Malgré un recul en janvier, le marché de l’emploi au Canada continue de montrer des signes de vigueur. Toutefois, la croissance des salaires n’a pas nécessairement suivi. Anthony Okolie et James Orlando, économiste principal, Groupe Banque TD, expliquent pourquoi cela pourrait bientôt changer.
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[MUSIQUE]
James, dans votre dernier rapport, vous laissez entendre que l’économie canadienne n’aura peut-être pas à attendre encore très longtemps pour que la croissance des salaires se redresse. Mais avant d’entrer dans les détails, où se situe le marché du travail canadien par rapport à ce qu’il était avant la pandémie?
Oui. Merci, Anthony. Si on regarde l’emploi, l’emploi total au Canada, on constate actuellement que le niveau d’emploi, c’est-à-dire le nombre de personnes qui ont un emploi, est en fait plus élevé qu’avant la pandémie. Ce sont donc de très bonnes nouvelles.
Si on regarde le taux de chômage que ça donne, il est actuellement à environ 6,5 %. Ça se compare à certains des pires niveaux qu’on a vus pendant la pandémie, et à environ 5,7 %, soit le taux qu’on avait avant la pandémie. Il reste donc encore un peu de chemin à faire. Et cette différence s’explique en partie par la croissance de la main-d’œuvre. La population est en croissance. Nous devons donc retrouver non seulement les emplois qu’on a perdus durant la pandémie, mais aussi créer des emplois pour les personnes qui entrent sur le marché du travail.
Donc, un taux de 6,5 %, c’est assez raisonnable. Ce n’est pas très loin de ce qu’on considère comme le plein emploi. Et ça tient aussi compte des répercussions de la vague d’Omicron en janvier, qui a entraîné la perte de 200 000 emplois au Canada en un mois. Et la plupart de ces emplois-là ont été perdus en Ontario et au Québec, où les confinements ont été plus stricts.
La bonne nouvelle, c’est qu’il semble clairement que la perte récente de ces emplois est principalement attribuable à des facteurs temporaires, et qu’ils devraient revenir en février et en mars. Donc, au Canada, le marché du travail va être très vigoureux à l’approche du printemps.
D’accord. Si le marché du travail sera vigoureux à l’approche du printemps, pourquoi, jusqu’à maintenant, les salaires au Canada ont-ils été à la traîne pour un grand nombre de travailleurs?
Oui, c’est une bonne question.
C’est vraiment ce sur quoi tout le monde se concentre en ce moment, si on peut dire. Alors que la croissance des salaires est de 2,5 %, que l’inflation augmente d’environ 5 %, que le taux de chômage est très faible, pourquoi les salaires ne s’améliorent-ils pas? C’est en partie dû au « moment ». L’accélération qu’on a vue sur le marché du travail et au niveau de l’inflation a été très rapide.
Si on regarde le taux de chômage à la même époque l’an dernier, donc en janvier 2021, il était supérieur à 9 %. Il a fallu combler près d’un million d’emplois pour en arriver là où nous sommes actuellement. D’accord. C’est donc une croissance assez rapide de l’emploi. Et on est passés d’un marché du travail qui n’était pas très serré à pareille date l’an dernier à un marché qui est assez serré en ce moment. Je pense donc que c’est la rapidité. Et il faut un certain temps pour que le taux de chômage ou les gains d’emploi se répercutent vraiment sur les salaires.
Et aussi du côté de l’inflation, le taux élevé qu’on a actuellement a pris beaucoup de monde par surprise. Ce n’est que l’été dernier que l’inflation a commencé à s’accélérer. Et ça s’est vraiment produit en décembre, quand le taux d’inflation a commencé à frôler 5 % au Canada. Et tout a bougé rapidement. Et je pense que lorsque les gens négociaient leur salaire, disons en 2021, ils ne comptaient pas vraiment sur le fait que l’inflation serait aussi forte. Et ils ne savaient pas vraiment que le marché du travail serait aussi serré qu’il l’est devenu.
D’accord. Vous avez dit que l’inflation avait certainement été très forte. Alors quels sont certains des principaux facteurs qui pourraient accélérer la croissance des salaires des travailleurs à l’avenir?
Tout d’abord, il faut laisser passer le temps. Je pense que les gens se rendent compte que le marché du travail est serré en ce moment. Ils se rendent compte que le coût de la vie augmente considérablement. Je pense donc que les travailleurs qui sont employés en ce moment et ceux qui changent d’emploi auront un pouvoir de négociation important. Ça va se maintenir, et ce facteur-là devrait à lui seul contribuer à augmenter les salaires, mais aussi des facteurs comme la baisse du taux de chômage et l’augmentation du nombre de travailleurs.
On remarque un changement où les gens passent d’emplois à temps partiel à des emplois à temps plein. Et les emplois à temps partiel affichent habituellement une croissance des salaires inférieure à celle des emplois à temps plein. C’est donc aussi un avantage. On a aussi remarqué que les travailleurs pouvaient passer, disons, d’un type de secteur à faible salaire à un secteur à salaire plus élevé. Je pense donc que beaucoup des tendances qu’on observe actuellement sur le marché du travail, qui est très vigoureux, vont certainement faire avancer les choses si elles peuvent se maintenir.
Et si le pire de cette vague d’Omicron est passé, on s’attend à ce qu’il y ait un peu plus de stabilité sur le marché du travail. Espérons que les personnes qui ont perdu leur emploi en janvier vont le retrouver. Plus de gens vont voir leur salaire augmenter. Ils vont revenir sur le marché du travail et commencer à accepter des emplois. Ce qu’on voit, c’est que si les choses continuent d’aller comme on le prévoit, les salaires devraient commencer à rattraper leur retard.
D’accord. Comme vous l’avez dit, si les choses continuent sur cette lancée, quand, selon vous, les Canadiens pourront-ils s’attendre à une hausse des salaires?
Oui, on a fait une petite analyse à partir de données historiques. On a donc analysé trois scénarios différents : le premier, selon lequel le taux de chômage demeure autour de 6 %, comme il était en décembre, le deuxième, selon lequel il atteint 5,5 %, et le troisième, selon lequel il atteint 5 %. Et ce qu’on a constaté, c’est qu’il faut environ six mois à un an pour que les salaires commencent à grimper après une forte hausse du taux de chômage, comme celle qu’on a observée.
Ce qu’on dit, c’est que oui, en 2021, à la fin de l’année, les salaires n’ont pas suivi le rythme de l’inflation. Mais ce qu’on constate en ce moment, c’est que d’ici la fin de 2022, on croit que les salaires devraient refléter la vigueur réelle qu’on observe actuellement sur les marchés du travail.
Dans votre rapport, vous soulignez également d’autres facteurs potentiels qui pourraient influer sur la croissance des salaires. Pouvez-vous nous donner quelques exemples?
Oui. Mis à part le fait qu’on a besoin de la vigueur du marché du travail et que les entreprises doivent continuer d’embaucher des gens, l’inflation va jouer un rôle important. Le coût de la vie est donc un aspect auquel les gens accordent beaucoup d’attention. Les gens pensent au prix de la nourriture, au prix de l’essence et à toutes ces choses-là. Ça a des répercussions sur le portefeuille des gens.
Alors, où se situe l’inflation... est-ce qu’elle ralentit pour revenir à un niveau historique? Ou est-ce qu’elle se maintient à un niveau élevé? Je pense que c’est un aspect auquel les gens vont prêter attention quand ils vont évaluer leur salaire et ce qu’ils pensent faire à l’avenir.
Et l’autre facteur, c’est de savoir dans quelle mesure les Canadiens sont en mesure d’améliorer leur productivité. La productivité correspond essentiellement à ce qu’on peut produire de plus, dans le même laps de temps et avec le même apport en capital dont on dispose. Donc, si j’ai un ordinateur et que je travaille huit heures par jour, quelle quantité de travail est-ce que je peux réellement produire? On a donc constaté une amélioration de la productivité durant des épisodes de la pandémie, les gens qui travaillent à domicile pouvant produire beaucoup plus.
Mais le Canada et de nombreux autres pays ont été plombés par une faible croissance de la productivité, et c’est une chose à laquelle on va porter beaucoup d’attention. Quelle sera la productivité des Canadiens en 2022? S’ils peuvent produire beaucoup plus pour le même nombre d’heures de travail ou avec le même apport en capital, ils auront plus de poids pour obtenir des salaires plus élevés.
James, excellent rapport. Merci beaucoup de vous être joint à nous.
Merci.
[MUSIQUE]
James, dans votre dernier rapport, vous laissez entendre que l’économie canadienne n’aura peut-être pas à attendre encore très longtemps pour que la croissance des salaires se redresse. Mais avant d’entrer dans les détails, où se situe le marché du travail canadien par rapport à ce qu’il était avant la pandémie?
Oui. Merci, Anthony. Si on regarde l’emploi, l’emploi total au Canada, on constate actuellement que le niveau d’emploi, c’est-à-dire le nombre de personnes qui ont un emploi, est en fait plus élevé qu’avant la pandémie. Ce sont donc de très bonnes nouvelles.
Si on regarde le taux de chômage que ça donne, il est actuellement à environ 6,5 %. Ça se compare à certains des pires niveaux qu’on a vus pendant la pandémie, et à environ 5,7 %, soit le taux qu’on avait avant la pandémie. Il reste donc encore un peu de chemin à faire. Et cette différence s’explique en partie par la croissance de la main-d’œuvre. La population est en croissance. Nous devons donc retrouver non seulement les emplois qu’on a perdus durant la pandémie, mais aussi créer des emplois pour les personnes qui entrent sur le marché du travail.
Donc, un taux de 6,5 %, c’est assez raisonnable. Ce n’est pas très loin de ce qu’on considère comme le plein emploi. Et ça tient aussi compte des répercussions de la vague d’Omicron en janvier, qui a entraîné la perte de 200 000 emplois au Canada en un mois. Et la plupart de ces emplois-là ont été perdus en Ontario et au Québec, où les confinements ont été plus stricts.
La bonne nouvelle, c’est qu’il semble clairement que la perte récente de ces emplois est principalement attribuable à des facteurs temporaires, et qu’ils devraient revenir en février et en mars. Donc, au Canada, le marché du travail va être très vigoureux à l’approche du printemps.
D’accord. Si le marché du travail sera vigoureux à l’approche du printemps, pourquoi, jusqu’à maintenant, les salaires au Canada ont-ils été à la traîne pour un grand nombre de travailleurs?
Oui, c’est une bonne question.
C’est vraiment ce sur quoi tout le monde se concentre en ce moment, si on peut dire. Alors que la croissance des salaires est de 2,5 %, que l’inflation augmente d’environ 5 %, que le taux de chômage est très faible, pourquoi les salaires ne s’améliorent-ils pas? C’est en partie dû au « moment ». L’accélération qu’on a vue sur le marché du travail et au niveau de l’inflation a été très rapide.
Si on regarde le taux de chômage à la même époque l’an dernier, donc en janvier 2021, il était supérieur à 9 %. Il a fallu combler près d’un million d’emplois pour en arriver là où nous sommes actuellement. D’accord. C’est donc une croissance assez rapide de l’emploi. Et on est passés d’un marché du travail qui n’était pas très serré à pareille date l’an dernier à un marché qui est assez serré en ce moment. Je pense donc que c’est la rapidité. Et il faut un certain temps pour que le taux de chômage ou les gains d’emploi se répercutent vraiment sur les salaires.
Et aussi du côté de l’inflation, le taux élevé qu’on a actuellement a pris beaucoup de monde par surprise. Ce n’est que l’été dernier que l’inflation a commencé à s’accélérer. Et ça s’est vraiment produit en décembre, quand le taux d’inflation a commencé à frôler 5 % au Canada. Et tout a bougé rapidement. Et je pense que lorsque les gens négociaient leur salaire, disons en 2021, ils ne comptaient pas vraiment sur le fait que l’inflation serait aussi forte. Et ils ne savaient pas vraiment que le marché du travail serait aussi serré qu’il l’est devenu.
D’accord. Vous avez dit que l’inflation avait certainement été très forte. Alors quels sont certains des principaux facteurs qui pourraient accélérer la croissance des salaires des travailleurs à l’avenir?
Tout d’abord, il faut laisser passer le temps. Je pense que les gens se rendent compte que le marché du travail est serré en ce moment. Ils se rendent compte que le coût de la vie augmente considérablement. Je pense donc que les travailleurs qui sont employés en ce moment et ceux qui changent d’emploi auront un pouvoir de négociation important. Ça va se maintenir, et ce facteur-là devrait à lui seul contribuer à augmenter les salaires, mais aussi des facteurs comme la baisse du taux de chômage et l’augmentation du nombre de travailleurs.
On remarque un changement où les gens passent d’emplois à temps partiel à des emplois à temps plein. Et les emplois à temps partiel affichent habituellement une croissance des salaires inférieure à celle des emplois à temps plein. C’est donc aussi un avantage. On a aussi remarqué que les travailleurs pouvaient passer, disons, d’un type de secteur à faible salaire à un secteur à salaire plus élevé. Je pense donc que beaucoup des tendances qu’on observe actuellement sur le marché du travail, qui est très vigoureux, vont certainement faire avancer les choses si elles peuvent se maintenir.
Et si le pire de cette vague d’Omicron est passé, on s’attend à ce qu’il y ait un peu plus de stabilité sur le marché du travail. Espérons que les personnes qui ont perdu leur emploi en janvier vont le retrouver. Plus de gens vont voir leur salaire augmenter. Ils vont revenir sur le marché du travail et commencer à accepter des emplois. Ce qu’on voit, c’est que si les choses continuent d’aller comme on le prévoit, les salaires devraient commencer à rattraper leur retard.
D’accord. Comme vous l’avez dit, si les choses continuent sur cette lancée, quand, selon vous, les Canadiens pourront-ils s’attendre à une hausse des salaires?
Oui, on a fait une petite analyse à partir de données historiques. On a donc analysé trois scénarios différents : le premier, selon lequel le taux de chômage demeure autour de 6 %, comme il était en décembre, le deuxième, selon lequel il atteint 5,5 %, et le troisième, selon lequel il atteint 5 %. Et ce qu’on a constaté, c’est qu’il faut environ six mois à un an pour que les salaires commencent à grimper après une forte hausse du taux de chômage, comme celle qu’on a observée.
Ce qu’on dit, c’est que oui, en 2021, à la fin de l’année, les salaires n’ont pas suivi le rythme de l’inflation. Mais ce qu’on constate en ce moment, c’est que d’ici la fin de 2022, on croit que les salaires devraient refléter la vigueur réelle qu’on observe actuellement sur les marchés du travail.
Dans votre rapport, vous soulignez également d’autres facteurs potentiels qui pourraient influer sur la croissance des salaires. Pouvez-vous nous donner quelques exemples?
Oui. Mis à part le fait qu’on a besoin de la vigueur du marché du travail et que les entreprises doivent continuer d’embaucher des gens, l’inflation va jouer un rôle important. Le coût de la vie est donc un aspect auquel les gens accordent beaucoup d’attention. Les gens pensent au prix de la nourriture, au prix de l’essence et à toutes ces choses-là. Ça a des répercussions sur le portefeuille des gens.
Alors, où se situe l’inflation... est-ce qu’elle ralentit pour revenir à un niveau historique? Ou est-ce qu’elle se maintient à un niveau élevé? Je pense que c’est un aspect auquel les gens vont prêter attention quand ils vont évaluer leur salaire et ce qu’ils pensent faire à l’avenir.
Et l’autre facteur, c’est de savoir dans quelle mesure les Canadiens sont en mesure d’améliorer leur productivité. La productivité correspond essentiellement à ce qu’on peut produire de plus, dans le même laps de temps et avec le même apport en capital dont on dispose. Donc, si j’ai un ordinateur et que je travaille huit heures par jour, quelle quantité de travail est-ce que je peux réellement produire? On a donc constaté une amélioration de la productivité durant des épisodes de la pandémie, les gens qui travaillent à domicile pouvant produire beaucoup plus.
Mais le Canada et de nombreux autres pays ont été plombés par une faible croissance de la productivité, et c’est une chose à laquelle on va porter beaucoup d’attention. Quelle sera la productivité des Canadiens en 2022? S’ils peuvent produire beaucoup plus pour le même nombre d’heures de travail ou avec le même apport en capital, ils auront plus de poids pour obtenir des salaires plus élevés.
James, excellent rapport. Merci beaucoup de vous être joint à nous.
Merci.
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