La résilience des marchés du travail canadien et américain pourrait indiquer que la lutte pour maîtriser l’inflation est loin d’être terminée. Greg Bonnell et James Marple, économiste principal, Groupe Banque TD, discutent des tendances des marchés du travail et de leurs répercussions sur les taux d’intérêt.
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[LOGO AUDIO] Les récents chiffres solides de l’emploi aux États-Unis et au Canada suggèrent que le ralentissement de la croissance économique espérée par les banques centrales pour réduire l’inflation n’est peut-être pas encore d’actualité. James Marple, économiste principal à la TD se joint à nous aujourd’hui. James, c’est un plaisir de vous avoir avec nous. Creusons un peu la question, car c’est évidemment le message qu’on a entendu des banques centrales. Avant de voir un ralentissement de l’économie, du marché de l’emploi, elles ne peuvent vraiment pas arrêter d’augmenter les taux. Quelle est la situation en ce moment? Eh bien, ça n’a certainement pas eu lieu en octobre, surtout au Canada… où 108 000 emplois ont été créés. Cela a plus que compensé la faiblesse des mois précédents avec une moyenne mobile positive sur cinq mois ou six mois. Le nombre d’emplois n’a jamais été aussi élevé, le choc de la pandémie est donc loin derrière nous. Les gains réels dans l’ensemble des secteurs, des régions et des groupes d’âge, il n’y avait vraiment aucun… aucun point faible dans ce rapport. Le rapport sur la population active est très volatil et on a constaté une certaine faiblesse au cours des mois précédents. Mais à part ça, tout est à fond. Même les salaires ont augmenté, 5,7 %, on a une accélération, ce qui montre à quel point le marché de l’emploi est tendu. Donc, c’est très bien, mais, comme vous l’avez dit, on espère un ralentissement graduel. Et plus il est solide maintenant, moins il sera difficile de freiner plus tard. Du côté des États-Unis, les perspectives sont un peu plus contrastées. On a vu une très bonne croissance des emplois, 266 000… encore une fois la vigueur de l’ensemble des secteurs, tant des services que des biens, crée des emplois. La croissance des salaires a un peu ralenti et au niveau du chômage, c’était un peu plus contrasté. Le taux de chômage a augmenté. L’enquête auprès des ménages, qu’on utilise pour calculer le chômage, a indiqué des pertes d’emploi d’environ 350 000, avec une hausse de 0,2 point de pourcentage du taux de chômage. Mais à 3,7 %, le taux reste très faible par rapport à la normale et on a une dynamique importante dans la création d’emplois… 266 000, ce n’est pas rien. En 2019, avant la pandémie, on était dans les 160 000 donc on a une création d’emplois bien au-delà de la normale, ainsi qu’un taux d’emploi à un sommet historique et un taux de chômage à un creux historique. Avec ces rapports, en particulier celui des États-Unis, comme vous l’avez bien présenté, il y a certains détails sous-jacents, certains experts se sont prononcés sur le sommet de la création d’emplois. Tout comme on se demande depuis plusieurs mois si on a atteint le pic de l’inflation, on se demande maintenant si on a atteint un pic de création d’emplois. Qu’est-ce qu’il faut regarder pour répondre à cette question? Eh bien, il faut regarder le taux mensuel de croissance de l’emploi et, jusqu’à présent, rien n’indique qu’il y a un réel ralentissement. On aimerait qu’il baisse à 160 000 peut-être, même un peu moins. Ce serait bien. Tout montant supérieur exercerait des pressions à la baisse sur le taux de chômage, même si cela ne se manifestait pas au cours du mois, vu les différences entre les sondages. Alors oui, on devrait y être en ce qui concerne le marché de la main-d’œuvre et le taux de chômage. Attention cela dit, car un plus grand nombre de personnes pourraient retourner sur le marché du travail aux États-Unis par rapport au Canada. Malheureusement, cela ne s’est pas produit en octobre. Le taux de participation a légèrement diminué. Si on réussissait à attirer des gens sur le marché du travail, on pourrait peut-être maintenir un taux de croissance de l’emploi supérieur à 100 000 ou 150 000 par mois. Mais si ces signes ne se manifestent pas, il est important de voir la croissance de l’emploi atteindre ces niveaux. Lorsqu’on observe de telles tendances sur le marché du travail, est-ce que cela indique que ces économies, qu’il s’agisse de l’économie canadienne ou de celle des États-Unis, sont capables de faire face à des coûts d’emprunt plus élevés? Elles ont connu des creux historiques tout au long de la pandémie et la vitesse à laquelle elles ont augmenté a été compliquée à gérer, mais l’économie est-elle en train de nous dire que tout va bien avec des taux à ces niveaux? Eh bien, une résilience soutenue, surtout sur le marché de l’emploi, après tout les taux augmentent depuis février, ça fait six mois, et une création d’emplois encore très bonne, ce sont de très solides indicateurs économiques, les meilleurs qui soient. Je pense qu’il est un peu difficile de lire les données sur les retards et les avances parce que, bien sûr, on continue de sortir de la pandémie. On subit encore une partie de ce choc en raison de la structure des dépenses qui n’est pas revenue à la normale. Il y a encore beaucoup d’emplois dans les secteurs des services qui ne sont pas revenus à la normale, même du point de vue du niveau de l’emploi, même si d’autres ont bien dépassé ce stade. C’est donc difficile, mais je pense que cela suggère que, dans l’ensemble, on a une certaine résilience économique, même si l’augmentation des taux d’intérêt a un effet sur le marché du logement et dans une moindre mesure sur les ventes d’automobiles et d’autres secteurs sensibles aux taux d’intérêt. Mais il est très difficile d’obtenir une vision globale. On n’est pas en récession en ce moment, et on ne le sera probablement pas d’ici la fin de l’année. L’économie fait preuve d’une résilience importante. Les emplois, c’est évidemment très important, mais également les données les plus récentes sur l’inflation qu’on devrait avoir en fin de semaine. Et c’est aussi important pour les investisseurs pour jauger la situation, avons-nous atteint un pic d’inflation? À quelle vitesse est-ce qu’elle baisse? Jusqu’à présent, le marché de l’emploi est vigoureux aux États-Unis. Peut-on s’attendre à une forte remontée de l’inflation ou est-ce que ça va continuer comme ça un moment? Cela va sûrement prendre du temps et on le voit dans la différence entre l’inflation globale et le taux d’inflation de base aux États-Unis. L’inflation globale a atteint un sommet. Elle devrait même diminuer un peu plus au cours du prochain mois, probablement à environ 8 %. Ce sera en partie dû au repli des prix de l’énergie après le choc russe. Mais ailleurs, on observe une vigueur soutenue. Les prix des aliments n’ont montré aucun signe de ralentissement et les prix de base, à l’exclusion des aliments et de l’énergie, en particulier les prix des services de base, ont été très solides le mois dernier et ils le seront probablement de nouveau ce mois-ci. Et c’est en partie de cette façon que l’IPC est constitué aux États-Unis. Une grande partie de la mesure de base mise est l’inflation du logement. L’inflation des logements accuse un retard important, même dans les loyers du marché et les loyers demandés, elle n’a pas encore atteint un sommet, donc les pressions à la hausse continueront sur cette mesure de base. Donc on pense qu’on va probablement avoir des taux d’inflation de base autour de 6 et 1/2 % jusqu’à la fin de l’année. Et, bien sûr, cela représente un défi pour la banque centrale, car elle veut que l’inflation commence à baisser, en particulier les mesures sous-jacentes de l’inflation de base. Le taux d’inflation sous-jacent est un terme que le président a utilisé lors de sa réunion. Oui, avant toutes les décisions relatives aux taux, jusqu’à la dernière, on s’attend vraiment à la hausse de taux qu’on obtient. Mais ensuite, il faudra reconnaître qu’il faudrait peut-être ralentir un peu. On doit peut-être réfléchir à ce qu’on a fait. Jerome Powell a été assez sévère après cette décision. La décision paraissait même peut-être conciliante avant sa déclaration. On dirait bien qu’elle va devoir encore se battre, et il ne devrait pas y avoir de soulagement de sitôt pour les personnes qui espèrent un changement magique. Oui. Oui, absolument. Le changement, c’est qu’on a augmenté les taux de 75 points de base. Peut-être qu’on ne va pas aller jusqu’aux 75. Pour la prochaine réunion, on sera à 50. Mais, d’après son message, on pourrait avoir 50, puis 25, 25, 25, 25 et encore 25. Le taux final… Il y a toujours des hausses. Oui, il y a toujours des hausses et on n’a pas encore atteint le taux final prévu. En fait, il a neutralisé toute notion de virage et indiqué que le taux est probablement plus élevé maintenant qu’on le pensait lors de la dernière réunion en septembre. Bref, dans l’ensemble, c’est conforme aux données économiques qu’on a vues. C’était même avant, la déclaration s’est faite avant les données sur l’emploi, bien qu’on s’attendait à ce qu’elles soient fortes. Mais, oui, cet entêtement de l’inflation et la vigueur soutenue des marchés de l’emploi signifient qu’il va falloir aller un peu plus loin pour réussir à réduire l’inflation. [LOGO AUDIO] [MUSIQUE]