Les investisseurs se tournent de plus en plus vers le marché des obligations de sociétés, car la demande de titres de créance de qualité supérieure augmente. Benjamin Chim, vice-président, directeur et chef de l’équipe Titres à revenu fixe à rendement élevé à Gestion de Placements TD, examine les occasions pour les investisseurs.
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La réserve fédérale américaine continue d'annoncer trois baisses de taux cette année. Bien que cela ait été une aubaine pour les actions, qu'est-ce que ça signifie pour les obligations d'entreprise? Benjamin Chim de Gestion de placements TD nous rejoint pour nous éclairer. Bonjour, Ben. -Bonjour, Greg. Ça me fait plaisir. -Des baisses de taux sont à l'ordre du jour. Qu'est-ce que cela signifie pour les obligations d'entreprises? -La dernière fois que je suis passé à votre émission, c'était à l'automne de l'an dernier, en octobre 2023. À l'époque, on parlait beaucoup de la résilience du marché des obligations d'entreprises, compte tenu d'une volatilité considérable et de la faiblesse du marché des obligations d'État. Depuis lors, bien sûr, il y a eu une très forte remontée des obligations d'État fin 2023, ce qui a spectaculairement changé la perception qu'ont les investisseurs des investissements obligataires en général et les obligations d'entreprises en ont certainement bénéficié. La demande d'obligations d'entreprises continue d'augmenter depuis cette période. La demande a augmenté au point où elle a largement absorbé l'offre assez abondante de cette année. Les écarts continuent de se resserrer. Ils sont assez serrés aujourd'hui, plus serrés que depuis 15 ou 20 ans, et le marché des obligations d'entreprise demeure fondamentalement sain. Quand on y réfléchit, il est facile de voir pourquoi le marché obligataire est si recherché, pourquoi les obligations d'entreprise sont tellement demandées. À l'heure actuelle, nous sommes dans une situation où le volet difficile du cycle de resserrement des taux par la Fed est derrière nous, l'inflation recule, pas aussi rapidement que les marchés le souhaiteraient, mais recule tout de même régulièrement, et puis les augmentations de salaire commencent à ralentir. C'est un indicateur clé que surveillent les banques centrales pour envisager leurs prochaines décisions. La prochaine décision est assez claire, il s'agira d'un desserrement, peut-être réduction du resserrement quantitatif ou encore réduction de taux, et ce sera très favorable pour les obligations générales et les obligations d'entreprises. Une des raisons pour lesquelles les obligations d'entreprises spécifiquement sont intéressantes, c'est que la Fed n'a pas encore agi, n'a pas encore réduit les taux. Pourquoi ce retard? C'est parce que la conjoncture économique mondiale demeure très porteuse, très résiliente. Si l'économie mondiale se porte bien, c'est très favorable pour les données fondamentales des entreprises, notamment au niveau du crédit, donc les investisseurs sur le marché des obligations de sociétés peuvent être certains qu'à court terme, au moins, les écarts ne vont pas augmenter. Le marché des obligations d'entreprises sera assez sain malgré le fait que les écarts sont très serrés. Quand on songe aux raisons pour lesquelles les obligations d'entreprises sont tellement attrayantes, nous sommes dans une situation où elles ont un rendement potentiel plus élevé. Le rendement des obligations d'entreprises est d'environ 5% dans le secteur des obligations de qualité, 4% dans le secteur des obligations de qualité aux États-Unis, 7,5% pour les obligations à rendement élevé aux États-Unis. Elles bénéficient également de la conjoncture économique très saine. Donc on est mieux rémunéré en attendant essentiellement la décision de la Fed et on bénéficiera tout de même s'il y a des coupures de taux et une remontée des obligations d'entreprises, mais une mise en garde. Beaucoup dépend de la façon dont ces coupures de taux interviennent. Le scénario de base, le nôtre en tout cas, à l'heure actuelle, prévoit qu'il y aura des coupures de taux parce que les banques centrales estimeront que le taux directeur actuel est très élevé et restrictif compte tenu de la trajectoire de l'inflation à l'heure actuelle. Si les taux sont réduits pour cette raison et que l'économie se porte bien, c'est vraiment le scénario Boucle d'or pour les obligations d'entreprises. Les obligations de sociétés s'en tireront très bien. Si en revanche la réduction de taux intervient pour d'autres raisons, par exemple parce qu'il y a un choc exogène à l'économie, engendrant une réduction des attentes à l'égard de taux, cela serait beaucoup plus négatif pour les obligations d'entreprises. En raison des écarts actuels, les investisseurs ne sont pas suffisamment rémunérés dans ce genre de scénario. Les écarts pourraient augmenter au point de compenser une bonne partie des gains de prix que nous attendrions avec les coupures de taux, rendant l'opération beaucoup moins attrayante. Voilà le scénario du pire, il convient d'être au courant, donc, de cette possibilité. Je vous dirai tout de suite que, tandis que nous envisageons l'avenir, nous ne voyons pas la possibilité d'un choc exogène quelle qu'en soit la nature. Notre scénario de base prévoit que les coupures de taux interviendront dans le cours normal de la politique des banques centrales. L'économie continuera de se porter bien. Ce serait très positif pour les obligations de sociétés. -Dans ce contexte technique et compte tenu des mises en garde importantes que vous avez émises, quand on songe à la Fed et à la première réduction de taux, on va naturellement graviter vers le rendement à 10 ans ou les obligations d'État. Comment corréler les obligations de sociétés à celles d'État et vice versa? -Je dirais qu'il y a de bonnes raisons de détenir des obligations de sociétés. et des obligations d'État; les obligations d'État procurent un rendement plus élevé mais présentent une volatilité potentielle beaucoup plus importante si le contexte économique évolue et que les choses ralentissent plus qu'on ne le prévoit l'heure actuelle, et c'est particulièrement vrai, comme je l'ai dit, compte tenu de l'état actuel des écarts. Mais les obligations d'État se comporteront bien si le scénario Boucle d'or ne se réalise pas. Il faut en tenir compte pour l'avenir. À l'heure actuelle, compte tenu de la conjoncture, compte tenu des bénéfices d'entreprise, il est préférable de se tourner vers les obligations d'entreprise, mais il se pourrait que nous nous trouvions dans une situation, pas trop loin dans l'avenir, peut-être cette année, où il y aura davantage de bon sens d'avoir des obligations d'État. Les deux ont leur place dans leur portefeuille. -Vous avez émis quelques mises en garde. Quels sont les risques les plus importants? L'économie, les valorisations? -Oui. Ces deux préoccupations sont très réelles. Ce sont des facteurs importants que nous surveillons toujours. Dans notre positionnement, dans les portefeuilles. En ce qui concerne l'économie, c'est l'inflation qui demeure le principal risque. Est-ce que l'inflation continuera d'évoluer selon sa trajectoire actuelle, ou bien la confiance sera-t-elle de retour à cause des bénéfices des entreprises qui amènera une remontée, ou bien est-ce que les banques centrales commettront l'erreur de desserrer la politique monétaire trop tôt, ce qui engendre une flambée de dépenses et une surchauffe de l'économie? Dans l'un ou l'autre de ces cas, si l'inflation reparaît et empire, il se pourrait que les marchés cessent d'escompter ces trois coupures de taux cette année, trois l'an prochain, ce qui engendrerait une volatilité dans le marché obligataire en général, puisque les sources de fonds des entreprises peuvent être compromises si les taux d'intérêt demeurent élevés. Ce serait un scénario négatif. Il y a autre chose à quoi nous songeons, ce sont les valorisations, comme vous l'avez dit. Elles sont assez serrées, assez tendues, et les investisseurs ne sont pas rémunérés pour certaines des chausses-trappes que l'on pourrait trouver sur les marchés. Tandis que l'économie continue de bien se porter et que les sources de fonds des entreprises demeurent abondantes, il y a certaines sociétés qui ont des difficultés. Le taux de défaillance a augmenté depuis quelques années. Il était près de zéro en 2021 et 2022. L'an dernier, dans les obligations à rendement élevé, il a augmenté jusqu'à 3,5%, ce n'est pas beaucoup, c'est autour de la moyenne à long terme, mais ce n'est pas de zéro. Peut-être un peu plus élevé pour cette année. Ce sont les petites compagnies concentrées qui n'ont pas beaucoup de flexibilité au niveau du financement. Les secteurs qui sont sous pression, la publicité etc., ce sont les structures à grande capitalisation, les entreprises qui se sont trop endettées pendant une période où les emprunts étaient bon marché et qui éprouvent des difficultés à réaliser un flux de trésorerie positif et qui maintenant doivent refinancer leur dette à des taux d'intérêt plus élevés, ce qui va encore grignoter leur flux de trésorerie. Elles ont des besoins d'immobilisation qu'elles ne peuvent pas financer. Ce sont les entreprises qui sont en état de défaillance. Ça pourrait être un risque pour le marché dans l'avenir et pour la stabilité.