Comme prévu, la Banque du Canada s’apprête à hausser une fois de plus les taux d’intérêt pour s’attaquer à l’inflation. Quel en sera l’impact sur le marché du logement et sur la capacité des consommateurs à rembourser leurs dettes? Kim Parlee et Beata Caranci, économiste en chef, Groupe Banque TD, discutent des répercussions des taux plus élevés sur l’économie canadienne.
En parlant de bases de référence, quand je pense aux consommateurs canadiens, on a cette merveilleuse base de référence, qui consiste à ne rien faire pour la dette. Les taux sont si bas depuis si longtemps, alors on a ici un autre graphique qui montre que le coût du service de la dette est en hausse. Comment est-ce que ça s’ajoute à l’équation?
Oui, c’est plutôt considérable. Cette hausse du ratio d’amortissement de la dette, si on pense seulement à la dette hypothécaire... selon nos prévisions, la Banque du Canada va relever le taux directeur à 2,5 %. Donc deux autres hausses de 50 points de base, puis quelques autres de 25 points. Donc, en gros, d’ici l’automne, on aura déjà fait ce qui aurait normalement pris trois ou quatre ans à faire dans un cycle de taux d’intérêt, et ce, en très peu de temps, soit six à sept mois. On parle ici d’un choc des taux d’intérêt. Et cela signifie que, du point de vue hypothécaire, on parle de 2 400 $ de plus, ce qu’on estime d’ici le début de l’année prochaine en paiements après impôt. C’est donc beaucoup. Il y a aussi l’inflation qui est élevée, et la Banque du Canada nous a montré que 5 % d’inflation, comparativement à 2 %, ça nous enlève 2 000 $ de plus de nos poches. Donc en combinant les deux, on obtient entre 4 000 $ et 5 000 $, selon la façon dont vos dettes sont distribuées de votre poche après impôt. Ça suggère bien sûr que les dépenses de consommation vont ralentir au deuxième semestre de cette année. Mais c’est l’objectif des taux d’intérêt. Ils visent à ralentir l’économie, à ralentir un peu la demande intérieure. Je pense donc qu’on aura de très bons résultats au deuxième trimestre. En ce qui concerne les dépenses de consommation, il y a une forte demande accumulée et beaucoup d’argent est investi dans les services. Mais ça ne devrait pas continuer au fil de l’année. Et si c’est le cas, on s’attend à ce que la Banque du Canada augmente encore plus son taux directeur.
Qu’en est-il du logement? Le secteur canadien du logement n’a pas été touché depuis des années. Soit dit en passant, je dirais qu’on commence à voir des signes de ralentissement. Mais qu’est-ce qui va se produire, selon vous?
Il y a eu deux mois, en mars et en avril, où les ventes ont diminué, et plus que ce à quoi les gens s’attendaient. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’on a anticipé ce type de phénomène, parce que l’activité a fortement progressé lorsque les gens se sont rendu compte que les taux d’intérêt allaient augmenter, et, tout à coup, tout le monde s’est précipité sur le marché du logement pour immobiliser les faibles taux d’intérêt. Et maintenant, ça rapporte, en quelque sorte. Mais en même temps, c’est de plus en plus difficile d’être admissible à un prêt hypothécaire au fil du temps, et plus cher aussi. Ce phénomène va donc probablement persister tout au long des deuxième et troisième trimestres. Et on espère revenir aux données fondamentales. C’est donc une portion cyclique du marché. Et les données fondamentales témoignent toujours d’une économie dans un pays qui a la plus forte croissance démographique de tous les pays du G7. Le taux d’inoccupation demeure faible sur le marché locatif. Il va donc y avoir des difficultés qui vont se faire sentir et des questions à régler au cours des prochains mois. Mais on espère que les données fondamentales vont finir par nous faire avancer au-delà de ça.
Y a-t-il lieu de s’inquiéter du retour des données fondamentales et d’un certain ralentissement? Mais l’effet de richesse est tellement puissant pour les Canadiens, qui ont profité de la hausse des prix des logements et de la hausse des marchés boursiers. Si on combine tout ça, il pourrait y avoir des répercussions négatives réelles sur la façon dont les gens se sentent par rapport à leurs dépenses dans l’économie.
Oui. Juste pour vous donner une idée de l’effet de richesse qu’on a eu, seulement en ce qui concerne les prix de l’immobilier, s’il y a un repli de 15 % à 20 % par rapport au sommet atteint, c’est-à-dire vers février ou mars de cette année, on parle toujours d’un gain de 25 % depuis la pandémie. Donc sur deux ans, c’est un rendement assez solide. Il faudrait quelque chose de très brutal, par exemple une baisse des prix de 50 %, ce qui serait très difficile à gérer en l’absence d’une récession généralisée. Il y a donc toujours une dynamique de richesse. Ce n’est certainement pas le cas du marché boursier en ce moment. Par contre, en ce qui concerne le secteur de l’habitation, l’une des raisons pour lesquelles les Canadiens sont attirés par ce secteur, c’est qu’il a tendance à évoluer de façon plus stable et à être moins volatil que le marché boursier. Et de la même façon, les gens dépensent différemment en dehors de la richesse immobilière qu’en dehors de la richesse boursière, qu’ils considèrent comme plus éphémère. La richesse immobilière a tendance à être plus endurante et les gens se comportent différemment par rapport à elle.
La Banque du Canada a clairement indiqué de nouveau à la banque centrale américaine qu’elle serait ferme. L’inflation est importante, et elles vont faire ce qu’elles ont à faire. Mais elles doivent quand même maintenir un équilibre délicat,
pour les raisons que j’ai mentionnées, c’est-à-dire qu’elles essaient d’avoir un niveau de croissance suffisant pour réduire la demande et la pression sur les ressources, que ce soit la main-d’œuvre ou les intrants. Et il peut y avoir des ratés. Le problème pour les banques centrales, c’est qu’en raison de leur erreur de politique, elles ont attendu si longtemps qu’elles doivent maintenant précipiter le cycle des taux d’intérêt. Et c’est le contraire de ce qu’elles nous disent depuis des décennies. Il est préférable de commencer tôt et lentement que d’être en retard et d’aller vite, parce que les taux d’intérêt sont tellement décalés dans l’économie qu’il faut créer un espace pour observer comment les consommateurs et les entreprises les absorbent. Et malheureusement, elles ont compressé le cycle. Et je pense que c’est ce dont le marché s’est rendu compte : on pourrait ne pas savoir qu’on a eu un message au cours des six derniers mois après le sommet du cycle de taux. On absorbe toujours ces répercussions-là. Et c’est cet équilibre délicat dont je parlais. Créer un sentiment de confiance au sein de l’économie en faisant croire qu’elles ont posé les bonnes actions. Mais en même temps, on veut pouvoir observer les mesures en temps réel. Ça va tirer de l’arrière.
Oui. Merci beaucoup. Excellente conversation, comme toujours.
J’ai été heureuse de vous revoir, Kim.