
La Réserve fédérale américaine a une nouvelle fois relevé son taux directeur de 25 points de base et laisse entrevoir une approche plus prudente à l’égard de nouvelles hausses de taux. Anthony Okolie reçoit Hafiz Noordin, gestionnaire de portefeuille à Gestion de Placements TD, pour discuter de la décision de la Fed et de son engagement à réduire l’inflation.
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[LOGO SONORE] Hafiz, la Fed a relevé ses taux de 25 points de base. Ce n’est pas vraiment une surprise. Mais elle laisse aussi entendre une pause dans les hausses de taux. Qu’est-ce que vous retenez surtout aujourd’hui? Dans l’ensemble, il n’y a pas vraiment de surprise, comme vous l’avez dit. Le ton du communiqué semble désormais un peu plus conciliant. Même si le taux a augmenté de 25 points de base, la Fed a omis de mentionner des hausses supplémentaires. Elle a donc modéré son discours de sorte à indiquer qu’essentiellement, ses décisions dépendront un peu plus des données futures. Mais durant la conférence de presse, le président Powell a équilibré ces déclarations avec un peu de fermeté, en soulignant que l’inflation est forte et qu’un volet important de son mandat consiste à la maîtriser. Dans l’ensemble, le communiqué est assez équilibré et indique vraiment que les futures décisions dépendront des données. Après ce communiqué équilibré, comment a réagi le marché? Que révèlent les taux obligataires américains sur l’évolution des taux d’intérêt? Les taux obligataires n’étaient pas trop volatils aujourd’hui. C’est une bonne chose, au sens où cette décision concorde avec les attentes du marché. Au-delà de cette hausse, le marché ne s’attend pas à grand-chose en juin et juillet. En revanche, à l’approche du mois de septembre, le marché s’attend toujours à une première baisse des taux, puis à deux autres d’ici la fin de l’année. Ce qui reste conforme à ce qui prévalait avant la réunion. Le marché anticipe encore un ralentissement de l’inflation et de la croissance, ce qui contraindrait la Fed à commencer à réduire ses taux en septembre. La perspective d’une baisse de taux est-elle trop optimiste, selon vous, à la lumière de ce communiqué équilibré? Des risques pèsent indéniablement dans les deux sens. Il n’y a pas qu’un seul scénario. On ne se dirige pas forcément vers une baisse de l’inflation et de la croissance. Les risques sont bien réels. La liquidité est très faible sur le marché des titres du Trésor. Il est donc difficile de lire les bons signaux en ce moment. Je dirais qu’assurément, il y a toujours la possibilité qu’à mesure que les données nous parviennent, l’inflation et les salaires ne fléchissent pas autant que le marché l’attend. Et il n’y aurait pas de baisse de taux cette année. Mais si l’inflation continue de baisser, si l’inflation de base diminue, et plus particulièrement si le marché de l’emploi commence à s’essouffler, je crois que cela donnera raison au marché et que les taux baisseront, sachant que la Fed conserve une politique restrictive à l’égard du taux directeur. On passe d’une approche très restrictive à une approche relativement restrictive. Vous avez parlé de l’inflation. La Fed a déclaré que l’inflation demeure une priorité. Mais elle a aussi pris acte d’autres difficultés, notamment la crise bancaire, et l’affaiblissement de la croissance économique. Mais comme vous l’avez dit, le marché de l’emploi reste très résilient. Comment la Fed compose-t-elle avec tous ces facteurs contraires? Elle doit trouver un juste équilibre en analysant les données objectives qui permettent de regarder dans le rétroviseur, de comprendre les évolutions récentes au niveau du marché de l’emploi, de la consommation et de la confiance des entreprises. Mais elle doit aussi examiner les indicateurs précurseurs pour tous les pans de l’économie pour évaluer ce que la Fed a mentionné dans son communiqué, à savoir l’effet cumulatif futur du resserrement de la politique monétaire sur l’économie. Elle doit aussi surveiller le resserrement des conditions de crédit bancaire, et dans quelle mesure ce resserrement réduit la croissance économique. Elle doit examiner ces indicateurs précurseurs, car elle sait que même si elle amorce une baisse des taux maintenant, il faudra plusieurs trimestres avant de voir les effets sur le marché. Elle doit donc se montrer proactive et ne pas rester trop ferme trop longtemps, au risque de conduire l’économie à une récession plus profonde qu’elle ne l’anticipe actuellement. À propos des quatre indicateurs précurseurs, quels sont d’après vous les principaux risques qui vont peser sur les perspectives de la Fed? L’un des grands risques, c’est très certainement l’inflation. La Fed s’attend à ce que le processus déflationniste se poursuive. Le marché lui-même anticipe que l’inflation va se modérer pour se situer entre 3 % à 4 % d’ici la fin de l’année et se rapprocher de 2 % dans les deux prochaines années. C’est certainement le grand risque qui fait pencher du côté de la fermeté. La banque centrale maintiendrait son taux inchangé plus longtemps, ou devrait peut-être même procéder à de nouvelles hausses. On ne peut pas exclure ce scénario. Mais l’autre scénario clé auquel j’ai déjà fait un peu allusion, c’est celui d’une erreur de politique de la part de la Fed qui maintiendrait son taux trop longtemps et provoquerait un effondrement de l’économie à cause de taux d’emprunt très élevés. Si la Fed se focalise trop sur les données rétrospectives de l’inflation et que les chiffres semblent élevés, elle risque de passer à côté du fait que le resserrement produit déjà les effets escomptés. Elle doit donc veiller à ne pas tomber dans un resserrement excessif. D’accord. Parlons du dollar américain qui affichait une tendance à la baisse avant cette décision de la Fed. Comment le dollar américain va-t-il se comporter, d’autant que la Fed a laissé présager une pause dans le cycle de hausse des taux? Eh bien, si rien ne change par ailleurs, le dollar américain devrait rester stable ou fléchir en raison de cette pause de la Fed. Mais à l’échelle mondiale, la Banque centrale européenne continue d’augmenter les taux. Là-bas, le débat porte sur une hausse de 25 ou 50 points de base. L’Europe est encore en cycle haussier. Et la Banque du Japon, par exemple, en est encore au tout début du resserrement de sa politique monétaire. Il est donc possible que d’autres devises s’apprécient par rapport au dollar américain. Et du point de vue de la croissance, si les effets du resserrement se font sentir plus tôt aux États-Unis, alors que dans d’autres parties du monde, les conditions de crédit ne sont pas aussi strictes, la croissance américaine sera logiquement à la traîne sur celle des autres pays. Tous ces facteurs laissent augurer un affaiblissement du dollar américain. Mais n’oublions pas que le dollar a déjà reculé d’environ 10 % par rapport au sommet du troisième ou quatrième trimestre 2022. Cela signifie que maintenant, beaucoup de l’argent facile à gagner l’a déjà été par le biais des ventes à découvert. À l’heure actuelle, je pense qu’il reste un peu de résilience à court terme. Mais globalement, le dollar américain devrait probablement s’affaiblir à moyen terme. Hafiz, merci beaucoup du temps que vous nous avez accordé. Merci beaucoup. [MUSIQUE]