Alors que s’intensifie la politique zéro-COVID stricte de la Chine, les répercussions se font sentir sur ses partenaires commerciaux. Anthony Okolie discute avec Christian Medeiros, gestionnaire de portefeuille, Gestion de Placements TD, des risques croissants qui pèsent sur les chaînes d’approvisionnement et le commerce mondial.
Christian, depuis mars, la Chine a affronté une autre vague de COVID, ce qui a vraiment accru les craintes des investisseurs à l’égard de l’économie mondiale. Quel a été l’impact du récent confinement lié à la COVID-19 en Chine, en particulier sur les économies de l’Asie du Nord-Est?
La Chine a une politique zéro-COVID depuis le début de la pandémie. Ça signifie que chaque fois qu’il y a une hausse des cas, ça entraîne un confinement strict et des tests dans les villes touchées. Mais étant donné que le variant Omicron est beaucoup plus contagieux et viral que lors des vagues d’infection précédentes, il s’est propagé beaucoup plus rapidement dans toute la Chine et est plus difficile à contenir, malgré le confinement.
On a donc assisté à d’importants confinements à l’échelle du pays, et en particulier dans les grands centres économiques, comme Shanghai. Donc la production dans les usines est au point mort et les ports ont été temporairement fermés. Ça a donc eu un effet de ricochet sur l’ensemble des chaînes d’approvisionnement en Asie du Nord-Est. Les principaux partenaires commerciaux qui dépendent de la Chine, comme le Japon et la Corée, dépendent des intrants chinois et aussi des exportations vers la Chine. Il y a donc eu un ralentissement, et ça a prolongé les perturbations des chaînes d’approvisionnement qu’on a observées, et qui vont continuer d’exacerber les problèmes liés aux semi-conducteurs et à d’autres chaînes d’approvisionnement essentielles.
L’autre problème qu’il convient de mentionner, et qui a été masqué par la perturbation initiale des chaînes d’approvisionnement, c’est que la demande ralentit également en Chine. Comme vous pouvez l’imaginer, un confinement sévère signifie une consommation moindre. Et c’est important, parce que la Chine est une source de croissance tellement importante dans la région.
ANTHONY OKOLIE : Donc, étant donné que la demande ralentit en Chine, qu’est-ce que cela signifie pour les économies et les marchés mondiaux?
Les économies et les marchés mondiaux dépendent beaucoup de la croissance de la demande en Chine. Et c’est certainement un obstacle. Mais je pense que le problème qui se pose, c’est ce qui se trouve dans la chaîne d’approvisionnement. Et ce n’est qu’un autre imprévu dans les problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement dont on a été témoins au cours des deux dernières années, mais ces fortes distorsions causent un risque particulier auquel, selon moi, pas assez de gens prêtent attention.
Dans le jargon de la chaîne d’approvisionnement, les gens aiment parler d’effet coup de fouet. Si on pense à la chaîne d’approvisionnement comme une longue chaîne composée de nombreux intervenants, du transport aux consommateurs, en passant par les grossistes et les producteurs, ils tentent tous de prévoir la demande à partir de liens antérieurs de la chaîne. Ils jouent une très longue partie de téléphone arabe. Et quand les choses sont normales dans l’économie, c’est assez facile de prévoir quelle va être la demande au prochain trimestre. Mais quand les choses sont déformées et que les perturbations se multiplient, on peut voir les gens passer trop de commandes, ou pas assez.
C’est très difficile pour eux de le savoir, compte tenu de la distorsion des habitudes de consommation pendant la pandémie de COVID. C’est difficile pour eux de prédire quelle va être notre consommation après la crise de la COVID, surtout si la demande ralentit. Ça signifie qu’il y a un risque, parce que les chaînes d’approvisionnement sont à tel point faussées depuis tellement longtemps qu’on pourrait surproduire dans un contexte de ralentissement de la demande, ce qui pourrait constituer un risque important d’une récession alimentée par les stocks.
ANTHONY OKOLIE : Parlons des répercussions sur le plus important partenaire commercial de la Chine. Quels sont les effets négatifs de nouvelles perturbations de la chaîne d’approvisionnement mondiale sur la demande des consommateurs américains?
Oui, donc le ralentissement en Chine... le deuxième consommateur en importance dans le monde, c’est le consommateur américain, le ménage américain. Et c’est donc important de bien comprendre comment la demande mondiale va évoluer. Les consommateurs américains, bien sûr, se sont montrés solides.
Et si vous regardez le graphique que j’ai apporté aujourd’hui, vous voyez que la consommation de biens durables aux États-Unis... et on parle de choses que vous utilisez depuis de nombreuses années, comme les frigos, les voitures, etc., ça a été bien au-dessus des lignes de tendance historiques au cours des 10 ou 20 dernières années. Et c’est seulement en raison de la vigueur de la reprise et de tout ce dont on a parlé dans votre émission.
Toutefois, le risque à l’avenir, c’est que les consommateurs américains éprouvent des difficultés. L’inflation est élevée. Il y a un mouvement à la hausse des dépenses. Vous n’allez pas acheter un frigo chaque année. Les taux d’intérêt et les taux hypothécaires sont élevés. Et tout ça signifie qu’il est fort probable que ce niveau élevé de consommation de biens durables que vous voyez dans le graphique revienne aux niveaux de consommation moyens.
Si cette seule tendance était la seule qu’on observe, peut-être que ce ne serait pas trop préoccupant; ça serait simplement un retour à la moyenne. Toutefois, en raison de l’effet coup de fouet dont j’ai déjà parlé et du fait que la chaîne d’approvisionnement n’est peut-être pas en mesure de réagir à l’évolution rapide de la demande, au lieu d’avoir des pénuries dans la chaîne d’approvisionnement, on aurait un surplus dans la chaîne d’approvisionnement, une surproduction de produits.
Et, bien sûr, il s’agit d’un risque important pour toutes les entreprises dans cette chaîne d’approvisionnement, qui sont peut-être en train de surproduire dans cette chaîne d’approvisionnement, ou de la submerger, dans le contexte d’une baisse de la demande. Ça va se traduire par un risque de récession plus élevé et par des bénéfices potentiels manqués pour les entreprises participant à ce processus.
ANTHONY OKOLIE : D’accord, donc, compte tenu des risques, surtout en ce qui concerne la chaîne d’approvisionnement, qu’allez-vous surveiller de près au cours des prochains mois?
Oui, on va surveiller les deux principales sources de demande dans le monde. Et c’est la Chine et les États-Unis, comme on l’a mentionné. Aux États-Unis... en Chine, on va voir si la Chine assouplit sa politique zéro-COVID. Ça ne semble pas particulièrement probable, d’autant plus que l’important Congrès du peuple va avoir lieu plus tard cette année. Mais on va aussi surveiller la situation pour voir si la vague d’Omicron peut atteindre un sommet. Dans ce cas-là, la demande pourrait augmenter. Mais à l’heure actuelle, il y a certainement un risque et des menaces de baisse.
En ce qui concerne les États-Unis, ce qui est peut-être plus important, on va surveiller l’évolution du consommateur. On a constaté une faiblesse dans les données de sondage, mais pas encore dans les données objectives. On va donc surveiller la situation pour voir si les consommateurs américains achètent toujours à un rythme élevé.
Par contre, si ce n’est pas le cas, on va surveiller la façon dont la chaîne d’approvisionnement réagit et on va voir si les entreprises sont en mesure de s’adapter rapidement ou si elles vont être surprises et prises de court par le retour à la moyenne de la consommation américaine. Ce sont donc les tendances qu’on surveille, et on pense qu’elles sont d’une importance cruciale, car le ralentissement de la croissance mondiale va avoir des répercussions sur les politiques de la Fed et sur la façon dont l’économie va évoluer.
ANTHONY OKOLIE : Christian, merci beaucoup de vous être joint à nous.
Merci.
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