Les marchés continuent de se préparer à l’imminence d’une possible récession aux États-Unis. Toutefois, Thomas Feltmate, économiste principal à la TD, explique à Greg Bonnell que la résilience de l’emploi et des dépenses de consommation laisse peut-être entrevoir des perspectives moins sombres que prévu.
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Le ralentissement de la croissance préoccupe beaucoup d’investisseurs. Quelle est la probabilité que la plus grande économie du monde plonge dans la récession? Thomas Feltmate, économiste principal à la TD, se joint à nous aujourd’hui. Thomas, c’est un plaisir de vous accueillir. C’est la grande question, non? Après une année de fortes hausses de taux, quel est l’effet sur l’économie? Quel est l’effet sur l’économie américaine? Oui, c’est la question à un million de dollars. Est-ce que l’économie américaine va basculer dans une récession? Si on prend un peu de recul, si on revient sur les chiffres de 2022, la croissance du troisième trimestre a été relativement solide. Elle a dépassé 3 % sur base trimestrielle annualisée. On n’a pas encore les chiffres du quatrième trimestre, mais a priori, le taux de croissance avoisine 2,5 %. Et ce chiffre tient compte des dépenses de consommation qui devraient se situer aux alentours de 3 % sur une base trimestrielle annualisée.
Dans ce contexte, on va sans doute enregistrer la meilleure croissance des dépenses de consommation de 2022. Et pour revenir à ce que vous disiez, cette croissance arrive en fin d’année, après une hausse de taux cumulative de 425 points de base de la Fed.
On observe indéniablement une certaine résilience des consommateurs. Ce n’est pas nécessairement dans la logique d’une économie sur le point de tomber en récession.
On surveille aussi le marché du travail. Il y a quelques semaines, on a reçu les données de décembre. L’économie américaine a créé 223 000 emplois, c’est-à-dire des gains d’emploi solides sur une base mensuelle. Le taux de chômage a chuté à 3,5 %. Le chômage n’a jamais été aussi bas depuis 50 ans. Là encore, ces chiffres n’augurent pas nécessairement d’une récession dans les trois à six prochains mois, ou dans un avenir proche.
On vient de vivre deux années hors du commun, et c’est un euphémisme. [RIRE] C’est un doux euphémisme.
Mais quelque chose ne colle pas. Comme on l’a dit, on sort d’un cycle de hausse des taux musclé. La consommation est résiliente. Le marché du travail est résilient. Si on prend d’autres chiffres – ceux du secteur manufacturier pour l’État de New York ont été publiés ce matin – ce secteur semble avoir du plomb dans l’aile. Est-on en déséquilibre en ce moment?
Je pense que oui. Si on prend tous les indicateurs du secteur manufacturier ou des services pour le mois de décembre, on observe très nettement une certaine faiblesse sur tous les tableaux. Ça nous indique peut-être que les ajustements rapides sont finalement en train de rattraper l’économie.
Les économistes ne cessent de répéter depuis un an qu’il faut un certain temps pour ressentir les effets des hausses de taux dans l’économie. Il y a parfois un décalage de 12 à 18 mois. La politique monétaire ne fait pas effet immédiatement. Et dans une certaine mesure, c’est ce qui commence à se produire. Mais je crois que l’économie fait toujours preuve d’une certaine résilience, particulièrement du côté de la consommation. C’est peut-être ce qui nous aidera à éviter une récession.
C’est tout un exercice d’équilibre. Si la Fed, notre banque centrale et les autres banques centrales ont relevé les taux si fortement, c’est pour freiner l’emballement, pour contenir l’inflation. Elles ont averti qu’il fallait s’attendre à des moments difficiles, voire à un ralentissement économique.
Mais si ce ralentissement n’arrive pas, que feront les banques centrales? Quand s’estimeront-elles satisfaites dans l’état actuel des choses? D’accord. Je crois que l’on va vers un ralentissement. Dans nos prévisions en matière de croissance, tant pour cette année que pour l’an prochain, on anticipe une croissance inférieure à 1 %. Par rapport au taux actuel et à ce qui s’annonce pour 2022, on s’attend à un taux de croissance deux fois moins élevé que l’an dernier. On anticipe certainement un ralentissement de l’activité sous-jacente.
Je crois que la Fed va sans doute bientôt en arriver au point où, au cours des prochains mois, elle va mettre en pause les hausses de taux. D’après nos prévisions, lorsqu’elle se réunira en février, elle va sans doute ralentir le rythme des hausses et annoncer une hausse plus normale de 25 points de base. Et on s’attend à une annonce semblable en mars, où on anticipe une autre hausse de 25 points de base. Le taux final tournerait donc autour de 5 %.
Et d’après les attentes qu’expriment les marchés, on voit qu’ils accueillent presque avec joie la fin imminente du cycle de resserrement. Mais je crois que l’on perd de vue un point crucial dans tout cela. Même si l’on atteint le taux final au cours des prochains mois, le taux directeur effectif réel va continuer d’augmenter. Les taux nominaux vont rester élevés, mais l’inflation va baisser.
Pour donner un peu de contexte, on prévoit un resserrement d’environ 50 points de base dans les deux prochains mois de la part de la Fed. Mais si l’on prend le taux réel corrigé de l’inflation, le taux directeur va augmenter d’encore environ 200 points de base cette année.
C’est très important de réfléchir à la trajectoire à long terme des banques centrales et des répercussions sur l’économie. Il semble aussi qu’il y ait une certaine dissonance entre ce que le marché obligataire anticipe de la part de la Fed ou d’autres banques centrales pour cette année et les mesures qu’annoncent les banques centrales.
La banque centrale dit essentiellement que passé un certain point, elle s’en tiendra là, car elle ne veut pas reproduire les erreurs du passé, à savoir faire marche arrière trop rapidement. Et le marché obligataire n’a pas l’air d’y croire. Est-ce qu’on va assister à un bras de fer pour voir qui a raison?
Oui, je crois que votre analyse est juste. On voit qu’actuellement, le marché obligataire prend clairement acte de la faiblesse de certains indicateurs, en particulier ceux sur les salaires dans le rapport sur l’emploi. Les chiffres révisés des derniers mois montrent un essoufflement des hausses de salaires. On a observé un net ralentissement avec seulement 0,3 % de hausse sur un mois en décembre. C’est en dessous des attentes du marché. Cet indicateur donne certainement à penser que les chiffres sont un peu plus faibles que prévu.
Et dans le rapport sur l’inflation de décembre, on voit des preuves plus manifestes que l’inflation commence à se résorber. Je crois que pour les marchés, ces preuves alimentent l’espoir d’un retournement de situation plus proche que la Fed ne l’anticipe.
Sur quelle trajectoire s’engage-t-on? Parce que bien sûr, tout repose sur les efforts pour ramener l’inflation dans la fourchette cible. Les dernières données canadiennes montrent un ralentissement global. Les dernières données américaines aussi. Les choses évoluent dans la bonne direction mais dans le même temps, on reste encore bien au-dessus de la fourchette cible. Quelle trajectoire d’ajustement suit-on vers un retour à une inflation normale?
Pendant le deuxième semestre de l’année dernière, après avoir atteint un sommet en juin, l’inflation a commencé à baisser. Le taux global a diminué d’environ 2,5 points de pourcentage. L’IPC de base a baissé d’environ un point de pourcentage par rapport à son sommet. Et ce qui a vraiment alimenté les pressions à la baisse sur les prix, c’est la baisse d’environ 15 % des prix de l’énergie au deuxième semestre. Ces derniers mois, on a observé un repli des prix des produits de base.
Cette tendance résulte de plusieurs facteurs. D’abord, une normalisation des problèmes de chaîne d’approvisionnement qui ont indéniablement fait flamber les prix au début de la pandémie. Ensuite, on remarque que la consommation de biens s’effrite au profit de la consommation de services. Les prix des biens ont donc pu entamer un recul.
Il faut bien noter que les biens ne représentent qu’environ 25 % du panier de l’IPC de base. Le potentiel de pression déflationniste provenant de cette portion de l’IPC est donc limité. Le reste, c’est-à-dire le gros du travail, doit venir du côté des services. Et c’est là que l’on observe une inflation beaucoup plus persistante.
Pour ce qui est de l’inflation des prix des services, on peut établir deux catégories. La composante du logement, et les autres composantes. Et au deuxième semestre 2022, on a vu une accélération soutenue de la composante du logement de l’IPC.
Et cela va à l’encontre des mesures des loyers observées sur le marché. Elles montrent qu’on a atteint un sommet et que la tendance commence à s’inverser. Mais il faut beaucoup de temps pour voir un effet sur le stock de baux en cours, sachant que ces baux alimentent les données de l’IPC et vont exercer des pressions baissières sur l’inflation dans la composante du logement.
Si on exclut le logement pour regarder les autres services de base – c’est-à-dire les catégories de services plus exigeantes en main-d’œuvre comme les voyages en avion, les salons de coiffure, les services de nettoyage, etc. – Dans ces secteurs, on continue d’observer des taux de création d’emplois à des niveaux historiquement élevés. Cette situation entraîne beaucoup de pressions salariales qui sont au bout du compte répercutées sur le consommateur.
En fait, la clé d’une baisse de l’inflation pour cette composante, c’est que le marché de l’emploi ralentisse au point d’alléger les pressions salariales. Et la baisse des coûts de main-d’œuvre finira par être répercutée sur les prix à la consommation, ce qui entraînera des pressions déflationnistes. [MUSIQUE]
Le ralentissement de la croissance préoccupe beaucoup d’investisseurs. Quelle est la probabilité que la plus grande économie du monde plonge dans la récession? Thomas Feltmate, économiste principal à la TD, se joint à nous aujourd’hui. Thomas, c’est un plaisir de vous accueillir. C’est la grande question, non? Après une année de fortes hausses de taux, quel est l’effet sur l’économie? Quel est l’effet sur l’économie américaine? Oui, c’est la question à un million de dollars. Est-ce que l’économie américaine va basculer dans une récession? Si on prend un peu de recul, si on revient sur les chiffres de 2022, la croissance du troisième trimestre a été relativement solide. Elle a dépassé 3 % sur base trimestrielle annualisée. On n’a pas encore les chiffres du quatrième trimestre, mais a priori, le taux de croissance avoisine 2,5 %. Et ce chiffre tient compte des dépenses de consommation qui devraient se situer aux alentours de 3 % sur une base trimestrielle annualisée.
Dans ce contexte, on va sans doute enregistrer la meilleure croissance des dépenses de consommation de 2022. Et pour revenir à ce que vous disiez, cette croissance arrive en fin d’année, après une hausse de taux cumulative de 425 points de base de la Fed.
On observe indéniablement une certaine résilience des consommateurs. Ce n’est pas nécessairement dans la logique d’une économie sur le point de tomber en récession.
On surveille aussi le marché du travail. Il y a quelques semaines, on a reçu les données de décembre. L’économie américaine a créé 223 000 emplois, c’est-à-dire des gains d’emploi solides sur une base mensuelle. Le taux de chômage a chuté à 3,5 %. Le chômage n’a jamais été aussi bas depuis 50 ans. Là encore, ces chiffres n’augurent pas nécessairement d’une récession dans les trois à six prochains mois, ou dans un avenir proche.
On vient de vivre deux années hors du commun, et c’est un euphémisme. [RIRE] C’est un doux euphémisme.
Mais quelque chose ne colle pas. Comme on l’a dit, on sort d’un cycle de hausse des taux musclé. La consommation est résiliente. Le marché du travail est résilient. Si on prend d’autres chiffres – ceux du secteur manufacturier pour l’État de New York ont été publiés ce matin – ce secteur semble avoir du plomb dans l’aile. Est-on en déséquilibre en ce moment?
Je pense que oui. Si on prend tous les indicateurs du secteur manufacturier ou des services pour le mois de décembre, on observe très nettement une certaine faiblesse sur tous les tableaux. Ça nous indique peut-être que les ajustements rapides sont finalement en train de rattraper l’économie.
Les économistes ne cessent de répéter depuis un an qu’il faut un certain temps pour ressentir les effets des hausses de taux dans l’économie. Il y a parfois un décalage de 12 à 18 mois. La politique monétaire ne fait pas effet immédiatement. Et dans une certaine mesure, c’est ce qui commence à se produire. Mais je crois que l’économie fait toujours preuve d’une certaine résilience, particulièrement du côté de la consommation. C’est peut-être ce qui nous aidera à éviter une récession.
C’est tout un exercice d’équilibre. Si la Fed, notre banque centrale et les autres banques centrales ont relevé les taux si fortement, c’est pour freiner l’emballement, pour contenir l’inflation. Elles ont averti qu’il fallait s’attendre à des moments difficiles, voire à un ralentissement économique.
Mais si ce ralentissement n’arrive pas, que feront les banques centrales? Quand s’estimeront-elles satisfaites dans l’état actuel des choses? D’accord. Je crois que l’on va vers un ralentissement. Dans nos prévisions en matière de croissance, tant pour cette année que pour l’an prochain, on anticipe une croissance inférieure à 1 %. Par rapport au taux actuel et à ce qui s’annonce pour 2022, on s’attend à un taux de croissance deux fois moins élevé que l’an dernier. On anticipe certainement un ralentissement de l’activité sous-jacente.
Je crois que la Fed va sans doute bientôt en arriver au point où, au cours des prochains mois, elle va mettre en pause les hausses de taux. D’après nos prévisions, lorsqu’elle se réunira en février, elle va sans doute ralentir le rythme des hausses et annoncer une hausse plus normale de 25 points de base. Et on s’attend à une annonce semblable en mars, où on anticipe une autre hausse de 25 points de base. Le taux final tournerait donc autour de 5 %.
Et d’après les attentes qu’expriment les marchés, on voit qu’ils accueillent presque avec joie la fin imminente du cycle de resserrement. Mais je crois que l’on perd de vue un point crucial dans tout cela. Même si l’on atteint le taux final au cours des prochains mois, le taux directeur effectif réel va continuer d’augmenter. Les taux nominaux vont rester élevés, mais l’inflation va baisser.
Pour donner un peu de contexte, on prévoit un resserrement d’environ 50 points de base dans les deux prochains mois de la part de la Fed. Mais si l’on prend le taux réel corrigé de l’inflation, le taux directeur va augmenter d’encore environ 200 points de base cette année.
C’est très important de réfléchir à la trajectoire à long terme des banques centrales et des répercussions sur l’économie. Il semble aussi qu’il y ait une certaine dissonance entre ce que le marché obligataire anticipe de la part de la Fed ou d’autres banques centrales pour cette année et les mesures qu’annoncent les banques centrales.
La banque centrale dit essentiellement que passé un certain point, elle s’en tiendra là, car elle ne veut pas reproduire les erreurs du passé, à savoir faire marche arrière trop rapidement. Et le marché obligataire n’a pas l’air d’y croire. Est-ce qu’on va assister à un bras de fer pour voir qui a raison?
Oui, je crois que votre analyse est juste. On voit qu’actuellement, le marché obligataire prend clairement acte de la faiblesse de certains indicateurs, en particulier ceux sur les salaires dans le rapport sur l’emploi. Les chiffres révisés des derniers mois montrent un essoufflement des hausses de salaires. On a observé un net ralentissement avec seulement 0,3 % de hausse sur un mois en décembre. C’est en dessous des attentes du marché. Cet indicateur donne certainement à penser que les chiffres sont un peu plus faibles que prévu.
Et dans le rapport sur l’inflation de décembre, on voit des preuves plus manifestes que l’inflation commence à se résorber. Je crois que pour les marchés, ces preuves alimentent l’espoir d’un retournement de situation plus proche que la Fed ne l’anticipe.
Sur quelle trajectoire s’engage-t-on? Parce que bien sûr, tout repose sur les efforts pour ramener l’inflation dans la fourchette cible. Les dernières données canadiennes montrent un ralentissement global. Les dernières données américaines aussi. Les choses évoluent dans la bonne direction mais dans le même temps, on reste encore bien au-dessus de la fourchette cible. Quelle trajectoire d’ajustement suit-on vers un retour à une inflation normale?
Pendant le deuxième semestre de l’année dernière, après avoir atteint un sommet en juin, l’inflation a commencé à baisser. Le taux global a diminué d’environ 2,5 points de pourcentage. L’IPC de base a baissé d’environ un point de pourcentage par rapport à son sommet. Et ce qui a vraiment alimenté les pressions à la baisse sur les prix, c’est la baisse d’environ 15 % des prix de l’énergie au deuxième semestre. Ces derniers mois, on a observé un repli des prix des produits de base.
Cette tendance résulte de plusieurs facteurs. D’abord, une normalisation des problèmes de chaîne d’approvisionnement qui ont indéniablement fait flamber les prix au début de la pandémie. Ensuite, on remarque que la consommation de biens s’effrite au profit de la consommation de services. Les prix des biens ont donc pu entamer un recul.
Il faut bien noter que les biens ne représentent qu’environ 25 % du panier de l’IPC de base. Le potentiel de pression déflationniste provenant de cette portion de l’IPC est donc limité. Le reste, c’est-à-dire le gros du travail, doit venir du côté des services. Et c’est là que l’on observe une inflation beaucoup plus persistante.
Pour ce qui est de l’inflation des prix des services, on peut établir deux catégories. La composante du logement, et les autres composantes. Et au deuxième semestre 2022, on a vu une accélération soutenue de la composante du logement de l’IPC.
Et cela va à l’encontre des mesures des loyers observées sur le marché. Elles montrent qu’on a atteint un sommet et que la tendance commence à s’inverser. Mais il faut beaucoup de temps pour voir un effet sur le stock de baux en cours, sachant que ces baux alimentent les données de l’IPC et vont exercer des pressions baissières sur l’inflation dans la composante du logement.
Si on exclut le logement pour regarder les autres services de base – c’est-à-dire les catégories de services plus exigeantes en main-d’œuvre comme les voyages en avion, les salons de coiffure, les services de nettoyage, etc. – Dans ces secteurs, on continue d’observer des taux de création d’emplois à des niveaux historiquement élevés. Cette situation entraîne beaucoup de pressions salariales qui sont au bout du compte répercutées sur le consommateur.
En fait, la clé d’une baisse de l’inflation pour cette composante, c’est que le marché de l’emploi ralentisse au point d’alléger les pressions salariales. Et la baisse des coûts de main-d’œuvre finira par être répercutée sur les prix à la consommation, ce qui entraînera des pressions déflationnistes. [MUSIQUE]