Un scénario d’atterrissage en douceur étant ce qu’on peut espérer de mieux, les bénéfices prévus sont-ils trop rétrospectifs et pas assez représentatifs d’attentes réalistes? Kim Parlee discute de l’avenir incertain de l’économie avec Ben Gossack, gestionnaire de portefeuille, Gestion de Placements TD.
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Plus de deux ans après la première vague de COVID, le monde est encore aux prises avec des problèmes de chaîne d’approvisionnement qui contribuent à des taux d’inflation inédits depuis plusieurs décennies. Le pire est-il derrière nous? J’accueille Ben Gossack, gestionnaire de portefeuille à Gestion de Placements TD. Il va nous faire part de son point de vue sur la question. C’est un plaisir de vous voir.
Ravi de vous revoir en personne.
KIM PARLEE : Oui. C’est un peu bizarre, on doit tous se réhabituer à se parler en face à face. Vous nous avez amené un graphique pour illustrer si les pressions sur les chaînes d’approvisionnement mondiales s’atténuent. Voyons cela. Pourquoi ce graphique a-t-il attiré votre attention?
Allons-y. C’est très compliqué de surveiller les chaînes d’approvisionnement, à cause du nombre de pays et des différents réseaux. Ce nouveau graphique provient de la Réserve fédérale de New York. Il date du début de l’année. Et ce qui est intéressant, c’est qu’il montre tout du point de vue de l’écart-type. Toute déviation supérieure ou inférieure d’un point n’est pas vraiment significative sur le plan statistique.
KIM PARLEE : Je dirais que les écarts sont restés raisonnables jusqu’en 2019, apparemment.
BEN GOSSAK : Tout à fait. Zéro correspond à la pression moyenne. Pour mettre les choses en perspective, la fermeture des économies pendant la COVID a entraîné un écart-type de trois. Et ce qui est surprenant, c’est la persistance de ces pressions. C’est assez surprenant de constater qu’en début d’année, la pression s’est aggravée. On voit un écart-type de quatre, et c’est dû à l’effet cumulé des variants Delta et Omicron. L’épidémie a régressé, mais la situation s’est dégradée avec la crise en Europe de l’Est et les confinements en Chine.
KIM PARLEE : L’écart-type illustre donc une pression relativement neutre, très forte pendant la COVID puis, étonnamment, pire après la pandémie. Mais on observe une tendance à la baisse en bas à droite. Doit-on y voir une bonne nouvelle?
BEN GOSSAK : Oui, c’est la bonne nouvelle. Pour faire court, on se situe effectivement à des niveaux sans précédent, mais la situation s’améliore. Et jour après jour, on reçoit des nouvelles plus positives en provenance de Chine. Les marchandises vont recommencer à circuler. Le principal problème et la raison pour laquelle l’écart-type est si élevé, c’est que les délais de livraison ont explosé, et que les retards s’accumulent. Les chaînes d’approvisionnement sont complexes. Le client de quelqu’un est le fournisseur d’un autre. Si une pièce est bloquée quelque part, impossible de livrer un produit fini. Les retards s’accumulent, et la situation empire.
KIM PARLEE : Demandez à ceux qui tentent d’acheter un téléphone, un ordinateur, une voiture. Il semble donc que les pressions sur la chaîne d’approvisionnement s’atténuent. Comme vous le dites, elles restent toutefois très fortes. Je sais que vous regardez aussi ce qui se passe dans le secteur du commerce de détail, et vous y voyez un facteur déflationniste. À votre avis, qu’est-ce qui pourrait contribuer à réduire la pression?
Les problèmes d’approvisionnement ont raréfié les biens. On était tous coincés à la maison, et on a délaissé les services pour acheter des biens. Les dépenses en biens surpassent nettement la tendance. Face à la pression très forte, les détaillants ont préféré surpayer pour garnir leurs tablettes plutôt que de ne rien avoir à vendre. Ils ont donc commandé le double, le triple et payé tous les frais de transport.
Ce qui nous inquiète depuis l’an dernier, c’est le moment où la chaîne d’approvisionnement va commencer à se débloquer et où les produits vont de nouveau circuler. Est-ce que les clients voudront encore de ces produits? Est-ce qu’ils seront toujours de saison? Et depuis quelques semaines, on entend des détaillants nous dire que les stocks sont arrivés, qu’ils s’accumulent, et que les clients n’en veulent plus.
Ils doivent maintenant écouler ces stocks d’une manière ou d’une autre. C’est une situation potentiellement déflationniste, je suppose.
BEN GOSSAK : Oui. Avec les biens qui commencent à arriver et un retour à la normale de la pression sur les chaînes d’approvisionnement, l’inflation sur les biens devrait ralentir. C’est ce qui a fait monter l’IPCX, quand on exclut l’essence et les aliments.
Et comme les entrepôts des détaillants débordent, leurs marges vont diminuer. Ces marges sont vitales pour les détaillants. Ils vont donc offrir des rabais et des promotions pour écouler ces produits. C’est déjà le cas chez des grands détaillants. Ils ont fait des annonces. Ça devrait aussi faire baisser les prix des biens.
KIM PARLEE : Si les gens paient moins pour les biens, ils auront peut-être plus d’argent à dépenser pour d’autres choses. Je sais que vous aimez encore le secteur des services. Vous restez optimiste pour le secteur des voyages en ce moment. Vous gérez le FNB à gestion active de dividendes bonifiés mondiaux TD, qui a été primé, et le FNB à gestion active de dividendes bonifiés américains TD. Qu’est-ce qui est intéressant dans ces FNB, qu’est-ce que vous voyez dans les services?
BEN GOSSAK : Même si – les dépenses en biens ont dépassé la tendance. Bien sûr, à cause des confinements, les services ont piqué du nez. Aujourd’hui, on rejoint la tendance et on s’attend à un dépassement.
Comme vous l’avez dit, la baisse des prix des biens y est favorable. Cela dit, l’essence et les aliments sont plus chers. Même si on observe une certaine inflation dans les services, surtout dans les voyages, la plupart des gens sont prêts à la tolérer, quitte à différer les paiements, parce que les voyages nous ont été si longtemps interdits.
KIM PARLEE : Ils ont besoin de partir.
BEN GOSSAK : Ils ont besoin de partir. Ils savent qu’ils paient trop, mais ils en ont envie ou besoin. Ils sont prêts à payer trop cher, à utiliser leur carte de crédit et à reporter le paiement à l’année prochaine. Les sociétés dont on a déjà parlé, comme Hilton ou American Express, ont tendance à profiter des services liés aux voyages pour lesquels les gens sont prêts à payer, quel que soit le prix.
KIM PARLEE : Qu’en est-il de l’ensemble du marché? On a vu de très forts reculs cette année. La technologie et certains segments à forte croissance ont vraiment dégringolé. Mais selon vous, ce n’est pas parce que les cours ont chuté que ce n’est pas le bon moment pour investir. Et vous avez des – Parlez-nous du ratio cours/bénéfice, par exemple.
Si une action qui était à 150 $ tombe à 100 $ ou 80 $, est-ce que c’est une bonne affaire? Quand on étudie un peu le marché, on entend des gens dire que le ratio est assez intéressant. Avant, il était de 23. Cette année, on s’attend à un ratio de 18. Dans les 12 prochains mois, il sera d’environ 17.
Qu’est-ce que ça veut dire, sur le plan historique? Sur le marché, on a un ratio cours/bénéfice de 15 depuis environ 1970. C’est le ratio médian. Et je crois qu’on devrait payer plus pour un dollar de bénéfices dans l’indice S&P, parce que les sociétés qui composent le S&P sont de qualité supérieure.
KIM PARLEE : Oui.
BEN GOSSAK : Mais ceci dit, les détaillants doivent revoir leurs attentes à la baisse. Microsoft a créé la surprise en réduisant ses chiffres. Ce qui pourrait vous surprendre, c’est que les prévisions de bénéfices actuelles, compte tenu de toutes les mauvaises nouvelles que l’on reçoit, sont en réalité plus élevées qu’elles ne l’étaient en début d’année. Et ça m’indique que les chiffres sont périmés.
Il faudra donc peut-être attendre les annonces du deuxième trimestre, quand les équipes de direction abaisseront leurs attentes. Vous entendrez peut-être que les titres sont bon marché, du moins d’un point de vue historique, mais ce sont les bénéfices qu’il faut ajuster, et ils semblent suivre une tendance à la baisse.
KIM PARLEE : Ben, c’est toujours un plaisir. Merci encore d’avoir été des nôtres.
Avec plaisir. Merci.
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