La récente volatilité du secteur bancaire a placé la Réserve fédérale en situation de croisée des chemins, celle-ci devant trouver un équilibre entre la stabilité financière et l’inflation. Greg Bonnell discute avec James Marple, économiste principal à la TD, de la trajectoire à venir et des perspectives économiques assombries auxquelles la Fed est confrontée.
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Bien sûr, la Réserve fédérale américaine a augmenté les taux d’intérêt de 25 points de base. D’autres banques mondiales ont apporté des changements semblables dans la foulée. Et cela s’ajoute, bien sûr, au fait que les décideurs doivent aussi composer avec une vague de turbulences dans le secteur bancaire. Cela nous indique-t-il qu’on s’approche peut-être de la fin du cycle de relèvement des taux? Nous allons examiner tout ça.
James Marple, économiste principal à la TD, se joint à nous pour nous partager son point de vue. James, c’est un plaisir de vous retrouver. On est encore en train d’examiner, je suppose, les répercussions de ce que la Fed a annoncé. Quelles sont vos conclusions?
Eh bien, je crois qu’en fin de compte, elle a pris la bonne décision. Je pense que le marché prévoyait une hausse de 25 points de base, et c’est ce qu’elle a fait. Il y a eu des spéculations, mais elles ont été mises de côté en raison des turbulences sur les marchés financiers. Mais, fait intéressant, avant tous les récents événements liés aux fonds communs de créances et à d’autres facteurs, on s’attendait même à ce qu’il y ait une hausse pouvant atteindre jusqu’à 50 points. Et les données économiques publiées au début de l’année auraient certainement justifié une partie de ça. On a observé une croissance de l’emploi nettement supérieure aux attentes et à un rythme plus rapide que prévu, compte tenu du taux de chômage actuel, mais aussi une inflation persistante, que la Fed tente d’amener à 2 %. D’autres hausses auraient été envisageables, mais elles auraient évidemment été neutralisées par ce qu’on a observé dans le secteur bancaire.
Oui, il semble que l’effondrement de la Silicon Valley Bank... la signature de l’inquiétude à l’égard de certaines des banques régionales américaines. Ça lui a certainement fait taire ses propos musclés. Parce qu’elle a tenu ce discours-là il y a seulement deux semaines. C’est à ce moment-là que Jerome Powell était à Washington et qu’il disait qu’il fallait peut-être aller plus loin que prévu en ce qui concerne les taux, en suggérant une hausse de 50 points. Et tout ça a été réduit à néant. Et maintenant, le marché essaie de déterminer si c’est terminé ou non.
Mais comme vous l’avez dit, la conjoncture économique... les données sur le chômage ont été publiées ce matin. Et le marché de l’emploi demeure tendu aux États-Unis. La route à venir semble assez difficile pour la Fed.
Bien sûr, ça a même été reflété à la fois dans la déclaration et dans la conférence de presse subséquente du président, qui a vraiment souligné l’incertitude à laquelle la Fed elle-même, mais tous les prévisionnistes économiques, sont confrontés dans le contexte actuel. Ce que je veux dire, c’est qu’il faut essayer de déterminer dans quelle mesure ce resserrement et les conditions financières vont probablement se traduire par un resserrement des normes de crédit, en particulier pour certaines de ces petites banques qui ont subi des pressions, et ce que ça va signifier pour l’économie réelle. Et il n’y a pas grand-chose à faire par rapport à ça.
Évidemment, on peut essayer d’examiner les corrélations historiques. Mais, à bien des égards, il s’agit d’une situation sans précédent, compte tenu de la vitesse à laquelle les choses se sont passées et de tous les changements qui se sont produits dans le secteur des services financiers au cours de la décennie. C’est donc un peu difficile à déterminer.
Mais je pense qu’on peut dire que si, lorsque les conditions financières et que les normes de crédit sont resserrées, la croissance des prêts, la demande et l’activité économique ont tendance à diminuer, parce que, d’une certaine façon, ça remplace ce que la Fed tentait de faire en relevant les taux d’intérêt. Il me semble donc logique qu’elle dise que nous sommes peut-être près de la fin. Il faut évidemment surveiller de très près les données économiques, mais aussi certaines des données de haute fréquence qu’on observe en ce qui a trait aux dépôts et à la croissance des prêts, en particulier les prêts commerciaux et industriels, les prêts immobiliers commerciaux, où certaines de ces petites banques sont très importantes pour ces secteurs.
Alors oui, attendons de voir ce qui va se passer avant que les choses se calment. Est-ce que ça revient à la normale? Ou va-t-il y avoir une autre surprise? Malheureusement, je ne crois pas que qui que ce soit ait la réponse à cette question.
Oui, ce serait bien d’avoir les réponses à l’avance. Ça faciliterait grandement les choses. Dans le sillage de la Fed, il y a la Banque d’Angleterre. La Banque nationale suisse augmente aussi les taux. Mais ici, au Canada, nous sommes sur pause.
Et on a obtenu le procès-verbal de la Banque du Canada à ce sujet. Nous ne sommes pas habitués à obtenir le procès-verbal de notre banque centrale. Je pense que ce n’est que la deuxième fois. Est-ce qu’on recueille des renseignements à partir de ça, quant à ce qu’elle pourrait envisager à l’avenir?
Oui, en effet, c’était drôle. Elle a publié son compte rendu à 13 h 30. Et la Fed était toujours...
Oui, on se disait : « Regardez-la devancer la Fed pour essayer de recevoir tout le crédit. »
Oui, je ne m’en suis même pas rendu compte tout de suite, parce qu’on était tellement concentrés sur la Fed. Mais oui, un peu plus d’éléments, rien de trop surprenant. On a lu ses réflexions sur l’inflation et sur ce qu’il fallait pour que l’inflation descende vers sa cible, ce qui témoigne en partie de la vigueur soutenue du marché de l’emploi. Mais elle a fait quelques déclarations.
En ce qui concerne l’inflation, il est intéressant de savoir qu’elle voit des signes indiquant que les attentes d’inflation ont augmenté au-dessus d’un niveau qui, selon elle, est compatible avec l’atteinte de sa cible de 2 %. Et elle doit voir une partie de ça se produire. De même, sur le plan des salaires, la croissance des salaires est plus élevée que ce qui est conforme à sa cible d’inflation de 2 %. Et bien sûr, compte tenu de ce qu’on a vu sur le marché du travail, une croissance de l’emploi très forte et un taux de chômage à un creux record, il n’y a aucun signe que cela va disparaître de sitôt.
Alors oui, elle est sur pause, mais je pense qu’il y a probablement un certain risque dans les deux sens en ce qui concerne la politique. Comme elle l’a reconnu dans sa déclaration, et on le sait, l’économie canadienne est plus sensible aux taux d’intérêt. Et nos propres prévisions laissent entrevoir une certaine contre-performance par rapport aux États-Unis. Il est donc logique qu’elle demeure sur pause. Et maintenant, compte tenu de l’incertitude qui règne sur les marchés financiers et de la contagion qu’on verra au Canada, une approche attentiste est, selon moi, très logique.
Elle nous dit depuis le début que pour réduire l’inflation, elle devra voir les effets de toutes ces fortes hausses de taux. Et l’effet le plus importante serait les difficultés sur le marché du travail. J’ai brièvement mentionné que les dernières données sur le chômage aux États-Unis indiquaient toujours un marché très vigoureux dans ce pays. Comment se fait-il que le marché du travail ne soit pas aussi faible? Je pense que certaines des banques centrales se posent des questions en ce moment, car ce n’est toujours pas le cas.
Eh bien, je crois que c’est une bonne question. Je pense qu’on a toujours constaté que le marché du travail accuse un retard par rapport à certains autres indicateurs de l’activité économique réelle. Et on a certainement vu des signes de ralentissement de l’activité réelle. Mais certainement, je pense que la pandémie et certaines des perturbations qu’on a observées ont rendu les prévisions encore plus difficiles et ont probablement changé certaines des données sur les retards et les avances dans les variables économiques. Et c’est un peu un mystère.
L’activité économique ralentit et la croissance de l’emploi ne montre aucun signe de ralentissement; en fait, elle s’accélère. C’est aussi le cas dans certains secteurs étranges qui ne sont pas tous cycliques. On a vu, surtout au Canada, des embauches dans les secteurs du gouvernement et dans d’autres secteurs où l’on pourrait dire qu’elles sont ponctuelles et qu’elles ne seront probablement pas maintenues. Mais je reconnais que c’est un peu un mystère. Mais je pense que dans toutes les prévisions qui reflètent le ralentissement qu’on a observé, on s’attend à ce que la compression des marges, le fait que la demande commence à s’installer, se manifeste sur le marché du travail par un ralentissement de l’embauche et une hausse du taux de chômage.
Une chose qui, selon moi, est importante au Canada et qui est très différente par rapport aux États-Unis, c’est le taux de croissance de la population. Et, donc...
Je crois que c’était plus d’un million de personnes pour la toute première fois l’an dernier? C’est exact.
C’est le nombre que j’ai vu.
Exactement. Cette population très forte, et donc la croissance de la main-d’œuvre, place la barre plus haut pour le nombre d’emplois à créer avant qu’il y ait des pressions à la hausse sur le taux de chômage. Donc, au Canada, je crois qu’il est fort possible que le taux de chômage augmente en raison du ralentissement économique, même s’il n’y a pas eu de pertes d’emplois massives ou importantes, simplement parce que le nombre d’emplois qu’il faut créer ne cesse d’augmenter pour que le taux de chômage ne change pas. [MUSIQUE]
Bien sûr, la Réserve fédérale américaine a augmenté les taux d’intérêt de 25 points de base. D’autres banques mondiales ont apporté des changements semblables dans la foulée. Et cela s’ajoute, bien sûr, au fait que les décideurs doivent aussi composer avec une vague de turbulences dans le secteur bancaire. Cela nous indique-t-il qu’on s’approche peut-être de la fin du cycle de relèvement des taux? Nous allons examiner tout ça.
James Marple, économiste principal à la TD, se joint à nous pour nous partager son point de vue. James, c’est un plaisir de vous retrouver. On est encore en train d’examiner, je suppose, les répercussions de ce que la Fed a annoncé. Quelles sont vos conclusions?
Eh bien, je crois qu’en fin de compte, elle a pris la bonne décision. Je pense que le marché prévoyait une hausse de 25 points de base, et c’est ce qu’elle a fait. Il y a eu des spéculations, mais elles ont été mises de côté en raison des turbulences sur les marchés financiers. Mais, fait intéressant, avant tous les récents événements liés aux fonds communs de créances et à d’autres facteurs, on s’attendait même à ce qu’il y ait une hausse pouvant atteindre jusqu’à 50 points. Et les données économiques publiées au début de l’année auraient certainement justifié une partie de ça. On a observé une croissance de l’emploi nettement supérieure aux attentes et à un rythme plus rapide que prévu, compte tenu du taux de chômage actuel, mais aussi une inflation persistante, que la Fed tente d’amener à 2 %. D’autres hausses auraient été envisageables, mais elles auraient évidemment été neutralisées par ce qu’on a observé dans le secteur bancaire.
Oui, il semble que l’effondrement de la Silicon Valley Bank... la signature de l’inquiétude à l’égard de certaines des banques régionales américaines. Ça lui a certainement fait taire ses propos musclés. Parce qu’elle a tenu ce discours-là il y a seulement deux semaines. C’est à ce moment-là que Jerome Powell était à Washington et qu’il disait qu’il fallait peut-être aller plus loin que prévu en ce qui concerne les taux, en suggérant une hausse de 50 points. Et tout ça a été réduit à néant. Et maintenant, le marché essaie de déterminer si c’est terminé ou non.
Mais comme vous l’avez dit, la conjoncture économique... les données sur le chômage ont été publiées ce matin. Et le marché de l’emploi demeure tendu aux États-Unis. La route à venir semble assez difficile pour la Fed.
Bien sûr, ça a même été reflété à la fois dans la déclaration et dans la conférence de presse subséquente du président, qui a vraiment souligné l’incertitude à laquelle la Fed elle-même, mais tous les prévisionnistes économiques, sont confrontés dans le contexte actuel. Ce que je veux dire, c’est qu’il faut essayer de déterminer dans quelle mesure ce resserrement et les conditions financières vont probablement se traduire par un resserrement des normes de crédit, en particulier pour certaines de ces petites banques qui ont subi des pressions, et ce que ça va signifier pour l’économie réelle. Et il n’y a pas grand-chose à faire par rapport à ça.
Évidemment, on peut essayer d’examiner les corrélations historiques. Mais, à bien des égards, il s’agit d’une situation sans précédent, compte tenu de la vitesse à laquelle les choses se sont passées et de tous les changements qui se sont produits dans le secteur des services financiers au cours de la décennie. C’est donc un peu difficile à déterminer.
Mais je pense qu’on peut dire que si, lorsque les conditions financières et que les normes de crédit sont resserrées, la croissance des prêts, la demande et l’activité économique ont tendance à diminuer, parce que, d’une certaine façon, ça remplace ce que la Fed tentait de faire en relevant les taux d’intérêt. Il me semble donc logique qu’elle dise que nous sommes peut-être près de la fin. Il faut évidemment surveiller de très près les données économiques, mais aussi certaines des données de haute fréquence qu’on observe en ce qui a trait aux dépôts et à la croissance des prêts, en particulier les prêts commerciaux et industriels, les prêts immobiliers commerciaux, où certaines de ces petites banques sont très importantes pour ces secteurs.
Alors oui, attendons de voir ce qui va se passer avant que les choses se calment. Est-ce que ça revient à la normale? Ou va-t-il y avoir une autre surprise? Malheureusement, je ne crois pas que qui que ce soit ait la réponse à cette question.
Oui, ce serait bien d’avoir les réponses à l’avance. Ça faciliterait grandement les choses. Dans le sillage de la Fed, il y a la Banque d’Angleterre. La Banque nationale suisse augmente aussi les taux. Mais ici, au Canada, nous sommes sur pause.
Et on a obtenu le procès-verbal de la Banque du Canada à ce sujet. Nous ne sommes pas habitués à obtenir le procès-verbal de notre banque centrale. Je pense que ce n’est que la deuxième fois. Est-ce qu’on recueille des renseignements à partir de ça, quant à ce qu’elle pourrait envisager à l’avenir?
Oui, en effet, c’était drôle. Elle a publié son compte rendu à 13 h 30. Et la Fed était toujours...
Oui, on se disait : « Regardez-la devancer la Fed pour essayer de recevoir tout le crédit. »
Oui, je ne m’en suis même pas rendu compte tout de suite, parce qu’on était tellement concentrés sur la Fed. Mais oui, un peu plus d’éléments, rien de trop surprenant. On a lu ses réflexions sur l’inflation et sur ce qu’il fallait pour que l’inflation descende vers sa cible, ce qui témoigne en partie de la vigueur soutenue du marché de l’emploi. Mais elle a fait quelques déclarations.
En ce qui concerne l’inflation, il est intéressant de savoir qu’elle voit des signes indiquant que les attentes d’inflation ont augmenté au-dessus d’un niveau qui, selon elle, est compatible avec l’atteinte de sa cible de 2 %. Et elle doit voir une partie de ça se produire. De même, sur le plan des salaires, la croissance des salaires est plus élevée que ce qui est conforme à sa cible d’inflation de 2 %. Et bien sûr, compte tenu de ce qu’on a vu sur le marché du travail, une croissance de l’emploi très forte et un taux de chômage à un creux record, il n’y a aucun signe que cela va disparaître de sitôt.
Alors oui, elle est sur pause, mais je pense qu’il y a probablement un certain risque dans les deux sens en ce qui concerne la politique. Comme elle l’a reconnu dans sa déclaration, et on le sait, l’économie canadienne est plus sensible aux taux d’intérêt. Et nos propres prévisions laissent entrevoir une certaine contre-performance par rapport aux États-Unis. Il est donc logique qu’elle demeure sur pause. Et maintenant, compte tenu de l’incertitude qui règne sur les marchés financiers et de la contagion qu’on verra au Canada, une approche attentiste est, selon moi, très logique.
Elle nous dit depuis le début que pour réduire l’inflation, elle devra voir les effets de toutes ces fortes hausses de taux. Et l’effet le plus importante serait les difficultés sur le marché du travail. J’ai brièvement mentionné que les dernières données sur le chômage aux États-Unis indiquaient toujours un marché très vigoureux dans ce pays. Comment se fait-il que le marché du travail ne soit pas aussi faible? Je pense que certaines des banques centrales se posent des questions en ce moment, car ce n’est toujours pas le cas.
Eh bien, je crois que c’est une bonne question. Je pense qu’on a toujours constaté que le marché du travail accuse un retard par rapport à certains autres indicateurs de l’activité économique réelle. Et on a certainement vu des signes de ralentissement de l’activité réelle. Mais certainement, je pense que la pandémie et certaines des perturbations qu’on a observées ont rendu les prévisions encore plus difficiles et ont probablement changé certaines des données sur les retards et les avances dans les variables économiques. Et c’est un peu un mystère.
L’activité économique ralentit et la croissance de l’emploi ne montre aucun signe de ralentissement; en fait, elle s’accélère. C’est aussi le cas dans certains secteurs étranges qui ne sont pas tous cycliques. On a vu, surtout au Canada, des embauches dans les secteurs du gouvernement et dans d’autres secteurs où l’on pourrait dire qu’elles sont ponctuelles et qu’elles ne seront probablement pas maintenues. Mais je reconnais que c’est un peu un mystère. Mais je pense que dans toutes les prévisions qui reflètent le ralentissement qu’on a observé, on s’attend à ce que la compression des marges, le fait que la demande commence à s’installer, se manifeste sur le marché du travail par un ralentissement de l’embauche et une hausse du taux de chômage.
Une chose qui, selon moi, est importante au Canada et qui est très différente par rapport aux États-Unis, c’est le taux de croissance de la population. Et, donc...
Je crois que c’était plus d’un million de personnes pour la toute première fois l’an dernier? C’est exact.
C’est le nombre que j’ai vu.
Exactement. Cette population très forte, et donc la croissance de la main-d’œuvre, place la barre plus haut pour le nombre d’emplois à créer avant qu’il y ait des pressions à la hausse sur le taux de chômage. Donc, au Canada, je crois qu’il est fort possible que le taux de chômage augmente en raison du ralentissement économique, même s’il n’y a pas eu de pertes d’emplois massives ou importantes, simplement parce que le nombre d’emplois qu’il faut créer ne cesse d’augmenter pour que le taux de chômage ne change pas. [MUSIQUE]