons par décortiquer ce qu’on voit en ce moment. De toute évidence, il y a une autre hausse. On se retrouve avec des taux inégalés avant même que je sois propriétaire d’une maison, et avant que je devienne père, et c’était il y a longtemps, en 2001, et il y a cette attente selon laquelle il faudra plus de temps pour arriver au résultat final. Commençons par examiner la question. Quel est le principal point à retenir? * Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que les taux sont 25 points de base plus élevés. Je considère que la hausse actuelle des taux d’intérêt est une reconnaissance de la résilience de l’économie au premier semestre de 2023. Je crois que la prochaine moitié de 2023 sera un peu plus difficile pour l’économie, parce qu’il y a certains signes précurseurs indiquant que la BdC n’y a pas accordé autant d’attention qu’elle l’avait prévu; mais certains signes précurseurs indiquent que les hausses de taux commenceront à ramener un certain équilibre sur le marché du travail. Les ménages commencent peut-être à sentir la pression un peu plus qu’en mars dernier. * Toutefois, la BdC examine la tendance sur trois mois des mesures de l’inflation de base. Ce pourcentage n’a pas diminué depuis quelque temps. Il est resté coincé entre 3,5 % et 4 %. Et la BdC a suggéré, dans son communiqué, que compte tenu de l’absence de tendance baissière de l’inflation de base, la trajectoire vers le retour au taux de 2 % était compromise. Je paraphrase un peu, mais elle a effectivement utilisé le mot « compromise », ce qui m’a vraiment frappé. * Selon moi, tout compte fait, bien qu’ils sont conscients de la nécessité d’avoir un équilibre entre un resserrement excessif et un resserrement insuffisant, ils s’inquiètent juste un peu plus de pouvoir remplir leur mandat de stabilité des prix. Ils craignent un peu de ne pas avoir fait assez pour réduire l’inflation, comme en témoigne le fait qu’ils ne s’attendent pas à ce que l’inflation atteigne 2 % avant le milieu de 2025. Et donc, en fin de compte, autant qu’ils peuvent ne pas être à l’aise avec les effets décalés potentiels des hausses de taux déjà dans le système, ils avaient tout de même l’impression qu’ils devaient les augmenter. * J’ai eu la même réaction que toi, car même dans leur discours préparé avant que le gouverneur Tiff Macklem, commence à répondre aux questions après la décision, les mots qui m’ont frappé étaient « têtue » et « persistante », lorsqu’ils parlaient de l’inflation de base. Vous avez dit qu’ils repoussaient leur cible jusqu’au milieu de 2025. Ils ont mentionné trois éléments qu’ils devaient voir, soit le ralentissement de la croissance de la demande, l’atténuation des pressions salariales et la normalisation des pratiques de fixation des prix des entreprises. Décortiquons ces trois éléments. Est-ce qu’on commence à voir quelque chose du genre pour l’un ou l’autre de ces éléments? * Je pense que oui, certainement en ce qui concerne les pressions salariales. Le taux de chômage a augmenté dans les deux derniers rapports. La plus récente enquête sur la population active a montré un ralentissement plus important que prévu des salaires horaires moyens. Lorsque la BdC affirme que la croissance des salaires se situe entre 4 % et 5 %, j’insiste sur le fait que le taux actuel est plus près de 4 % que de 5 %. On observe une certain ralentissement dans les indicateurs généraux de pressions salariales, ce qui est un bon signe. * Pour ce qui est des pratiques de fixation des prix des entreprises, la plupart s’attendent à ce que l’inflation des prix de la production ralentisse au cours des prochaines années, selon les sondages de la BdC, par rapport aux années précédentes, mais elles reconnaissent aussi que certaines entreprises n’ont pas pleinement transmis certaines des récentes hausses de coûts aux consommateurs. Par conséquent, les entreprises opéreront dans un contexte de coûts de production supérieurs à la normale, de bonnes hausses de coûts. La BdC surveillance donc ça également, mais, encore une fois, on peut voir des signes de progrès, du moins si on se fie à ces sondages. * Et du côté de la demande, il faut vraiment revenir aux ménages. Les ratios d’amortissement de la dette dans les dernières données du premier trimestre sont nettement plus élevés. La BdC surveille aussi ça. Ils avaient une influence considérable sur la santé du secteur des ménages. Ils pensent que la plupart des ménages ont plus d’actifs liquides pour parer à la hausse des frais d’intérêt et à l’inflation, ce genre de choses, ce qui cadre avec la discussion qu’on a eue sur l’épargne excédentaire. * Mais je pense que la plupart des ménages canadiens vous diront qu’ils n’accumulent pas une foule d’économies excédentaires, et je pense qu’avec l’augmentation des coûts du service de la dette, les ménages vont commencer à être un peu plus prudents dans leurs dépenses vers la fin de l’année. * D’accord, je vais vous poser une question que Tiff Macklem lui-même a posée. Il a dit qu’il sait que de nombreuses personnes au Canada se demandent si c’est la dernière fois que la BdC rehausse les taux d’intérêt, ou si les taux vont encore augmenter pour atténuer les pressions sur les prix. La réponse courte est que c’est décidé réunion après réunion, décision après décision, mais que si la BdC voit une raison d’augmenter les taux à l’avenir, elle le fera. Crois-tu qu’elle va s’arrêter à 5 %? * Je pense qu’elle va s’arrêter à 5 %. Il incombe aux données de me donner tort. Si la demande dans l’économie commence à montrer des signes de ralentissement au cours des prochains mois, la BdC pourrait se sentir à l’aise d’adopter une approche attentiste quand viendra le temps de prendre sa décision en septembre. * Dans un contexte où les taux d’intérêt élevés auront des répercussions croissantes sur l’économie, je crois que la prochaine pause, quelle que soit la date, sera la dernière, pour ainsi dire. Et selon nous, comme la croissance devrait ralentir, la BdC sera probablement en mesure de maintenir les taux en septembre, et lorsqu’on en sera à la fin de l’année, on s’attend à ce que l’inflation baisse un peu plus rapidement avec la BdC. Il faudra encore beaucoup de temps pour atteindre la cible de 2 %, mais on pense que ce sera avant le milieu de 2025. * On pense qu’en fin de compte, la BdC sera à l’aise avec l’idée qu’un taux de 5 % est suffisant mais, à mon avis, ce n’est que parce que la BdC a peut-être terminé d’augmenter les taux que des réductions sont à prévoir dans un avenir proche. * Je voulais te poser une question à ce sujet, car s’ils ne pensent pas pouvoir atteindre un retour à la cible de 2 % d’ici le milieu de 2025, penses-tu qu’ils pourraient maintenir les taux élevés plus longtemps? Est-ce qu’ils attendent d’atteindre 2 % avant de commencer à réduire les taux? Parce que, selon leurs propres mots, ils sont en territoire restrictif en ce moment. Doivent-ils attendre jusqu’à ce moment-là? * Il n’est pas nécessaire que le taux atteigne 2 %, mais il doit être très clairement en voie de l’atteindre. Je répète que les tendances inflationnistes sous-jacentes se situent entre 3,5 % et 4 %, et il faut que ce taux soit à 2 %. On doit donc être sur la bonne voie pour atteindre 2 % si ces pressions inflationnistes sous-jacentes opèrent à un rythme annualisé sur deux mois sur une période d’un ou deux trimestres, et que l’inflation globale diminue rapidement. Il faudrait certainement que le taux de la BdC soit inférieur à 3 % pour être en mesure d’assouplir les taux de façon crédible, dans un contexte où on a dépassé sa cible de 2 % depuis tellement longtemps. * Je pense que ce serait très difficile pour la BdC de dire « d’accord, je sais que l’inflation tourne autour de 3,5 %, mais écoutez, on est à peu près certains qu’elle atteindra 2 %, alors on va réduire les taux. ». C’est très difficile. L’autre chose qui doit se produire est qu’on doit observer ce ralentissement de la demande dont ils parlent. Le taux de chômage doit augmenter. La BdC voir davantage de capacités inutilisées sur le marché du travail avant de pouvoir réduire les taux. * Il se passe beaucoup de choses à ce sujet, mais on parle des banques centrales. On parle de l’inflation au cœur de tout ça. En fait, ce matin, on a pris connaissance des dernières pressions sur les prix à la consommation aux États-Unis. Qu’est-ce que ça pourrait signifier pour la Réserve fédérale américaine plus tard ce mois-ci? * Les résultats ont été un peu plus faibles que prévu, c’est certain. Je pense qu’une autre hausse de la Réserve fédérale américaine est possible. Je pense que ça montre qu’on est assez avancés dans le cycle. Le fait que l’inflation ralentisse un peu plus aux États-Unis est compatible avec l’idée que cette hausse en juillet pourrait être la dernière de la Réserve fédérale américaine, et j’ajouterais qu’elle n’a pas exactement les mêmes facteurs de la demande que la BdC. * Donc, lorsqu’on commence à parler de réductions de taux, peu importe quand ça arrivera, on pense que ce sera en mars pour la Réserve fédérale américaine, ou du moins, qu’elle arrivera plus rapidement aux États-Unis. * Mars 2024. * Oui, 2024, pardon. En effet, ça ne se produira pas dans le passé. * Je veux juste m’assurer qu’on ne parle pas de 2025, maintenant que la BdC nous a projetés aussi loin dans le futur. * Merci beaucoup. Je me suis confondu avec les dates toute la journée. C’est ce qui va se passer. C’est une conversation qu’on va avoir plus rapidement aux États-Unis qu’au Canada. Je tenais à insister sur ce point, d’une manière qui ne m’oblige pas à lire les dates à haute voix. [MUSIQUE]