Les titres de créance de sociétés non financières canadiennes ont atteint de nouveaux sommets, stimulés par la faiblesse des taux d’intérêt et la volonté des entreprises de détenir des liquidités plus élevées. Anthony Okolie discute avec James Orlando, économiste principal, Groupe Banque TD, de la capacité du secteur à respecter ses obligations de remboursement.
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James, vous avez récemment publié un rapport sur l’endettement des sociétés canadiennes qui, selon vous, a considérablement changé lors des deux dernières années. Que s’est-il passé pendant cette période?
Oui, merci, Anthony. Au Canada, les discussions sur l’endettement sont centrées sur les ménages, à juste titre. Mais les titres de créance de sociétés canadiennes, et nous l’avions signalé même avant la pandémie, sont l’un des plus grands risques pour l’économie canadienne. Et l’une des raisons est que la plupart des dettes sont en fait concentrées dans une poignée de secteurs. Or, chaque fois qu’une dette est concentrée, c’est toujours plus risqué au cas où la prochaine crise économique touche de manière disproportionnée ces secteurs. Mais le Canada a eu un peu de chance quant à la façon dont la pandémie a impacté les créances de sociétés, car certains des secteurs les plus vulnérables ont reçu une demande énorme pour leurs produits. Et c’est vraiment ce qui a causé ce changement dans les créances des sociétés canadiennes.
D’accord, alors quels secteurs affichent la plus forte concentration de dettes?
La plupart des dettes au Canada sont concentrées dans les secteurs comme l’immobilier. Nous savons que le logement est extrêmement important au Canada. Mais aussi dans les secteurs de la construction, de la fabrication, du pétrole et du gaz. C’est le type de secteurs qui viennent à l’esprit quand on observe l’énorme dette qui s’accumule au Canada.
D’accord, mais quels secteurs vous inquiètent le plus et pourquoi?
Les secteurs les plus préoccupants? Ce sont avant tout les secteurs du pétrole et du gaz, de l’immobilier. L’immobilier explose et affiche le montant de dette le plus élevé. En fait, son montant de dette correspond au double de tout autre secteur du marché canadien. Naturellement, c’est l’un des secteurs que l’on regarde beaucoup, tout simplement parce que nous avons une énorme demande de logements. Les Canadiens adorent l’immobilier. Et les constructeurs tentent de répondre à cette demande. Nous savons que l’un des plus importants problèmes au Canada, c’est que nous n’avons pas une offre suffisante pour répondre à cette forte demande. Et donc, naturellement, beaucoup de particuliers, beaucoup d’entreprises doivent dépenser de l’argent avant de vendre des propriétés. Cela engendre une accumulation de dette importante qui continue d’augmenter. C’est un problème évident. Mais cela ne s’arrête pas là : il y a d’autres domaines. Le secteur des services à fortes interactions, même s’il affiche un niveau de dette assez faible par rapport à d’autres secteurs comme l’immobilier, a été durement touché. Je pense donc que ce sont des domaines sur lesquels nous devons être vigilants à l’avenir.
C’est une information importante. Parlez-nous des secteurs qui semblent mieux composer avec la conjoncture économique que d’autres.
Oui. J’ai indiqué plus tôt comment la nature de la pandémie a en fait été plutôt bénéfique à quelques secteurs. L’un d’eux est l’énergie, donc le pétrole et le gaz. On a vu la hausse très importante du prix du pétrole, une hausse massive du prix du gaz naturel. Et tout cela est dû à la reprise de l’économie. Avec la reprise, revient la mobilité, les gens conduisent, ils prennent l’avion. Et environ les trois quarts de la demande d’énergie mondiale provient de facteurs comme la mobilité. Et donc, ce qui s’est passé, c’est que le pétrole et le gaz représentaient l’un des secteurs les plus risqués quant au montant de dettes et leur capacité à rembourser ces dettes avant la pandémie. Mais l’augmentation du prix de l’énergie a rempli les caisses de ces entreprises, et il est passé de l’un des secteurs présentant le risque le plus élevé à un des secteurs qui affichent les bilans les plus solides à l’heure actuelle. Il s’agit donc d’un énorme changement pour ce secteur. Et l’autre secteur, c’est la fabrication. Le secteur manufacturier peinait par rapport à sa capacité de payer le coût des intérêts. La situation devenait très tendue avant la pandémie. Mais, comme nous tous, qui avons dû changer nos comportements, la demande pour les biens au Canada, tout comme partout dans le monde, a été énorme. Qu’il s’agisse de dépenser de l’argent pour ajouter un bureau ou une salle de sport à votre domicile, ou bien de faire des travaux de maintenance. La demande de biens a été énorme et les sociétés canadiennes qui fabriquent ces biens, ont connu une rentrée d’argent énorme, par conséquent, leurs bilans se sont grandement améliorés.
Quels sont les risques associés au nouveau variant Omicron dans ces secteurs et sur les niveaux d’endettement actuels des sociétés?
Il est certain que n’importe quel variant aura des répercussions sur les services. Nous savons que lors des précédentes vagues, les Canadiens ont moins été au restaurant, ou moins eu recours à des services de divertissement. Un domaine que nous avons mentionné, c’est le secteur des arts du divertissement. Ce secteur avait des niveaux d’endettement assez faibles à l’approche de la pandémie, mais ces derniers ont récemment augmenté parce que beaucoup d’entreprises ont lutté pour garder la tête hors de l’eau pendant cette période. Et elles ont vraiment besoin d’un retour à la normale pour que leurs profits rattrapent le montant de la dette contractée. Il s’agit donc d’un secteur à surveiller. Donc, s’il y a de nouveaux variants qui suppriment leurs bénéfices, ou les retardent même, elles auront plus de mal à payer leurs dettes, et c’est certainement préoccupant. D’autres facteurs, comme l’avenir des prix de l’énergie, nous avons mentionné que le secteur du pétrole et du gaz se porte très bien en ce moment, mais il faut vraiment que les prix du pétrole et du gaz restent à des niveaux assez élevés pour maintenir ces bénéfices. Voilà les facteurs que nous surveillons pour déterminer si de nouveaux variants vont poser un risque pour les titres de créance des sociétés canadiennes.
D’accord, alors, en fin de compte, qu’est-ce que ces niveaux élevés de dette des sociétés nous disent sur la santé des industries canadiennes?
Eh bien, je pense que même si la dette a définitivement augmenté, nous avons environ 2 000 milliards de dollars de titres de créance de sociétés au Canada, c’est-à-dire une augmentation d’environ 200 milliards de dollars avant même le début de la pandémie. C’était un risque important pour l’économie canadienne. Mais il y a eu une amélioration. Le fait que les prix des propriétés ont tellement augmenté, que les prix du pétrole ont tellement augmenté, que le secteur manufacturier s’est tellement amélioré, tous les secteurs que nous avions signalé comme à haut risque ont en fait connu une amélioration dans leur rentabilité, ce qui a un peu réduit le niveau d’inquiétude. Mais ces risques ont été transférés sur d’autres types de sociétés. Des sociétés comme celles des arts et du divertissement, les services à fortes interactions qui sont très impactés par la propagation de la COVID-19 dans le sens ou s’il il y a une augmentation des nouvelles infections, nous serons dans une situation où la reprise des bénéfices de ces sociétés sera retardée. Et donc, même si notre dette est élevée au Canada, il y a eu certaines améliorations qu’il est important de souligner.
James, merci beaucoup pour votre présence.
Merci.
Oui, merci, Anthony. Au Canada, les discussions sur l’endettement sont centrées sur les ménages, à juste titre. Mais les titres de créance de sociétés canadiennes, et nous l’avions signalé même avant la pandémie, sont l’un des plus grands risques pour l’économie canadienne. Et l’une des raisons est que la plupart des dettes sont en fait concentrées dans une poignée de secteurs. Or, chaque fois qu’une dette est concentrée, c’est toujours plus risqué au cas où la prochaine crise économique touche de manière disproportionnée ces secteurs. Mais le Canada a eu un peu de chance quant à la façon dont la pandémie a impacté les créances de sociétés, car certains des secteurs les plus vulnérables ont reçu une demande énorme pour leurs produits. Et c’est vraiment ce qui a causé ce changement dans les créances des sociétés canadiennes.
D’accord, alors quels secteurs affichent la plus forte concentration de dettes?
La plupart des dettes au Canada sont concentrées dans les secteurs comme l’immobilier. Nous savons que le logement est extrêmement important au Canada. Mais aussi dans les secteurs de la construction, de la fabrication, du pétrole et du gaz. C’est le type de secteurs qui viennent à l’esprit quand on observe l’énorme dette qui s’accumule au Canada.
D’accord, mais quels secteurs vous inquiètent le plus et pourquoi?
Les secteurs les plus préoccupants? Ce sont avant tout les secteurs du pétrole et du gaz, de l’immobilier. L’immobilier explose et affiche le montant de dette le plus élevé. En fait, son montant de dette correspond au double de tout autre secteur du marché canadien. Naturellement, c’est l’un des secteurs que l’on regarde beaucoup, tout simplement parce que nous avons une énorme demande de logements. Les Canadiens adorent l’immobilier. Et les constructeurs tentent de répondre à cette demande. Nous savons que l’un des plus importants problèmes au Canada, c’est que nous n’avons pas une offre suffisante pour répondre à cette forte demande. Et donc, naturellement, beaucoup de particuliers, beaucoup d’entreprises doivent dépenser de l’argent avant de vendre des propriétés. Cela engendre une accumulation de dette importante qui continue d’augmenter. C’est un problème évident. Mais cela ne s’arrête pas là : il y a d’autres domaines. Le secteur des services à fortes interactions, même s’il affiche un niveau de dette assez faible par rapport à d’autres secteurs comme l’immobilier, a été durement touché. Je pense donc que ce sont des domaines sur lesquels nous devons être vigilants à l’avenir.
C’est une information importante. Parlez-nous des secteurs qui semblent mieux composer avec la conjoncture économique que d’autres.
Oui. J’ai indiqué plus tôt comment la nature de la pandémie a en fait été plutôt bénéfique à quelques secteurs. L’un d’eux est l’énergie, donc le pétrole et le gaz. On a vu la hausse très importante du prix du pétrole, une hausse massive du prix du gaz naturel. Et tout cela est dû à la reprise de l’économie. Avec la reprise, revient la mobilité, les gens conduisent, ils prennent l’avion. Et environ les trois quarts de la demande d’énergie mondiale provient de facteurs comme la mobilité. Et donc, ce qui s’est passé, c’est que le pétrole et le gaz représentaient l’un des secteurs les plus risqués quant au montant de dettes et leur capacité à rembourser ces dettes avant la pandémie. Mais l’augmentation du prix de l’énergie a rempli les caisses de ces entreprises, et il est passé de l’un des secteurs présentant le risque le plus élevé à un des secteurs qui affichent les bilans les plus solides à l’heure actuelle. Il s’agit donc d’un énorme changement pour ce secteur. Et l’autre secteur, c’est la fabrication. Le secteur manufacturier peinait par rapport à sa capacité de payer le coût des intérêts. La situation devenait très tendue avant la pandémie. Mais, comme nous tous, qui avons dû changer nos comportements, la demande pour les biens au Canada, tout comme partout dans le monde, a été énorme. Qu’il s’agisse de dépenser de l’argent pour ajouter un bureau ou une salle de sport à votre domicile, ou bien de faire des travaux de maintenance. La demande de biens a été énorme et les sociétés canadiennes qui fabriquent ces biens, ont connu une rentrée d’argent énorme, par conséquent, leurs bilans se sont grandement améliorés.
Quels sont les risques associés au nouveau variant Omicron dans ces secteurs et sur les niveaux d’endettement actuels des sociétés?
Il est certain que n’importe quel variant aura des répercussions sur les services. Nous savons que lors des précédentes vagues, les Canadiens ont moins été au restaurant, ou moins eu recours à des services de divertissement. Un domaine que nous avons mentionné, c’est le secteur des arts du divertissement. Ce secteur avait des niveaux d’endettement assez faibles à l’approche de la pandémie, mais ces derniers ont récemment augmenté parce que beaucoup d’entreprises ont lutté pour garder la tête hors de l’eau pendant cette période. Et elles ont vraiment besoin d’un retour à la normale pour que leurs profits rattrapent le montant de la dette contractée. Il s’agit donc d’un secteur à surveiller. Donc, s’il y a de nouveaux variants qui suppriment leurs bénéfices, ou les retardent même, elles auront plus de mal à payer leurs dettes, et c’est certainement préoccupant. D’autres facteurs, comme l’avenir des prix de l’énergie, nous avons mentionné que le secteur du pétrole et du gaz se porte très bien en ce moment, mais il faut vraiment que les prix du pétrole et du gaz restent à des niveaux assez élevés pour maintenir ces bénéfices. Voilà les facteurs que nous surveillons pour déterminer si de nouveaux variants vont poser un risque pour les titres de créance des sociétés canadiennes.
D’accord, alors, en fin de compte, qu’est-ce que ces niveaux élevés de dette des sociétés nous disent sur la santé des industries canadiennes?
Eh bien, je pense que même si la dette a définitivement augmenté, nous avons environ 2 000 milliards de dollars de titres de créance de sociétés au Canada, c’est-à-dire une augmentation d’environ 200 milliards de dollars avant même le début de la pandémie. C’était un risque important pour l’économie canadienne. Mais il y a eu une amélioration. Le fait que les prix des propriétés ont tellement augmenté, que les prix du pétrole ont tellement augmenté, que le secteur manufacturier s’est tellement amélioré, tous les secteurs que nous avions signalé comme à haut risque ont en fait connu une amélioration dans leur rentabilité, ce qui a un peu réduit le niveau d’inquiétude. Mais ces risques ont été transférés sur d’autres types de sociétés. Des sociétés comme celles des arts et du divertissement, les services à fortes interactions qui sont très impactés par la propagation de la COVID-19 dans le sens ou s’il il y a une augmentation des nouvelles infections, nous serons dans une situation où la reprise des bénéfices de ces sociétés sera retardée. Et donc, même si notre dette est élevée au Canada, il y a eu certaines améliorations qu’il est important de souligner.
James, merci beaucoup pour votre présence.
Merci.