Les prévisions sur le prix du pétrole risquent de devenir de plus en plus incertaines face à des forces contraires, avec d’un côté l’intensification des tensions géopolitiques et de l’autre, l’inflation persistante. Bart Melek, chef mondial, Stratégie relative aux produits de base à Valeurs Mobilières TD, discute avec Kim Parlee de ce qu’il entrevoit dans le secteur des produits de base.
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* Bienvenue à Parlons argent. Ici Kim Parlee. Merci beaucoup de nous retrouver. Le prix du pétrole ne cesse de grimper, avec une hausse d’environ 20 % depuis le début de l’année. Près de la moitié des gains ont été enregistrés le mois dernier. Il y a en partie les tensions géopolitiques, mais d’autres facteurs plus fondamentaux sont-ils également à l’œuvre? Voici Bart Melek, chef, Stratégie relative aux produits de base à Valeurs Mobilières TD. C’est un plaisir de voir en personne. * Ça fait du bien de revenir. Merci de l’invitation. * Et il y en aura d’autres. Le pétrole dépend toujours de l’offre et de la demande. Je ne sais pas par quel côté de l’équation vous aimeriez commencer. Commençons peut-être par l’offre. Que se passe-t-il de ce côté? * Je pense que l’offre a joué un rôle extrêmement important dans cette remontée. D’une part, l’Arabie saoudite et l’OPEP+ continuent de limiter l’offre. Ils se sont engagés à produire 2,2 millions de barils de moins par jour, a priori pour le reste de l’année. Globalement, on observe une discipline sur le plan géopolitique. Les tensions entre l’Iran et Israël n’ont pas encore atteint leur paroxysme, mais le marché craint fort que l’on assiste à une escalade risquant, à un moment donné, de perturber la circulation du pétrole. Les conflits par procuration en mer Rouge pourraient se reproduire. C’est donc un facteur. * Et bien sûr, il ne faut pas oublier l’autre front géopolitique. Des drones ukrainiens ont directement attaqué des installations de raffinage en Russie, réduisant ainsi l’approvisionnement en distillat qui nous parvient indirectement, en contournant les sanctions. Si l’approvisionnement en distillat continue d’être perturbé – je ne sais pas si ça arrivera, mais ça inquiète le marché – les marges de craquage risquent d’augmenter, tout comme les besoins en brut dans certaines parties du monde. Selon moi, il y a un vrai risque de resserrement des marchés. Et on s’attend à des déficits pour le reste de l’année. * À ce sujet, on a entendu que les États-Unis tentent de faire pression sur l’Arabie saoudite pour qu’elle augmente sa production. Les États-Unis s’inquiètent de ces déficits et des répercussions, car ce sont de grands consommateurs. * Sans parler des élections qui s’en viennent. * Oui. * Washington n’a jamais hésité à demander à l’Arabie saoudite d’accroître sa production. Toutefois, il est juste de dire que les intérêts de l’Arabie saoudite rejoignent ceux de Washington. Elle a bien assez de réserves pour mettre deux à trois millions de barils de plus sur le marché. Si les prix continuent de monter, sachant que le Brent se situe autour de 90 $, ou un peu en dessous aujourd’hui, ce ne sera pas nécessairement à son avantage. Elle ne veut pas détruire la demande à long terme. * Et surtout, elle ne veut pas inciter les producteurs de gaz de schiste à investir davantage et à leur ôter le pain de la bouche. * L’Arabie saoudite est en position idéale en ce moment. Le gaz de schiste est en berne. * Oui, tout à fait. Mais aujourd’hui, l’EIA, l’Energy Information Agency, a revu ses prévisions sur l’offre à la hausse. Je ne sais pas si c’est directement lié à cette hausse de 20 %, mais je suis certain que l’Arabie saoudite et l’OPEP+ se penchent sur la question. Et du point de vue des Saoudiens, abstraction faite de toutes les réflexions hâtives du marché sur le fait qu’ils veulent obtenir un prix plus élevé, * je crois que les Saoudiens estiment que c’est une question d’équité. Ils ont fait la plupart des sacrifices. Leur part de marché s’est érodée et ils voudraient la récupérer. Ils pensent probablement que c’est à eux d’en profiter, et à personne d’autre. Dans ce point de vue, je crois que quand ils le décideront, et non quand Washington le décidera, [RIRE] ils augmenteront les prix. * Et disons-le franchement : Washington a suspendu le programme de renouvellement de sa réserve de pétrole stratégique. Je sens une inquiétude à Washington, surtout en cette année d’élections, car il n’est jamais de bon augure pour le parti au pouvoir de voir flamber le pétrole. * Bien, parlons un peu de la demande. À chaque fois que – On voit que le Canada et les États-Unis empruntent des voix différentes. Les États-Unis continuent sur leur lancée, on commence à percevoir un véritable élan, une accélération. * On a reçu les chiffres sur l’emploi la semaine dernière. Plus de 300 000 emplois ont été créés. Je ne sais même pas si le marché s’attend encore à un atterrissage en douceur. Il n’y aura peut-être pas d’atterrissage du tout. * Oui. Il n’y a qu’à [baisser le nez?] avant de reprendre de la hauteur. * Oui, tout va plutôt bien. Même avec cette politique monétaire dite restrictive, la politique budgétaire soutient le tout. Le crédit est toujours disponible. Les liquidités semblent abonder. Les marchés boursiers s’envolent. Je suis convaincu que la théorie économique va finir par fonctionner et que la hausse des taux d’intérêt va ralentir l’économie. La question est de savoir quand. * À ce stade, je pense que le marché estime que la demande mondiale va continuer de très bien se porter. Nos prévisions ont parfois été critiquées au motif qu’elles étaient trop optimistes, avec 1,2 à 1,4 million de barils de nouvelle demande cette année. Mais on pourrait sans doute en arriver là sans difficulté. Et on est bien contents d’avoir pris une position acheteur et d’avoir été optimistes sur le pétrole pour toutes les raisons évoquées précédemment. * Justement, il ne me reste qu’une trentaine de secondes, Bart, mais à quels niveaux vont se situer les prix au cours des… À vous de choisir votre horizon. * Disons jusqu’à la fin de l’année. Je crois qu’on pourrait dépasser les 90 $, peut-être même voir un prix à trois chiffres. Je ne pense pas que l’Arabie saoudite sera pressée d’agir. Il se pourrait très bien que la Réserve fédérale américaine procède à des baisses de taux en milieu d’année en juin ou juillet, ce qui pourrait attirer les spéculateurs et faire baisser les coûts de portage. Les prévisions à l’égard de la demande pourraient augmenter. Je m’inquiète beaucoup des tensions au Moyen-Orient et du risque de destruction d’autres installations de raffinage. C’est la seule grande raison pour laquelle je crois qu’une intensification des tensions et que des bombardements d’installations pourraient nous amener à cette situation. Dans ce cas, l’Arabie saoudite retardera probablement sa décision. Elle profitera des prix plus élevés. Elle ne pense pas qu’elle sera pénalisée immédiatement, et il y aura probablement une injection d’offre. [LOGO SONORE] [MUSIQUE DE GÉNÉRIQUE]