La hausse des prix à la consommation aux États-Unis en février soulève des interrogations quant à la possibilité d’une baisse des taux de la Fed en juin. Alexandra Gorewicz, vice-présidente et directrice, Gestion active des portefeuilles de titres à revenu fixe à Gestion de Placements TD, discute des perspectives concernant les taux et des répercussions sur les marchés.
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[MUSIQUE]
Voici une autre pièce du casse-tête de l’inflation aux États-Unis. Le dernier chiffre de l’indice des prix à la consommation montre une inflation persistante en février, avec une hausse de 0,4 % sur un mois et de 3,2 % par rapport à l’an dernier. Pour comprendre ce que cela signifie pour les taux d’intérêt et le marché obligataire, j’accueille Alexandra Gorewicz, vice-présidente et directrice de Gestion active des portefeuilles de titres à revenu fixe à Gestion de Placements TD.
Alex, c’est toujours un plaisir de vous compter parmi nous.
Merci, Greg. Ravie d’être ici.
Le chiffre de l’inflation américaine vient d’arriver. Depuis deux mois consécutifs, elle est plus élevée que prévu. Le marché boursier ne semble pas s’en inquiéter. Comment va réagir la Fed et comment vont évoluer les taux d’intérêt?
Je ne suis pas sûre que ça change la donne. On peut lire un peu ce qu’on veut dans ce chiffre. Certes, l’IPC est un peu plus élevé que prévu. Mais en réalité, l’inflation de base de 0,4 % sur un mois est de 0,35 %, en valeur non arrondie. Elle se situe donc quelque part entre ce qu’on attendait et l’inflation mensuelle du mois dernier.
Sur 12 mois, l’inflation est effectivement un peu plus forte, mais on note tout de même une décélération par rapport au mois précédent. Là encore, il y en a un peu pour tout le monde, selon qu’on regarde l’inflation de base ou globale.
On peut toujours interpréter ces données un peu comme on veut. Tout à fait.
Bien sûr, la Fed va en tenir compte lors de sa prochaine rencontre. Tout le monde s’interroge. On ne s’attend pas à une baisse de taux à la prochaine réunion. Mais d’après les conjectures, le marché table sur une possible baisse en juin. Est-ce toujours d’actualité, compte tenu des dernières données provenant des États-Unis?
On parle beaucoup de l’IPC. C’est l’indice le plus pertinent pour la plupart des gens. C’est ce qu’on cite le plus dans les médias, et il est aussi fortement lié aux avantages sociaux et à la rémunération. La plupart des gens suivent l’IPC. Mais en réalité, la Fed regarde le DPC. Or, le DPC est nettement inférieur à l’IPC.
Le chiffre de l’IPC a des répercussions sur l’évolution du DPC, mais la Fed n’aura pas ce chiffre à la rencontre de la semaine prochaine. C’est important de le noter. Toutefois, on s’attend à ce que l’indice DPC soit de l’ordre de 0,3 % en glissement mensuel, ce qui suggérerait une légère persistance de l’inflation par rapport au mois de janvier, mais pas assez pour changer l’équation si, avant la publication de ce chiffre, la Fed avait l’intention de réduire les taux en juin. Elle ne changera probablement pas d’avis.
L’inflation persiste donc encore un peu, le marché du travail résiste bien aux États-Unis, l’économie est résiliente. Aux États-Unis, quels signes économiques portent à croire que les taux vont finir par baisser, peut-être même en juin, après ces niveaux restrictifs?
Je me dis que si l’économie se porte aussi bien avec les taux d’intérêt actuels, pourquoi s’empresser de les baisser?
C’est une très bonne question. Pour en revenir à l’inflation, il faut se souvenir du niveau de l’indice IPC ou DPC quand la Fed a relevé les taux pour la dernière fois. Ces deux indicateurs sont en baisse par rapport à l’été dernier.
On en conclut que la Fed, qui a établi son taux directeur à 5,5 %, a en réalité laissé sa politique se resserrer à mesure que l’inflation a continué de descendre, même si le ralentissement n’a pas été aussi rapide qu’on le voulait.
Ce qui inquiète sans doute le plus la Fed, c’est qu’avec le temps et même si – [S’ÉCLAIRCIT LA GORGE] même si l’inflation se stabilise à son niveau actuel, sa politique s’est resserrée. Devant la résilience de l’économie, le dynamisme du marché du travail et la croissance enregistrée au premier trimestre, la Fed ne veut pas souffler le froid. Elle ne veut pas être à l’origine d’un fort ralentissement économique. Elle s’appuie donc sur le fait que sa politique s’est resserrée sans pour autant changer les taux. Elle peut ainsi s’autoriser une baisse de taux.
Après la première baisse de taux, disons en juin, pour les besoins de la discussion, combien de baisses supplémentaires prévoyez-vous par la suite, et quelle sera la réaction du marché obligataire, à votre avis?
En début d’année, le marché obligataire s’est vraiment emballé à l’idée que la Fed procéderait à plus de réductions de taux que les trois annoncées lors de la réunion de décembre. La semaine prochaine, la Fed va publier ses projections économiques et son graphique à points actualisé. On verra si la vigueur des données économiques, que ce soit l’inflation ou la croissance enregistrée depuis le début de l’année, change l’équation concernant le nombre de baisses de taux envisagées.
Si on se base sur le graphique à points actuel qui indique trois baisses en 2024, le marché est très aligné sur la Fed. Et donc, quand la Fed entamera les baisses de taux, elle n’annoncera pas de coupure à chaque réunion. Elle a été très claire sur ce point dans sa communication, même après la publication des données. Même si le graphique à points n’est pas mis à jour, elle compte mener le processus d’assouplissement très progressivement, surtout en raison de la forte résilience de l’économie.
La dernière fois que la Banque du Canada s’est exprimée, la première question portait sur l’immobilier commercial et sur les répercussions sur notre banque centrale. Si je me souviens bien, elle a répondu que le problème était moins important au Canada qu’aux États-Unis. C’est une façon détournée... [RIRES] d’aborder la question de l’immobilier commercial aux États-Unis. Est-ce que la Fed s’en inquiète? Est-ce un point de vulnérabilité pour l’économie, pour la trajectoire pour le reste de l’année?
L’exposition à l’immobilier commercial pourrait en réalité faire dérailler la Fed par l’intermédiaire du système bancaire. On sait que la Fed a deux mandats : le plein emploi et la stabilité des prix. Mais en fait, son mandat repose entièrement sur la stabilité financière, ce qui signifie qu’elle a besoin d’un système bancaire solide. Or, il se trouve qu’un grand nombre de banques régionales, en particulier des banques régionales clés, sont plus exposées à l’immobilier commercial que des banques d’importance systémique - les plus grandes banques des États-Unis.
La Fed a besoin de stabilité à l’échelle de tout le système bancaire. Si des tensions dans l’immobilier commercial menaçaient la liquidité ou les réserves de capital de certaines grandes banques régionales, la Fed pourrait être amenée à réagir rapidement, comme elle l’a fait l’an dernier en mars et en avril.
Ceci dit, elle dispose d’autres outils politiques pour intervenir, comme la réduction du bilan ou son programme de prêts subventionnés. Ce programme va expirer, mais rien ne dit qu’il ne peut pas être reconduit au besoin. La Fed peut donc utiliser d’autres mécanismes. Elle n’est pas obligée de recourir uniquement à des baisses de taux pour régler des problèmes persistants liés à l’immobilier commercial.
Il ne me reste qu’une minute, Alex. J’aimerais vous poser une question sur la Banque du Canada. Est-ce que les données récentes suggèrent selon vous que la Banque du Canada suivra un calendrier différent pour ses baisses de taux?
Pas nécessairement. Je pense qu’on peut raisonnablement s’attendre, compte tenu de la baisse de l’inflation au pays, à ce que la Banque du Canada puisse procéder à une baisse en juin, comme la Fed. Là encore, tout comme la Fed – Même si la Banque du Canada a très clairement indiqué qu’elle ne donnerait pas d’indications prospectives [RIRES] sur ses indications prospectives, elle adoptera probablement la même approche que la Fed, au sens où elle ne voudra pas réduire rapidement les taux d’intérêt, malgré le fait que notre économie est bien plus faible que l’économie américaine.
Le vrai danger vient du secteur du logement. On sait qu’il y a des problèmes structurels, et la Banque du Canada ne peut pas les régler au moyen de ses politiques. Toutefois, si on assiste à une certaine spéculation du côté de l’habitation et si les prix se mettent à augmenter sensiblement, il est possible que cela retarde le cycle d’assouplissement de la Banque du Canada.
C’est toujours un plaisir d’avoir votre point de vue, Alex. Merci beaucoup.
Merci, Greg. [MUSIQUE]
Voici une autre pièce du casse-tête de l’inflation aux États-Unis. Le dernier chiffre de l’indice des prix à la consommation montre une inflation persistante en février, avec une hausse de 0,4 % sur un mois et de 3,2 % par rapport à l’an dernier. Pour comprendre ce que cela signifie pour les taux d’intérêt et le marché obligataire, j’accueille Alexandra Gorewicz, vice-présidente et directrice de Gestion active des portefeuilles de titres à revenu fixe à Gestion de Placements TD.
Alex, c’est toujours un plaisir de vous compter parmi nous.
Merci, Greg. Ravie d’être ici.
Le chiffre de l’inflation américaine vient d’arriver. Depuis deux mois consécutifs, elle est plus élevée que prévu. Le marché boursier ne semble pas s’en inquiéter. Comment va réagir la Fed et comment vont évoluer les taux d’intérêt?
Je ne suis pas sûre que ça change la donne. On peut lire un peu ce qu’on veut dans ce chiffre. Certes, l’IPC est un peu plus élevé que prévu. Mais en réalité, l’inflation de base de 0,4 % sur un mois est de 0,35 %, en valeur non arrondie. Elle se situe donc quelque part entre ce qu’on attendait et l’inflation mensuelle du mois dernier.
Sur 12 mois, l’inflation est effectivement un peu plus forte, mais on note tout de même une décélération par rapport au mois précédent. Là encore, il y en a un peu pour tout le monde, selon qu’on regarde l’inflation de base ou globale.
On peut toujours interpréter ces données un peu comme on veut. Tout à fait.
Bien sûr, la Fed va en tenir compte lors de sa prochaine rencontre. Tout le monde s’interroge. On ne s’attend pas à une baisse de taux à la prochaine réunion. Mais d’après les conjectures, le marché table sur une possible baisse en juin. Est-ce toujours d’actualité, compte tenu des dernières données provenant des États-Unis?
On parle beaucoup de l’IPC. C’est l’indice le plus pertinent pour la plupart des gens. C’est ce qu’on cite le plus dans les médias, et il est aussi fortement lié aux avantages sociaux et à la rémunération. La plupart des gens suivent l’IPC. Mais en réalité, la Fed regarde le DPC. Or, le DPC est nettement inférieur à l’IPC.
Le chiffre de l’IPC a des répercussions sur l’évolution du DPC, mais la Fed n’aura pas ce chiffre à la rencontre de la semaine prochaine. C’est important de le noter. Toutefois, on s’attend à ce que l’indice DPC soit de l’ordre de 0,3 % en glissement mensuel, ce qui suggérerait une légère persistance de l’inflation par rapport au mois de janvier, mais pas assez pour changer l’équation si, avant la publication de ce chiffre, la Fed avait l’intention de réduire les taux en juin. Elle ne changera probablement pas d’avis.
L’inflation persiste donc encore un peu, le marché du travail résiste bien aux États-Unis, l’économie est résiliente. Aux États-Unis, quels signes économiques portent à croire que les taux vont finir par baisser, peut-être même en juin, après ces niveaux restrictifs?
Je me dis que si l’économie se porte aussi bien avec les taux d’intérêt actuels, pourquoi s’empresser de les baisser?
C’est une très bonne question. Pour en revenir à l’inflation, il faut se souvenir du niveau de l’indice IPC ou DPC quand la Fed a relevé les taux pour la dernière fois. Ces deux indicateurs sont en baisse par rapport à l’été dernier.
On en conclut que la Fed, qui a établi son taux directeur à 5,5 %, a en réalité laissé sa politique se resserrer à mesure que l’inflation a continué de descendre, même si le ralentissement n’a pas été aussi rapide qu’on le voulait.
Ce qui inquiète sans doute le plus la Fed, c’est qu’avec le temps et même si – [S’ÉCLAIRCIT LA GORGE] même si l’inflation se stabilise à son niveau actuel, sa politique s’est resserrée. Devant la résilience de l’économie, le dynamisme du marché du travail et la croissance enregistrée au premier trimestre, la Fed ne veut pas souffler le froid. Elle ne veut pas être à l’origine d’un fort ralentissement économique. Elle s’appuie donc sur le fait que sa politique s’est resserrée sans pour autant changer les taux. Elle peut ainsi s’autoriser une baisse de taux.
Après la première baisse de taux, disons en juin, pour les besoins de la discussion, combien de baisses supplémentaires prévoyez-vous par la suite, et quelle sera la réaction du marché obligataire, à votre avis?
En début d’année, le marché obligataire s’est vraiment emballé à l’idée que la Fed procéderait à plus de réductions de taux que les trois annoncées lors de la réunion de décembre. La semaine prochaine, la Fed va publier ses projections économiques et son graphique à points actualisé. On verra si la vigueur des données économiques, que ce soit l’inflation ou la croissance enregistrée depuis le début de l’année, change l’équation concernant le nombre de baisses de taux envisagées.
Si on se base sur le graphique à points actuel qui indique trois baisses en 2024, le marché est très aligné sur la Fed. Et donc, quand la Fed entamera les baisses de taux, elle n’annoncera pas de coupure à chaque réunion. Elle a été très claire sur ce point dans sa communication, même après la publication des données. Même si le graphique à points n’est pas mis à jour, elle compte mener le processus d’assouplissement très progressivement, surtout en raison de la forte résilience de l’économie.
La dernière fois que la Banque du Canada s’est exprimée, la première question portait sur l’immobilier commercial et sur les répercussions sur notre banque centrale. Si je me souviens bien, elle a répondu que le problème était moins important au Canada qu’aux États-Unis. C’est une façon détournée... [RIRES] d’aborder la question de l’immobilier commercial aux États-Unis. Est-ce que la Fed s’en inquiète? Est-ce un point de vulnérabilité pour l’économie, pour la trajectoire pour le reste de l’année?
L’exposition à l’immobilier commercial pourrait en réalité faire dérailler la Fed par l’intermédiaire du système bancaire. On sait que la Fed a deux mandats : le plein emploi et la stabilité des prix. Mais en fait, son mandat repose entièrement sur la stabilité financière, ce qui signifie qu’elle a besoin d’un système bancaire solide. Or, il se trouve qu’un grand nombre de banques régionales, en particulier des banques régionales clés, sont plus exposées à l’immobilier commercial que des banques d’importance systémique - les plus grandes banques des États-Unis.
La Fed a besoin de stabilité à l’échelle de tout le système bancaire. Si des tensions dans l’immobilier commercial menaçaient la liquidité ou les réserves de capital de certaines grandes banques régionales, la Fed pourrait être amenée à réagir rapidement, comme elle l’a fait l’an dernier en mars et en avril.
Ceci dit, elle dispose d’autres outils politiques pour intervenir, comme la réduction du bilan ou son programme de prêts subventionnés. Ce programme va expirer, mais rien ne dit qu’il ne peut pas être reconduit au besoin. La Fed peut donc utiliser d’autres mécanismes. Elle n’est pas obligée de recourir uniquement à des baisses de taux pour régler des problèmes persistants liés à l’immobilier commercial.
Il ne me reste qu’une minute, Alex. J’aimerais vous poser une question sur la Banque du Canada. Est-ce que les données récentes suggèrent selon vous que la Banque du Canada suivra un calendrier différent pour ses baisses de taux?
Pas nécessairement. Je pense qu’on peut raisonnablement s’attendre, compte tenu de la baisse de l’inflation au pays, à ce que la Banque du Canada puisse procéder à une baisse en juin, comme la Fed. Là encore, tout comme la Fed – Même si la Banque du Canada a très clairement indiqué qu’elle ne donnerait pas d’indications prospectives [RIRES] sur ses indications prospectives, elle adoptera probablement la même approche que la Fed, au sens où elle ne voudra pas réduire rapidement les taux d’intérêt, malgré le fait que notre économie est bien plus faible que l’économie américaine.
Le vrai danger vient du secteur du logement. On sait qu’il y a des problèmes structurels, et la Banque du Canada ne peut pas les régler au moyen de ses politiques. Toutefois, si on assiste à une certaine spéculation du côté de l’habitation et si les prix se mettent à augmenter sensiblement, il est possible que cela retarde le cycle d’assouplissement de la Banque du Canada.
C’est toujours un plaisir d’avoir votre point de vue, Alex. Merci beaucoup.
Merci, Greg. [MUSIQUE]