Les rumeurs de stagflation s’intensifient et font monter la volatilité sur les marchés. Kim Parlee discute avec Priya Misra, chef, Stratégie mondiale liée aux taux, Valeurs Mobilières TD, du risque de stagflation, du retrait graduel des mesures de relance de la Fed, des hausses de taux et de la crise du plafond de la dette américaine.
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Parlons un peu de la notion de stagflation. Avec la hausse des prix de l’énergie, l’inflation risque de persister. Les chiffres de l’emploi de septembre sont peu réjouissants, même s’ils sont par nature fluctuants. Dans quelle mesure craignez-vous que cette stagflation s’installe?
Ce qui nous inquiète, c’est que l’inflation dépasse toutes les prévisions.
Tous les prévisionnistes privés et la Fed s’attendaient à ce que les perturbations de la chaîne d’approvisionnement s’atténuent vers la fin de l’année. On pensait que les prix de l’énergie resteraient autour des niveaux actuels. Or, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement ont perduré. Et cette tempête parfaite sur le marché de l’énergie a fait grimper l’inflation.
C’est vrai que ça nous inquiète, mais je crois que c’est un peu prématuré de parler de stagflation, parce que la croissance est encore forte. On est en phase de ralentissement après une croissance de 6 % à 7 % en début d’année, qui découlait de la réouverture et des mesures de relance budgétaire. Mais on table toujours sur une croissance solide de 4 % au quatrième trimestre et de 2,5 % l’année prochaine.
On va donc voir une croissance modérée accompagnée d’une inflation élevée, mais comme cette inflation est liée à l’offre et non à la demande, elle n’est pas persistante. À un moment donné, l’inflation va se modérer. On aura alors une croissance modérée et une inflation modérée. On ne retombera pas dans la stagflation des années 1970. Le contexte structurel, économique et du marché du travail était très différent à cette époque.
Y a-t-il quelque chose qui vous ferait changer d’avis? Je comprends bien ce que vous dites. Ce sont des épines qu’il faut retirer du système. Quand les choses reviendront à la normale, espérons que tout se rétablira. Mais y a-t-il quelque chose qui pourrait vous alerter et auquel il faudrait porter une attention plus particulière?
Plusieurs choses. On surveille les sondages auprès des consommateurs et les attentes concernant l’inflation. Si l’économie croit collectivement que l’inflation va augmenter, les gens vont commencer à demander des salaires plus élevés. On entre dans une spirale inflationniste entre les salaires et les prix. Si les attentes en matière d’inflation ne sont plus solidement ancrées, alors l’inflation risque d’augmenter plus durablement.
Et même si l’approvisionnement revient à la normale, on s’habitue à une inflation élevée. La Fed et les banques centrales du monde entier surveillent ce phénomène de près. C’est donc quelque chose que nous gardons à l’œil en ce moment : les attentes concernant l’inflation à long terme. Elles semblent bien ancrées. Mais je ne pense pas que l’on puisse tenir cela pour acquis.
L’autre volet concerne le marché du travail. Vous avez parlé des chiffres de l’emploi de la semaine dernière. Ils étaient décevants. Beaucoup de gens ont quitté le marché du travail après la COVID. Et ils ne sont pas revenus. Selon nous, il s’agit d’un phénomène transitoire qui s’explique en partie par le variant Delta et la fermeture des écoles. Avec le temps, les gens vont réintégrer le marché du travail.
Mais si la COVID a eu un impact structurel sur le marché du travail, si ces personnes ne reviennent jamais sur le marché du travail, si l’offre de main-d’œuvre se fait beaucoup plus rare, je crois qu’on commencera à voir une inflation des salaires. Le risque, c’est que l’inflation liée à l’offre, une inflation transitoire, selon la Fed, devienne plus permanente, car les salaires commenceront à augmenter.
On surveille donc étroitement la participation au marché du travail pour voir si les capacités reviennent ou si le marché est tendu. Voilà ce que nous surveillons, car cela place les banques centrales dans une situation très inconfortable. Parce que si elles resserraient leur politique en réponse à l’inflation, cela ferait doublement mal aux consommateurs. Ils devraient faire face à des taux hypothécaires plus élevés, à une inflation plus forte, alors que les salaires n’augmentent pas. Ce n’est donc pas la solution. Mais il est certain que s’il y a beaucoup d’incertitude entourant l’inflation, les banques centrales réagiront.
Que fait la Fed à ce sujet, Priya? De toute évidence, la Fed surveille les mêmes données que vous et vos collègues. À votre avis, quand verra-t-on un retrait graduel des mesures de relance et un début de hausse des taux?
D’accord. On est à deux doigts d’un retrait graduel des mesures de relance. Le président Powell a dit assez clairement lors de la dernière conférence de presse qu’il n’y avait pas besoin d’attendre de bons chiffres sur l’emploi. Nous n’avons pas eu de chiffres étincelants. À mon avis, la Fed va très bientôt réduire les mesures de relance.
Et elle a donné non seulement une date de début, mais aussi une date de fin. Avec toutefois une mise en garde : si l’économie ralentit beaucoup plus que prévu, il se peut que les mesures soient prolongées. Mais on s’attend à ce que le soutien à l’économie diminue en novembre, pour cesser complètement au milieu de l’année prochaine.
Ensuite, la Fed portera toute son attention à la hausse des taux. C’est là, selon moi, qu’elle se trouve dans une position délicate, parce que l’inflation augmente. La croissance se modère. Une hausse des taux ne coule donc pas de source, mais la Fed veut que les attentes inflationnistes restent bien ancrées.
En fait, nous pensons que la Fed va revenir en arrière. À moins d’une montée en flèche des salaires ou des attentes entourant l’inflation, nous pensons que la Fed va revenir en arrière et dire qu’il s’agit toujours d’une inflation transitoire à laquelle il n’est pas nécessaire de réagir et repousser le moment où les marchés attendent le cycle de hausse des taux.
La diminution des mesures de relance est pour bientôt, mais pas la hausse des taux. La Fed veut voir des signes de plein emploi avant de relever les taux, et nous en sommes encore très loin. Elle amorce donc le retrait des mesures de relance, mais avec lenteur et patience.
Priya, il ne me reste qu’une trentaine de secondes. Et pour rendre ajouter un peu de volatilité à tout cela, il y a aussi le plafond de la dette américaine. La crise a été évitée pour le moment, nous avons obtenu un petit sursis. Quel dénouement anticipez-vous?
Malheureusement, il y aura une nouvelle épreuve de force dans quelques mois. Je pense qu’il y a deux issues possibles. Les démocrates peuvent faire cavalier seul – je surveille donc ce qui se passe à Washington autour du processus de réconciliation. Avec un peu de chance, ils pourront mettre d’accord les modérés, qui réclament 1 500 milliards et les progressistes, qui veulent 3 500 milliards.
Ils doivent combler cet écart. Et s’ils s’entendent sur un chiffre, il faut ensuite faire voter le relèvement du plafond de la dette uniquement par les démocrates. Ou ils peuvent travailler avec les républicains, mais ça me semble bien plus difficile. Les démocrates seraient contraints à une réduction ou un gel conséquent des dépenses. Ce n’est donc que partie remise et dans quelques mois, il faudra résoudre la question du plafond de la dette sur une plus longue période.
Selon nous, les démocrates feront cavalier seul. Ce serait beaucoup plus difficile d’adhérer au plan républicain. Mais regardons d’abord ce qui se passe avec le plan d’infrastructures démocrate. S’ils peuvent s’entendre là-dessus, je pense qu’on pourra clore le dossier du plafond de la dette. Attendons les prochains mois.
On ne s’ennuie jamais, Priya! Merci beaucoup.
Merci.
[MUSIQUE]
Ce qui nous inquiète, c’est que l’inflation dépasse toutes les prévisions.
Tous les prévisionnistes privés et la Fed s’attendaient à ce que les perturbations de la chaîne d’approvisionnement s’atténuent vers la fin de l’année. On pensait que les prix de l’énergie resteraient autour des niveaux actuels. Or, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement ont perduré. Et cette tempête parfaite sur le marché de l’énergie a fait grimper l’inflation.
C’est vrai que ça nous inquiète, mais je crois que c’est un peu prématuré de parler de stagflation, parce que la croissance est encore forte. On est en phase de ralentissement après une croissance de 6 % à 7 % en début d’année, qui découlait de la réouverture et des mesures de relance budgétaire. Mais on table toujours sur une croissance solide de 4 % au quatrième trimestre et de 2,5 % l’année prochaine.
On va donc voir une croissance modérée accompagnée d’une inflation élevée, mais comme cette inflation est liée à l’offre et non à la demande, elle n’est pas persistante. À un moment donné, l’inflation va se modérer. On aura alors une croissance modérée et une inflation modérée. On ne retombera pas dans la stagflation des années 1970. Le contexte structurel, économique et du marché du travail était très différent à cette époque.
Y a-t-il quelque chose qui vous ferait changer d’avis? Je comprends bien ce que vous dites. Ce sont des épines qu’il faut retirer du système. Quand les choses reviendront à la normale, espérons que tout se rétablira. Mais y a-t-il quelque chose qui pourrait vous alerter et auquel il faudrait porter une attention plus particulière?
Plusieurs choses. On surveille les sondages auprès des consommateurs et les attentes concernant l’inflation. Si l’économie croit collectivement que l’inflation va augmenter, les gens vont commencer à demander des salaires plus élevés. On entre dans une spirale inflationniste entre les salaires et les prix. Si les attentes en matière d’inflation ne sont plus solidement ancrées, alors l’inflation risque d’augmenter plus durablement.
Et même si l’approvisionnement revient à la normale, on s’habitue à une inflation élevée. La Fed et les banques centrales du monde entier surveillent ce phénomène de près. C’est donc quelque chose que nous gardons à l’œil en ce moment : les attentes concernant l’inflation à long terme. Elles semblent bien ancrées. Mais je ne pense pas que l’on puisse tenir cela pour acquis.
L’autre volet concerne le marché du travail. Vous avez parlé des chiffres de l’emploi de la semaine dernière. Ils étaient décevants. Beaucoup de gens ont quitté le marché du travail après la COVID. Et ils ne sont pas revenus. Selon nous, il s’agit d’un phénomène transitoire qui s’explique en partie par le variant Delta et la fermeture des écoles. Avec le temps, les gens vont réintégrer le marché du travail.
Mais si la COVID a eu un impact structurel sur le marché du travail, si ces personnes ne reviennent jamais sur le marché du travail, si l’offre de main-d’œuvre se fait beaucoup plus rare, je crois qu’on commencera à voir une inflation des salaires. Le risque, c’est que l’inflation liée à l’offre, une inflation transitoire, selon la Fed, devienne plus permanente, car les salaires commenceront à augmenter.
On surveille donc étroitement la participation au marché du travail pour voir si les capacités reviennent ou si le marché est tendu. Voilà ce que nous surveillons, car cela place les banques centrales dans une situation très inconfortable. Parce que si elles resserraient leur politique en réponse à l’inflation, cela ferait doublement mal aux consommateurs. Ils devraient faire face à des taux hypothécaires plus élevés, à une inflation plus forte, alors que les salaires n’augmentent pas. Ce n’est donc pas la solution. Mais il est certain que s’il y a beaucoup d’incertitude entourant l’inflation, les banques centrales réagiront.
Que fait la Fed à ce sujet, Priya? De toute évidence, la Fed surveille les mêmes données que vous et vos collègues. À votre avis, quand verra-t-on un retrait graduel des mesures de relance et un début de hausse des taux?
D’accord. On est à deux doigts d’un retrait graduel des mesures de relance. Le président Powell a dit assez clairement lors de la dernière conférence de presse qu’il n’y avait pas besoin d’attendre de bons chiffres sur l’emploi. Nous n’avons pas eu de chiffres étincelants. À mon avis, la Fed va très bientôt réduire les mesures de relance.
Et elle a donné non seulement une date de début, mais aussi une date de fin. Avec toutefois une mise en garde : si l’économie ralentit beaucoup plus que prévu, il se peut que les mesures soient prolongées. Mais on s’attend à ce que le soutien à l’économie diminue en novembre, pour cesser complètement au milieu de l’année prochaine.
Ensuite, la Fed portera toute son attention à la hausse des taux. C’est là, selon moi, qu’elle se trouve dans une position délicate, parce que l’inflation augmente. La croissance se modère. Une hausse des taux ne coule donc pas de source, mais la Fed veut que les attentes inflationnistes restent bien ancrées.
En fait, nous pensons que la Fed va revenir en arrière. À moins d’une montée en flèche des salaires ou des attentes entourant l’inflation, nous pensons que la Fed va revenir en arrière et dire qu’il s’agit toujours d’une inflation transitoire à laquelle il n’est pas nécessaire de réagir et repousser le moment où les marchés attendent le cycle de hausse des taux.
La diminution des mesures de relance est pour bientôt, mais pas la hausse des taux. La Fed veut voir des signes de plein emploi avant de relever les taux, et nous en sommes encore très loin. Elle amorce donc le retrait des mesures de relance, mais avec lenteur et patience.
Priya, il ne me reste qu’une trentaine de secondes. Et pour rendre ajouter un peu de volatilité à tout cela, il y a aussi le plafond de la dette américaine. La crise a été évitée pour le moment, nous avons obtenu un petit sursis. Quel dénouement anticipez-vous?
Malheureusement, il y aura une nouvelle épreuve de force dans quelques mois. Je pense qu’il y a deux issues possibles. Les démocrates peuvent faire cavalier seul – je surveille donc ce qui se passe à Washington autour du processus de réconciliation. Avec un peu de chance, ils pourront mettre d’accord les modérés, qui réclament 1 500 milliards et les progressistes, qui veulent 3 500 milliards.
Ils doivent combler cet écart. Et s’ils s’entendent sur un chiffre, il faut ensuite faire voter le relèvement du plafond de la dette uniquement par les démocrates. Ou ils peuvent travailler avec les républicains, mais ça me semble bien plus difficile. Les démocrates seraient contraints à une réduction ou un gel conséquent des dépenses. Ce n’est donc que partie remise et dans quelques mois, il faudra résoudre la question du plafond de la dette sur une plus longue période.
Selon nous, les démocrates feront cavalier seul. Ce serait beaucoup plus difficile d’adhérer au plan républicain. Mais regardons d’abord ce qui se passe avec le plan d’infrastructures démocrate. S’ils peuvent s’entendre là-dessus, je pense qu’on pourra clore le dossier du plafond de la dette. Attendons les prochains mois.
On ne s’ennuie jamais, Priya! Merci beaucoup.
Merci.
[MUSIQUE]