La Banque du Canada a annoncé une pause des futures hausses de taux pour l’instant. Toutefois, la hausse des taux pourrait avoir des répercussions sur le marché de l’habitation, ce qui suscite des inquiétudes. Greg Bonnell discute avec Francis Fong, économiste principal à la TD, des raisons pour lesquelles il pense que des baisses systémiques sont peu probables à l’avenir.
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[LOGO AUDIO] - Bien que la Banque du Canada ait annoncé une pause des hausses de taux, certains craignent que les difficultés réelles du marché de l’habitation ne se soient pas encore manifestées, les ménages devant composer avec des paiements de dettes plus élevés. Francis Fong, économiste principal de la TD, se joint à nous pour discuter des raisons pour lesquelles il ne voit pas ces fissures dans le marché immobilier en ce moment. Francis, c’est un plaisir de vous retrouver. - Merci de m’avoir invité, Greg. C’est un plaisir d’être ici. - Alors allons-y. Beaucoup de réflexions et de rapports que j’ai vus dernièrement disent que la Banque du Canada va faire une pause maintenant, mais alors que les ménages assimilent l’ampleur exceptionnelle des hausses de taux, le pire reste à venir. Comment devrait-on voir les choses? - Oui, c’est une excellente question et un bon point de départ. Et vraiment, je pense que si on regarde dans quelle direction les coûts du service de la dette s’orientent, la hausse spectaculaire des taux d’intérêt au cours de la dernière année environ va vraiment pousser ce ratio nettement plus haut, à un niveau qu’on n’avait pas vu depuis plusieurs décennies. Et, évidemment, ça inquiète beaucoup de gens. Mais si on adopte une approche inverse, il y a certains ingrédients clés qu’on doit voir avant de pouvoir conclure qu’il pourrait y avoir une baisse plus systémique des prix des maisons. Si on examine, d’un point de vue historique, la chute des prix des maisons dans le monde, l’un des principaux ingrédients qui ont précédé cette chute a toujours été l’accumulation d’un mauvais crédit. Prenons par exemple la hausse des prix des maisons aux États-Unis de 2000 à 2006. On a vu beaucoup de prêts hypothécaires à risque gagner des parts dans les montages de prêts. Et, en fin de compte, c’est lorsque les taux d’intérêt ont augmenté ou que des problèmes sont survenus que la situation problématique est apparue. Au Canada, on ne voit tout simplement pas cet ingrédient important. En fait, ça va dans la direction opposée. La qualité du crédit s’améliore, et c’est peut-être un peu enrageant pour les gens. Les données les plus récentes dont on dispose sont un peu en retard, et elles ne portent que sur le deuxième trimestre de 2022. Mais à l’époque, le ratio des nouveaux montages de prêts hypothécaires qui affichaient un pointage Beacon de 600 ou moins, ou ce que l’on considère comme une mauvaise qualité de crédit, n’était que de 0,6 point de pourcentage. En revanche, le nombre de nouveaux montages de prêts hypothécaires dont la qualité du crédit était très élevée était à un sommet record de 89 %, soit près de 90 %. Donc, si vous avez ce genre de tampon d’emprunteurs de bonne qualité, ceux qui font grimper les prix de plus en plus, alors, en théorie, même si on est touchés par ce type de choc, il y a au moins ce tampon, mais ça ne garantit pas qu’il n’y aura pas de problème systémique. Si on reculait de 5 ou 10 ans et qu’on demandait à un économiste ce qui pourrait causer un problème systémique sur le marché de l’habitation, il dirait toujours une hausse du taux de chômage et... GREG BONNELL : C’est ce que j’ai toujours entendu. C’était toujours une question d’emplois. Tant que vous avez un emploi, vous gardez votre maison. Le chômage a monté en flèche, et on a eu des problèmes. C’est exact, et combiné à une hausse des taux d’intérêt. Mais même dans le passé, ça ne s’est même pas produit. Par exemple, en Alberta, après 2014, les prix du pétrole se sont effondrés. Les taux d’intérêt ont augmenté à un niveau que beaucoup de gens n’avaient pas nécessairement les moyens de tolérer. Et qu’est-ce qu’on a vu essentiellement? Les prix des maisons sont restés stables sur une longue période. Les prix du pétrole étaient faibles dans cette seule province. Partout ailleurs, tout allait bien, mais l’Alberta a, à elle seule, traversé cette mini-crise, et le prix des maisons n’a pas beaucoup diminué. Alors où en sommes-nous aujourd’hui? Le prix des maisons a beaucoup baissé, mais on ne s’est pas encore remis de la hausse de 50 % observée depuis 2020. Il pourrait donc encore y avoir d’autres pressions baissières. Toutefois, comme la Banque du Canada a fait une pause à ce stade et que le marché de l’emploi est toujours solide, et, bien sûr, que la qualité du crédit est bonne, c’est difficile, nécessairement, d’imaginer une situation où on aurait un problème systémique. - Dans quelle mesure cette pause de la Banque du Canada est-elle attribuable, selon vous, à cette dynamique du marché canadien? Il y a une forte hausse des prix. Les gens ont contracté des prêts importants, y compris des prêts hypothécaires. Et la banque nous a dit au début de la pandémie : « Allez-y. Si vous devez emprunter une grosse somme pour un achat ou un placement important, ne vous inquiétez pas. » Eh bien, les choses évoluent assez rapidement. Est-ce une préoccupation majeure pour eux en ce moment? - Vous savez quoi? Je dirais que oui, mais c’est aussi en grande partie une question de bon moment. Comme beaucoup de gens le savent, il faut environ 12 à 18 mois pour que la totalité des hausses de taux d’intérêt se répercutent sur l’économie. Même ça fait environ un an que cette première hausse des taux d’intérêt a eu lieu, l’inflation a passé un cap, comme vous l’avez déjà mentionné, aux États-Unis et au Canada. Et maintenant, c’est le moment idéal pour la Banque du Canada de prendre une pause et de dire : « OK, nous sommes vulnérables. » L’endettement des ménages n’a jamais été aussi élevé. C’est beaucoup plus que pour bon nombre de nos homologues d’économies développées. Les taux d’intérêt ont enregistré leur plus forte hausse depuis des décennies. Le moment est peut-être bien choisi pour prendre une pause et simplement voir comment ces premiers taux d’intérêt vont commencer à s’appliquer, après quoi on pourra s’ajuster. Dans nos prévisions de base, il n’y a plus nécessairement d’autres hausses. En fait, comme beaucoup de prévisionnistes, on prévoit une certaine baisse des taux d’intérêt plus tard. Mais du point de vue des pauses, c’est aussi une question de bon moment. - Dans quelle mesure la simulation de crise a-t-elle joué un rôle dans les théories qui témoignent d’une certaine résilience? Même si les ventes ont chuté de façon assez spectaculaire, les prix ont baissé, mais cette idée selon laquelle il n’y aura pas de ventes forcées, cela a-t-il aidé? Rappelez-vous qu’au moment de la simulation de crise, certains intervenants du secteur ont dit : « 2 %, est-ce que vous plaisantez? » Dans quel scénario envisagerait-on une hausse de 2 % des taux d’intérêt à court terme? Puis on a accusé un retard de plus de 400 points de base. - [RIRES] Eh bien, j’ai une petite anecdote personnelle à vous raconter. J’ai participé à une grande partie de la production de scénarios et j’ai créé ces scénarios où les taux d’intérêt étaient élevés. Et on a joué avec beaucoup d’idées, beaucoup de variations potentielles de scénarios où les taux d’intérêt étaient plus élevés. Avait-on prévu à ce moment-là qu’ils augmenteraient autant et que l’inflation serait aussi élevée? Je pense que c’est certainement beaucoup plus que ce qu’on aurait prévu, même dans une simulation de crise. Cela dit, je pense que, pour revenir à ce que vous disiez, les résultats de ces exercices donnent aux organismes de réglementation et aux banques centrales l’assurance que les réserves de capitaux sont suffisantes pour au moins absorber une partie de l’impact. Encore une fois, comme on ne prévoit pas nécessairement cet énorme effondrement de toutes sortes d’actifs différents, ces réserves de capitaux ne seront jamais mises à l’épreuve au point où on se trouve dans ce type de scénario de crise profonde. Mais même si c’était le cas, en théorie, les organismes de réglementation pourraient au moins avoir une certaine confiance. - Un autre argument que les gens avancent, c’est que les conséquences sur le marché canadien de l’habitation ne seront pas plus désastreuses en raison de nos niveaux d’immigration élevés et de nos cibles très solides. Les gens qui sont peut-être dans une spirale immobilière haussière mettent-ils trop leurs œufs dans ce panier, ou y a-t-il vraiment quelque chose qui se passe de ce côté-là? - Vous savez quoi? Je pense qu’il y a probablement une part de vérité là-dedans. Et la pandémie a engendré un double impact néfaste. La totalité des travailleurs n’est pas encore retournée au bureau. Le télétravail est maintenant une norme dans tous les milieux de travail du monde développé. Et cette situation a donné lieu à une dynamique intéressante qui a fait grimper les prix des maisons, non seulement dans les grandes régions métropolitaines, ce à quoi on aurait été habitués au cours des années précédentes, avant la pandémie, mais ailleurs aussi. En fait, la croissance des prix des maisons a été plus forte à l’extérieur des grandes régions métropolitaines qu’à l’intérieur de ces dernières. Et si on ajoute à ça le nombre toujours élevé d’immigrants, je pense qu’il y a une certaine part de vérité dans le fait qu’un prix plancher pourrait être utilisé pour le logement en raison de la demande constante. Et vous savez quoi? J’insiste toujours sur le fait que le logement est un actif très unique à cet égard. C’est le seul actif qui agit de la même façon qu’un actif financier que vous consommez, comme vous consommez des services de logement lorsque vous vivez dans votre propre maison. Et un bien immobilier peut servir à préserver le capital. Vous pouvez le louer dans un marché locatif qui s’assouplit, mais qui demeure extrêmement serré. Beaucoup de gens, et on le voit dans les données sur les inscriptions, peuvent utiliser cet actif pour préserver le capital. Le rendement du logement peut donc différer de bien des façons de celui d’un actif financier traditionnel. [LOGO AUDIO] [MUSIQUE]