La Russie a mis à exécution sa menace d’attaquer l’Ukraine, ce qui a entraîné des ventes massives sur les marchés. Anthony Okolie et Michael Craig, chef, Répartition des actifs et Produits dérivés, Gestion de Placements TD, discutent des enjeux pour les investisseurs à court et à long terme.
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La Russie a mis à exécution sa menace d’attaquer l’Ukraine. Outre les pertes humaines auxquelles il faut s’attendre, on assiste sans surprise à des ventes massives sur tous les marchés. J’accueille Michael Craig, chef, Répartition des actifs, Gestion de Placements TD. Mike, que pensez-vous de la réaction du marché face à l’invasion russe en Ukraine?
Bonjour, Tony. C’est une réaction typique après un acte de guerre. Les valeurs refuges, les obligations d’État, l’or, le dollar US et le yen s’envolent. On assiste à des ventes massives d’actions sur les marchés mondiaux, en particulier en Europe. C’est sans doute la région la plus durement touchée en ce moment. Et sans parler bien sûr du marché boursier russe qui a reculé de 25 % ce matin.
Les pays occidentaux ont l’intention de durcir les sanctions. Qu’est-ce que ça veut dire pour l’Europe et l’Amérique du Nord?
Je crois que l’économie européenne va souffrir plus que les autres. Et c’est à cause de l’approvisionnement en énergie et en gaz naturel russe. S’il y a un risque de récession à court terme, il se situe sans doute dans la région européenne.
En Amérique du Nord, sur le plan commercial, cette crise entame surtout la confiance. Mais en dehors du secteur des produits de base, je ne sais pas s’il y aura un impact énorme sur la croissance économique nord-américaine. Pour le moment, c’est vraiment une problématique européenne. Et à mon avis, c’est surtout la croissance européenne qui va accuser le coup.
On observe une flambée des prix du pétrole et du gaz, mais aussi du blé et de certains métaux à cause des perturbations de l’offre. Qu’est-ce que vous anticipez?
Ce qui découle de cette crise, et on va en parler de plus en plus, c’est que cette guerre exacerbe les pressions sur un marché des produits de base déjà extrêmement tendu. La Russie est un grand producteur de pétrole. Le prix du pétrole a augmenté de 7,00 $ ce matin. La Russie est le principal fournisseur de gaz naturel de l’Europe. Le gazoduc Nord Stream 2 est suspendu jusqu’à nouvel ordre. Et l’Allemagne utilise environ... 40 % de son gaz provient de la Russie. C’est un sérieux problème.
Vous avez parlé du blé. L’Ukraine et la Russie sont un peu les greniers de l’Europe, et le prix du blé est en train de grimper. Et n’oublions pas que la Russie est l’un des plus grands fournisseurs de métaux de base au monde. Tous ces produits de base sont en forte hausse ce matin, parce que les marchés prennent conscience que les sanctions auront un effet durable sur les chaînes d’approvisionnement et les produits de base.
Quel sera l’impact sur l’inflation et les hausses de taux des banques centrales? Qu’en pensez-vous?
Pour ce qui est de l’inflation, il faut vraiment distinguer les facteurs qui l’alimentent. L’inflation peut résulter d’une demande excessive, parce que la croissance s’emballe alors que l’offre est insuffisante. Ou alors, elle peut résulter de pénuries à l’échelle mondiale.
On serait dans la deuxième situation. De notre point de vue, c’est presque un impôt sur la croissance. Si votre plein d’essence coûte deux fois plus cher, vous allez limiter votre consommation ailleurs et la croissance sera plus faible. Il y a donc un facteur qui, au départ, déclenche l’inflation.
Mais il y a un risque que l’on entre dans un état de stagflation, où les prix de certains biens dérivés des produits de base sont élevés, mais la croissance reste timide parce que l’offre est insuffisante pour répondre à la demande globale. On est donc dans un scénario très différent de celui des épisodes inflationnistes précédents. Ici, on a des marchés des produits de base tendus et un fournisseur majeur de produits de base qui sort du système de commerce mondial.
J’aimerais que l’on parle du conflit. S’il s’éternise, quelles seront les conséquences pour les marchés?
Les marchés détestent l’incertitude. Et je crois qu’ils ont un peu trop minimisé le risque d’un conflit. C’est en partie ce qui explique la réaction aussi vive d’aujourd’hui, en particulier sur les marchés de l’or et des obligations. Il y a eu des ventes massives d’obligations presque toute l’année. Et ce matin, on assiste à une volte-face.
On risque de s’enfoncer dans un bourbier. L’Ukraine n’est pas... L’armée ukrainienne est bien entraînée. Elle compte environ un quart de million de soldats. C’est certainement moins que la Russie. Mais à long terme, l’État russe risque de s’enliser dans un bourbier. Ce qui ne fera qu’alimenter l’incertitude. Et je crois que le plus... La conséquence la plus évidente, c’est une croissance européenne anémique dans les mois qui viennent.
Voilà pour notre réaction initiale. De toute évidence, ce n’est qu’un début. On est dans le brouillard de la guerre. On ne sait pas vraiment ce que la Russie espère tirer de ce conflit, à part décapiter l’État ukrainien au moyen d’une intervention militaire pour imposer une gouvernance et un régime plus favorable à la Russie ou plus axé sur l’Est. C’est mon impression initiale. Mais rien n’est clair en ce moment. Et les marchés resteront très volatils tant qu’il n’y aura pas plus de clarté.
Ce conflit incite-t-il à accélérer la transition énergétique?
Absolument. Je crois que désormais, on comprend bien que l’Europe a fait fausse route en séparant les fronts économiques et géopolitiques : avec la Russie, l’énergie a toujours fait partie de l’équation. Et maintenant, ils vont devoir composer avec une hausse marquée des prix de l’énergie. Ils vont devoir entrer en concurrence sur les marchés du gaz naturel liquéfié. L’Europe va devoir acheter du gaz liquéfié plutôt que du gaz russe.
En fin de compte, je crois que... Dans ce genre de situation, il y a un adage qui me vient à l’esprit. La stabilité engendre l’instabilité. Et l’instabilité engendre la stabilité. Je m’attends à ce que... L’Occident a dérivé dans différentes directions au fil des ans. Il y a eu un manque de leadership.
À mon sens, cette crise va renforcer la détermination des pays occidentaux. Et elle va certainement accélérer l’abandon des combustibles fossiles en Europe, tout simplement parce que c’est une question de survie. Je ne veux pas prendre une situation tragique à la légère, mais le secteur de l’énergie renouvelable va sans doute en bénéficier à long terme.
Compte tenu de ces événements, du point de vue de la répartition de l’actif, comment abordez-vous ces marchés?
C’est incroyablement difficile. Depuis quelques trimestres, on réduit la pondération des actions et on augmente celle des obligations, tout simplement parce qu’il y a eu des ventes massives d’obligations. On n’a pas de boule de cristal et on n’a pas prédit ce fiasco. En ce moment, vous verrez qu’aujourd’hui, la valeur d’un portefeuille équilibré sera en baisse. Mais les pertes des rendements seront fortement compensées par la remontée des titres à revenu fixe. Ce qui ramène à l’intérêt de la diversification.
Le marché était difficile en début d’année. Mais certaines catégories d’actif se sont vendues plus que d’autres. D’où l’importance d’avoir un portefeuille multiactifs pour résister à des contextes comme celui-ci où, bien sûr, tous les marchés plongent, mais ce n’est pas aussi catastrophique que si vous aviez tout misé sur un secteur qui est particulièrement touché. La diversification est donc essentielle, surtout en période de crise. Oui, vous encaissez des pertes, mais vous enregistrez des gains ailleurs grâce à cette diversification.
Michael, si je m’inquiète pour mes objectifs de retraite à long terme, à quelles conséquences est-ce que je dois m’attendre?
Les conflits géopolitiques antérieurs, hormis les deux guerres mondiales, ont créé beaucoup de volatilité, mais assez peu de répercussions négatives à long terme sur la croissance. Pour les investisseurs qui ont un horizon sur plusieurs années... C’est une journée très difficile et l’année risque d’être morose, mais je ne crois pas qu’il y aura un fort impact sur le rendement de vos placements à long terme.
Si vous accusez une perte au cours d’une période, vous êtes en position pour profiter de nouveaux rendements au cours de la prochaine. En revanche, si vous avez des placements à court terme, il faut y réfléchir. Tout est dans la façon dont vous structurez vos placements. Mais pour les investisseurs à long terme, je ne crois pas qu’il y aura d’impact important sur les rendements.
Michael, merci beaucoup d’avoir répondu à ces questions.
Ça fait plaisir, Tony. Prenez soin de vous.
[MUSIQUE]
Bonjour, Tony. C’est une réaction typique après un acte de guerre. Les valeurs refuges, les obligations d’État, l’or, le dollar US et le yen s’envolent. On assiste à des ventes massives d’actions sur les marchés mondiaux, en particulier en Europe. C’est sans doute la région la plus durement touchée en ce moment. Et sans parler bien sûr du marché boursier russe qui a reculé de 25 % ce matin.
Les pays occidentaux ont l’intention de durcir les sanctions. Qu’est-ce que ça veut dire pour l’Europe et l’Amérique du Nord?
Je crois que l’économie européenne va souffrir plus que les autres. Et c’est à cause de l’approvisionnement en énergie et en gaz naturel russe. S’il y a un risque de récession à court terme, il se situe sans doute dans la région européenne.
En Amérique du Nord, sur le plan commercial, cette crise entame surtout la confiance. Mais en dehors du secteur des produits de base, je ne sais pas s’il y aura un impact énorme sur la croissance économique nord-américaine. Pour le moment, c’est vraiment une problématique européenne. Et à mon avis, c’est surtout la croissance européenne qui va accuser le coup.
On observe une flambée des prix du pétrole et du gaz, mais aussi du blé et de certains métaux à cause des perturbations de l’offre. Qu’est-ce que vous anticipez?
Ce qui découle de cette crise, et on va en parler de plus en plus, c’est que cette guerre exacerbe les pressions sur un marché des produits de base déjà extrêmement tendu. La Russie est un grand producteur de pétrole. Le prix du pétrole a augmenté de 7,00 $ ce matin. La Russie est le principal fournisseur de gaz naturel de l’Europe. Le gazoduc Nord Stream 2 est suspendu jusqu’à nouvel ordre. Et l’Allemagne utilise environ... 40 % de son gaz provient de la Russie. C’est un sérieux problème.
Vous avez parlé du blé. L’Ukraine et la Russie sont un peu les greniers de l’Europe, et le prix du blé est en train de grimper. Et n’oublions pas que la Russie est l’un des plus grands fournisseurs de métaux de base au monde. Tous ces produits de base sont en forte hausse ce matin, parce que les marchés prennent conscience que les sanctions auront un effet durable sur les chaînes d’approvisionnement et les produits de base.
Quel sera l’impact sur l’inflation et les hausses de taux des banques centrales? Qu’en pensez-vous?
Pour ce qui est de l’inflation, il faut vraiment distinguer les facteurs qui l’alimentent. L’inflation peut résulter d’une demande excessive, parce que la croissance s’emballe alors que l’offre est insuffisante. Ou alors, elle peut résulter de pénuries à l’échelle mondiale.
On serait dans la deuxième situation. De notre point de vue, c’est presque un impôt sur la croissance. Si votre plein d’essence coûte deux fois plus cher, vous allez limiter votre consommation ailleurs et la croissance sera plus faible. Il y a donc un facteur qui, au départ, déclenche l’inflation.
Mais il y a un risque que l’on entre dans un état de stagflation, où les prix de certains biens dérivés des produits de base sont élevés, mais la croissance reste timide parce que l’offre est insuffisante pour répondre à la demande globale. On est donc dans un scénario très différent de celui des épisodes inflationnistes précédents. Ici, on a des marchés des produits de base tendus et un fournisseur majeur de produits de base qui sort du système de commerce mondial.
J’aimerais que l’on parle du conflit. S’il s’éternise, quelles seront les conséquences pour les marchés?
Les marchés détestent l’incertitude. Et je crois qu’ils ont un peu trop minimisé le risque d’un conflit. C’est en partie ce qui explique la réaction aussi vive d’aujourd’hui, en particulier sur les marchés de l’or et des obligations. Il y a eu des ventes massives d’obligations presque toute l’année. Et ce matin, on assiste à une volte-face.
On risque de s’enfoncer dans un bourbier. L’Ukraine n’est pas... L’armée ukrainienne est bien entraînée. Elle compte environ un quart de million de soldats. C’est certainement moins que la Russie. Mais à long terme, l’État russe risque de s’enliser dans un bourbier. Ce qui ne fera qu’alimenter l’incertitude. Et je crois que le plus... La conséquence la plus évidente, c’est une croissance européenne anémique dans les mois qui viennent.
Voilà pour notre réaction initiale. De toute évidence, ce n’est qu’un début. On est dans le brouillard de la guerre. On ne sait pas vraiment ce que la Russie espère tirer de ce conflit, à part décapiter l’État ukrainien au moyen d’une intervention militaire pour imposer une gouvernance et un régime plus favorable à la Russie ou plus axé sur l’Est. C’est mon impression initiale. Mais rien n’est clair en ce moment. Et les marchés resteront très volatils tant qu’il n’y aura pas plus de clarté.
Ce conflit incite-t-il à accélérer la transition énergétique?
Absolument. Je crois que désormais, on comprend bien que l’Europe a fait fausse route en séparant les fronts économiques et géopolitiques : avec la Russie, l’énergie a toujours fait partie de l’équation. Et maintenant, ils vont devoir composer avec une hausse marquée des prix de l’énergie. Ils vont devoir entrer en concurrence sur les marchés du gaz naturel liquéfié. L’Europe va devoir acheter du gaz liquéfié plutôt que du gaz russe.
En fin de compte, je crois que... Dans ce genre de situation, il y a un adage qui me vient à l’esprit. La stabilité engendre l’instabilité. Et l’instabilité engendre la stabilité. Je m’attends à ce que... L’Occident a dérivé dans différentes directions au fil des ans. Il y a eu un manque de leadership.
À mon sens, cette crise va renforcer la détermination des pays occidentaux. Et elle va certainement accélérer l’abandon des combustibles fossiles en Europe, tout simplement parce que c’est une question de survie. Je ne veux pas prendre une situation tragique à la légère, mais le secteur de l’énergie renouvelable va sans doute en bénéficier à long terme.
Compte tenu de ces événements, du point de vue de la répartition de l’actif, comment abordez-vous ces marchés?
C’est incroyablement difficile. Depuis quelques trimestres, on réduit la pondération des actions et on augmente celle des obligations, tout simplement parce qu’il y a eu des ventes massives d’obligations. On n’a pas de boule de cristal et on n’a pas prédit ce fiasco. En ce moment, vous verrez qu’aujourd’hui, la valeur d’un portefeuille équilibré sera en baisse. Mais les pertes des rendements seront fortement compensées par la remontée des titres à revenu fixe. Ce qui ramène à l’intérêt de la diversification.
Le marché était difficile en début d’année. Mais certaines catégories d’actif se sont vendues plus que d’autres. D’où l’importance d’avoir un portefeuille multiactifs pour résister à des contextes comme celui-ci où, bien sûr, tous les marchés plongent, mais ce n’est pas aussi catastrophique que si vous aviez tout misé sur un secteur qui est particulièrement touché. La diversification est donc essentielle, surtout en période de crise. Oui, vous encaissez des pertes, mais vous enregistrez des gains ailleurs grâce à cette diversification.
Michael, si je m’inquiète pour mes objectifs de retraite à long terme, à quelles conséquences est-ce que je dois m’attendre?
Les conflits géopolitiques antérieurs, hormis les deux guerres mondiales, ont créé beaucoup de volatilité, mais assez peu de répercussions négatives à long terme sur la croissance. Pour les investisseurs qui ont un horizon sur plusieurs années... C’est une journée très difficile et l’année risque d’être morose, mais je ne crois pas qu’il y aura un fort impact sur le rendement de vos placements à long terme.
Si vous accusez une perte au cours d’une période, vous êtes en position pour profiter de nouveaux rendements au cours de la prochaine. En revanche, si vous avez des placements à court terme, il faut y réfléchir. Tout est dans la façon dont vous structurez vos placements. Mais pour les investisseurs à long terme, je ne crois pas qu’il y aura d’impact important sur les rendements.
Michael, merci beaucoup d’avoir répondu à ces questions.
Ça fait plaisir, Tony. Prenez soin de vous.
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