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L’inflation fait grimper les taux d’intérêt, et les marchés sont en proie à des vagues de turbulences. Cette situation est largement attribuable aux pressions sur la chaîne d’approvisionnement mondiale. Greg Bonnell reçoit Juliana Faircloth, analyste du secteur de l’industrie à Gestion de Placements TD. Selon elle, ces tensions incitent le secteur manufacturier à rapatrier les activités en Amérique du Nord.
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[LOGO AUDIO]
Les chaînes d’approvisionnement mondiales ont été mises à rude épreuve pendant la pandémie ce qui incite à relocaliser la production en Amérique du Nord. Mais quel sera l’impact sur les valeurs industrielles et le coût des biens pour les consommateurs? J’accueille Juliana Faircloth, analyste du secteur de l’industrie à Gestion de Placements TD. Juliana, bienvenue. C’est un plaisir de vous recevoir.
Merci. Merci de l’invitation, Greg.
Commençons par la relocalisation. Personne n’a pu échapper aux manchettes sur les difficultés des chaînes d’approvisionnement mondiales pendant la pandémie. Qu’est-ce qu’on entend par relocaliser l’économie?
D’accord. On parle de relocalisation, de rapatriement ou de délocalisation intérieure pour décrire un seul et même phénomène, à savoir le retour des chaînes d’approvisionnement au pays ou à proximité du client final, donc principalement en Amérique du Nord. On peut opposer ce mouvement à celui de la mondialisation, où les entreprises délocalisent la production dans des pays à faibles coûts comme la Chine ou le Vietnam, pour citer des destinations courantes. L’inversement de cette tendance, c’est la relocalisation.
C’était un sujet brûlant pendant la pandémie, qui a remis en question le bien-fondé de faire fabriquer des produits essentiels à l’étranger. Y a-t-il un réel élan vers la relocalisation? Est-ce vraiment un phénomène qui prend de l’ampleur sur le marché?
Oui. Plusieurs facteurs entrent en jeu dans la relocalisation et rendent ce thème tout à fait d’actualité. Le premier, bien sûr, c’est la pandémie, comme vous l’avez dit. Les constructeurs automobiles à court de pièces, les pénuries de lait maternisé au printemps, la saturation des ports qui a fait les manchettes, tout cela témoigne des tensions dans la chaîne d’approvisionnement mondiale. La relocalisation permettrait de gérer en partie ces problèmes et de rendre les chaînes d’approvisionnement plus résilientes.
Le deuxième facteur est vraiment géopolitique. Comme on le sait, il y a des tensions croissantes en Europe. Il y a des tensions croissantes entre la Chine et les États-Unis. Les entreprises se rendent compte qu’une dépendance excessive à l’égard de certains pays peut être préjudiciable à leurs activités.
Enfin, le troisième facteur que les investisseurs doivent garder en tête, c’est que les entreprises nous disent qu’elles songent à relocaliser. Le nombre de fois où les dirigeants ont parlé de relocalisation ou de rapatriement dans leurs conférences téléphoniques trimestrielles a vraiment explosé ces deux derniers trimestres. C’est donc une priorité pour les dirigeants, et les investisseurs doivent en tenir compte.
Ce serait évidemment un bouleversement de nos habitudes en termes de fonctionnement des chaînes d’approvisionnement. Il y aura bien sûr des changements, certains positifs, d’autres négatifs. Intéressons-nous de plus près à ces avantages et inconvénients.
Si la relocalisation prend de l’ampleur, si elle s’installe, quels seront les avantages pour l’écosystème nord-américain?
Bien. Je voudrais souligner trois avantages liés à la relocalisation. Le premier, bien sûr, c’est la résilience de la chaîne d’approvisionnement. Si vous avez une chaîne d’approvisionnement nationale ou régionale, vous êtes plus à l’abri des chocs externes, comme les changements de politique commerciale internationale ou les secousses géopolitiques. Vous bénéficiez d’une certaine protection.
Deuxièmement, et ça explique à mon avis le soutien politique à la relocalisation, c’est potentiellement avantageux pour les économies locales. La relocalisation engendre un effet multiplicateur. Elle contribue à créer des emplois. Elle accroît l’assiette fiscale. Elle peut stimuler l’innovation à cause de la proximité des installations de recherche et développement.
Et le dernier avantage, c’est la baisse des coûts de transport. C’était vraiment d’actualité il y a quelques mois, quand les tarifs de fret maritime ont monté en flèche. Depuis, les tarifs se sont un peu normalisés, et ce facteur pèse moins dans la balance en faveur de la relocalisation. Ceci dit, les entreprises surveillent de plus en plus les émissions tout au long de la chaîne d’approvisionnement, et la réduction des distances contribue à réduire ces émissions.
Je n’y avais pas pensé, mais il y a aussi les objectifs ESG établis au niveau de l’entreprise.
JULIANA FAIRCLOTH : Tout à fait.
Voilà pour les avantages de la relocalisation. Mais y a-t-il aussi des inconvénients?
Bien sûr. Il y a naturellement des inconvénients. Le premier, c’est peut-être le manque de main-d’œuvre qui risque de compliquer la mise en œuvre d’une stratégie de relocalisation. On sait que le marché du travail américain est très tendu. Il faudra trouver des travailleurs qualifiés pour le secteur manufacturier, et ce ne sera peut-être pas évident.
Deuxièmement, c’est une entreprise coûteuse. La relocalisation nécessite d’investir des capitaux. Les coûts d’exploitation seront plus élevés, puisqu’on quitte un pays à faibles coûts pour un pays à coûts plus élevés. Et dans le sillage de cette idée, il y a un risque d’alimenter l’inflation à moyen et à long terme. Si les chaînes d’approvisionnement se régionalisent et que les coûts de production augmentent, cette hausse sera en partie répercutée sur les prix à la consommation. Ça va à l’encontre des décisions politiques pour tenter de lutter contre l’inflation.
Oui, je me suis souvent fait cette réflexion. C’est sans doute simpliste, mais sans cette chaîne d’approvisionnement mondiale qui s’est construite au cours des dernières décennies, on n’aurait sans doute pas trois ou quatre téléviseurs chez soi, parce que si ces téléviseurs étaient produits en Amérique du Nord, ils seraient probablement plus chers. Et comme vous le dites, les entreprises n’absorbent pas ce coût. Elles le répercutent sur l’utilisateur final, c’est-à-dire nous.
Tout à fait.
Quelle position peut-on adopter en tant qu’investisseur, dans les différents secteurs? Où anticipez-vous ces relocalisations? Notre sujet aujourd’hui, ce sont les produits industriels. J’imagine que ce secteur serait le grand gagnant?
Il est certain que le secteur industriel profiterait de cette tendance. Si on résume les répercussions de la relocalisation, ça va se traduire par une hausse des dépenses en immobilisations et des investissements dans la production et les infrastructures industrielles. Et ça favorise la croissance interne des ventes des sociétés industrielles.
Quelques segments du secteur des produits industriels se démarquent et pourraient profiter de cette tendance. D’abord, la machinerie. Comme il faudra bâtir des usines de production, les sociétés qui œuvrent dans la construction devraient profiter de ce contexte. C’est le cas de Caterpillar, par exemple.
Ensuite, les sociétés multi-industrielles. C’est un vaste groupe d’entreprises qui couvrent des marchés finaux très variés, et beaucoup devraient profiter de la tendance à la relocalisation. Si on prend l’exemple des entreprises d’équipement électrique, la société américaine Eaton est bien positionnée. Elle fournit de l’équipement électrique aux usines de production. Honeywell, qui possède une division de logiciels industriels, devrait aussi en profiter. Et les sociétés d’automatisation comme Rockwell Automation ou Schneider en Europe sont sensibles à l’automatisation industrielle. Elles vendent des logiciels d’automatisation. Elles vendent des robots aux usines. Et si les salaires restent élevés en particulier, ces entreprises pourraient en récolter les fruits.
Enfin, même si l’effet est moins direct, le dernier secteur bien placé pour en profiter, ce sont les chemins de fer nord-américains. S’il y a un retour de la production industrielle en Amérique du Nord, c’est positif pour les volumes de fret ferroviaire. C’est le mode de transportdes matières premières et des produits finis. Cette tendance est donc favorable aux chemins de fer.
Il ne faut pas s’attendre à un train à grande vitesse. Les sociétés ne sont pas entièrement –
J’allais vous demander pour quand c’est prévu. Il semble qu’encore une fois, les investisseurs doivent penser à long terme et faire preuve de patience, le temps que cette tendance se confirme.
Tout à fait. Les entreprises ne vont pas bouleverser toute leur chaîne d’approvisionnement et la reconfigurer dans les six prochains mois. Ce n’est pas vraiment ce à quoi on s’attend. Mais si les entreprises décident d’investir progressivement dans leur capacité ou de renforcer la résilience de leur chaîne d’approvisionnement, on verra peut-être un afflux de capitaux au pays, ce qui sera favorable au secteur industriel à moyen terme.
[MUSIQUE DE GÉNÉRIQUE]
Les chaînes d’approvisionnement mondiales ont été mises à rude épreuve pendant la pandémie ce qui incite à relocaliser la production en Amérique du Nord. Mais quel sera l’impact sur les valeurs industrielles et le coût des biens pour les consommateurs? J’accueille Juliana Faircloth, analyste du secteur de l’industrie à Gestion de Placements TD. Juliana, bienvenue. C’est un plaisir de vous recevoir.
Merci. Merci de l’invitation, Greg.
Commençons par la relocalisation. Personne n’a pu échapper aux manchettes sur les difficultés des chaînes d’approvisionnement mondiales pendant la pandémie. Qu’est-ce qu’on entend par relocaliser l’économie?
D’accord. On parle de relocalisation, de rapatriement ou de délocalisation intérieure pour décrire un seul et même phénomène, à savoir le retour des chaînes d’approvisionnement au pays ou à proximité du client final, donc principalement en Amérique du Nord. On peut opposer ce mouvement à celui de la mondialisation, où les entreprises délocalisent la production dans des pays à faibles coûts comme la Chine ou le Vietnam, pour citer des destinations courantes. L’inversement de cette tendance, c’est la relocalisation.
C’était un sujet brûlant pendant la pandémie, qui a remis en question le bien-fondé de faire fabriquer des produits essentiels à l’étranger. Y a-t-il un réel élan vers la relocalisation? Est-ce vraiment un phénomène qui prend de l’ampleur sur le marché?
Oui. Plusieurs facteurs entrent en jeu dans la relocalisation et rendent ce thème tout à fait d’actualité. Le premier, bien sûr, c’est la pandémie, comme vous l’avez dit. Les constructeurs automobiles à court de pièces, les pénuries de lait maternisé au printemps, la saturation des ports qui a fait les manchettes, tout cela témoigne des tensions dans la chaîne d’approvisionnement mondiale. La relocalisation permettrait de gérer en partie ces problèmes et de rendre les chaînes d’approvisionnement plus résilientes.
Le deuxième facteur est vraiment géopolitique. Comme on le sait, il y a des tensions croissantes en Europe. Il y a des tensions croissantes entre la Chine et les États-Unis. Les entreprises se rendent compte qu’une dépendance excessive à l’égard de certains pays peut être préjudiciable à leurs activités.
Enfin, le troisième facteur que les investisseurs doivent garder en tête, c’est que les entreprises nous disent qu’elles songent à relocaliser. Le nombre de fois où les dirigeants ont parlé de relocalisation ou de rapatriement dans leurs conférences téléphoniques trimestrielles a vraiment explosé ces deux derniers trimestres. C’est donc une priorité pour les dirigeants, et les investisseurs doivent en tenir compte.
Ce serait évidemment un bouleversement de nos habitudes en termes de fonctionnement des chaînes d’approvisionnement. Il y aura bien sûr des changements, certains positifs, d’autres négatifs. Intéressons-nous de plus près à ces avantages et inconvénients.
Si la relocalisation prend de l’ampleur, si elle s’installe, quels seront les avantages pour l’écosystème nord-américain?
Bien. Je voudrais souligner trois avantages liés à la relocalisation. Le premier, bien sûr, c’est la résilience de la chaîne d’approvisionnement. Si vous avez une chaîne d’approvisionnement nationale ou régionale, vous êtes plus à l’abri des chocs externes, comme les changements de politique commerciale internationale ou les secousses géopolitiques. Vous bénéficiez d’une certaine protection.
Deuxièmement, et ça explique à mon avis le soutien politique à la relocalisation, c’est potentiellement avantageux pour les économies locales. La relocalisation engendre un effet multiplicateur. Elle contribue à créer des emplois. Elle accroît l’assiette fiscale. Elle peut stimuler l’innovation à cause de la proximité des installations de recherche et développement.
Et le dernier avantage, c’est la baisse des coûts de transport. C’était vraiment d’actualité il y a quelques mois, quand les tarifs de fret maritime ont monté en flèche. Depuis, les tarifs se sont un peu normalisés, et ce facteur pèse moins dans la balance en faveur de la relocalisation. Ceci dit, les entreprises surveillent de plus en plus les émissions tout au long de la chaîne d’approvisionnement, et la réduction des distances contribue à réduire ces émissions.
Je n’y avais pas pensé, mais il y a aussi les objectifs ESG établis au niveau de l’entreprise.
JULIANA FAIRCLOTH : Tout à fait.
Voilà pour les avantages de la relocalisation. Mais y a-t-il aussi des inconvénients?
Bien sûr. Il y a naturellement des inconvénients. Le premier, c’est peut-être le manque de main-d’œuvre qui risque de compliquer la mise en œuvre d’une stratégie de relocalisation. On sait que le marché du travail américain est très tendu. Il faudra trouver des travailleurs qualifiés pour le secteur manufacturier, et ce ne sera peut-être pas évident.
Deuxièmement, c’est une entreprise coûteuse. La relocalisation nécessite d’investir des capitaux. Les coûts d’exploitation seront plus élevés, puisqu’on quitte un pays à faibles coûts pour un pays à coûts plus élevés. Et dans le sillage de cette idée, il y a un risque d’alimenter l’inflation à moyen et à long terme. Si les chaînes d’approvisionnement se régionalisent et que les coûts de production augmentent, cette hausse sera en partie répercutée sur les prix à la consommation. Ça va à l’encontre des décisions politiques pour tenter de lutter contre l’inflation.
Oui, je me suis souvent fait cette réflexion. C’est sans doute simpliste, mais sans cette chaîne d’approvisionnement mondiale qui s’est construite au cours des dernières décennies, on n’aurait sans doute pas trois ou quatre téléviseurs chez soi, parce que si ces téléviseurs étaient produits en Amérique du Nord, ils seraient probablement plus chers. Et comme vous le dites, les entreprises n’absorbent pas ce coût. Elles le répercutent sur l’utilisateur final, c’est-à-dire nous.
Tout à fait.
Quelle position peut-on adopter en tant qu’investisseur, dans les différents secteurs? Où anticipez-vous ces relocalisations? Notre sujet aujourd’hui, ce sont les produits industriels. J’imagine que ce secteur serait le grand gagnant?
Il est certain que le secteur industriel profiterait de cette tendance. Si on résume les répercussions de la relocalisation, ça va se traduire par une hausse des dépenses en immobilisations et des investissements dans la production et les infrastructures industrielles. Et ça favorise la croissance interne des ventes des sociétés industrielles.
Quelques segments du secteur des produits industriels se démarquent et pourraient profiter de cette tendance. D’abord, la machinerie. Comme il faudra bâtir des usines de production, les sociétés qui œuvrent dans la construction devraient profiter de ce contexte. C’est le cas de Caterpillar, par exemple.
Ensuite, les sociétés multi-industrielles. C’est un vaste groupe d’entreprises qui couvrent des marchés finaux très variés, et beaucoup devraient profiter de la tendance à la relocalisation. Si on prend l’exemple des entreprises d’équipement électrique, la société américaine Eaton est bien positionnée. Elle fournit de l’équipement électrique aux usines de production. Honeywell, qui possède une division de logiciels industriels, devrait aussi en profiter. Et les sociétés d’automatisation comme Rockwell Automation ou Schneider en Europe sont sensibles à l’automatisation industrielle. Elles vendent des logiciels d’automatisation. Elles vendent des robots aux usines. Et si les salaires restent élevés en particulier, ces entreprises pourraient en récolter les fruits.
Enfin, même si l’effet est moins direct, le dernier secteur bien placé pour en profiter, ce sont les chemins de fer nord-américains. S’il y a un retour de la production industrielle en Amérique du Nord, c’est positif pour les volumes de fret ferroviaire. C’est le mode de transportdes matières premières et des produits finis. Cette tendance est donc favorable aux chemins de fer.
Il ne faut pas s’attendre à un train à grande vitesse. Les sociétés ne sont pas entièrement –
J’allais vous demander pour quand c’est prévu. Il semble qu’encore une fois, les investisseurs doivent penser à long terme et faire preuve de patience, le temps que cette tendance se confirme.
Tout à fait. Les entreprises ne vont pas bouleverser toute leur chaîne d’approvisionnement et la reconfigurer dans les six prochains mois. Ce n’est pas vraiment ce à quoi on s’attend. Mais si les entreprises décident d’investir progressivement dans leur capacité ou de renforcer la résilience de leur chaîne d’approvisionnement, on verra peut-être un afflux de capitaux au pays, ce qui sera favorable au secteur industriel à moyen terme.
[MUSIQUE DE GÉNÉRIQUE]