Compte tenu de la géopolitique, de l’inflation inégale et de l’incertitude économique, il y a beaucoup d’éléments dont les investisseurs doivent tenir compte dans le contexte actuel du marché. Beata Caranci, économiste en chef à la TD, répond à certaines des principales questions financières posées par Kim Parlee de Parlons Argent.
Print Transcript
Chaque trimestre, les Services économiques TD se font submerger de questions sur la situation de l’économie. Et compte tenu de la complexité de ce qui se passe dans le monde, il y a plus de questions que jamais. Ils ont donc publié le document Vous avez des questions? Nous avons les réponses!, dans lequel ils répondent aux grandes questions qui leur sont posées. Beata Caranci, économiste en chef de la TD, est parmi nous pour en discuter. Ça ne se simplifie pas, n’est-ce pas?
On a essayé de...
Je sais. Je ne parlais pas du rapport, mais du monde. Le monde ne se simplifie pas. D’accord, on va donc passer en revue les questions. On en a huit ici qu’on va aborder. La première est la suivante : Quel est l’impact des risques géopolitiques sur la croissance mondiale, les risques liés à l’inflation et les prix des produits de base? Expliquez-nous un peu plus en détail ce que vous observez en géopolitique.
Les économies ont naturellement tendance à prendre de l’expansion, n’est-ce pas? Donc, s’il y a des risques géopolitiques qui s’ajoutent, cela crée un soubresaut ou ça peut déraper complètement. Dans ce cas particulier, ce qu’on observe dans les tensions entre Israël et le Hamas, en particulier, c’est le soubresaut dans les données, c’est-à-dire que la modification du trajet des navires, dans le but d’éviter certaines des tensions négatives là-bas, entraîne une augmentation des coûts de transport entre la Chine et l’Europe, la Chine et les États-Unis, parce que les trajets sont plus longs.
Je vais juste écouter. On va montrer un graphique ici, dans lequel on peut voir certains de ces coûts et ce qui se passe en ce moment. Et voilà. On le voit ici.
Oui. Il ne semble pas y avoir de soubresaut dans ce graphique.
Oui. Ce que ça nous montre, c’est que la chaîne d’approvisionnement s’allonge de nouveau. Donc, pour la Chine, le transport de marchandises vers l’Europe a quadruplé par rapport à ce qu’il était, et pour les États-Unis, les coûts de transport ont doublé; ça n’a rien à voir avec les niveaux pendant la pandémie, mais ce n’est pas idéal parce que la plupart des forces déflationnistes qui ont cours en Europe, au Canada et aux États-Unis découlent des produits, et c’est exactement ce qui est expédié à l’étranger. Essentiellement, la dynamique qui favorisait les économies avancées s’atténue. Toutefois, ces économies continuent de prendre de l’expansion, surtout aux États-Unis. Ce n’est donc pas comme si les risques géopolitiques avaient perturbé leur croissance. D’accord. C’était donc la première question. Passons à la deuxième question : Comment expliquer les disparités en matière d’inflation entre les États-Unis, le Canada et la zone euro? J’ai fait mes devoirs, et je veux simplement dire que j’ai lu votre rapport, ce qui n’était pas énorme comme devoir. Mais je pense que les États-Unis se situent autour de 3,1 %, le Canada, de 2,9 %, et l’Europe, de 2,8 %. On observe donc, je suppose, une croissance accrue aux États-Unis, ce qui entraîne une hausse de l’inflation.
Oui. L’inflation totale est globale. Et ce sur quoi les banques centrales se concentrent de plus en plus, c’est la tendance de l’inflation sur trois ou six mois. Si vous faites la ventilation, vous verrez à quoi cela va ressembler dans trois à six mois, plutôt que sur 12 mois, ce qui a des effets sur l’année de base. Alors, si on fait cette analyse, d’un trimestre à l’autre, les pressions inflationnistes en Europe ont considérablement diminué. Il n’y a donc eu pratiquement aucune croissance économique au deuxième semestre de 2023, ce qui s’est traduit par une importante marge de capacités excédentaires. Et il y a une dynamique économique traditionnelle entre les taux d’intérêt et les prix... imaginez ça. Et on n’a pas connu ça pendant deux ans. On en voit maintenant la preuve en Europe. L’inflation y a donc diminué très rapidement en trois mois, ce qui nous indique quoi examiner dans les trois prochains mois. Les États-Unis n’ont pas connu autant de fluctuations, parce que dans le secteur des services de l’économie, comme vous l’avez souligné, la croissance économique demeure plus forte. L’offre n’est pas excédentaire. Ils ont enregistré une croissance de 4 % de leur PIB au deuxième semestre de 2023. Ils devraient dépasser 2 % au premier trimestre. Ils n’ont donc même pas encore atteint le stade de l’offre excédentaire par rapport à la demande. Les prix des services demeurent les mêmes. Les prix des biens ont diminué, mais pas suffisamment pour compenser ce qui se passe dans le secteur des services. Et c’est le Canada la véritable anomalie. On a subi des pressions à la baisse sur les prix des biens, mais pas autant sur le plan des services, car nos mesures à l’égard des services sont très fortement pondérées par rapport au logement. Et on se démarque un peu par rapport à nos pairs, car lorsqu’on calcule l’inflation, on tient compte des frais d’intérêts hypothécaires, ce que d’autres pays n’ont pas fait. Ça entraîne donc une augmentation des pressions inflationnistes au Canada, en partie à cause de la méthodologie elle-même.
Oui. C’est fou de voir les taux augmenter, puis on se plaint de l’inflation, et c’est parce que les taux ont augmenté. Et oui, c’est intéressant. Ce sont les détails qui posent problème, n’est-ce pas? D’accord, question trois, alors : Comment les banques centrales perçoivent-elles ces résultats divergents dont vous venez de parler quant à leur trajectoire de politique potentielle? Que vont-elles faire?
Oui, c’est une question intéressante. Je dirais plutôt : qu’est-ce que les marchés pensent que les banques centrales vont faire? Et si on regarde les cours de la BCE, de la Banque d’Angleterre, de la Banque du Canada et de la Réserve fédérale, on constate que les marchés pensent qu’ils vont tous diminué vers le milieu de l’année, soit entre juin et juillet, ce qui semble un peu incohérent, étant donné que l’inflation diminue beaucoup plus rapidement en Europe qu’en Amérique du Nord. Il y a donc quelqu’un qui se trompe. Soit l’Europe va procéder à des réductions un peu plus tôt que tout le monde, soit, ce qui est peut-être plus probable, la Réserve fédérale et la Banque pourraient procéder à des réductions plus tard et d’un montant moins élevé par rapport à ce que beaucoup de gens s’attendent.
On va présenter un graphique pendant que vous poursuivez.
Oui. Et je pense que dans cette situation, alors que les banques centrales tentent de composer avec l’inflation, la réalité, c’est qu’elles ciblent le taux annuel, même si je parlais des tendances sur trois mois et sur six mois : elles ciblent le taux annuel. Il faut que ce soit moins de 3 % et que ça se maintienne à ce niveau-là. Et cela ne devrait pas se concrétiser avant le milieu de l’année ou le deuxième semestre de cette année, soit à la fin de cette année. Et pour cette raison, elles amènent les marchés à tempérer leurs attentes. Donc, au début de l’année, les marchés croyaient que la Réserve fédérale effectuerait une réduction de 150 points de base cette année. C’est passé à environ 75 ou 80 points de base.
Wow. Et je pense que la Fed en serait heureuse, car ses propres prévisions ne font état que de trois réductions pour l’année. Il semble donc que les marchés soient alignés pour le moment. Pour ce qui est de la Banque du Canada, la situation est beaucoup plus difficile, parce que la croissance économique a été très faible, et que l’inflation a été plus marquée. Elle doit donc trouver une stratégie pour que l’économie ne plonge pas dans un cycle de récession, tout en ancrant les attentes d’inflation. Elle devra donc trouver un plus juste équilibre.
Question suivante : Une résurgence de la demande de logements risque-t-elle de contrevenir aux intentions de réduction des banques centrales?
Oui. Cela va certainement leur compliquer la tâche. Donc, le secteur dans nos prévisions qui a subi la plus forte révision à la hausse est celui de l’habitation... rien d’autre. Ni le taux de chômage ni le rendement économique. Je parle toujours du marché de l’habitation au Canada comme d’un ressort enroulé. Dès qu’une petite pression survient, il rebondit. Et ce rebondissement s’explique par le fait que les taux ont fortement baissé au cours des derniers mois, et on commence à voir un peu cette peur de rater quelque chose; les gens se tiennent à l’écart puis reviennent. On pensait donc que le marché et les ventes augmenteraient d’environ 5 % cette année. Et on a dû réviser cette prévision pour la remonter à environ 13 %. C’est donc une énorme révision. Cela ne signifie pas nécessairement que les prix ont fluctué selon la même ampleur. Mais c’est certainement un secteur où la Banque du Canada devra trouver le moyen de réagir rapidement, car dès qu’elle va commencer à effectuer des réductions, ça ne fera que revenir.
J’ai l’image d’une personne qui se promène sur la pointe des pieds autour de tous ces ressorts qui rebondissent un peu partout. D’accord, prochaine question : Quelles répercussions les récents changements apportés à la politique d’immigration du Canada auront-ils sur l’économie? Et je vais afficher un graphique que vous avez dans votre rapport et qui montre que la croissance de la population est sur le point de ralentir.
Mais pas beaucoup, comme le montre le graphique. Et est-ce la réponse, à savoir dans quelle mesure cela influerait-il sur la demande de logements? Pas vraiment. Et c’est en partie parce que les résidents non permanents ne sont généralement pas les principaux titulaires de prêts hypothécaires. Et donc, en réalité, ça ne vient pas de ce segment en termes de prêts hypothécaires. Ça a un impact sur le volet des loyers de l’économie, mais pas autant que sur le marché des acheteurs de maisons. Et la déflation est très lente du point de vue de la politique d’immigration. C’est donc plus un effet qu’on verra en 2025. Toutefois, ce qu’ils ont annoncé jusqu’à présent, c’est une réduction de 35 % des permis d’études, soit environ 220 000 personnes, dans une économie qui accueille 1,3 million de personnes, donc ce n’est pas suffisant. La demande dépasse encore considérablement l’offre de logements.
Intéressant. D’accord, passons à la question suivante, qui porte sur les États-Unis. Voici la question : Comment la politique budgétaire américaine devrait-elle influer sur la croissance? Encore une fois, ça porte sur les dépenses du gouvernement. Je pense aux élections à venir. Mais allez-y.
Oui. Oui. Il y a deux aspects à ça, n’est-ce pas? Parce qu’à court terme, ils doivent financer le gouvernement. Et ils ont deux échéances à respecter, une ce vendredi et ensuite la semaine suivante, pour prendre des résolutions de maintien ou faire autre chose pour financer le gouvernement. Et puis leur processus budgétaire commence en avril. Il y a ensuite les élections. Et il y a donc beaucoup, beaucoup d’obstacles à surmonter. Au cours des deux dernières années, la politique budgétaire a été extrêmement expansionniste aux États-Unis. Ce ne sera probablement pas le cas au cours des deux prochaines années. Il devrait donc y avoir une certaine retenue à l’avenir.
Intéressant. Prochaine question : Qu’est-ce qui freinera le rythme soutenu de l’économie américaine en 2024? Et je continue à penser au fait qu’on entend constamment parler de relocalisation, de choses qui reviennent, et je pense aux élections et aux mesures de relance... il y a beaucoup d’éléments.
Oui. Mais on voit que certains aspects de l’économie commencent à fléchir. On observe une hausse des taux de défaillance des cartes de crédit et du financement automobile. Et c’est en fait plus élevé qu’avant la pandémie. On remarque que les épargnes excédentaires des ménages à faible et à moyen revenu sont épuisées. Ainsi, la plupart des dépenses et de l’élan économique proviennent d’un petit segment de ménages. Et à mesure qu’on va progresser dans le temps, certains de ces facteurs extraordinaires qui ont aidé les États-Unis devraient continuer de s’estomper. Ça ne veut pas dire qu’ils vont disparaître. On n’est pas du tout dans le camp de la récession pour les États-Unis. En fait, je dis qu’il s’agit d’une économie tout à fait exceptionnelle compte tenu du stade où on se trouve dans ce cycle. Et on pense que c’est encore ainsi que ça va se définir par rapport aux économies comparables. Mais ça ne signifie pas que vous continuerez d’afficher des taux de croissance de 4 %.
Parce que c’est élevé. 4 %, c’est autre chose. Très bien, dernière question, et celle qui intéresse probablement le plus ceux qui nous regardent en ce moment : L’atterrissage en douceur au Canada est difficile. Comment l’économie va-t-elle se redresser?
Malheureusement, quand on pose la question à un économiste, on comprend pourquoi nous sommes reconnus pour notre « triste science ».
Oui, en effet.
Malheureusement, lorsqu’on examine la source du ralentissement, c’est ce qu’on définit habituellement comme un cycle de désendettement. Et on a vu, par exemple, que la consommation par habitant s’est contractée au cours de trois des quatre derniers trimestres. Et les particuliers qui ne sont pas nécessairement titulaires d’un prêt hypothécaire, mais qui détiennent une carte de crédit et d’autres titres de créance sont davantage mis à rude épreuve. Et ce cycle ne se termine généralement pas en un an. Le cycle de désendettement dure habituellement quelques années, ce qui signifie essentiellement que les dépenses de consommation devraient être plus faibles : 1 %, peut-être jusqu’à 2 %, mais elles ne vont probablement pas augmenter soudainement. Et on verra ce qui se passera du côté du marché de l’habitation. C’est là que ça va me prouver le contraire, j’en suis sûre, car c’est un domaine où les gens veulent dépenser, c’est dans ce secteur qu’ils veulent dépenser. [MUSIQUE]
Chaque trimestre, les Services économiques TD se font submerger de questions sur la situation de l’économie. Et compte tenu de la complexité de ce qui se passe dans le monde, il y a plus de questions que jamais. Ils ont donc publié le document Vous avez des questions? Nous avons les réponses!, dans lequel ils répondent aux grandes questions qui leur sont posées. Beata Caranci, économiste en chef de la TD, est parmi nous pour en discuter. Ça ne se simplifie pas, n’est-ce pas?
On a essayé de...
Je sais. Je ne parlais pas du rapport, mais du monde. Le monde ne se simplifie pas. D’accord, on va donc passer en revue les questions. On en a huit ici qu’on va aborder. La première est la suivante : Quel est l’impact des risques géopolitiques sur la croissance mondiale, les risques liés à l’inflation et les prix des produits de base? Expliquez-nous un peu plus en détail ce que vous observez en géopolitique.
Les économies ont naturellement tendance à prendre de l’expansion, n’est-ce pas? Donc, s’il y a des risques géopolitiques qui s’ajoutent, cela crée un soubresaut ou ça peut déraper complètement. Dans ce cas particulier, ce qu’on observe dans les tensions entre Israël et le Hamas, en particulier, c’est le soubresaut dans les données, c’est-à-dire que la modification du trajet des navires, dans le but d’éviter certaines des tensions négatives là-bas, entraîne une augmentation des coûts de transport entre la Chine et l’Europe, la Chine et les États-Unis, parce que les trajets sont plus longs.
Je vais juste écouter. On va montrer un graphique ici, dans lequel on peut voir certains de ces coûts et ce qui se passe en ce moment. Et voilà. On le voit ici.
Oui. Il ne semble pas y avoir de soubresaut dans ce graphique.
Oui. Ce que ça nous montre, c’est que la chaîne d’approvisionnement s’allonge de nouveau. Donc, pour la Chine, le transport de marchandises vers l’Europe a quadruplé par rapport à ce qu’il était, et pour les États-Unis, les coûts de transport ont doublé; ça n’a rien à voir avec les niveaux pendant la pandémie, mais ce n’est pas idéal parce que la plupart des forces déflationnistes qui ont cours en Europe, au Canada et aux États-Unis découlent des produits, et c’est exactement ce qui est expédié à l’étranger. Essentiellement, la dynamique qui favorisait les économies avancées s’atténue. Toutefois, ces économies continuent de prendre de l’expansion, surtout aux États-Unis. Ce n’est donc pas comme si les risques géopolitiques avaient perturbé leur croissance. D’accord. C’était donc la première question. Passons à la deuxième question : Comment expliquer les disparités en matière d’inflation entre les États-Unis, le Canada et la zone euro? J’ai fait mes devoirs, et je veux simplement dire que j’ai lu votre rapport, ce qui n’était pas énorme comme devoir. Mais je pense que les États-Unis se situent autour de 3,1 %, le Canada, de 2,9 %, et l’Europe, de 2,8 %. On observe donc, je suppose, une croissance accrue aux États-Unis, ce qui entraîne une hausse de l’inflation.
Oui. L’inflation totale est globale. Et ce sur quoi les banques centrales se concentrent de plus en plus, c’est la tendance de l’inflation sur trois ou six mois. Si vous faites la ventilation, vous verrez à quoi cela va ressembler dans trois à six mois, plutôt que sur 12 mois, ce qui a des effets sur l’année de base. Alors, si on fait cette analyse, d’un trimestre à l’autre, les pressions inflationnistes en Europe ont considérablement diminué. Il n’y a donc eu pratiquement aucune croissance économique au deuxième semestre de 2023, ce qui s’est traduit par une importante marge de capacités excédentaires. Et il y a une dynamique économique traditionnelle entre les taux d’intérêt et les prix... imaginez ça. Et on n’a pas connu ça pendant deux ans. On en voit maintenant la preuve en Europe. L’inflation y a donc diminué très rapidement en trois mois, ce qui nous indique quoi examiner dans les trois prochains mois. Les États-Unis n’ont pas connu autant de fluctuations, parce que dans le secteur des services de l’économie, comme vous l’avez souligné, la croissance économique demeure plus forte. L’offre n’est pas excédentaire. Ils ont enregistré une croissance de 4 % de leur PIB au deuxième semestre de 2023. Ils devraient dépasser 2 % au premier trimestre. Ils n’ont donc même pas encore atteint le stade de l’offre excédentaire par rapport à la demande. Les prix des services demeurent les mêmes. Les prix des biens ont diminué, mais pas suffisamment pour compenser ce qui se passe dans le secteur des services. Et c’est le Canada la véritable anomalie. On a subi des pressions à la baisse sur les prix des biens, mais pas autant sur le plan des services, car nos mesures à l’égard des services sont très fortement pondérées par rapport au logement. Et on se démarque un peu par rapport à nos pairs, car lorsqu’on calcule l’inflation, on tient compte des frais d’intérêts hypothécaires, ce que d’autres pays n’ont pas fait. Ça entraîne donc une augmentation des pressions inflationnistes au Canada, en partie à cause de la méthodologie elle-même.
Oui. C’est fou de voir les taux augmenter, puis on se plaint de l’inflation, et c’est parce que les taux ont augmenté. Et oui, c’est intéressant. Ce sont les détails qui posent problème, n’est-ce pas? D’accord, question trois, alors : Comment les banques centrales perçoivent-elles ces résultats divergents dont vous venez de parler quant à leur trajectoire de politique potentielle? Que vont-elles faire?
Oui, c’est une question intéressante. Je dirais plutôt : qu’est-ce que les marchés pensent que les banques centrales vont faire? Et si on regarde les cours de la BCE, de la Banque d’Angleterre, de la Banque du Canada et de la Réserve fédérale, on constate que les marchés pensent qu’ils vont tous diminué vers le milieu de l’année, soit entre juin et juillet, ce qui semble un peu incohérent, étant donné que l’inflation diminue beaucoup plus rapidement en Europe qu’en Amérique du Nord. Il y a donc quelqu’un qui se trompe. Soit l’Europe va procéder à des réductions un peu plus tôt que tout le monde, soit, ce qui est peut-être plus probable, la Réserve fédérale et la Banque pourraient procéder à des réductions plus tard et d’un montant moins élevé par rapport à ce que beaucoup de gens s’attendent.
On va présenter un graphique pendant que vous poursuivez.
Oui. Et je pense que dans cette situation, alors que les banques centrales tentent de composer avec l’inflation, la réalité, c’est qu’elles ciblent le taux annuel, même si je parlais des tendances sur trois mois et sur six mois : elles ciblent le taux annuel. Il faut que ce soit moins de 3 % et que ça se maintienne à ce niveau-là. Et cela ne devrait pas se concrétiser avant le milieu de l’année ou le deuxième semestre de cette année, soit à la fin de cette année. Et pour cette raison, elles amènent les marchés à tempérer leurs attentes. Donc, au début de l’année, les marchés croyaient que la Réserve fédérale effectuerait une réduction de 150 points de base cette année. C’est passé à environ 75 ou 80 points de base.
Wow. Et je pense que la Fed en serait heureuse, car ses propres prévisions ne font état que de trois réductions pour l’année. Il semble donc que les marchés soient alignés pour le moment. Pour ce qui est de la Banque du Canada, la situation est beaucoup plus difficile, parce que la croissance économique a été très faible, et que l’inflation a été plus marquée. Elle doit donc trouver une stratégie pour que l’économie ne plonge pas dans un cycle de récession, tout en ancrant les attentes d’inflation. Elle devra donc trouver un plus juste équilibre.
Question suivante : Une résurgence de la demande de logements risque-t-elle de contrevenir aux intentions de réduction des banques centrales?
Oui. Cela va certainement leur compliquer la tâche. Donc, le secteur dans nos prévisions qui a subi la plus forte révision à la hausse est celui de l’habitation... rien d’autre. Ni le taux de chômage ni le rendement économique. Je parle toujours du marché de l’habitation au Canada comme d’un ressort enroulé. Dès qu’une petite pression survient, il rebondit. Et ce rebondissement s’explique par le fait que les taux ont fortement baissé au cours des derniers mois, et on commence à voir un peu cette peur de rater quelque chose; les gens se tiennent à l’écart puis reviennent. On pensait donc que le marché et les ventes augmenteraient d’environ 5 % cette année. Et on a dû réviser cette prévision pour la remonter à environ 13 %. C’est donc une énorme révision. Cela ne signifie pas nécessairement que les prix ont fluctué selon la même ampleur. Mais c’est certainement un secteur où la Banque du Canada devra trouver le moyen de réagir rapidement, car dès qu’elle va commencer à effectuer des réductions, ça ne fera que revenir.
J’ai l’image d’une personne qui se promène sur la pointe des pieds autour de tous ces ressorts qui rebondissent un peu partout. D’accord, prochaine question : Quelles répercussions les récents changements apportés à la politique d’immigration du Canada auront-ils sur l’économie? Et je vais afficher un graphique que vous avez dans votre rapport et qui montre que la croissance de la population est sur le point de ralentir.
Mais pas beaucoup, comme le montre le graphique. Et est-ce la réponse, à savoir dans quelle mesure cela influerait-il sur la demande de logements? Pas vraiment. Et c’est en partie parce que les résidents non permanents ne sont généralement pas les principaux titulaires de prêts hypothécaires. Et donc, en réalité, ça ne vient pas de ce segment en termes de prêts hypothécaires. Ça a un impact sur le volet des loyers de l’économie, mais pas autant que sur le marché des acheteurs de maisons. Et la déflation est très lente du point de vue de la politique d’immigration. C’est donc plus un effet qu’on verra en 2025. Toutefois, ce qu’ils ont annoncé jusqu’à présent, c’est une réduction de 35 % des permis d’études, soit environ 220 000 personnes, dans une économie qui accueille 1,3 million de personnes, donc ce n’est pas suffisant. La demande dépasse encore considérablement l’offre de logements.
Intéressant. D’accord, passons à la question suivante, qui porte sur les États-Unis. Voici la question : Comment la politique budgétaire américaine devrait-elle influer sur la croissance? Encore une fois, ça porte sur les dépenses du gouvernement. Je pense aux élections à venir. Mais allez-y.
Oui. Oui. Il y a deux aspects à ça, n’est-ce pas? Parce qu’à court terme, ils doivent financer le gouvernement. Et ils ont deux échéances à respecter, une ce vendredi et ensuite la semaine suivante, pour prendre des résolutions de maintien ou faire autre chose pour financer le gouvernement. Et puis leur processus budgétaire commence en avril. Il y a ensuite les élections. Et il y a donc beaucoup, beaucoup d’obstacles à surmonter. Au cours des deux dernières années, la politique budgétaire a été extrêmement expansionniste aux États-Unis. Ce ne sera probablement pas le cas au cours des deux prochaines années. Il devrait donc y avoir une certaine retenue à l’avenir.
Intéressant. Prochaine question : Qu’est-ce qui freinera le rythme soutenu de l’économie américaine en 2024? Et je continue à penser au fait qu’on entend constamment parler de relocalisation, de choses qui reviennent, et je pense aux élections et aux mesures de relance... il y a beaucoup d’éléments.
Oui. Mais on voit que certains aspects de l’économie commencent à fléchir. On observe une hausse des taux de défaillance des cartes de crédit et du financement automobile. Et c’est en fait plus élevé qu’avant la pandémie. On remarque que les épargnes excédentaires des ménages à faible et à moyen revenu sont épuisées. Ainsi, la plupart des dépenses et de l’élan économique proviennent d’un petit segment de ménages. Et à mesure qu’on va progresser dans le temps, certains de ces facteurs extraordinaires qui ont aidé les États-Unis devraient continuer de s’estomper. Ça ne veut pas dire qu’ils vont disparaître. On n’est pas du tout dans le camp de la récession pour les États-Unis. En fait, je dis qu’il s’agit d’une économie tout à fait exceptionnelle compte tenu du stade où on se trouve dans ce cycle. Et on pense que c’est encore ainsi que ça va se définir par rapport aux économies comparables. Mais ça ne signifie pas que vous continuerez d’afficher des taux de croissance de 4 %.
Parce que c’est élevé. 4 %, c’est autre chose. Très bien, dernière question, et celle qui intéresse probablement le plus ceux qui nous regardent en ce moment : L’atterrissage en douceur au Canada est difficile. Comment l’économie va-t-elle se redresser?
Malheureusement, quand on pose la question à un économiste, on comprend pourquoi nous sommes reconnus pour notre « triste science ».
Oui, en effet.
Malheureusement, lorsqu’on examine la source du ralentissement, c’est ce qu’on définit habituellement comme un cycle de désendettement. Et on a vu, par exemple, que la consommation par habitant s’est contractée au cours de trois des quatre derniers trimestres. Et les particuliers qui ne sont pas nécessairement titulaires d’un prêt hypothécaire, mais qui détiennent une carte de crédit et d’autres titres de créance sont davantage mis à rude épreuve. Et ce cycle ne se termine généralement pas en un an. Le cycle de désendettement dure habituellement quelques années, ce qui signifie essentiellement que les dépenses de consommation devraient être plus faibles : 1 %, peut-être jusqu’à 2 %, mais elles ne vont probablement pas augmenter soudainement. Et on verra ce qui se passera du côté du marché de l’habitation. C’est là que ça va me prouver le contraire, j’en suis sûre, car c’est un domaine où les gens veulent dépenser, c’est dans ce secteur qu’ils veulent dépenser. [MUSIQUE]