Le prix du pétrole a augmenté de plus de 50 % depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Avec la menace grandissante de récession, qu’est-ce que cela pourrait signifier pour le pétrole brut? Greg Bonnell discute avec Bart Melek, chef, Stratégie relative aux produits de base à Valeurs Mobilières TD, des perspectives des marchés de l’énergie.
- Le risque de récession est de plus en plus présent dans l’esprit des investisseurs. Même si un ralentissement de la croissance nuirait aux produits de base, notre invité du jour affirme qu’une baisse des prix serait de courte durée et que le pétrole résistera mieux qu’on ne le pense. Bart Melek est chef, Stratégie relative aux produits de base, Valeurs Mobilières TD.
Bart, c’est un plaisir de vous avoir avec nous aujourd’hui. J’entre tout de suite dans le vif du sujet. De toute évidence, il y a des craintes, et les banques centrales nous indiquent qu’elles doivent maîtriser l’inflation. Cela pourrait mener à une récession. Si cela se produit, quelles seront les conséquences pour les produits de base?
- Tout d’abord, je suis heureux d’être ici. Et les produits de base, je pense, comme tous les autres actifs à risque, seront affectés par un ralentissement important de l’activité économique, principalement parce que cela aura un impact sur la demande. Commençons par les métaux industriels et peut-être le pétrole, parce qu’ils ont tendance à réagir le plus à une réduction de l’activité économique dans le monde.
En règle générale, à cette étape du cycle, on a beaucoup de stocks et un nombre important d’investisseurs potentiels. On a aussi des spéculations assez effervescentes avec des spéculateurs et gestionnaires de fonds qui ont une position assez longue. Mais, en ce moment, les banques centrales exercent le resserrement le plus important vu depuis une quarantaine d’années.
Bien sûr, en raison de l’inflation, aucune des banques centrales ne s’attendait à cela. Les banques centrales semblent donc accuser un retard. Qu’elles le veuillent ou non, elles devront ralentir l’économie pour supprimer les pressions inflationnistes, parce qu’elles sont en grande partie attribuables à l’offre, de la logistique aux interruptions causées par la COVID et, bien sûr, à la guerre entre l’Ukraine et la Russie.
Qu’est-ce que cela signifie? Eh bien, lorsque l’économie ralentit, la demande ralentit et les conditions s’assouplissent. Les investisseurs qui ont une position longue assez agressive tendent à se retirer. On le constate déjà.
Même dans le cas du pétrole, les prix se sont éloignés des pics de plus de 130 $ et se retrouvent à environ 113 $. Le prix du cuivre a déjà baissé de 20 % par rapport à des niveaux de plus de 10 000 $. Et c’est ce qui s’est produit partout. Même l’or, qui a tendance à être considéré comme une protection contre l’inflation et un actif stabilisateur, tend à fléchir lorsque les taux d’intérêt, en particulier du côté concret, baissent.
Tous les produits de base ont donc reculé. Et si on prévoit une détérioration marquée de la croissance, on anticipe d’autres baisses.
- Vous nous avez apporté des graphiques pour nous aider à montrer ce qui se passe. J’aimerais me concentrer sur le secteur pétrolier et montrer à l’auditoire la situation de l’offre, parce qu’on a des turbulences intéressantes. Après une pandémie, on pense que la demande augmentera. On craint une récession. Mais en même temps où est l’offre que le monde réclame?
BART MELEK : Oui, ce graphique est très révélateur. Les stocks n’ont jamais été aussi bas. Et ils ont soutenu les prix, pas seulement à cette étape du cycle où on prévoit un assouplissement de la demande… on ne dit pas que la demande diminuera sur 12 mois, mais que le taux de croissance va ralentir.
Cela dit, on s’attend à ce que les investisseurs spéculatifs adoptent des positions plus courtes sur le marché et que les prix chutent. Eh bien, ce n’est pas vraiment ce qu’on observe. Dans les prochains mois, on pense même que le prix du pétrole pourrait encore augmenter. Pour le trimestre pour le WTI… c’est-à-dire pour le troisième trimestre, on a un prix moyen d’environ 116 $ à 118 $, ce qui signifie qu’on pourrait facilement avoir 130 $, plus de 130 $, voire plus, du point de vue de la négociation. Pourquoi? Eh bien, pour deux raisons.
L’OPEP ne semble pas avoir de capacité excédentaire qu’elle pourrait déployer rapidement. D’ailleurs, M. Macron l’a confirmé lors de la réunion du G7. Apparemment, il a chuchoté à l’un des autres leaders mondiaux que l’OPEP, les Émirats arabes unis et d’autres pays n’ont pas une grande capacité.
HÔTE : On est dans une situation où on ne peut pas se tourner vers eux. On ne peut pas compter sur eux.
- Lorsqu’on regarde les données, lorsqu’on regarde la capacité de réserve, cela semble être un fait. L’OPEP a fait une promesse d’augmentation de la production d’environ 648 000 barils par jour au cours des prochains mois. Ils ont été très décevants à cet égard. Ils ne sont pas en mesure de tenir leurs promesses.
Les pays qui ont un quota de production n’ont pas la capacité nécessaire. On pense au Nigeria qui accuse un retard d’un demi-million de barils. Ils nous ont dit l’autre jour que, probablement en août, ils pourraient déployer 0,5 million de barils.
Mais le mois d’août, ce n’est pas maintenant. Compte tenu de la perte de capacité de raffinage aux États-Unis d’environ 1 million de barils par jour, la demande après la COVID n’a pas vraiment réagi négativement à la hausse des prix. Les gens ont encore de l’argent. Et je pense qu’on en a tous assez d’être à la maison et qu’on a envie de sortir.
HÔTE : Oui, faire le plein, c’est cher, mais j’ai besoin de sortir.
BART MELEK : Oui. Il en va de même pour le carburéacteur. Les billets d’avion ont monté en flèche, mais la demande reste élevée. Il n’y a donc pas vraiment d’élasticité-prix de la demande qu’on devrait normalement voir avec une hausse des prix. Les gens veulent juste sortir.
Qu’est-ce que cela signifie pour les prochains mois? Avec la saison de conduite et la fin de semaine du 4 juillet aux États-Unis, la consommation d’essence sera beaucoup plus élevée qu’à l’habitude, et qu’à n’importe quelle autre période de l’année. La capacité de raffinage est insuffisante.
Le pétrole et la capacité de raffinage russes ne peuvent pas vraiment nous atteindre en raison des sanctions. Les prix de l’essence devraient donc continuer d’augmenter en Amérique du Nord dans les prochains mois, j’en ai bien peur. Les écarts s’agrandissent entre le prix de vente des distillats et le prix du brut, c’est-à-dire le pétrole qui va à la raffinerie pour en faire un produit utilisable, ça monte en flèche.
Et cela se répercute sur le prix du pétrole. Le problème, c’est que pendant un certain temps, ces marchés vont se resserrer, même si, à un moment donné, l’OPEP et d’autres producteurs comme les producteurs de gaz de schiste aux États-Unis seront en mesure de gérer une offre accrue.
- Dans quelle mesure la Chine peut-elle être imprévisible dans tout cela? Soit ils font l’objet de mesures de confinement plus restrictives et on s’inquiète de leur besoin en produits de base, soit ils surmontent le pire avec à nouveau une avidité pour les produits de base.
- Eh bien, on pense, certainement à court terme, que le risque, c’est que temporairement, ils fassent augmenter le marché. Bien sûr, on a parlé de la demande saisonnière aux États-Unis et en Amérique du Nord, et de l’hémisphère occidental en général, parce qu’on se déplace pour s’amuser un peu. Et on a besoin de carburant pour ça.
La Chine, elle, a été en confinement. Ils ont une politique de tolérance zéro à l’égard de la COVID. Et on a vu des villes entières de millions, de dizaines de millions de personnes, en fait, entre Beijing et Shanghai, c’est plus que l’ensemble de la population canadienne, confinées.
Des données montrent qu’il y a une réouverture. Lorsqu’on suit les données sur la mobilité, il semble que le pire soit passé. Et on verra probablement une plus grande ouverture. Cela signifie que les flux de pétrole brut et d’énergie vers la Chine vont être consommés plus rapidement que pendant les confinements. Je pense que c’est une hypothèse plutôt raisonnable.
Et comme la saison de conduite se termine dans l’hémisphère occidental, qu’on n’a pas de nouvelle offre, qu’on pense maintenant à des sanctions plus sévères contre la Russie et que l’offre de gaz naturel est faible, tout substitut, comme les produits pétroliers de toute sorte, s’ils peuvent les utiliser, ils… cela signifie que ce marché pourrait s’ouvrir pour les prochains mois.
J’ai bien dit que c’était temporaire, car au-delà du troisième trimestre dans les derniers mois de 2022 et au début de 2023, on s’attend à ce que la Chine n’enregistre pas la croissance qu’elle connaît normalement. Traditionnellement, depuis une trentaine d’années, on pouvait toujours compter sur la Chine pour combler nos lacunes. Et cela a aidé le marché des produits de base.
Ce n’est pas ce que nous anticipons. Avec un peu de chance, le PIB de la Chine augmentera de 4 %. De nombreux analystes pensent qu’il s’agira peut-être de 3 %. Cela ne favorise pas une demande très robuste. On ne va pas être beaucoup aidé. Ma thèse sur le redressement du marché des produits de base sera probablement renforcée. D’abord, les choses vont bien s’améliorer, peut-être même pour certains métaux de base et certainement dans le secteur de l’énergie, avant que la situation se détériore de nouveau.
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