En novembre, le marché obligataire a connu son meilleur mois en près de 40 ans. Hafiz Noordin, vice-président et directeur, Gestion active des portefeuilles de titres à revenu fixe, Gestion de Placements TD, explique pourquoi le rendement récent du marché pourrait se poursuivre durant la prochaine année.
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Le marché obligataire a enregistré sa meilleure performance mensuelle depuis près de 40 ans en novembre après une forte hausse des rendements au cours de l'automne. L'année 2024 sera-t-elle celle que les investisseurs dans les titres à revenu fixe espéraient en 2023? Hafiz Noordin de Gestion de placements TD nous rejoint pour en parler. Bonjour, Hafiz. Bonjour Greg. Le mois de novembre a été fort impressionnant après quelques déceptions pendant l'automne. Quelles sont les tendances sur le marché obligataire et pourquoi les rendements évoluent-ils tellement? Comme vous l'avez dit, les rendements obligataires ont été meilleurs que depuis 40 ans et ce après quelques mois de faiblesse pour les obligations. Il s'agissait donc d'une remontée, ce qui permettra aux obligations d'afficher un rendement total positif pour l'année. Qu'est-ce qui a entraîné ce changement de cap en novembre? D'abord les données économiques. L'inflation était inférieure aux prévisions dans plusieurs économies, ce qui a renforcé la conviction que la tendance désinflationniste qui avait commencé à régner pendant le 2e semestre pourra durer jusqu'à l'an prochain. Certaines autres données sur la croissance, ainsi que sur le marché du travail, commencent, quoique solides, à présenter une certaine faiblesse, même si cela ne va pas jusqu'à annoncer une récession. Ce genre d'environnement est propice aux obligations. Des préoccupations budgétaires aux États-Unis qui entrainaient beaucoup de volatilité en septembre et en octobre sont désormais prises en compte par les marchés. Il s'agit d'un meilleur point de départ pour les obligations. C'est pourquoi ces rendements avantageux ont été affichés en novembre. Les investisseurs, en considérant une importante remontée comme cela, se demandent s'ils ont raté quelque chose. 4,28 % pour le rendement du bon du Trésor. Nous étions au-delà de 5 il y a quelques semaines. C'est une évolution importante en quelque temps. Est-ce qu'ils ont raté la remontée ou est-ce qu'elle ne fait que commencer? Nos spectateurs se le demandent sûrement. Tout d'abord, considérez l'extrémité courte de la courbe, le rendement du bon à deux ans qui est d'un peu plus de 4,5 % aux États-Unis. Comparez cela au point où la réserve fédérale prévoit amener les taux d'intérêt à long terme. Considérant le graphique de pointe, si l'on utilise ce pronostic comme guide des taux d'intérêt d'ici quelques années, le taux d'intérêt neutre se situera autour de 2,5 %. Il y a donc plus de 200 points de base d'ajustement des rendements qui pourraient intervenir dans le rendement du bon à deux ans, en supposant que l'inflation rétrograde jusqu'à la cible. Cela pourrait se produire plus rapidement s'il y a une récession. Les banques centrales devront réduire les taux plus rapidement. Même s'il n'y a pas de récession, un scénario de ralentissement progressif de la croissance, on finira par parvenir à ce taux directeur. Le rendement de l'obligation à 10 ans et le reste de la courbe vont mécaniquement descendre également. Il y aurait encore beaucoup de chemin à faire en ce qui concerne même le rendement de l'obligation à 10 ans. Si nous parvenons à 3 à 4 % au niveau du rendement total, il y a encore beaucoup de rattrapage à faire pour les rendements obligataires. Nous sommes peut-être au début de cette phase de revirement. Qu'est-ce que cela nous laisse augurer pour 2024? Nous sommes en décembre, nous sommes sur le point de tourner la page sur cette année après quelques semaines tout de même. Est-ce que cela va nous permettre d'espérer l'an prochain l'année que nous espérions cette année pour les marchés obligataires? Effectivement, début 2023, le consensus des pronostics économiques s'accordait sur une croissance économique assez faible, de 0 à 0,5 % au Canada et aux États-Unis. Aux États-Unis en particulier, la croissance était largement supérieure aux prévisions, plutôt 2,5 % selon ce que l'on prévoit pour cette année. Pour l'an prochain, les attentes quant à la croissance économique sont mitigées mais je pense que ces prévisions sont davantage fondées. Même si nous n'entrons pas en récession, la faible croissance associée au retrait de bon nombre de mesures de relance budgétaire cette année, sans compter que le marché du travail, même s'il est encore solide, ne se porte pas aussi bien que dans le passé, la consommation ne sera donc sans doute pas aussi florissante que cette année. Les convictions quant à la croissance faible l'an prochain sont sans doute mieux fondées qu'au début de cette année. Les rendements obligataires étant encore élevés, je pense qu'il y a une asymétrie intéressante dans les rendements obligataires. Dans un scénario de faible croissance, on pourrait toujours toucher des coupons élevés, de 4 à 5 %, selon le produit que vous achetez, et si nous avons une récession, on pourrait avoir 100 points de base de moins dans le bon du Trésor des États-Unis à 10 ans, ce qui pourrait augmenter votre rendement total de 5 à 10 % au-delà du coupon. Depuis quelques jours il y a eu beaucoup de données économiques qui sont parues au Canada et aux États-Unis. Lorsqu'il s'agit de l'indice préféré de la Fed, l'indice des équivalents de producteurs, qu'est-ce que toutes ces données nous révèlent? Je n'entrerai pas dans les indicateurs individuels, mais le grand thème à retirer de toutes ces données, c'est que la croissance ralentit bel et bien. L'indice ISM du secteur manufacturier, qui a paru vendredi, était inférieur aux prévisions, largement en deçà du niveau de 50 qui correspond à une croissance du PIB conforme à la tendance. L'indice ISM se situait entre 46 et 48. Toutes les données s'accordent pour montrer un ralentissement de la croissance. L'indice ISM des services paraîtra cette semaine pour montrer si ce volet de l'économie suit la même tendance. Un autre grand thème, c'est le marché du travail. Celui-ci a été résilient, des emplois sont toujours créés chaque mois, on l'a vu au Canada et aux États-Unis, les chiffres pour le Canada ayant paru vendredi dernier, mais en définitive, nous assistons à une augmentation progressive du taux de chômage. Est-ce que cette augmentation deviendra parabolique dans le cadre d'un scénario de récession? Cela reste à voir. Mais du moins, nous n'assistons pas à la résilience du marché du travail qui a engendré des inquiétudes quant à une croissance incontrôlée des salaires, ce qui engendrerait une grande dislocation. C'est un thème prometteur, et le dernier thème, ce sont les données relatives à l'inflation. Vous avez parlé de l'indice des équivalents de producteurs et les autres indices prospectifs de l'inflation. Cela montre que dans un environnement désinflationniste où l'on se rapproche d'une croissance à 0 % quant au secteur des marchandises, et dans le secteur des services, l'inflation reflue également progressivement. Tous les indicateurs concordent donc pour montrer que l'économie refroidit juste assez pour que les obligations comme les actions se trouvent dans un environnement favorable. C'est le scénario Boucle d'or. Quant à l'analyse à laquelle procèdent les banques centrales à l'heure actuelle... tout le monde s'accorde pour dire que la Banque du Canada a terminé ses hausses de taux alors que la Fed en a peut-être encore une à dégainer. À mon avis, toutes deux en ont terminé, surtout compte tenu des données que je viens d'évoquer. Cela a fait pencher la balance en faveur d'une pause par la Fed lorsqu'elle annoncera sa décision la semaine prochaine. Les marchés tiennent désormais compte du fait que des coupures de taux devraient intervenir, peut-être d'ici la fin du premier trimestre, mais à tout le moins au deuxième trimestre de l'an prochain. C'est à ce moment-là que les premières coupures de taux pourraient intervenir. Pas nécessairement parce que l'on pronostique une forte baisse de la croissance, mais parce que compte tenu de la baisse de l'inflation, le travail a été fait. On peut commencer à réétalonner à partir d'une politique très resserrée pour passer à une politique monétaire un peu moins resserrée, donc avec des taux d'intérêt un peu inférieurs aux pics qu'ils ont atteints. Même chose pour la banque du Canada. C'est là que l'on commence à prévoir les coupures de taux au deuxième trimestre de l'an prochain.