
Les incertitudes qui secouent le secteur financier pourraient amener la Réserve fédérale américaine à adoucir sa politique à l’égard des taux d’intérêt. Beata Caranci, économiste en chef à la TD, discute avec Kim Parlee de la trajectoire que prendra la Fed, qui doit trouver l’équilibre entre la stabilité et les craintes liées à l’inflation.
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[LOGO SONORE] Quel est l’impact, s’il y en a un, sur l’économie en général, sur l’économie américaine à long terme? Commençons par cette question. Il s’agit avant tout d’une crise de confiance qui est spécifiquement liée au secteur bancaire, et plus particulièrement à ces banques régionales. Du point de vue de la Réserve fédérale, qui tente de planifier sa politique, la priorité absolue reste la stabilité financière. Dans d’autres circonstances, il est assez défaitiste de relever les taux d’intérêt quand les marchés sont en période de turbulences. L’impact économique le plus important - hormis une petite crise de confiance dans un segment du marché - c’est que la Fed pourrait s’abstenir de relever les taux d’intérêt autant qu’elle le voudrait. Elle ne va pas cesser ces hausses de taux, mais cet événement risque de décaler les hausses et le taux définitif qu’elle veut atteindre. Il va donc falloir arriver à un compromis entre la stabilité des marchés financiers et la persistance de l’inflation. À l’heure où l’on se parle, on vient de découvrir que l’IPC américain se situe autour de 6 %. C’est un peu plus élevé que prévu. L’inflation est toujours de la partie. Tout à fait. Quand on regarde ces chiffres, on porte surtout attention à ce qu’on appelle les services de base. La Fed l’a d’ailleurs mentionné, et elle exclut certaines choses comme les coûts d’habitation qui subissent une inflation extrêmement persistante. On voit que les loyers montent. Ce n’est que passager, alors concentrons-nous sur tout le reste. Si l’on prend les coûts des services qui sont liés au cycle économique et au marché de l’emploi, l’inflation perdure. Conclusion : tant qu’il n’y aura pas de ralentissement du marché de l’emploi, il sera très difficile de calmer la hausse des salaires, ce qui rend difficile toute accalmie de l’inflation des prix. La Fed observe donc ce mécanisme de transmission, et les données sur l’inflation d’aujourd’hui confirment qu’elle doit marcher sur des œufs pour gérer en même temps les risques financiers du côté bancaire. Mais en fin de compte, le grand problème de l’inflation subsiste. Je crois que - Puisque vous parlez de confiance, je regardais le taux des contrats à terme de la Fed. Il était de 4,84 % avant la faillite de la SVB, puis il a chuté à 3,8 %. Maintenant, il repart à la hausse. Pour mettre les choses en contexte, on assiste actuellement à des variations historiques. Quel est l’impact de ces variations sur le fonctionnement de l’économie? Les taux des contrats à terme sont normalement un pilier stable, auquel on peut se fier. C’est là que semble se situer le problème. Oui, la volatilité des obligations est forte, ce qui a un impact direct sur les écarts de taux. Pour les titres de qualité investissement dans la fourchette inférieure, les triples C ou B, les écarts se creusent jusqu’à plus de 100 points de base à cause de ces évolutions. Les titres du Trésor baissent en même temps qu’ils subissent des pressions à la hausse parce qu’ils comportent un risque plus élevé. Il y a donc un impact direct qui commence à se faire sentir. Mais dans ce type de situation, la plupart des entreprises attendent de voir comment la situation évolue. Elles ne vont pas faire table rase de leurs projets d’investissement et repartir à zéro, mais plutôt attendre un retour au calme. Mais cela indique clairement un regain de prudence. Cela donne à réfléchir. La question dépasse désormais les taux d’intérêt et la réduction de l’inflation. Il faut tenir compte de la sensibilité de taux d’intérêt spécifiques dans certains segments du marché, ce qui montre le degré de complexité. C’est cette situation qui peut davantage inciter les entreprises à la prudence, plutôt que l’événement proprement dit. Beaucoup de gens attendent la décision de la Fed la semaine prochaine. On devrait donc en parler. Le marché tient déjà compte de ces changements dans ses prix. À quoi vous attendez-vous? On attend toujours une hausse d’un quart de point la semaine prochaine. Les marchés misaient plutôt sur 50 points de base avant la faillite de SVB. Désormais, les marchés excluent une telle hausse de leur prix. Ils l’excluent complètement car selon eux, la Fed ne relèvera pas les taux. Après les données d’aujourd’hui sur l’inflation, on voit que les prix remontent. Il y a donc encore de bonnes raisons d’attendre d’autres hausses plus modestes de la Fed. On reste donc sur notre prévision de 25 points de base. Ceci dit, on précise aux gens que tout dépend de la situation le jour ou la veille de la réunion. Si une tempête financière se déclare, la Fed ne relèvera pas les taux d’intérêt. Elle adoptera peut-être l’approche de la Banque du Canada. Attendre, observer, puis reprendre la politique monétaire une fois le calme revenu. Si les marchés financiers sont relativement calmes, sur le plan de la volatilité dans le secteur bancaire, alors la Fed aura tous les arguments économiques pour relever les taux d’intérêt. Il me semble que la Banque du Canada, qui a décidé de marquer une pause, fait preuve d’un peu plus de clairvoyance dans ses choix. Est-ce que cela change quelque chose à notre trajectoire ou aux difficultés auxquelles l’économie canadienne est confrontée? C’est intéressant, parce que la Banque du Canada marque une pause pour surveiller les effets décalés des hausses de taux sur l’économie. Certains diront que la Fed aurait peut-être dû en prendre de la graine. JOURNALISTE : C’était peut-être une question de rythme. Tout à fait. Il est certain que du point de vue de la Banque du Canada, c’est un point à surveiller. C’est un aspect classique de la stabilité du marché. Pour ce qui est de l’économie en tant que telle, à la dernière réunion, la Banque avait évoqué un resserrement marqué des conditions financières. Même si elle a annoncé la suspension des hausses en janvier, les taux obligataires ont monté en flèche, d’environ 80 points de base, depuis cette pause parce qu’ils étaient portés par la vague aux États-Unis. Maintenant que la vague reflue, les taux reculent. C’est un point qu’il faut suivre de très près, car s’il semblait que le resserrement financier venait en partie des États-Unis, on vient de voir un assouplissement du côté des taux obligataires. Au Canada, on n’intègre certainement pas le risque bancaire comme aux États-Unis. Il n’y a donc pas le même degré de resserrement financier du côté du crédit si l’on compare les États-Unis et le Canada. C’est donc quelque chose que la Banque du Canada va surveiller à l’avenir. Mais en fin de compte, il faut savoir ce qui influe sur l’économie réelle. Pour que l’instabilité des marchés financiers ait vraiment un effet sur l’économie réelle, il faut généralement qu’elle persiste beaucoup plus d’un mois. Il faut que cette situation tumultueuse persiste au point qu’elle commence à miner la confiance des entreprises et des ménages, les intentions de placement, puis les intentions d’embauche. Il faut donc qu’elle s’inscrive dans le temps. Ici, l’instabilité ne dure que depuis quelques jours et déjà, de nombreux garde-fous ont été mis en place par la FDIC, la Fed et le Trésor américain. On verra quelle tournure prennent les événements. On remarque déjà un léger effet calmant. Si cette situation ne persiste pas plus d’un mois ou deux, on considérera simplement qu’il s’agissait d’une anomalie ponctuelle. Et l’autre question qui se pose - Je suppose que vous allez surveiller les données sur l’inflation. S’il y a un desserrement, l’inflation risque de se cristalliser aux niveaux actuels au lieu de baisser ou même d’augmenter. Y a-t-il aussi un danger de ce côté? Oui, c’est ce qu’a dit Carolyn Rogers, la première sous-gouverneure. Il y a un risque que l’inflation se ravive. Elle faisait plutôt référence au raffermissement des perspectives mondiales, en Chine en particulier. L’Europe va un peu mieux. On pourrait voir un raffermissement des produits de base. Mais il est certain que si les gens se disent que les taux baissent, que cette baisse se répercute sur les taux hypothécaires et de crédit, et qu’ils se remettent à dépenser, la pause de la Banque du Canada sera de courte durée. Elle devra réagir et prendre des mesures. Je crois qu’il faut simplement attendre de voir si la baisse des taux obligataires s’inscrit dans la durée. Aujourd’hui, on a observé une remontée très rapide d’environ 30 points de base sur un seul élément d’information. Oui, c’est vraiment remarquable de voir de telles fluctuations sur les marchés. Vous avez parlé du marché de l’emploi, des répercussions sur le marché du travail. Le marché est encore en effervescence, voire bouillonnant. En effet. On a eu un rapport sur l’emploi « normal » la semaine dernière, avec un peu plus de 20 000 créations d’emplois. Ce serait une croissance normale si la situation l’était aussi. Mais les deux mois d’avant, il y a eu plus de 200 000 créations d’emplois. Normalement, c’est le nombre de postes créés sur toute une année. On ne veut plus de la normalité. Il nous faut vraiment une forte accalmie. La bonne nouvelle, c’est que cette fois, il n’y a pas eu 150 000 créations d’emplois. La mauvaise, c’est qu’on est loin du ralentissement qui permettrait à la Banque du Canada de penser que l’inflation va continuer à baisser de manière plus durable. J’aurais une remarque toutefois, sur le marché de l’emploi. On commence à voir quelques petites fissures dans le secteur privé. Certains secteurs, comme ceux des professions libérales et de la finance, ont subi des pertes d’emplois pendant deux mois consécutifs. Les créations d’emplois des derniers mois proviennent en fait de ce que l’on appelle les secteurs non cycliques de l’économie. Il s’agit du secteur public, de la santé, de l’éducation et des services publics. Et c’est de là que viennent la plupart des créations d’emplois. On peut en conclure que l’on assiste à un certain essoufflement dans le secteur privé, même s’il est masqué par le pan de l’économie qui ne réagit pas aux taux d’intérêt. Si cet essoufflement se poursuit encore quelques mois, ce sera encourageant pour la Banque du Canada, car c’est un signe que l’inflation due à la hausse des salaires ne persistera pas. [MUSIQUE]