Pour la première fois en 20 ans, la Chine n’est plus le premier pays exportateur de marchandises vers les États-Unis. Ce titre est maintenant détenu par le Mexique. Derek Burleton, économiste en chef adjoint à la TD, discute de l’évolution de la mondialisation et de la compétitivité du Canada.
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C’était encore impensable il y a peu de temps. Pour la première fois en 20 ans, la Chine n’est plus le principal exportateur de biens vers les États-Unis. Ce titre est désormais détenu par le Mexique. Un changement qui témoigne de la transformation du commerce mondial après les problèmes d’approvisionnement, les conflits politiques et bien sûr, la pandémie.
Où en est la mondialisation, et le Canada est-il toujours compétitif dans ce nouvel environnement? Derek Burleton, économiste en chef adjoint à la TD, nous donne son point de vue. Merci de nous rejoindre.
Je vous en prie.
On va parler du Canada dans un instant, mais essayons de nous faire une idée de la situation actuelle. Pourquoi est-ce si important que le Mexique ait détrôné la Chine?
La nouvelle a fait le haut des manchettes quand c’est arrivé l’an dernier. Avec le recul, on s’aperçoit qu’en fait, tout a commencé en 2017, quand la part des exportations chinoises a culminé à 21 %, loin devant les autres pays. Et puis, d’année en année, cette part a baissé pour tomber à 14 %. C’est une baisse d’un bon tiers en termes de part relative. Le Mexique a englouti près de la moitié de cette part. Le pays a fait un bond de trois points. C’est loin d’être négligeable.
Quant à savoir comment on en est arrivés là, de toute évidence, juste après son arrivée à la Maison-Blanche, Trump a imposé des tarifs. Il a clairement érigé un mur tarifaire contre la Chine. Depuis, les événements se sont succédé. Les tensions géopolitiques se sont intensifiées à l’échelle mondiale. Le commerce s’est régionalisé. La pandémie a souligné la nécessité d’avoir des chaînes d’approvisionnement fiables. Et on en est là aujourd’hui. Donc oui, c’est un événement important.
Oui, on va regarder le graphique. On voit la tendance à la baisse, c’est très clair. Selon vous, est-ce que cette tendance va se poursuivre, ou est-ce que vous anticipez plutôt une stabilisation?
En fait, je m’attends à ce qu’elle s’accentue. Je pense que la Chine est sur une trajectoire descendante. Ça m’étonnerait qu’on ait touché le fond et qu’il n’y ait plus d’autres baisses.
Est-ce qu’on va tomber à zéro? Non, je ne pense pas. Mais il est certain que des obstacles généraux se dressent contre les exportations chinoises. L’ALENA et l’ACEUM ne vont pas disparaître. Je m’attends donc à ce que la tendance se poursuive à court terme.
Pour ceux qui ont quelques années de recul et un peu de mémoire, comme moi, l’ALENA ou plutôt le Mexique est-il en train de redevenir une étoile montante en raison de sa proximité et de la base industrielle peut-être plus établie qu’il possède actuellement? Qu’anticipez-vous pour le Mexique? Qu’est-ce qui se développe là-bas?
On entend peu parler de l’économie mexicaine. Et je crois que c’est bon signe. Souvent, quand les marchés émergents font parler d’eux, c’est pour une mauvaise raison, comme la fuite de capitaux, une inflation galopante.
Mais le Mexique avance très tranquillement sur la voie d’une croissance saine. 3 % l’an dernier. Probablement 2 % cette année. Il fait face à de nombreux problèmes auxquels les économies avancées sont confrontées. L’inflation de base est de l’ordre de 5 %. Les taux d’intérêt sont élevés, et le pays songe à les abaisser. Voilà donc la toile de fond économique.
C’est sans doute du commerce que vient une grande partie de sa croissance. Elle provient de la production de véhicules à moteur, des exportations vers les États-Unis. Il ne fait aucun doute que le commerce est à la base de cette croissance.
Pour autant, le Mexique est-il la nouvelle Chine? Je n’irais pas jusque-là. Je ne pense pas. Si l’on considère le poids que pèse l’économie chinoise dans le commerce mondial, c’est encore environ six fois plus que le Mexique. Elle exporte plus de 3 000 milliards par an.
Le Mexique gagne des parts de marché, mais sur l’échiquier mondial, il est encore loin derrière, même s’il fait partie du marché nord-américain. Le Mexique n’est pas la Chine. Si on regarde la diversité des exportations chinoises, on voit beaucoup de domaines en croissance, les technologies vertes, les panneaux solaires. Les exportations mexicaines sont moins diversifiées que les exportations chinoises.
Et c’est ambigu, car les États-Unis tentent d’atténuer les risques en se détournant de la Chine et en augmentant la part des exportations mexicaines et canadiennes. Là où ça devient ambigu, c’est que les États-Unis se tournent aussi vers l’ANASE pour accroître leurs exportations, vers les Vietnam du monde. Or, la Chine approvisionne davantage ces économies.
Ce processus d’atténuation des risques devient ambigu, parce que beaucoup de... Certaines économies font le pont, comme le Mexique. Elles sont ouvertes aux échanges commerciaux, mais quand on regarde avec qui elles commercent – Oui.
Ces économies, en termes de réduction des risques, ne sont peut-être pas aussi sûres qu’il n’y paraît, quand on regarde les parts d’échanges directs.
C’est intéressant. Je voulais le souligner, car c’est une excellente remarque. Dans ce graphique, qui provient d’un rapport de votre équipe, on voit que la Chine reste l’atelier du monde. La Chine exporte moins vers les États-Unis, mais elle exporte davantage dans d’autres pays. Les deux pays opèrent en même temps une diversification.
Oui, et c’est à cause de la régionalisation des échanges, du développement du commerce entre pays amis. La Chine veut accroître ses exportations au Moyen-Orient, pas seulement en Asie du Sud-Est, mais dans le monde entier. En Russie, bien sûr. Elle travaille donc à créer ses propres liens. On se fourvoie si l’on se dit que la hausse de la part des exportations mexicaines en Amérique du Nord signifie que la Chine est en perte de vitesse. Ce n’est absolument pas le cas.
Qu’en est-il des problèmes internes de la Chine? Son économie s’est fortement essoufflée. Il y a eu des problèmes dans le secteur immobilier. Le gouvernement est intervenu, comme à son habitude. C’est un environnement contrôlé. Dans quelle mesure ces difficultés vont-elles influencer leurs flux commerciaux ou leur façon de gérer les choses?
Pour moi, c’est une question distincte. Je pense qu’en grande partie, les problèmes actuels de la Chine sont d’ordre national et liés au secteur de l’immobilier. Il y a évidemment un lien, mais en attendant, le secteur des exportations a raisonnablement bien résisté. Bien sûr, il a été touché dans une certaine mesure par le ralentissement mondial qui dure depuis un an ou deux, mais il résiste plutôt bien. Les problèmes sont plutôt d’ordre intérieur, avec les dépenses, le manque de confiance.
C’est intéressant, car ces difficultés n’éclaircissent certainement pas les perspectives économiques mondiales, puisque la Chine reste un élément très important. On s’inquiète de l’impact sur les produits de base, même si l’offre a été neutralisée dans des secteurs comme le pétrole, où elle a été réduite. Et certaines tensions géopolitiques contribuent à soutenir les prix des produits de base, même si la Chine a vu sa croissance fléchir. On s’attend à une croissance de 4 % dans l’année qui vient, ce qui est très faible. C’est un premier point.
Le deuxième point qui apporte à mon avis une belle lueur d’espoir, c’est la surcapacité actuelle dans le secteur de l’exportation chinois, ce qui entraîne une déflation au niveau mondial. On s’inquiète du conflit au Moyen-Orient, des pressions sur l’approvisionnement, parce qu’il faut réacheminer les échanges, etc. Mais on observe une impulsion déflationniste qui, pour l’instant, est plutôt bénéfique. Il y a beaucoup de variables, mais dans l’ensemble, l’impact reste important.
Quelle tendance suivent les exportations du Canada vers les États-Unis?
Le Canada sort d’une période très houleuse, avec un réel déclin, et en particulier une baisse de la part des exportations de produits manufacturés vers les États-Unis. Le Mexique nous a volé la vedette, ainsi que la Chine et d’autres économies asiatiques. La bonne nouvelle pour le Canada, c’est qu’on observe un léger revirement. Notre part de marché a augmenté d’environ un pour cent par rapport aux creux de 2017.
C’est une hausse modeste, en grande partie due au pétrole. Le pétrole joue un rôle crucial. Il y a aussi les produits alimentaires. Les métaux de base, dans une moindre mesure. Le marché de l’automobile n’a pas aidé. On observe une tendance à la baisse. C’est là que le Mexique continue de nous voler la vedette. Donc, oui. Mais, dans l’ensemble, il y a de bonnes nouvelles. Je pense qu’avec l’ACEUM, le Canada fait partie du bloc en ces temps de rapprochement commercial entre amis, et ce facteur a aidé l’économie à sortir des bas-fonds.
C’est intéressant, parce que vous indiquez dans le rapport que notre part des importations d’énergie vers les États-Unis est passée de 41 % en 2017 à 58 %. C’est très élevé. Cela dit, la part du Mexique a aussi augmenté en parallèle, mais pas autant. Les ressources jouent un rôle crucial pour le Canada, semble-t-il, n’est-ce pas?
Oui, et je ne m’attends pas à un changement cette année, puisque le pipeline Trans Mountain va accroître la capacité et les exportations. Une partie sera acheminée vers les États-Unis. Je pense que le Canada va être un chef de file de la production pétrolière. En fait, notre part de marché va s’accroître.
Notre taux de change est raisonnablement concurrentiel. Là encore, on fait partie du bloc et la bonne santé américaine va jouer en notre faveur. Nos exportations devraient connaître une belle année en 2024.
Une bonne année 2024, d’après ces facteurs. Mais si on commence à penser à la politique - Je ne vais pas vous demander de faire un pronostic sur l’issue des élections. Mais à votre avis, comment le Canada va-t-il tirer son épingle du jeu sur le plan économique en 2024 et 2025, avec cette élection et les politiques qui pourraient en découler?
Oui, c’est le grand point d’interrogation. Deux partis très différents s’opposent. Je crois que... Le déficit ne semble pas au centre des préoccupations, d’un côté comme de l’autre. Par contre, ils se distinguent sur les programmes fiscaux. Certaines réformes fiscales que Trump compte adopter, par exemple, représentent une baisse de la charge fiscale d’environ 6 000 milliards par rapport à Biden.
Des mesures très stimulantes.
Il sera bientôt temps de renouveler une grande partie des réductions d’impôt. Biden en abandonnerait une partie. Trump les reconduirait à peu près toutes, et en ajouterait d’autres. C’est une première chose. Mais bien sûr, leurs politiques commerciales sont très différentes.
On sait que Biden, comme beaucoup de chefs d’État, défend d’abord les intérêts de son pays et il y a des points d’achoppement avec le Canada. Trump a lancé l’idée de droits de douane universels de 10 %. Reste à savoir si le Canada bénéficierait d’une exemption si Trump passait à l’acte. C’est vraiment une question ouverte, en l’état des choses. Et on en subirait sans aucun doute les conséquences.
On garde un œil sur ces évolutions. Je ne m’attends pas à de telles mesures en 2024, mais on verra comment les politiques évoluent en 2025.
Je dois vous poser la question, car quand j’écoute ce que vous dites, je ne peux pas m’empêcher de penser à l’inflation. On est en présence d’économies stimulantes. Il y a les tarifs douaniers. L’inflation risque de persister.
Tout à fait. C’est un problème, en particulier au Canada. L’inflation s’est calmée dans le secteur du logement, mais du côté des marchandises... Contrairement aux États-Unis, où la désinflation s’est faite par la baisse des prix des marchandises, les prix des marchandises ont augmenté au Canada, quoique de façon assez modeste, près de 2%. Mais oui, c’est vraiment préoccupant. Ce dont on ne veut pas, c’est une grande vague de tarifs douaniers.
Je suis de nature optimiste. Si Trump est élu, par exemple, on sait qu’il n’y va pas de main morte sur les menaces. On se souvient de 2016, 2017. Certaines ont été mises à exécution, mais beaucoup d’autres non. Il tient les économistes canadiens très occupés.
Tout ça pour dire qu’en effet, c’est un risque. Les entreprises doivent commencer à réfléchir aux risques potentiels, mais il pourrait emprunter une voie très différente. On verra.
Il ne me reste plus qu’une minute, Derek. Si je vous demandais de caractériser l’économie canadienne, de me dire où vous voyez des points forts à l’échelle du Canada... Qu’est-ce qui va être marquant pour l’année à venir?
Les données sur l’emploi ont été publiées. Le contexte de l’emploi semble assez favorable et résilient. Les consommateurs devront débourser encore davantage pour les hypothèques, donc on ne s’attend pas à une forte croissance au Canada.
Il faut que l’inflation commence à baisser, mais elle risque de persister. On anticipait une baisse de taux en avril, mais ça me semble compromis, surtout au vu des données sur l’emploi. Ça semble de moins en moins probable. Je pense que les marchés tablent maintenant sur le mois de juin. Je pense que c’est plus probable. [LOGO SONORE] [MUSIQUE]
C’était encore impensable il y a peu de temps. Pour la première fois en 20 ans, la Chine n’est plus le principal exportateur de biens vers les États-Unis. Ce titre est désormais détenu par le Mexique. Un changement qui témoigne de la transformation du commerce mondial après les problèmes d’approvisionnement, les conflits politiques et bien sûr, la pandémie.
Où en est la mondialisation, et le Canada est-il toujours compétitif dans ce nouvel environnement? Derek Burleton, économiste en chef adjoint à la TD, nous donne son point de vue. Merci de nous rejoindre.
Je vous en prie.
On va parler du Canada dans un instant, mais essayons de nous faire une idée de la situation actuelle. Pourquoi est-ce si important que le Mexique ait détrôné la Chine?
La nouvelle a fait le haut des manchettes quand c’est arrivé l’an dernier. Avec le recul, on s’aperçoit qu’en fait, tout a commencé en 2017, quand la part des exportations chinoises a culminé à 21 %, loin devant les autres pays. Et puis, d’année en année, cette part a baissé pour tomber à 14 %. C’est une baisse d’un bon tiers en termes de part relative. Le Mexique a englouti près de la moitié de cette part. Le pays a fait un bond de trois points. C’est loin d’être négligeable.
Quant à savoir comment on en est arrivés là, de toute évidence, juste après son arrivée à la Maison-Blanche, Trump a imposé des tarifs. Il a clairement érigé un mur tarifaire contre la Chine. Depuis, les événements se sont succédé. Les tensions géopolitiques se sont intensifiées à l’échelle mondiale. Le commerce s’est régionalisé. La pandémie a souligné la nécessité d’avoir des chaînes d’approvisionnement fiables. Et on en est là aujourd’hui. Donc oui, c’est un événement important.
Oui, on va regarder le graphique. On voit la tendance à la baisse, c’est très clair. Selon vous, est-ce que cette tendance va se poursuivre, ou est-ce que vous anticipez plutôt une stabilisation?
En fait, je m’attends à ce qu’elle s’accentue. Je pense que la Chine est sur une trajectoire descendante. Ça m’étonnerait qu’on ait touché le fond et qu’il n’y ait plus d’autres baisses.
Est-ce qu’on va tomber à zéro? Non, je ne pense pas. Mais il est certain que des obstacles généraux se dressent contre les exportations chinoises. L’ALENA et l’ACEUM ne vont pas disparaître. Je m’attends donc à ce que la tendance se poursuive à court terme.
Pour ceux qui ont quelques années de recul et un peu de mémoire, comme moi, l’ALENA ou plutôt le Mexique est-il en train de redevenir une étoile montante en raison de sa proximité et de la base industrielle peut-être plus établie qu’il possède actuellement? Qu’anticipez-vous pour le Mexique? Qu’est-ce qui se développe là-bas?
On entend peu parler de l’économie mexicaine. Et je crois que c’est bon signe. Souvent, quand les marchés émergents font parler d’eux, c’est pour une mauvaise raison, comme la fuite de capitaux, une inflation galopante.
Mais le Mexique avance très tranquillement sur la voie d’une croissance saine. 3 % l’an dernier. Probablement 2 % cette année. Il fait face à de nombreux problèmes auxquels les économies avancées sont confrontées. L’inflation de base est de l’ordre de 5 %. Les taux d’intérêt sont élevés, et le pays songe à les abaisser. Voilà donc la toile de fond économique.
C’est sans doute du commerce que vient une grande partie de sa croissance. Elle provient de la production de véhicules à moteur, des exportations vers les États-Unis. Il ne fait aucun doute que le commerce est à la base de cette croissance.
Pour autant, le Mexique est-il la nouvelle Chine? Je n’irais pas jusque-là. Je ne pense pas. Si l’on considère le poids que pèse l’économie chinoise dans le commerce mondial, c’est encore environ six fois plus que le Mexique. Elle exporte plus de 3 000 milliards par an.
Le Mexique gagne des parts de marché, mais sur l’échiquier mondial, il est encore loin derrière, même s’il fait partie du marché nord-américain. Le Mexique n’est pas la Chine. Si on regarde la diversité des exportations chinoises, on voit beaucoup de domaines en croissance, les technologies vertes, les panneaux solaires. Les exportations mexicaines sont moins diversifiées que les exportations chinoises.
Et c’est ambigu, car les États-Unis tentent d’atténuer les risques en se détournant de la Chine et en augmentant la part des exportations mexicaines et canadiennes. Là où ça devient ambigu, c’est que les États-Unis se tournent aussi vers l’ANASE pour accroître leurs exportations, vers les Vietnam du monde. Or, la Chine approvisionne davantage ces économies.
Ce processus d’atténuation des risques devient ambigu, parce que beaucoup de... Certaines économies font le pont, comme le Mexique. Elles sont ouvertes aux échanges commerciaux, mais quand on regarde avec qui elles commercent – Oui.
Ces économies, en termes de réduction des risques, ne sont peut-être pas aussi sûres qu’il n’y paraît, quand on regarde les parts d’échanges directs.
C’est intéressant. Je voulais le souligner, car c’est une excellente remarque. Dans ce graphique, qui provient d’un rapport de votre équipe, on voit que la Chine reste l’atelier du monde. La Chine exporte moins vers les États-Unis, mais elle exporte davantage dans d’autres pays. Les deux pays opèrent en même temps une diversification.
Oui, et c’est à cause de la régionalisation des échanges, du développement du commerce entre pays amis. La Chine veut accroître ses exportations au Moyen-Orient, pas seulement en Asie du Sud-Est, mais dans le monde entier. En Russie, bien sûr. Elle travaille donc à créer ses propres liens. On se fourvoie si l’on se dit que la hausse de la part des exportations mexicaines en Amérique du Nord signifie que la Chine est en perte de vitesse. Ce n’est absolument pas le cas.
Qu’en est-il des problèmes internes de la Chine? Son économie s’est fortement essoufflée. Il y a eu des problèmes dans le secteur immobilier. Le gouvernement est intervenu, comme à son habitude. C’est un environnement contrôlé. Dans quelle mesure ces difficultés vont-elles influencer leurs flux commerciaux ou leur façon de gérer les choses?
Pour moi, c’est une question distincte. Je pense qu’en grande partie, les problèmes actuels de la Chine sont d’ordre national et liés au secteur de l’immobilier. Il y a évidemment un lien, mais en attendant, le secteur des exportations a raisonnablement bien résisté. Bien sûr, il a été touché dans une certaine mesure par le ralentissement mondial qui dure depuis un an ou deux, mais il résiste plutôt bien. Les problèmes sont plutôt d’ordre intérieur, avec les dépenses, le manque de confiance.
C’est intéressant, car ces difficultés n’éclaircissent certainement pas les perspectives économiques mondiales, puisque la Chine reste un élément très important. On s’inquiète de l’impact sur les produits de base, même si l’offre a été neutralisée dans des secteurs comme le pétrole, où elle a été réduite. Et certaines tensions géopolitiques contribuent à soutenir les prix des produits de base, même si la Chine a vu sa croissance fléchir. On s’attend à une croissance de 4 % dans l’année qui vient, ce qui est très faible. C’est un premier point.
Le deuxième point qui apporte à mon avis une belle lueur d’espoir, c’est la surcapacité actuelle dans le secteur de l’exportation chinois, ce qui entraîne une déflation au niveau mondial. On s’inquiète du conflit au Moyen-Orient, des pressions sur l’approvisionnement, parce qu’il faut réacheminer les échanges, etc. Mais on observe une impulsion déflationniste qui, pour l’instant, est plutôt bénéfique. Il y a beaucoup de variables, mais dans l’ensemble, l’impact reste important.
Quelle tendance suivent les exportations du Canada vers les États-Unis?
Le Canada sort d’une période très houleuse, avec un réel déclin, et en particulier une baisse de la part des exportations de produits manufacturés vers les États-Unis. Le Mexique nous a volé la vedette, ainsi que la Chine et d’autres économies asiatiques. La bonne nouvelle pour le Canada, c’est qu’on observe un léger revirement. Notre part de marché a augmenté d’environ un pour cent par rapport aux creux de 2017.
C’est une hausse modeste, en grande partie due au pétrole. Le pétrole joue un rôle crucial. Il y a aussi les produits alimentaires. Les métaux de base, dans une moindre mesure. Le marché de l’automobile n’a pas aidé. On observe une tendance à la baisse. C’est là que le Mexique continue de nous voler la vedette. Donc, oui. Mais, dans l’ensemble, il y a de bonnes nouvelles. Je pense qu’avec l’ACEUM, le Canada fait partie du bloc en ces temps de rapprochement commercial entre amis, et ce facteur a aidé l’économie à sortir des bas-fonds.
C’est intéressant, parce que vous indiquez dans le rapport que notre part des importations d’énergie vers les États-Unis est passée de 41 % en 2017 à 58 %. C’est très élevé. Cela dit, la part du Mexique a aussi augmenté en parallèle, mais pas autant. Les ressources jouent un rôle crucial pour le Canada, semble-t-il, n’est-ce pas?
Oui, et je ne m’attends pas à un changement cette année, puisque le pipeline Trans Mountain va accroître la capacité et les exportations. Une partie sera acheminée vers les États-Unis. Je pense que le Canada va être un chef de file de la production pétrolière. En fait, notre part de marché va s’accroître.
Notre taux de change est raisonnablement concurrentiel. Là encore, on fait partie du bloc et la bonne santé américaine va jouer en notre faveur. Nos exportations devraient connaître une belle année en 2024.
Une bonne année 2024, d’après ces facteurs. Mais si on commence à penser à la politique - Je ne vais pas vous demander de faire un pronostic sur l’issue des élections. Mais à votre avis, comment le Canada va-t-il tirer son épingle du jeu sur le plan économique en 2024 et 2025, avec cette élection et les politiques qui pourraient en découler?
Oui, c’est le grand point d’interrogation. Deux partis très différents s’opposent. Je crois que... Le déficit ne semble pas au centre des préoccupations, d’un côté comme de l’autre. Par contre, ils se distinguent sur les programmes fiscaux. Certaines réformes fiscales que Trump compte adopter, par exemple, représentent une baisse de la charge fiscale d’environ 6 000 milliards par rapport à Biden.
Des mesures très stimulantes.
Il sera bientôt temps de renouveler une grande partie des réductions d’impôt. Biden en abandonnerait une partie. Trump les reconduirait à peu près toutes, et en ajouterait d’autres. C’est une première chose. Mais bien sûr, leurs politiques commerciales sont très différentes.
On sait que Biden, comme beaucoup de chefs d’État, défend d’abord les intérêts de son pays et il y a des points d’achoppement avec le Canada. Trump a lancé l’idée de droits de douane universels de 10 %. Reste à savoir si le Canada bénéficierait d’une exemption si Trump passait à l’acte. C’est vraiment une question ouverte, en l’état des choses. Et on en subirait sans aucun doute les conséquences.
On garde un œil sur ces évolutions. Je ne m’attends pas à de telles mesures en 2024, mais on verra comment les politiques évoluent en 2025.
Je dois vous poser la question, car quand j’écoute ce que vous dites, je ne peux pas m’empêcher de penser à l’inflation. On est en présence d’économies stimulantes. Il y a les tarifs douaniers. L’inflation risque de persister.
Tout à fait. C’est un problème, en particulier au Canada. L’inflation s’est calmée dans le secteur du logement, mais du côté des marchandises... Contrairement aux États-Unis, où la désinflation s’est faite par la baisse des prix des marchandises, les prix des marchandises ont augmenté au Canada, quoique de façon assez modeste, près de 2%. Mais oui, c’est vraiment préoccupant. Ce dont on ne veut pas, c’est une grande vague de tarifs douaniers.
Je suis de nature optimiste. Si Trump est élu, par exemple, on sait qu’il n’y va pas de main morte sur les menaces. On se souvient de 2016, 2017. Certaines ont été mises à exécution, mais beaucoup d’autres non. Il tient les économistes canadiens très occupés.
Tout ça pour dire qu’en effet, c’est un risque. Les entreprises doivent commencer à réfléchir aux risques potentiels, mais il pourrait emprunter une voie très différente. On verra.
Il ne me reste plus qu’une minute, Derek. Si je vous demandais de caractériser l’économie canadienne, de me dire où vous voyez des points forts à l’échelle du Canada... Qu’est-ce qui va être marquant pour l’année à venir?
Les données sur l’emploi ont été publiées. Le contexte de l’emploi semble assez favorable et résilient. Les consommateurs devront débourser encore davantage pour les hypothèques, donc on ne s’attend pas à une forte croissance au Canada.
Il faut que l’inflation commence à baisser, mais elle risque de persister. On anticipait une baisse de taux en avril, mais ça me semble compromis, surtout au vu des données sur l’emploi. Ça semble de moins en moins probable. Je pense que les marchés tablent maintenant sur le mois de juin. Je pense que c’est plus probable. [LOGO SONORE] [MUSIQUE]