Les taux des obligations du Trésor américain ont atteint des sommets inégalés depuis 2007. Kim Parlee reçoit Alexandra Gorewicz, vice-présidente et directrice, Gestion active des portefeuilles de titres à revenu fixe à Gestion de Placements TD, pour discuter des répercussions générales et, plus particulièrement, des conséquences sur les taux d’intérêt.
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Aux États-Unis, les consommateurs continuent de faire preuve de résilience. Les chiffres des ventes au détail pour septembre sont bien plus élevés que prévu. Ces résultats ont fortement contribué à la grimpée des taux obligataires américains qui atteignent un sommet depuis 16 ans. Alors, comment va réagir la Fed et comment vont évoluer les taux d’intérêt? Alexandra Gorewicz est vice-présidente et directrice, Gestion active des portefeuilles de titres à revenu fixe à Gestion de Placements TD. Elle est en studio avec moi. Ravie de vous retrouver. Merci. C’est un intitulé de poste à rallonge.
En effet. Il faut du souffle. Parlons un peu de cette croissance surprise de l’économie. Peut-on expliquer son origine et quel sera l’impact pour la suite?
C’est vraiment difficile de donner des raisons précises. Vous allez avoir l’impression que ma réponse est un peu vague. En réalité, un facteur comportemental est à l’œuvre. J’entends par là que par rapport aux habitudes de dépenses, par rapport aux tendances budgétaires habituelles d’avant la pandémie, on constate un certain changement.
Par exemple, les ménages n’hésitent pas à dépenser plus et à épargner moins malgré les taux d’intérêt élevés. De même, le gouvernement américain affiche de forts déficits budgétaires compte tenu de la vigueur de l’économie. En raison du niveau élevé des dépenses de consommation dans l’économie américaine, les entreprises n’hésitent pas à répercuter de manière proactive les hausses de prix sur les consommateurs.
Et donc, dans l’ensemble, il est difficile de se prononcer sur l’évolution de l’inflation. Les investisseurs en obligations ne savent pas combien de temps la situation va durer. Ils n’en voient pas précisément la fin. Ils préfèrent donc demander aux emprunteurs des taux d’intérêt plus élevés, c’est-à-dire augmenter le coût de l’emprunt.
Pour tenter de mettre fin à cette frénésie. Je crois qu’une petite explication s’impose. Traditionnellement, d’un point de vue comportemental, si je paie plus d’intérêts sur ma dette, j’ai moins d’argent à consacrer à d’autres choses. Mais vous dites que les consommateurs et le gouvernement s’endettent davantage pour maintenir ou même augmenter certaines dépenses.
Oui, c’est exact. La banque centrale attendait une réaction logique à la hausse rapide des taux au cours des 12 à 18 derniers mois de la part des acteurs de l’économie, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Épargner davantage, dépenser moins, peut-être même rembourser les dettes. Mais ce n’est pas ce qu’on observe.
Ceci dit, ce phénomène se cantonne plutôt aux États-Unis. On observe des caractéristiques propres aux États-Unis. Chez nous, si on examine les chiffres des ventes au détail des deux derniers mois et les chiffres qui influencent le PIB, on constate que les données sont beaucoup moins vigoureuses. Les dépenses sont bien inférieures.
En fait, dans d’autres économies comme au Royaume-Uni et en Europe, les ventes au détail affichent une tendance négative, et le PIB est encore plus faible. On commence donc à voir des divergences. Cette analyse du comportement ultra-dépensier n’est pas nécessairement universelle.
Mais aux États-Unis – on en parle déjà depuis longtemps avec vous et d’autres invités – l’ampleur incroyable des dépenses publiques engagées pour la relocalisation, la fabrication de puces au pays, et le rapatriement de la production en général stimule fortement l’économie. Et ces mesures soutiennent la consommation. Beaucoup d’emplois reviennent au pays, notamment. Est-ce qu’on sait quand on peut s’attendre à un ralentissement? Selon vous, quels signes montreront que des fissures commencent à apparaître?
Je crois qu’il est important de souligner que les déficits budgétaires élevés – on peut parler de déficits budgétaires spectaculaires aux États-Unis, surtout par rapport aux autres économies. On enregistre des déficits budgétaires ici au Canada et en Europe, mais pas dans la même mesure qu’aux États-Unis.
Aux États-Unis, le déficit n’est pas seulement attribuable aux dépenses. En réalité, il est dû à la hausse des frais d’intérêt consécutive à la hausse des taux. Et le gouvernement n’a pas réagi en réduisant ses dépenses. Il a maintenu ses dépenses, et il dépense maintenant encore plus d’argent. La dette grossit parce qu’il faut assurer le service de la dette existante.
Il faut donc prendre avec un grain de sel l’ampleur de l’effet stimulant sur l’économie. Ensuite, il est sans doute plus judicieux d’observer les entreprises pour savoir à quel point les consommateurs et les ménages pourront continuer à consommer et à dépenser au niveau actuel.
Et tout dépend vraiment du marché de l’emploi. S’il y a un revirement, un affaiblissement et si des gens commencent à perdre leur emploi, c’est là, selon moi, que les dépenses risquent de fortement chuter par rapport à ce qu’on observe en ce moment.
On voit des manchettes ici et là faisant état de réductions d’effectif. C’est intéressant. Est-ce que vous avez une idée du moment où l’an prochain, les choses vont commencer à se matérialiser du point de vue économique?
Encore une fois, c’est difficile à dire. Si vous m’aviez posé cette question en début d’année, je n’aurais pas anticipé une telle vigueur du marché de l’emploi. On a vu des mises à pied – pas mal de mises à pied en fin de compte dans le secteur des technologies, mais ça ne s’est pas nécessairement étendu à d’autres secteurs de l’économie.
En revanche, un point très intéressant à surveiller à l’annonce des bénéfices… Il est encore trop tôt pour avoir une idée des bénéfices des sociétés. On n’a parcouru que 10 % à 15 % du chemin, tant pour le Canada que pour les États-Unis.
Mais la dernière fois, les ratios de couverture des intérêts commençaient à se détériorer. Autrement dit, l’intérêt augmente beaucoup plus vite que, disons, les bénéfices ou la rentabilité. Et dans les trimestres à venir, si cette tendance s’accentue, le marché de l’emploi pourrait sérieusement en souffrir. Oui. C’est vrai. Surtout pour les sociétés très endettées. Elles vont toutes commencer à s’en inquiéter en même temps.
Absolument, car on n’a pas observé le désendettement massif qu’on attendait malgré l’ampleur du resserrement de la politique monétaire.
Jay Powell nous en dira plus en novembre sur la politique de la Fed. La semaine prochaine, on entendra la Banque du Canada. Elle a fait quelques commentaires au sujet de l’inflation qui se répercute sur les prix à la consommation. Quel discours attendez-vous de la Banque du Canada?
D’après les données sur l’inflation que l’on a reçues plus tôt cette semaine, l’inflation de base était peut-être un peu inférieure aux prévisions consensuelles des économistes. Mais si on annualise l’inflation du troisième trimestre, elle dépasse les prévisions de la Banque du Canada publiées dans son rapport sur la politique monétaire de juillet.
C’est problématique dans la mesure où il y a des vents contraires comme la faiblesse des ventes au détail et du PIB au Canada. La Banque du Canada reconnaît que la situation pourrait poser problème, en particulier pour le marché de l’emploi, dans les trimestres à venir. Mais en même temps, les entreprises continuent de répercuter les prix élevés sur les consommateurs, parce que la consommation se maintient.
Elle reste forte.
Elle reste forte, mais plus faible –
En baisse, mais toujours forte.
En baisse, plus faible qu’aux États-Unis, mais toujours forte. La Banque du Canada va donc adopter une approche mesurée, car toutes ces forces contraires suggèrent qu’elle n’a pas besoin d’aller plus loin dans les hausses de taux d’intérêt, mais elle devrait sans doute garder cette option sous le coude, au cas où. [LOGO SONORE] [MUSIQUE]
Aux États-Unis, les consommateurs continuent de faire preuve de résilience. Les chiffres des ventes au détail pour septembre sont bien plus élevés que prévu. Ces résultats ont fortement contribué à la grimpée des taux obligataires américains qui atteignent un sommet depuis 16 ans. Alors, comment va réagir la Fed et comment vont évoluer les taux d’intérêt? Alexandra Gorewicz est vice-présidente et directrice, Gestion active des portefeuilles de titres à revenu fixe à Gestion de Placements TD. Elle est en studio avec moi. Ravie de vous retrouver. Merci. C’est un intitulé de poste à rallonge.
En effet. Il faut du souffle. Parlons un peu de cette croissance surprise de l’économie. Peut-on expliquer son origine et quel sera l’impact pour la suite?
C’est vraiment difficile de donner des raisons précises. Vous allez avoir l’impression que ma réponse est un peu vague. En réalité, un facteur comportemental est à l’œuvre. J’entends par là que par rapport aux habitudes de dépenses, par rapport aux tendances budgétaires habituelles d’avant la pandémie, on constate un certain changement.
Par exemple, les ménages n’hésitent pas à dépenser plus et à épargner moins malgré les taux d’intérêt élevés. De même, le gouvernement américain affiche de forts déficits budgétaires compte tenu de la vigueur de l’économie. En raison du niveau élevé des dépenses de consommation dans l’économie américaine, les entreprises n’hésitent pas à répercuter de manière proactive les hausses de prix sur les consommateurs.
Et donc, dans l’ensemble, il est difficile de se prononcer sur l’évolution de l’inflation. Les investisseurs en obligations ne savent pas combien de temps la situation va durer. Ils n’en voient pas précisément la fin. Ils préfèrent donc demander aux emprunteurs des taux d’intérêt plus élevés, c’est-à-dire augmenter le coût de l’emprunt.
Pour tenter de mettre fin à cette frénésie. Je crois qu’une petite explication s’impose. Traditionnellement, d’un point de vue comportemental, si je paie plus d’intérêts sur ma dette, j’ai moins d’argent à consacrer à d’autres choses. Mais vous dites que les consommateurs et le gouvernement s’endettent davantage pour maintenir ou même augmenter certaines dépenses.
Oui, c’est exact. La banque centrale attendait une réaction logique à la hausse rapide des taux au cours des 12 à 18 derniers mois de la part des acteurs de l’économie, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Épargner davantage, dépenser moins, peut-être même rembourser les dettes. Mais ce n’est pas ce qu’on observe.
Ceci dit, ce phénomène se cantonne plutôt aux États-Unis. On observe des caractéristiques propres aux États-Unis. Chez nous, si on examine les chiffres des ventes au détail des deux derniers mois et les chiffres qui influencent le PIB, on constate que les données sont beaucoup moins vigoureuses. Les dépenses sont bien inférieures.
En fait, dans d’autres économies comme au Royaume-Uni et en Europe, les ventes au détail affichent une tendance négative, et le PIB est encore plus faible. On commence donc à voir des divergences. Cette analyse du comportement ultra-dépensier n’est pas nécessairement universelle.
Mais aux États-Unis – on en parle déjà depuis longtemps avec vous et d’autres invités – l’ampleur incroyable des dépenses publiques engagées pour la relocalisation, la fabrication de puces au pays, et le rapatriement de la production en général stimule fortement l’économie. Et ces mesures soutiennent la consommation. Beaucoup d’emplois reviennent au pays, notamment. Est-ce qu’on sait quand on peut s’attendre à un ralentissement? Selon vous, quels signes montreront que des fissures commencent à apparaître?
Je crois qu’il est important de souligner que les déficits budgétaires élevés – on peut parler de déficits budgétaires spectaculaires aux États-Unis, surtout par rapport aux autres économies. On enregistre des déficits budgétaires ici au Canada et en Europe, mais pas dans la même mesure qu’aux États-Unis.
Aux États-Unis, le déficit n’est pas seulement attribuable aux dépenses. En réalité, il est dû à la hausse des frais d’intérêt consécutive à la hausse des taux. Et le gouvernement n’a pas réagi en réduisant ses dépenses. Il a maintenu ses dépenses, et il dépense maintenant encore plus d’argent. La dette grossit parce qu’il faut assurer le service de la dette existante.
Il faut donc prendre avec un grain de sel l’ampleur de l’effet stimulant sur l’économie. Ensuite, il est sans doute plus judicieux d’observer les entreprises pour savoir à quel point les consommateurs et les ménages pourront continuer à consommer et à dépenser au niveau actuel.
Et tout dépend vraiment du marché de l’emploi. S’il y a un revirement, un affaiblissement et si des gens commencent à perdre leur emploi, c’est là, selon moi, que les dépenses risquent de fortement chuter par rapport à ce qu’on observe en ce moment.
On voit des manchettes ici et là faisant état de réductions d’effectif. C’est intéressant. Est-ce que vous avez une idée du moment où l’an prochain, les choses vont commencer à se matérialiser du point de vue économique?
Encore une fois, c’est difficile à dire. Si vous m’aviez posé cette question en début d’année, je n’aurais pas anticipé une telle vigueur du marché de l’emploi. On a vu des mises à pied – pas mal de mises à pied en fin de compte dans le secteur des technologies, mais ça ne s’est pas nécessairement étendu à d’autres secteurs de l’économie.
En revanche, un point très intéressant à surveiller à l’annonce des bénéfices… Il est encore trop tôt pour avoir une idée des bénéfices des sociétés. On n’a parcouru que 10 % à 15 % du chemin, tant pour le Canada que pour les États-Unis.
Mais la dernière fois, les ratios de couverture des intérêts commençaient à se détériorer. Autrement dit, l’intérêt augmente beaucoup plus vite que, disons, les bénéfices ou la rentabilité. Et dans les trimestres à venir, si cette tendance s’accentue, le marché de l’emploi pourrait sérieusement en souffrir. Oui. C’est vrai. Surtout pour les sociétés très endettées. Elles vont toutes commencer à s’en inquiéter en même temps.
Absolument, car on n’a pas observé le désendettement massif qu’on attendait malgré l’ampleur du resserrement de la politique monétaire.
Jay Powell nous en dira plus en novembre sur la politique de la Fed. La semaine prochaine, on entendra la Banque du Canada. Elle a fait quelques commentaires au sujet de l’inflation qui se répercute sur les prix à la consommation. Quel discours attendez-vous de la Banque du Canada?
D’après les données sur l’inflation que l’on a reçues plus tôt cette semaine, l’inflation de base était peut-être un peu inférieure aux prévisions consensuelles des économistes. Mais si on annualise l’inflation du troisième trimestre, elle dépasse les prévisions de la Banque du Canada publiées dans son rapport sur la politique monétaire de juillet.
C’est problématique dans la mesure où il y a des vents contraires comme la faiblesse des ventes au détail et du PIB au Canada. La Banque du Canada reconnaît que la situation pourrait poser problème, en particulier pour le marché de l’emploi, dans les trimestres à venir. Mais en même temps, les entreprises continuent de répercuter les prix élevés sur les consommateurs, parce que la consommation se maintient.
Elle reste forte.
Elle reste forte, mais plus faible –
En baisse, mais toujours forte.
En baisse, plus faible qu’aux États-Unis, mais toujours forte. La Banque du Canada va donc adopter une approche mesurée, car toutes ces forces contraires suggèrent qu’elle n’a pas besoin d’aller plus loin dans les hausses de taux d’intérêt, mais elle devrait sans doute garder cette option sous le coude, au cas où. [LOGO SONORE] [MUSIQUE]