La pénurie de puces à l’échelle mondiale montre enfin des signes de réduction, mais le secteur des semi-conducteurs est toujours confronté à des difficultés, notamment un ralentissement de la demande. Greg Bonnell discute avec Julien Nono-Womdim, analyste du secteur des semi-conducteurs, Gestion de Placements TD, des perspectives des fabricants de puces.
Print Transcript
Les nombreuses unes sur les pénuries de puces informatiques durant la pandémie pouvaient faire croire que la demande pour les actions de semi-conducteurs était en plein essor. Mais cette semaine, plusieurs grands noms du secteur nous ont mis en garde du ralentissement de la demande et beaucoup d’actions ont chuté de plus de 30 % cette année. Notre invité aujourd’hui est Julien Nono-Womdim, analyste du secteur des semi-conducteurs à Gestion de Placements TD.
Julian, bienvenue à l’émission. C’est un sujet fascinant. Je sens que la conversation va être excellente.
Entrons directement dans le vif du sujet! Parlons de la mauvaise performance des titres de puces. Que se passe-t-il?
Bonjour, Greg. Merci à vous de m’avoir invité. Vous avez raison. Le secteur des semi-conducteurs est ralenti. Prenons l’indice boursier, qui regroupe des sociétés de semi-conducteurs de premier plan, il accuse un retard d’environ 11 % sur l’indice S&P 500 et d’environ 6 % sur le NASDAQ 100 depuis le début de l’année… j’ai apporté quelques graphiques…
Jetons un coup d’œil au graphique concerné, vous nous montrez l’indice boursier, qui suit les semi-conducteurs, avec les ventes dans le secteur et les relations entre eux. C’est bien ça?
JULIEN NONO-WOMDIM: Absolument. Sur la ligne verte, vous voyez la variation sur 12 mois de l’indice des actions, c’est-à-dire ce que le marché nous dit. Et sur la ligne grise, vous voyez la variation sur 12 mois dans les ventes de semi-conducteurs. Et on constate que les pics et les creux sur la ligne verte ont tendance à précéder les pics et les creux de la ligne grise.
Cela signifie que le marché a tendance à être tourné vers l’avenir, ce qui m’amène à mon premier point. Le rendement inférieur qu’on a observé est attribuable en partie à la détérioration des conditions macroéconomiques, une inflation très élevée, mais aussi un ralentissement de la croissance économique. Et dans le monde des semi-conducteurs, une économie au ralenti n’est jamais de bon augure pour la demande.
Le deuxième point, qui est aussi très important, c’est que la demande de semi-conducteurs était exceptionnellement élevée pendant la pandémie. Si on regarde la demande sur les marchés des PC, avant la pandémie, elle s’élevait en moyenne à 270 millions de PC par an.
En 2021, on a atteint 340 millions d’unités, une augmentation très importante. Bien sûr, au cours des mois et des trimestres à venir, comme vous l’avez dit, les entreprises ont laissé entendre qu’il y aurait une normalisation, ce qui est naturel, car les consommateurs modifient leurs comportements, ils s’éloignent des biens pour aller vers les services.
Enfin, je dirais qu’une partie de la contre-performance a été stimulée par le contexte géopolitique actuel. Les tensions géopolitiques augmentent et le secteur des semi-conducteurs est très vulnérable aux crises géopolitiques.
Si vous prenez une société comme Nvidia, elle ne fabrique aucune de ses puces. Elle dépend de partenaires tiers, comme TSMC, principalement basé en Asie. Et comme le monde se divise, la prime de risque des actions des sociétés de semi-conducteurs a augmenté et l’augmentation est importante.
Il est intéressant de voir la dynamique du marché changer par rapport à ce qu’on nous a dit pendant la pandémie : personne ne peut se procurer de puces, même les fabricants d’automobiles. Il y a aussi les solutions politiques, mais il faut un certain temps pour qu’elles se mettent en place. On a eu des nouvelles cette semaine de l’administration Biden. Est-ce que cela arrive trop tard ou est-ce qu’on se prépare aux futures demandes de puces?
Alors. La Chips Act, qui versera environ 50 milliards de dollars de subventions à la production de semi-conducteurs aux États-Unis, représente environ 10 % des ventes de semi-conducteurs. C’est relativement modeste, mais, à long terme, cela permettra d’accroître la capacité et la résilience du secteur, avec une activité manufacturière basée aux États-Unis.
D’autres gouvernements versent des subventions au secteur des semi-conducteurs, notamment en Europe et au Japon. Je dirais toutefois qu’à court terme, l’ajout de capacité dans un contexte de ralentissement de la demande présente le risque d’une offre excédentaire et je pense que c’est ce à quoi le marché est confronté.
C’est intéressant à voir, évidemment, et c’était un sujet important pendant la pandémie, la réouverture de certains secteurs de production, y compris les semis, parce que les gens ont commencé à s’inquiéter de l’instabilité de la chaîne d’approvisionnement mondiale.
JULIEN NONO-WOMDIM: Oui.
Cela se traduira-t-il par une hausse des prix? En fait, c’est la raison pour laquelle on a tant exporté au cours des dernières décennies, parce que la fabrication était moins coûteuse à l’étranger.
Exact. Exact. La fabrication à l’étranger était moins chère, mais ce que j’aimerais souligner... et il s’agit d’une étude menée par la Semiconductor Industry Association conjointement avec des sociétés de conseils... c’est que l’écart de coût entre le secteur manufacturier en Asie et le secteur manufacturier aux États-Unis ou en Europe, une bonne partie est couverte par les subventions gouvernementales. Le fait que les gouvernements interviennent et versent des subventions pour la construction d’usines de fabrication, des subventions à la production, tout cela est de bon augure, et, sur le plan structurel, on pourrait ne pas voir l’inflation des prix attendue.
Un terme que je n’ai pas entendu depuis un moment, peut-être parce que l’on est en plein dedans, c’est l’Internet des objets. L’idée qu’on en arriverait au point où tout nécessiterait des micropuces, car c’était ce que l’avenir nous réservait. Cette thèse tient-elle toujours? Et à l’avenir, quelle sera la situation des puces dans 5, 10 ou 20 ans?
Alors, revenons un peu en arrière. Au cours des 20 ou 30 dernières années de production de semi-conducteurs... et j’ai apporté un graphique pour illustrer cela... la croissance a été stable, soit d’environ 1 1/2 à 2 fois le taux de la croissance du PIB mondial. Et aujourd’hui, on a un marché de production annuel de 550 milliards de dollars.
Qu’est-ce qui explique cela? Je dirais les téléphones intelligents, les PC. Tout ce qu’on consomme au quotidien comporte une composante de semi-conducteurs.
À l’avenir, cette tendance ne changera pas. Ça va continuer. Pour en revenir à votre commentaire sur les automobiles, les véhicules électriques contiennent environ deux à trois fois plus de semi-conducteurs qu’un véhicule à combustion interne équivalent et c’est donc un moteur de croissance pour l’avenir. L’infonuagique est un autre secteur de croissance, on adopte aussi l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique. Toutes ces technologies sont de bon augure pour la demande de semi-conducteurs structurels.
La réponse aux changements climatiques est ausi un moteur de la demande de semi-conducteurs avec les panneaux solaires, les parcs éoliens, etc. Mais de toute évidence, le plus gros changement par rapport à l’avant-pandémie concerne le contexte géopolitique. Le secteur des semi-conducteurs est très décentralisé sur le plan géographique. J’ai donné l’exemple de Nvidia.
Mais certaines sociétés comme ASML comptent plus de 4 000 fournisseurs au niveau mondial. Quand vous avez un réseau mondial de sociétés qui travaillent à l’unisson, toute désintégration de l’unité mondiale représente une menace structurelle.
Ce qui est très fascinant dans ce secteur pour moi, ce sont les avancées technologiques réalisées au fil des ans. C’est vrai. Pour les pommes, les oranges, les cultures traditionnelles, on a différents types de pollinisation croisée. Mais une pomme, ça reste une pomme, et une orange, ça reste une orange.
Mais un semi-conducteur, sa puissance, quelle a été la trajectoire de sa croissance pour libérer le potentiel de son potentiel futur? Parce qu’une puce qui sera utilisée dans cinq ans sera beaucoup plus puissante que la puce qui fait fonctionner cet ordinateur aujourd’hui.
C’est en partie vrai. Je dirais qu’on a vu cela par le passé. L’innovation dans le secteur a été guidée par un axiome connu sous le nom de loi de Moore, qui indique effectivement que le nombre de transistors... qui sont des petits commutateurs invisibles à l’œil nu qui permettent la circulation du courant électrique entre les appareils... est doublé tous les deux ans environ. Ainsi, tous les deux ans, le nombre de transistors sur une puce est doublé. Doubler tous les deux ans pendant 50 ans, c’est un changement énorme.
On atteint aujourd’hui une légère inflexion technologique, on commence à approcher des limites physiques. Enfin, on entend parler de puces de 5 nanomètres et on se dirige vers 3 nanomètres, 2 nanomètres, etc. Le rythme ralentira, mais il est certain que l’innovation continuera.
[MUSIQUE]
Les nombreuses unes sur les pénuries de puces informatiques durant la pandémie pouvaient faire croire que la demande pour les actions de semi-conducteurs était en plein essor. Mais cette semaine, plusieurs grands noms du secteur nous ont mis en garde du ralentissement de la demande et beaucoup d’actions ont chuté de plus de 30 % cette année. Notre invité aujourd’hui est Julien Nono-Womdim, analyste du secteur des semi-conducteurs à Gestion de Placements TD.
Julian, bienvenue à l’émission. C’est un sujet fascinant. Je sens que la conversation va être excellente.
Entrons directement dans le vif du sujet! Parlons de la mauvaise performance des titres de puces. Que se passe-t-il?
Bonjour, Greg. Merci à vous de m’avoir invité. Vous avez raison. Le secteur des semi-conducteurs est ralenti. Prenons l’indice boursier, qui regroupe des sociétés de semi-conducteurs de premier plan, il accuse un retard d’environ 11 % sur l’indice S&P 500 et d’environ 6 % sur le NASDAQ 100 depuis le début de l’année… j’ai apporté quelques graphiques…
Jetons un coup d’œil au graphique concerné, vous nous montrez l’indice boursier, qui suit les semi-conducteurs, avec les ventes dans le secteur et les relations entre eux. C’est bien ça?
JULIEN NONO-WOMDIM: Absolument. Sur la ligne verte, vous voyez la variation sur 12 mois de l’indice des actions, c’est-à-dire ce que le marché nous dit. Et sur la ligne grise, vous voyez la variation sur 12 mois dans les ventes de semi-conducteurs. Et on constate que les pics et les creux sur la ligne verte ont tendance à précéder les pics et les creux de la ligne grise.
Cela signifie que le marché a tendance à être tourné vers l’avenir, ce qui m’amène à mon premier point. Le rendement inférieur qu’on a observé est attribuable en partie à la détérioration des conditions macroéconomiques, une inflation très élevée, mais aussi un ralentissement de la croissance économique. Et dans le monde des semi-conducteurs, une économie au ralenti n’est jamais de bon augure pour la demande.
Le deuxième point, qui est aussi très important, c’est que la demande de semi-conducteurs était exceptionnellement élevée pendant la pandémie. Si on regarde la demande sur les marchés des PC, avant la pandémie, elle s’élevait en moyenne à 270 millions de PC par an.
En 2021, on a atteint 340 millions d’unités, une augmentation très importante. Bien sûr, au cours des mois et des trimestres à venir, comme vous l’avez dit, les entreprises ont laissé entendre qu’il y aurait une normalisation, ce qui est naturel, car les consommateurs modifient leurs comportements, ils s’éloignent des biens pour aller vers les services.
Enfin, je dirais qu’une partie de la contre-performance a été stimulée par le contexte géopolitique actuel. Les tensions géopolitiques augmentent et le secteur des semi-conducteurs est très vulnérable aux crises géopolitiques.
Si vous prenez une société comme Nvidia, elle ne fabrique aucune de ses puces. Elle dépend de partenaires tiers, comme TSMC, principalement basé en Asie. Et comme le monde se divise, la prime de risque des actions des sociétés de semi-conducteurs a augmenté et l’augmentation est importante.
Il est intéressant de voir la dynamique du marché changer par rapport à ce qu’on nous a dit pendant la pandémie : personne ne peut se procurer de puces, même les fabricants d’automobiles. Il y a aussi les solutions politiques, mais il faut un certain temps pour qu’elles se mettent en place. On a eu des nouvelles cette semaine de l’administration Biden. Est-ce que cela arrive trop tard ou est-ce qu’on se prépare aux futures demandes de puces?
Alors. La Chips Act, qui versera environ 50 milliards de dollars de subventions à la production de semi-conducteurs aux États-Unis, représente environ 10 % des ventes de semi-conducteurs. C’est relativement modeste, mais, à long terme, cela permettra d’accroître la capacité et la résilience du secteur, avec une activité manufacturière basée aux États-Unis.
D’autres gouvernements versent des subventions au secteur des semi-conducteurs, notamment en Europe et au Japon. Je dirais toutefois qu’à court terme, l’ajout de capacité dans un contexte de ralentissement de la demande présente le risque d’une offre excédentaire et je pense que c’est ce à quoi le marché est confronté.
C’est intéressant à voir, évidemment, et c’était un sujet important pendant la pandémie, la réouverture de certains secteurs de production, y compris les semis, parce que les gens ont commencé à s’inquiéter de l’instabilité de la chaîne d’approvisionnement mondiale.
JULIEN NONO-WOMDIM: Oui.
Cela se traduira-t-il par une hausse des prix? En fait, c’est la raison pour laquelle on a tant exporté au cours des dernières décennies, parce que la fabrication était moins coûteuse à l’étranger.
Exact. Exact. La fabrication à l’étranger était moins chère, mais ce que j’aimerais souligner... et il s’agit d’une étude menée par la Semiconductor Industry Association conjointement avec des sociétés de conseils... c’est que l’écart de coût entre le secteur manufacturier en Asie et le secteur manufacturier aux États-Unis ou en Europe, une bonne partie est couverte par les subventions gouvernementales. Le fait que les gouvernements interviennent et versent des subventions pour la construction d’usines de fabrication, des subventions à la production, tout cela est de bon augure, et, sur le plan structurel, on pourrait ne pas voir l’inflation des prix attendue.
Un terme que je n’ai pas entendu depuis un moment, peut-être parce que l’on est en plein dedans, c’est l’Internet des objets. L’idée qu’on en arriverait au point où tout nécessiterait des micropuces, car c’était ce que l’avenir nous réservait. Cette thèse tient-elle toujours? Et à l’avenir, quelle sera la situation des puces dans 5, 10 ou 20 ans?
Alors, revenons un peu en arrière. Au cours des 20 ou 30 dernières années de production de semi-conducteurs... et j’ai apporté un graphique pour illustrer cela... la croissance a été stable, soit d’environ 1 1/2 à 2 fois le taux de la croissance du PIB mondial. Et aujourd’hui, on a un marché de production annuel de 550 milliards de dollars.
Qu’est-ce qui explique cela? Je dirais les téléphones intelligents, les PC. Tout ce qu’on consomme au quotidien comporte une composante de semi-conducteurs.
À l’avenir, cette tendance ne changera pas. Ça va continuer. Pour en revenir à votre commentaire sur les automobiles, les véhicules électriques contiennent environ deux à trois fois plus de semi-conducteurs qu’un véhicule à combustion interne équivalent et c’est donc un moteur de croissance pour l’avenir. L’infonuagique est un autre secteur de croissance, on adopte aussi l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique. Toutes ces technologies sont de bon augure pour la demande de semi-conducteurs structurels.
La réponse aux changements climatiques est ausi un moteur de la demande de semi-conducteurs avec les panneaux solaires, les parcs éoliens, etc. Mais de toute évidence, le plus gros changement par rapport à l’avant-pandémie concerne le contexte géopolitique. Le secteur des semi-conducteurs est très décentralisé sur le plan géographique. J’ai donné l’exemple de Nvidia.
Mais certaines sociétés comme ASML comptent plus de 4 000 fournisseurs au niveau mondial. Quand vous avez un réseau mondial de sociétés qui travaillent à l’unisson, toute désintégration de l’unité mondiale représente une menace structurelle.
Ce qui est très fascinant dans ce secteur pour moi, ce sont les avancées technologiques réalisées au fil des ans. C’est vrai. Pour les pommes, les oranges, les cultures traditionnelles, on a différents types de pollinisation croisée. Mais une pomme, ça reste une pomme, et une orange, ça reste une orange.
Mais un semi-conducteur, sa puissance, quelle a été la trajectoire de sa croissance pour libérer le potentiel de son potentiel futur? Parce qu’une puce qui sera utilisée dans cinq ans sera beaucoup plus puissante que la puce qui fait fonctionner cet ordinateur aujourd’hui.
C’est en partie vrai. Je dirais qu’on a vu cela par le passé. L’innovation dans le secteur a été guidée par un axiome connu sous le nom de loi de Moore, qui indique effectivement que le nombre de transistors... qui sont des petits commutateurs invisibles à l’œil nu qui permettent la circulation du courant électrique entre les appareils... est doublé tous les deux ans environ. Ainsi, tous les deux ans, le nombre de transistors sur une puce est doublé. Doubler tous les deux ans pendant 50 ans, c’est un changement énorme.
On atteint aujourd’hui une légère inflexion technologique, on commence à approcher des limites physiques. Enfin, on entend parler de puces de 5 nanomètres et on se dirige vers 3 nanomètres, 2 nanomètres, etc. Le rythme ralentira, mais il est certain que l’innovation continuera.
[MUSIQUE]