La Banque du Canada a relevé son taux du financement à un jour d’un point de pourcentage complet, une surprise qui stimule les efforts qu’elle déploie pour lutter contre l’inflation galopante. Greg Bonnell discute avec James Orlando, directeur et économiste principal, Groupe Banque TD, des répercussions possibles de la hausse des taux.
La Banque du Canada a procédé à une hausse de taux d’un point de pourcentage complet aujourd’hui, dans le but de contenir la flambée des coûts à la consommation. Mais quels sont les risques que la lutte contre l’inflation entraîne l’économie canadienne dans une récession? Notre invité du jour nous donne son avis. Il s’agit de James Orlando, économiste principal aux Services économiques TD. James, c’est un plaisir de vous accueillir. Je voudrais vraiment approfondir cette question. On sait que les taux sont en hausse. Mais 100 points de base d’un seul coup… quels sont les risques? Les risques sont assez importants, c’est pourquoi on parle tant de récession, pas seulement au Canada, mais partout dans le monde. Il est rare de relever les taux d’intérêt de 1 %. La dernière fois, c’était en 1998. Et si vous pensez à ce qui se passe actuellement, la façon dont la Banque du Canada décrit tout, elle se prépare. Elle essaie de devancer l’inflation en sachant qu’elle est bien loin de l’inflation pour le moment. Il ne s’agit donc pas seulement d’une hausse de 100 points de base aujourd’hui, mais de l’importance de l’augmentation à venir.
Qu’est-ce que cela signifie pour les Canadiens? Une préparation pour atteindre, je pense, Tiff Macklem au tribunal, le gouverneur de la Banque du Canada, après l’annonce, tente de réaliser un atterrissage en douceur. Est-ce comme essayer de poser une fusée sur une tête d’épingle? C’est une analogie qui est beaucoup utilisée en ce moment. C’est très difficile. Par le passé, les périodes d’inflation élevée, les périodes de hausse rapides des taux d’intérêt, l’histoire est truffée de périodes d’augmentations qui finissent en récession. Le problème en ce moment, c’est qu’on souhaite tous atterrir en douceur. Et dans quelle mesure est-ce difficile? Pensez à ce que l’inflation signifie pour les Canadiens. Elle a pour effet d’éroder le pouvoir d’achat. On peut faire moins de choses avec notre argent. Donc, lorsque le prix d’un produit augmente, on doit ajuster ses dépenses ailleurs. Les Canadiens finissent par acheter moins. Et comme on achète moins, la croissance économique diminue.
Cela se propage aux entreprises et à tout le monde. Qu’est-ce que cela signifie, la hausse des taux d’intérêt? Cela signifie que vous allez payer de plus en plus d’argent pour tous vos prêts. Que ce soit pour le paiement de votre voiture, si vous avez une LDCVD, si vous renégociez votre prêt hypothécaire sur votre maison, tout ça a un impact très important. Et donc l’idée qu’on va traverser cette période et faire un atterrissage en douceur, c’est certainement possible. Mais étant donné que cela a été si difficile dans le passé, c’est un gros problème pour la Banque du Canada. Comme vous l’avez mentionné, elle prévoit un atterrissage en douceur. Elle ne prévoit donc pas de récession, même avec tout ce dont on parle en ce moment. Que cela se produise ou non, on va le découvrir à un moment, mais ce sera difficile pour la Banque du Canada d’atteindre cet objectif.
Après la décision, Tiff Macklem a prononcé le mot d’ouverture avant de répondre aux questions sur la décision prise aujourd’hui et il a déclaré qu’il reconnaît que cela peut sembler illogique. Les ménages canadiens sont aux prises avec des coûts qui montent en flèche et on augmente les coûts d’emprunt! Les difficultés à court terme sont cruciales pour éviter une situation incontrôlable. Est-ce que c’est difficile de le faire accepter au public canadien qui est confronté à une hausse généralisée des prix? Je pense que tout le monde se sent mal en ce moment. Comme vous l’avez mentionné, l’inflation ne se résume pas à quelques facteurs. Quand l’inflation a commencé à grimper, les prix de l’énergie ont commencé à augmenter. C’est déjà une chose. Puis vous commencez à le voir avec la nourriture. Et enfin avec à peu près tout ce qu’on achète. C’est vrai… Vous avez absolument raison. L’inflation est généralisée. Ensuite la Banque du Canada augmente les taux d’intérêt, ce qui fait augmenter les prix de ce que vous dépensez pour votre maison. C’est un vrai problème. Mais le fait est que, selon la formule de la Banque du Canada et on devrait tous le noter, lorsque vous essayez de maintenir des prix stables… par exemple, la Banque du Canada veut éviter que cela se produise plus. Elle veut empêcher l’inflation de continuer à augmenter. Parce que si elle n’augmente pas les taux, comme c’est le cas actuellement, l’inflation va simplement augmenter de plus en plus. Et tous ceux qui ont vécu dans les années 70 ou au début des années 80, quand l’inflation était à deux chiffres, veulent éviter cette période.
De nombreuses personnes sont venues me parler des taux hypothécaires qu’ils avaient, 17 %, 18 % dans les années 70 et 80 et ces gens-là savent. Ils savent exactement ce qui se passait et le risque si la Banque du Canada ne parvient pas à briser cette inflation qui ne cesse de croître. On n’a pas la plus récente tendance à l’inflation, celle qu’on a date un peu. Mais on a reçu celle des Américains aujourd’hui, leur IPC s’établit à 9,1 %, c’est plus élevé que prévu. Est-ce que l’inflation a déjà atteint un sommet? Ça n’en a pas l’air, du moins pas d’après l’expérience américaine. Certainement pas, elle n’a montré aucun signe de plafonnement. C’est certain. Au Canada, on prévoit une autre hausse de l’inflation lorsque ces données seront publiées. C’est une des choses pour lesquelles, si l’on regarde l’inflation américaine, les gens… Certains disent que les mesures de base de l’inflation…
Par exemple, lorsqu’on exclut la nourriture et l’énergie… d’une année à l’autre, cela ralentit depuis un certain temps. Mais regardez l’inflation globale. Prenez le fait que les prix de l’énergie ne semblent tout simplement pas diminuer. Les prix de l’essence n’ont pas suivi l’évolution des prix internationaux du pétrole dans la même mesure. Et l’autre facteur, c’est que les prix des biens augmentent encore à un rythme assez élevé en ce moment, mais on constate aussi un virage vers les services. Pendant une longue période, on ne pouvait acheter que des biens. Tout ce qui était physique, on disait que si ça fait mal quand ça vous tombe sur le pied, ça va augmenter. Et les chaînes d’approvisionnement sont toujours engorgées.
On a observé un certain répit, mais il y a quand même encore beaucoup de perturbations. Et si on passe aux services, la demande pour tous ces services augmente dans l’économie en ce moment et la forte demande entraîne de l’inflation dans ce secteur. Et une chose qu’il faut noter du passé même si l’inflation des biens atteint un sommet, l’inflation des services culmine beaucoup plus tard. Au Canada, par exemple, si on regarde ce qui s’est passé dans les années 70 et 80, l’inflation des biens a atteint deux sommets. Alors que l’inflation dans les services n’a atteint un sommet qu’environ un an plus tard.
HÔTE : Rêvons un peu… Le rêve pour un banquier central, ce serait que les problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement soient résolus, le conflit en Europe aussi, la réduction de l’inflation se ferait de son propre chef et on n’aurait pas besoin de pénaliser le public avec des coûts d’emprunt élevés. Évidemment, cela les ferait sourire. Si cela ne se produit pas, tout ce qui reste, et c’est ce qu’on observe actuellement, c’est d’écraser la demande et peut-être même nous entraîner dans une récession même s’ils veulent un atterrissage en douceur? Eh bien, pour la Banque du Canada, c’est une décision plus difficile. Le Canada est une économie petite, mais ouverte. On est donc largement tributaires de ce qui se passe dans le monde. Vraiment, il y a un peu d’inflation qui est alimentée par la demande au Canada. On sait que la demande est excédentaire au sein de notre économie.
Comme la Banque du Canada l’a mentionné aujourd’hui, la majorité de l’inflation, selon les prévisions Mises, ces résultats sont attribuables à des facteurs externes liés à l’offre. Et il faut vraiment changer ça. Si ça ne change pas, la Banque du Canada peinera à ramener l’inflation à la cible, ce sera incroyablement difficile. On n’a pas la flexibilité qu’il faut pour le faire. Si ça ne change pas, la plus grande partie de l’inflation vient de l’étranger. Il faut donc un ralentissement mondial. Ce n’est pas seulement une question d’énergie, il y a la Russie et l’Ukraine. Mais c’est aussi une question de coordination des banques centrales. La bonne nouvelle, c’est que beaucoup de banques centrales coordonnent leurs efforts, en particulier la Fed, qui est le banquier central du monde.
Et lorsqu’elle augmente les taux d’intérêt, cela a des répercussions sur tout le monde. Lorsque la Banque du Canada augmente les taux d’intérêt, cela a des répercussions sur les Canadiens, mais pas ailleurs. Il faut vraiment que les choses changent dans le monde entier, goulots d’étranglement, problèmes liés aux prix des produits de base. Mais il faut vraiment que la demande ralentisse à l’échelle mondiale. Et c’est un peu ce qu’on observe en ce moment. La croissance aux États-Unis n’a pas été forte au cours des deux derniers trimestres. La demande chinoise a diminué en raison des mesures de confinement pour la COVID-19. On commence à le voir, et cela influe sur les prix des produits de base. Mais il en faudra beaucoup plus à l’avenir pour ramener l’inflation à la cible. Et si vous regardez les prévisions d’inflation de la Banque du Canada, elle ne croit pas que l’inflation reviendra à sa cible cette année, pas non plus l’an prochain, mais en 2024. C’est une période très longue avant que l’inflation revienne à ce qu’on appelle un niveau confortable ou à la cible.
C’est une excellente transition à une autre question que j’ai en tête. Qu’en est-il de la suggestion, qui semble provenir du marché obligataire, qu’on va voir ces hausses rapides et qu’elles seront rapides, agressives et importantes, mais, à court terme, va-t-on de nouveau parler de réductions de taux? Est-ce un peu trop optimiste, peut-être, qu’un investisseur pense qu’il y aura des difficultés à court terme, mais que dans pas trop longtemps, on verra des réductions. Je pense que c’est ce que veut la Banque du Canada et la Réserve fédérale également. Donc, si vous regardez, vous parlez de la courbe des taux de la SV pour les hausses de taux d’intérêt futurs. Chaque fois qu’une banque centrale dit qu’elle va relever les taux à un niveau limitant la croissance économique, ça signifie que les taux d’intérêt augmenteront plus que ce qu’ils feraient habituellement à l’avenir.
Et une fois qu’ils obtiennent le taux d’inflation qu’ils recherchent, ils peuvent ramener les taux à ce qu’on appelle un niveau neutre, c’est-à-dire un niveau qui ne va pas s’accentuer ni freiner la demande pour l’économie. Et c’est tout à fait normal. Mais ce que vous voyez sur le marché obligataire, c’est qu’au cours des deux prochaines années, la Réserve fédérale va beaucoup augmenter les taux. Et lorsqu’ils augmentent beaucoup les taux, ils seront plus élevés que ce qu’ils seront à long terme. Et cela entraîne ce que nous appelons une inversion de la courbe des taux, il y a inversion lorsque le taux à deux ans est supérieur au taux à 10 ans.
Et la plupart des gens qui étudient ces graphiques savent que c’est un signe avant-coureur d’une récession. Donc les gens observent cela. Et c’est pourquoi on parle beaucoup de récession, car ils s’attendant à ce que ça aille trop loin. Ils vont restreindre la croissance économique. Il va falloir qu’ils fassent machine arrière à un moment donné.
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