
La Banque du Canada annonce qu’elle va attendre de voir comment l’économie évolue avant de décider de prochaines hausses de taux. Andrew Kelvin, stratège en chef, Canada à Valeurs Mobilières TD, explique à Greg Bonnell pourquoi, selon lui, la banque centrale devra peut-être envisager un assouplissement dans les mois à venir.
Print Transcript
[MUSIQUE]
GREG BONNELL : Parlons de l’annonce de ce matin. Le taux directeur a été relevé d’un quart de point, comme on s’y attendait, mais la Banque signale assez clairement qu’elle compte s’arrêter là pour l’instant, a priori.
Oui, sous réserve de certaines conditions. Elle a pris grand soin de préciser explicitement dans son communiqué qu’elle s’attend à maintenir le taux du financement à un jour à condition que l’économie évolue conformément à ses attentes. Si l’inflation ne diminue pas aussi rapidement que prévu, elle nous dit qu’elle relèvera les taux. Si la croissance s’avère plus forte que prévu, elle procédera à de nouvelles hausses de taux.
Selon nous, la Banque du Canada en a terminé. Je vous le dis d’emblée. On s’attendait à ce que cette hausse de 25 points de base marque la fin du cycle de hausse, et la Banque du Canada semble confirmer ce point. J’ai envie de croire qu’après les difficultés de communication avec le marché et avec le public durant la deuxième moitié de l’année 2021 et début 2022, la Banque ne ferait pas de telles annonces à la légère. Je crois donc qu’elle a établi avec un fort de degré de certitude que le resserrement actuel est suffisant, que l’on commence à voir des signes de ralentissement économique, et qu’elle peut raisonnablement s’attendre à une baisse de l’inflation. Pour nous, la vraie question n’est pas tant de savoir si le resserrement va se poursuivre, mais plutôt quand elle pourra entamer un assouplissement.
Le communiqué est assez explicite, non? En parcourant le communiqué, ce qui m’a vraiment frappé, c’est que la Banque affirme clairement qu’elle a pris les mesures nécessaires et qu’elle va maintenant observer les effets sur l’économie, à moins d’événements qui la contraindraient à intervenir. Est-ce qu’on s’attendait à une déclaration aussi explicite?
Je ne m’attendais pas à une annonce si explicite, en effet, tout simplement en raison de l’incertitude économique. Et je ne parle pas seulement de ce cycle. C’est un cycle hors du commun, avec l’interaction de mesures de relance budgétaire et monétaire, et tous les facteurs mondiaux qui influent sur l’économie canadienne. De manière générale, il est très difficile de dire où se situe le tournant dans un cycle.
C’était une réunion délicate pour la Banque en termes de communication. La hausse de 25 points de base, c’était une décision facile. La difficulté se situait plutôt au niveau de la communication. Je m’attendais à ce que la Banque se réserve un peu plus de marge de manœuvre pour un rajustement en mars ou avril si l’économie s’avère plus résiliente que prévu.
Mais de toute évidence, elle estime que le resserrement actuel suffit à produire de premiers résultats visibles, et qu’on continuera d’en voir les effets durant toute l’année 2023. La Banque a bien souligné que l’on n’avait pas encore vu la pleine mesure des effets des hausses précédentes. La politique monétaire fonctionne avec un décalage. Les taux d’intérêt ne se rajustent pas instantanément. Pas tous les taux d’intérêt, en tout cas. Les répercussions du resserrement que l’on a observées jusqu’ici vont se poursuivre durant tout 2023. Je crois que la Banque en est très consciente, ce qui donne à penser qu’elle s’inquiète autant des risques d’un resserrement excessif que des risques d’un resserrement insuffisant, qui sont tous deux très réels.
GREG BONNELL : La logique derrière tout cela, c’est que l’on voit des signes de ralentissement de la demande. Attendons. Observons les effets. En ce qui concerne la lutte contre l’inflation, la Banque semble très satisfaite des progrès, à en croire ses projections. Elle estime pouvoir revenir à l’inflation cible d’ici l’année prochaine. Est-ce faisable? Est-ce réaliste?
ANDREW KELVIN : Je crois que c’est un objectif réaliste. Notamment parce que la cible est un chiffre en glissement annuel. Si le taux d’inflation se stabilise avant la deuxième moitié de 2023, on reviendra à l’inflation cible en 2024. D’ici la fin de 2023, la plupart des chiffres de l’inflation de l’an dernier, qui ont surpris tant de monde, n’entreront plus dans le calcul. C’est la nature même de l’inflation.
Pour ce qui est de la composition, la banque voit clairement des preuves que l’inflation des biens va sans doute s’atténuer. Les chaînes d’approvisionnement vont mieux. Les problèmes d’approvisionnement que l’on a connus durant la pandémie en 2020 et 2021 découlaient en grande partie de l’économie mondiale. Au Canada et partout dans le monde, les gens ont délaissé la consommation de services au profit de la consommation de biens. Quand le monde entier a cessé d’aller au restaurant pour commander des appareils électroniques, les usines qui produisent les puces pour les téléphones ont été mises à rude épreuve, tout comme les ports qui prennent en charge les navires qui acheminent les biens d’un point A à un point B.
Maintenant que la demande de biens ralentit à l’échelle mondiale, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement s’atténuent. Cela aura un effet baissier sur l’inflation des biens. L’inflation dans le secteur des services sera un peu plus persistante. Je pense que c’est là que se situe l’incertitude, car on sait que le marché du travail est très tendu. Mais de l’avis de la Banque, le ralentissement économique qu’elle anticipe sera suffisant pour réduire l’inflation des biens et modérer un peu l’inflation des services, ce qui permettra à terme de revenir à une inflation maîtrisée. Et en fin de compte, elle y croit forcément. Sinon, elle ne pourrait pas annoncer de pause.
Pour ceux qui surveillent le compte à rebours... Quelle l’heure est-il? Un peu plus de midi, heure de l’Est. Il reste environ une semaine et deux heures avant le communiqué de la Réserve fédérale américaine. Je ne pense pas que Jerome Powell va téléphoner à Tiff Macklem pour lui demander quoi faire. J’ai vu ce que vous avez fait. Aiguillez-moi. Mais certains éléments du communiqué de notre banque centrale peuvent-ils nous mettre la puce à l’oreille sur la voie que la Fed compte emprunter, sur ce que l’on peut attendre de la Fed?
Je ne sais pas si la Fed va en tenir compte directement. Mais certains facteurs qui touchent le Canada touchent également la Fed. L’inflation des biens est un phénomène mondial, et pas seulement national. On s’attend à une baisse de l’inflation des biens au Canada, et aux États-Unis aussi.
Les prix du pétrole sont des prix mondiaux. Si les prix de l’énergie baissent au Canada, ils baisseront aussi aux États-Unis. Et on a entendu des dirigeants de la Fed dire que selon eux, un resserrement plus lent serait plus approprié. Pour moi, cela laisse présager ce que la Fed est susceptible de nous annoncer. Je ne parle pas des indications prospectives explicites. La Fed n’en aura certainement pas terminé après cette réunion. Mais cela cadre avec l’idée que les banques centrales, certainement en Amérique du Nord, sont plus proches de la fin que du début. En Europe, c’est une autre histoire. Mais on pourra en reparler une autre fois.
Ou vous poser la question tout à l’heure. Avant de clore le sujet, je voulais parler du fait que la Banque du Canada nous prépare une nouveauté, un équivalent du procès-verbal de la Fed. On va voir ce qui se passe en coulisses. Elle va publier un résumé des délibérations dans quelques jours. Je ne sais plus si ce sera dans une ou deux semaines. Est-ce qu’on y verra plus clair dans les délibérations? Est-ce utile pour nous, qui surveillons les marchés et l’influence des banques centrales?
Dans un monde idéal, non, ce ne serait pas utile parce que la Banque aurait parfaitement –
GREG BONNELL : communiqué.
expliqué, exactement. On lirait le communiqué. On lirait le rapport sur la politique monétaire. Et on saurait exactement pourquoi elle a pris telle ou telle décision. Mais en réalité, toute information supplémentaire éclaire le contexte. Par nature, ces résumés sont tournés vers le passé. Ils relatent le point de vue de la Banque il y a deux semaines.
J’ai vraiment hâte de voir à quel point ces résumés seront détaillés. On ne sait pas vraiment ce qu’il y aura dedans. Seront-ils expurgés de tous les détails intéressants? Va-t-on découvrir des divergences d’opinions entre les sous-gouverneurs?
La différence entre le Canada et les États-Unis, c’est qu’aux États-Unis, chaque gouverneur de la Fed peut s’exprimer librement. Les votes sont rendus publics. La Banque du Canada parle d’une seule voix. Quand un sous-gouverneur s’exprime, il dit la même chose que les autres sous-gouverneurs, ou que le gouverneur lui-même. Il serait intéressant de voir la diversité de points de vue dans le Conseil de direction, si la Banque autorise un tel niveau de détail. Encore une fois, elle choisira peut-être d’éliminer les faits les plus intéressants. Et je n’aurai pas beaucoup à me mettre sous la dent pour mon rapport. [MUSIQUE]
GREG BONNELL : Parlons de l’annonce de ce matin. Le taux directeur a été relevé d’un quart de point, comme on s’y attendait, mais la Banque signale assez clairement qu’elle compte s’arrêter là pour l’instant, a priori.
Oui, sous réserve de certaines conditions. Elle a pris grand soin de préciser explicitement dans son communiqué qu’elle s’attend à maintenir le taux du financement à un jour à condition que l’économie évolue conformément à ses attentes. Si l’inflation ne diminue pas aussi rapidement que prévu, elle nous dit qu’elle relèvera les taux. Si la croissance s’avère plus forte que prévu, elle procédera à de nouvelles hausses de taux.
Selon nous, la Banque du Canada en a terminé. Je vous le dis d’emblée. On s’attendait à ce que cette hausse de 25 points de base marque la fin du cycle de hausse, et la Banque du Canada semble confirmer ce point. J’ai envie de croire qu’après les difficultés de communication avec le marché et avec le public durant la deuxième moitié de l’année 2021 et début 2022, la Banque ne ferait pas de telles annonces à la légère. Je crois donc qu’elle a établi avec un fort de degré de certitude que le resserrement actuel est suffisant, que l’on commence à voir des signes de ralentissement économique, et qu’elle peut raisonnablement s’attendre à une baisse de l’inflation. Pour nous, la vraie question n’est pas tant de savoir si le resserrement va se poursuivre, mais plutôt quand elle pourra entamer un assouplissement.
Le communiqué est assez explicite, non? En parcourant le communiqué, ce qui m’a vraiment frappé, c’est que la Banque affirme clairement qu’elle a pris les mesures nécessaires et qu’elle va maintenant observer les effets sur l’économie, à moins d’événements qui la contraindraient à intervenir. Est-ce qu’on s’attendait à une déclaration aussi explicite?
Je ne m’attendais pas à une annonce si explicite, en effet, tout simplement en raison de l’incertitude économique. Et je ne parle pas seulement de ce cycle. C’est un cycle hors du commun, avec l’interaction de mesures de relance budgétaire et monétaire, et tous les facteurs mondiaux qui influent sur l’économie canadienne. De manière générale, il est très difficile de dire où se situe le tournant dans un cycle.
C’était une réunion délicate pour la Banque en termes de communication. La hausse de 25 points de base, c’était une décision facile. La difficulté se situait plutôt au niveau de la communication. Je m’attendais à ce que la Banque se réserve un peu plus de marge de manœuvre pour un rajustement en mars ou avril si l’économie s’avère plus résiliente que prévu.
Mais de toute évidence, elle estime que le resserrement actuel suffit à produire de premiers résultats visibles, et qu’on continuera d’en voir les effets durant toute l’année 2023. La Banque a bien souligné que l’on n’avait pas encore vu la pleine mesure des effets des hausses précédentes. La politique monétaire fonctionne avec un décalage. Les taux d’intérêt ne se rajustent pas instantanément. Pas tous les taux d’intérêt, en tout cas. Les répercussions du resserrement que l’on a observées jusqu’ici vont se poursuivre durant tout 2023. Je crois que la Banque en est très consciente, ce qui donne à penser qu’elle s’inquiète autant des risques d’un resserrement excessif que des risques d’un resserrement insuffisant, qui sont tous deux très réels.
GREG BONNELL : La logique derrière tout cela, c’est que l’on voit des signes de ralentissement de la demande. Attendons. Observons les effets. En ce qui concerne la lutte contre l’inflation, la Banque semble très satisfaite des progrès, à en croire ses projections. Elle estime pouvoir revenir à l’inflation cible d’ici l’année prochaine. Est-ce faisable? Est-ce réaliste?
ANDREW KELVIN : Je crois que c’est un objectif réaliste. Notamment parce que la cible est un chiffre en glissement annuel. Si le taux d’inflation se stabilise avant la deuxième moitié de 2023, on reviendra à l’inflation cible en 2024. D’ici la fin de 2023, la plupart des chiffres de l’inflation de l’an dernier, qui ont surpris tant de monde, n’entreront plus dans le calcul. C’est la nature même de l’inflation.
Pour ce qui est de la composition, la banque voit clairement des preuves que l’inflation des biens va sans doute s’atténuer. Les chaînes d’approvisionnement vont mieux. Les problèmes d’approvisionnement que l’on a connus durant la pandémie en 2020 et 2021 découlaient en grande partie de l’économie mondiale. Au Canada et partout dans le monde, les gens ont délaissé la consommation de services au profit de la consommation de biens. Quand le monde entier a cessé d’aller au restaurant pour commander des appareils électroniques, les usines qui produisent les puces pour les téléphones ont été mises à rude épreuve, tout comme les ports qui prennent en charge les navires qui acheminent les biens d’un point A à un point B.
Maintenant que la demande de biens ralentit à l’échelle mondiale, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement s’atténuent. Cela aura un effet baissier sur l’inflation des biens. L’inflation dans le secteur des services sera un peu plus persistante. Je pense que c’est là que se situe l’incertitude, car on sait que le marché du travail est très tendu. Mais de l’avis de la Banque, le ralentissement économique qu’elle anticipe sera suffisant pour réduire l’inflation des biens et modérer un peu l’inflation des services, ce qui permettra à terme de revenir à une inflation maîtrisée. Et en fin de compte, elle y croit forcément. Sinon, elle ne pourrait pas annoncer de pause.
Pour ceux qui surveillent le compte à rebours... Quelle l’heure est-il? Un peu plus de midi, heure de l’Est. Il reste environ une semaine et deux heures avant le communiqué de la Réserve fédérale américaine. Je ne pense pas que Jerome Powell va téléphoner à Tiff Macklem pour lui demander quoi faire. J’ai vu ce que vous avez fait. Aiguillez-moi. Mais certains éléments du communiqué de notre banque centrale peuvent-ils nous mettre la puce à l’oreille sur la voie que la Fed compte emprunter, sur ce que l’on peut attendre de la Fed?
Je ne sais pas si la Fed va en tenir compte directement. Mais certains facteurs qui touchent le Canada touchent également la Fed. L’inflation des biens est un phénomène mondial, et pas seulement national. On s’attend à une baisse de l’inflation des biens au Canada, et aux États-Unis aussi.
Les prix du pétrole sont des prix mondiaux. Si les prix de l’énergie baissent au Canada, ils baisseront aussi aux États-Unis. Et on a entendu des dirigeants de la Fed dire que selon eux, un resserrement plus lent serait plus approprié. Pour moi, cela laisse présager ce que la Fed est susceptible de nous annoncer. Je ne parle pas des indications prospectives explicites. La Fed n’en aura certainement pas terminé après cette réunion. Mais cela cadre avec l’idée que les banques centrales, certainement en Amérique du Nord, sont plus proches de la fin que du début. En Europe, c’est une autre histoire. Mais on pourra en reparler une autre fois.
Ou vous poser la question tout à l’heure. Avant de clore le sujet, je voulais parler du fait que la Banque du Canada nous prépare une nouveauté, un équivalent du procès-verbal de la Fed. On va voir ce qui se passe en coulisses. Elle va publier un résumé des délibérations dans quelques jours. Je ne sais plus si ce sera dans une ou deux semaines. Est-ce qu’on y verra plus clair dans les délibérations? Est-ce utile pour nous, qui surveillons les marchés et l’influence des banques centrales?
Dans un monde idéal, non, ce ne serait pas utile parce que la Banque aurait parfaitement –
GREG BONNELL : communiqué.
expliqué, exactement. On lirait le communiqué. On lirait le rapport sur la politique monétaire. Et on saurait exactement pourquoi elle a pris telle ou telle décision. Mais en réalité, toute information supplémentaire éclaire le contexte. Par nature, ces résumés sont tournés vers le passé. Ils relatent le point de vue de la Banque il y a deux semaines.
J’ai vraiment hâte de voir à quel point ces résumés seront détaillés. On ne sait pas vraiment ce qu’il y aura dedans. Seront-ils expurgés de tous les détails intéressants? Va-t-on découvrir des divergences d’opinions entre les sous-gouverneurs?
La différence entre le Canada et les États-Unis, c’est qu’aux États-Unis, chaque gouverneur de la Fed peut s’exprimer librement. Les votes sont rendus publics. La Banque du Canada parle d’une seule voix. Quand un sous-gouverneur s’exprime, il dit la même chose que les autres sous-gouverneurs, ou que le gouverneur lui-même. Il serait intéressant de voir la diversité de points de vue dans le Conseil de direction, si la Banque autorise un tel niveau de détail. Encore une fois, elle choisira peut-être d’éliminer les faits les plus intéressants. Et je n’aurai pas beaucoup à me mettre sous la dent pour mon rapport. [MUSIQUE]