Alors que les investisseurs sont toujours aux prises avec une inflation élevée et une volatilité croissante sur les marchés financiers, la perspective d’un ralentissement de la croissance économique attribuable à la hausse rapide des taux d’intérêt représente une menace plus intimidante. Greg Bonnell s’entretient avec Michael Craig, chef, Répartition des actifs et Produits dérivés à Gestion de Placements TD, des perspectives par rapport aux marchés à l’avenir.
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GREG BONNELL : Eh bien, les investisseurs sont aux prises avec une inflation galopante et avec ce que ça signifie pour nos portefeuilles. Notre invité aujourd’hui affirme qu’une autre tempête se dirige vers les marchés. J’accueille maintenant Michael Craig, chef, Répartition des actifs, Gestion de Placements TD. Michael, c’est un plaisir de vous avoir avec nous.
MICHAEL CRAIG : Avec plaisir, Greg. Je suis heureux d’être ici.
GREG BONNELL : On est tous au courant de la tempête inflationniste. On le vit tous quand on va à l’épicerie, quand on fait le plein d’essence. Parlez-nous de cette nouvelle tempête.
MICHAEL CRAIG : L’inflation a surtout touché l’offre, qui a certainement subi des pressions cette année. Et pour apaiser les choses, la Banque du Canada, la Fed et d’autres banques centrales ont appliqué une politique de hausse extrêmement énergique, qu’on n’avait observée depuis environ 40 ans. Et ça va avoir des répercussions importantes sur la croissance. Il est certain que les secteurs sensibles aux taux d’intérêt de l’économie ralentissent déjà. Et je ne pense pas que les banques centrales aient terminé.
Et c’est vraiment... on voit en quelque sorte ces deux aspects-là. On fait des blagues là-dessus : c’est l’effet Fujiwara, où deux cyclones entrent en collision. Mais j’ai l’impression que même si l’inflation est le sujet du jour, c’est la croissance ou la récession qui va préoccuper les gens au cours des six à neuf prochains mois. Et on est peut-être sans doute déjà en récession technique aux États-Unis en ce moment.
GREG BONNELL : La façon dont vous présentez ça, c’est une chose de voir une tempête passer et la nouvelle tempête, qui est le ralentissement de la croissance, comme vous le dites, arriver. Mais vous parlez de deux tempêtes qui entrent en collision. Ça n’a rien de réjouissant.
MICHAEL CRAIG : Eh bien, le problème, c’est qu’il faut que l’inflation baisse rapidement, parce que les banques centrales pourraient alors mettre un frein aux hausses de taux. Le défi, et c’est un peu une course en ce moment, c’est que, d’une part, les économies ralentissent considérablement. D’un autre côté, l’inflation reste assez vertigineuse. Et certains aspects de l’inflation ne vont pas vraiment se résorber. Le volet « loyer » ne va pas se résorber de sitôt.
Et donc, pour les investisseurs, l’élément clé ou la décision en ce moment, c’est : qu’est-ce qui recule plus rapidement? Je pense qu’on aura une meilleure idée d’ici l’automne. Il faut habituellement quelques trimestres pour que les politiques commencent à maîtriser l’inflation. Et je pense qu’on aura une meilleure idée à ce moment-là. D’ici là, des jours comme aujourd’hui, ou comme la semaine dernière, les marchés font excellente figure. Aujourd’hui, pas tant que ça... on continue de voir une certaine volatilité du côté des actions, des titres à revenu fixe et des devises.
GREG BONNELL : C’est quelque chose qui m’intrigue particulièrement, car j’ai tellement couvert le sujet des banques centrales au cours de ma carrière, le fait que, quand on s’habitue à des hausses ou des baisses de 25 points de base, selon la partie du cycle de hausse ou de baisse de taux où on se trouve, mais on commence à voir des hausses énormes : 50 points de base, 75. Est-ce que ça a un effet plus rapide, même si ce n’est que d’ordre psychologique, sur un pays? Parce qu’on sait qu’il faut du temps pour qu’un ensemble de politiques monétaires se répercute sur l’économie. Mais ces hausses massives, est-ce que c’est en partie la cause de cette réaction-là?
MICHAEL CRAIG : Oui, alors la réponse classique des économistes sur les hausses plus lentes... environ sept trimestres avant qu’on les voie venir. C’est le temps que ça prend pour faire leur effet sur l’économie. Et avant, il y a eu une hausse 25 points de base parce que les banques centrales tentaient simplement de faire une petite différence. Elles ne voulaient pas causer de choc à l’économie. Elles essayaient seulement de ralentir graduellement l’économie sans causer de récession.
Cette fois-ci, eh bien, les historiens économiques vont dire que les banques centrales ont fait une erreur en étant trop lentes et qu’elles ont donc dû rattraper leur retard. Et, en ce moment, c’est une question de crédibilité. Le problème, c’est que je crois que l’inflation va diminuer considérablement. Mais à quel prix? Dans quelle mesure une récession doit-elle s’aggraver pour que cela se produise?
Et je dirais que les secteurs de l’économie qui se sont très bien comportés dans un contexte de faiblesse des taux sont extrêmement vulnérables. Le secteur de l’habitation et... ils appellent ça « FIRE » en anglais : la finance, les assurances et l’immobilier, ces secteurs-là de l’économie sont assez vulnérables parce que, bien franchement, les gens y voient des changements. Et en particulier, ceux qui sont associés à un taux variable. Quand ils vont rétablir ces taux-là, les coûts vont être nettement plus élevés. En fin de compte, c’est comme un impôt sur votre gagne-pain. C’est comme payer une nouvelle taxe parce que le taux de votre prêt hypothécaire est nettement plus élevé.
GREG BONNELL : Dans ce contexte, il y a, je suppose, des participants au marché, et peut-être même que le marché obligataire envoie un signal indiquant que oui, on va avoir des hausses de taux importantes, qu’elles soient imposées par la Banque du Canada, la Fed ou d’autres banques centrales. Mais il ne faudra pas beaucoup de temps avant qu’elles procèdent à une nouvelle réduction. Est-ce que c’est un peu exagérément optimiste de dire que les choses vont mal aller pendant un certain temps, mais que ça va redevenir plus facile bientôt?
MICHAEL CRAIG : Si vous organisez un souper et que vous voulez qu’il y ait une personne qui a un sens de l’humour très noir, invitez quelqu’un du monde des obligations, parce qu’ils ont tendance à avoir une vision très cynique du monde. Et oui, on le voit. On le voit sur les marchés en euros, où... au deuxième trimestre de 2023, on va voir des réductions d’environ 80 points de base.
Et ce que le marché obligataire nous dit, c’est que la Fed va plonger l’économie dans une récession pour augmenter le chômage et créer suffisamment de capacités inutilisées afin de réduire les salaires et d’autres formes d’inflation. Si vous êtes au chômage, vous n’allez pas partir en voyage. Vous allez dépenser moins. Et on ne peut pas vraiment faire grand-chose concernant l’offre. L’offre est touchée par la guerre en Ukraine et par la politique relative à la COVID en Chine. Ça va prendre un certain temps d’adaptation. Et il n’y a pas de remède monétaire à ça.
Mais la politique monétaire influe sur la demande. Et ce que le marché obligataire nous dit, c’est qu’il va fortement ralentir à la fin de cette année et au début de 2023. Et on s’attend à ce qu’il y ait des réductions. Mais c’est seulement ce à quoi on s’attend. Ça ne veut pas dire que ça va arriver.
Mais c’est un peu ironique, alors que les taux augmentent rapidement, que la nature prospective du marché obligataire nous dise déjà que, oui, l’économie ne peut pas résister autant avant de connaître un repli assez important. Et on va revenir aux réductions d’ici l’automne 2023. Beaucoup de volatilité nous attend, n’est-ce pas? C’est un point de vue selon lequel, encore une fois, si l’inflation persiste... et, selon moi, ça ne sera pas le cas. Mais c’est un secteur où il faut s’adapter aux nouvelles informations. Ça pourrait être une période assez difficile si les taux restent élevés pendant longtemps.
GREG BONNELL : Y a-t-il une chance... et je suppose qu’il y en a toujours une. Mais y a-t-il une chance que les banques centrales parviennent à un atterrissage en douceur? Le scénario idéal, ce serait qu’on ralentisse suffisamment les choses pour tout rééquilibrer sans déclencher une récession massive, qui pourrait entraîner d’importantes pertes d’emplois. Je pense que les banques centrales aimeraient arriver à ça. Est-ce que c’est possible?
MICHAEL CRAIG : Historiquement, ça s’est produit. D’après ce qu’elles essaient d’accomplir aujourd’hui, la vraie question, c’est de savoir s’il s’agit d’une légère récession ordinaire. Ou est-ce que c’est une récession plus grave? Pour moi, c’est un peu plus une question pressante. Si on connaît quelques trimestres de croissance modérée à légèrement négative, si le chômage remonte à 4,5 %, ce n’est pas la fin du monde. Techniquement, ce serait une récession. Mais je pense que les banques centrales accepteraient ce résultat.
La question, toutefois, c’est de savoir si le taux de chômage serait plutôt de 6 % ou de 7 %. Et est-ce qu’on entrevoit un réel ralentissement important? Je pense que c’est un peu ce qu’on évalue en ce moment. Chaque fois que les taux fluctuent aussi rapidement, ça a généralement d’énormes répercussions sur la croissance, en particulier dans nos économies, où la consommation est élevée. Et j’ai du mal à le voir. Est-ce que c’est possible? Bien sûr. Est-ce que c’est possible que je fasse vérifier mon poids et ma santé au cours des six prochains mois? Possible, mais peu probable... oui, peu probable.
GREG BONNELL : Oui, je sais de quoi vous parlez. Avant de terminer notre conversation, j’aimerais vous poser une question par rapport à la période de publication des bénéfices des sociétés. Et beaucoup de discussions qu’on a eues dans le cadre de l’émission et de discussions en cours sur le marché semblent indiquer qu’on va commencer à entendre parler de révisions à la baisse des bénéfices. Cette prévision est-elle trop sévère?
MICHAEL CRAIG : En fait, au sein de notre équipe de répartition des actifs, on effectue beaucoup de ce qu’on appelle des analyses descendantes. On utilise des indices des directeurs d’achats, des données macroéconomiques pour avoir une idée de l’orientation des bénéfices. Selon nos modèles de bénéfices, on va probablement connaître une récession des bénéfices l’an prochain. Les bénéfices vont être, au mieux, négatifs ou de zéro à négatifs. Et je pense que le marché... souvenez-vous que les analystes n’aiment pas se prononcer de façon trop parallèle.
En 2021, les bénéfices réels étaient nettement supérieurs aux attentes des analystes, car, en tant qu’analyste, c’est difficile de dire : je pense que les bénéfices vont augmenter de 5 %, et de revenir la semaine prochaine avec de nouveaux renseignements et de dire, en fait, je crois que c’est 25 %. En faisant ça, c’est difficile de maintenir votre crédibilité. Les participants au marché ont donc tendance à s’adapter un peu plus lentement. Je pense qu’on peut s’attendre à une autre mauvaise surprise.
Toutes les évaluations ont diminué cette année. Les marchés se sont négociés à 21 fois leur bénéfice en janvier. Ils se négocient maintenant à 16 fois leur bénéfice. Les évaluations ont donc diminué. Je pense que la dernière phase de ce marché baissier va se traduire par une révision à la baisse des bénéfices. Et je pense que c’est tout à fait probable. Le secteur de l’énergie se porte probablement bien. Mais pour d’autres secteurs du marché, je pense qu’on va voir des bénéfices importants... des révisions négatives au cours des 6 à 12 prochains mois.
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