Les fortes hausses de taux de la Réserve fédérale américaine ont alimenté les spéculations entourant une possible récession. Greg Bonnell discute avec Stephen Biggar, directeur de la recherche sur les institutions financières à Argus Research, des répercussions possibles sur les actions du secteur des services financiers et de leurs perspectives.
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[LOGO AUDIO] Les hausses de taux s’accélèrent et pour beaucoup, la possibilité d’une récession se profile à l’horizon. Les investisseurs se demandent si les actions du secteur financier tiendront le choc en cas de ralentissement économique. Notre invité d’aujourd’hui suit de près trois indicateurs pour prendre le pouls du secteur financier. Voici Stephen Biggar, directeur des recherches sur les institutions financières chez Argus Research. Bienvenue, Stephen. Bonjour Greg, ravi d’être avec vous. C’est un sujet intéressant, au vu des mesures prises par la Fed et des craintes d’une récession. Parlons de la solidité des services financiers. Vous tenez compte de trois facteurs. On va les aborder un par un. D’abord, le portefeuille de prêts. Quelles sont les perspectives du côté du crédit? Du côté des prêts, les banques affichent en réalité d’assez bons résultats. On a connu une accalmie durant la pandémie. Les gens ont évité d’emprunter étant donné les circonstances. Il y avait beaucoup de chômage et d’incertitudes. Il y a donc eu très peu d’emprunts à cette période. Mais presqu’un an s’est écoulé, et les gens reviennent demander des prêts. L’immobilier a connu une belle période, l’automobile aussi, en plus de la demande accumulée pour l’aménagement de la maison, les vacances, etc. Selon les données hebdomadaires de la Fed sur les prêts, l’activité est en hausse de 10 % sur douze mois, d’après les chiffres très récents. Cette hausse est en grande partie attribuable à la confiance des consommateurs qui semble au beau fixe, malgré ce qu’en disent certains sondages. Il y a eu beaucoup d’activité, à l’exception bien sûr d’un récent repli notable sur le marché de l’habitation. Le volume des prêts hypothécaires a beaucoup diminué en raison de la hausse des taux. On s’attend donc à un léger ralentissement en raison de la hausse des taux. C’est l’effet escompté par la Fed, qui tente d’éviter un emballement de l’économie. Mais sur le plan des prêts, la hausse des marges est attribuable à la hausse du taux directeur de la Fed. On a assisté à un redressement généralisé de la courbe des taux. Les taux à court terme et à long terme ont fortement augmenté cette année. Et c’est tout à l’avantage des banques, comme en témoignent les hausses de marge d’intérêt annoncées au dernier trimestre. Intéressant. Non seulement le portefeuille de prêts a résisté, mais les marges d’intérêt qui sont si cruciales à la santé des banques sont aussi en hausse, suite aux décisions de la Fed. Parlons un peu de la Fed. Les hausses de taux, comme celles qu’on a connues ici au Canada – ces hausses massives suscitent bien sûr des craintes de récession. Que faut-il en retenir pour le secteur des services financiers? Le grand risque à l’heure actuelle, et ce qui explique pourquoi les actions de certaines grandes banques se négocient à des prix plus bas, c’est que la Fed sera contrainte d’aller trop loin pour freiner l’inflation. Quand on augmente le coût d’emprunt, on augmente aussi le risque de défaut de paiement en essayant de ralentir l’économie. On fait tanguer le marché de l’emploi alors qu’il se porte bien. Il y aura moins d’offres d’emploi et plus de mises à pied. Et dans le secteur bancaire, je dirais qu’il n’y a pas de corrélation plus parlante que celle entre le chômage et les radiations nettes ou les défauts de paiement. Si vous perdez votre emploi et que vous avez du mal à en trouver un autre, vous allez accumuler les factures en retard et les impayés. Les banques regardent à quand remontent vos impayés. En général, au bout de trois mois, elles établissent qu’il y a un défaut de paiement et finissent par radier le prêt. Les provisions pour pertes augmentent donc. On a bien vu dans les résultats du troisième trimestre que les banques sont un peu plus prudentes. Il n’y a pas encore eu de hausse du nombre de radiations, mais elles envisagent l’avenir avec plus de prudence. Et c’est à ça que servent les provisions pour pertes. On augmente la provision pour pertes sur prêts en prévision d’une faiblesse l’an prochain. C’est là qu’on en est aujourd’hui. On craint toujours que la Fed aille trop loin, trop vite. D’ici le milieu de l’année prochaine, elle risque même de devoir réduire les taux si elle va trop loin. On suit donc de près le marché de l’emploi pour voir dans quelle mesure la situation se détériore ou non. Il y a deux mois, il y avait environ deux fois plus d’offres d’emploi que de chômeurs, ce qui laisse énormément de marge de manœuvre pour une diminution du chômage. Bien sûr, il y a toujours un décalage entre les compétences requises et les compétences des personnes aptes à pourvoir les emplois. Mais à mon avis, le principal risque à ce stade, c’est que l’économie amorce un léger repli. Les coûts du crédit vont augmenter, et c’est un facteur de changement important pour les banques quand les choses vont mal. Elles ont dû augmenter considérablement les provisions pour pertes, ce qui va entamer les bénéfices assez rapidement. Stephen, passons au troisième facteur : les banques des grandes places financières. Parmi les grands noms de Wall Street, on observe déjà un ralentissement sur les marchés des capitaux. Les activités de négociation ne se portent pas aussi bien qu’on pourrait l’espérer. Qu’observe-t-on dans ce segment? Qu’est-ce que vous anticipez? Tout à fait. C’est une année désastreuse, Greg, surtout pour la prise ferme d’actions, mais aussi pour la prise ferme de titres à revenu fixe et dans une moindre mesure, pour les fusions et acquisitions. Seuls les volumes d’opérations ont bien résisté, ce qui s’explique par la forte volatilité sur les marchés, que ce soit les marchés boursiers, des titres à revenu fixe, des changes et des produits de base. La volatilité a été si forte que les volumes d’opérations ont tenu bon. C’est typique. C’est une conjonction de deux facteurs : en comparaison, cette année est épouvantable parce que 2021 a été exceptionnelle pour les marchés des capitaux. On a battu les records des 20 dernières années pour ce qui est de la prise ferme d’actions. Il y a eu beaucoup de PAPE. Avec les taux faibles sur le marché secondaire, il y a eu de bonnes émissions de titres à revenu fixe. Cette année, c’est terminé. En général, quand il y a des replis sur le marché boursier, quand quelques PAPE se passent mal, les sociétés hésitent davantage à entrer en bourse. Il n’y a tout simplement pas assez de liquidités. Et on sait que la Fed a inondé le marché de liquidités et qu’une partie de cet argent disponible a été dirigé vers les PAPE. La tendance est à la baisse depuis le début de l’année. On est dans un marché baissier, avec un repli de 20 %. Il n’y a donc pas beaucoup d’entreprises privées qui sont prêtes à inscrire leurs actions sur les marchés publics. Il faudra sans doute quelques trimestres avant que la situation s’améliore. Je pense qu’il faut attendre d’observer des changements de cap sur les marchés boursiers – et pas seulement d’une semaine comme ces derniers temps. Ni même d’un mois. Il faut que l’on observe une tendance à la hausse soutenue. Il y a eu quelques prises fermes d’actions réussies récemment. Mobileye, par exemple, la filiale d’Intel, a bien réussi son premier appel public à l’épargne. C’est certain qu’il y a des signes encourageants. Mais je crois qu’il faut continuer le travail de fond et qu’il faut des améliorations. Pour ce qui est des fusions et acquisitions, lorsque les coûts de financement augmentent, un certain nombre d’opérations à effet de levier sont évidemment reléguées au second plan dans l’attente de meilleurs taux de financement. Les fusions et acquisitions ne sont pas en chute libre comme les PAPE, mais il y a un ralentissement malgré une certaine vigueur en Europe et dans des secteurs spécialisés. Le secteur de la santé se porte bien. Les secteurs liés à la transition énergétique se démarquent aussi. Mais dans l’ensemble, les grandes sociétés technologiques et de biens de consommation n’ont pas été très actives. Je crois qu’il faudra encore au moins deux trimestres pour voir les signes indicateurs d’un rebond. [MUSIQUE]