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Certains pays croient qu’une taxe carbone aux frontières pourrait les aider à atteindre des cibles d’émissions plus strictes tout en leur permettant de concurrencer des pays aux normes moins sévères. Anthony Okolie et Francis Fong, économiste principal, Groupe Banque TD, discutent des répercussions possibles de ces politiques.
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[MUSIQUE]
Francis, quelques pays, dont le Canada, ont établi des cibles de carboneutralité pour 2050. La tarification du carbone est essentielle pour atteindre ces cibles. Mais dans votre récent rapport, vous parlez d’une nouvelle approche : taxe carbone aux frontières. Tout d’abord, qu’est-ce que la taxe carbone aux frontières?
La taxe carbone aux frontières c’est essentiellement des ajustements à la frontière, des mesures que vous prenez en complément à votre régime de taxe sur le carbone. Au Canada, nous payons environ 40 $ la tonne, au niveau fédéral, par tonne d’émissions. En fait, ce coût supplémentaire avec lequel les fabricants, les producteurs de gaz et pratiquement tous les secteurs d’activité doivent composer, ne touche pas nécessairement les autres pays. Par exemple, la plupart des pays du monde n’ont pas fixé de prix pour le carbone. Bien entendu, cela donne au Canada, ou à l’industrie canadienne, un désavantage concurrentiel par rapport à ces concurrents étrangers.
Donc, une taxe carbone à la frontière permet d’apporter des ajustements à la taxe sur le carbone qui s’appliquent à tout concurrent, qu’il s’agisse d’une entreprise qui veut importer au Canada ou vendre au Canada. À l’inverse, cela pourrait également s’appliquer sous forme de remise ou de rabais sur les taxes sur le carbone que l’industrie canadienne doit acquitter lorsqu’elle exporte. Il s’agit donc d’une façon d’équilibrer ce type de compétition à laquelle nous sommes confrontés au Canada.
C’est un excellent portrait de la situation. J’aimerais maintenant parler de certains des défis que pose la taxe carbone aux frontières. L’une des premières choses dont vous avez parlé est la couverture des échanges commerciaux. Pouvez-vous nous en parler un peu?
Oui, alors mettre en œuvre une taxe carbone aux frontières est en fait extrêmement difficile en pratique. Ce genre de chose n’a été tenté nulle part dans le monde. L’imposition d’une taxe à la frontière est un outil de politique assez ancien. Nous les utilisons dans d’autres domaines, comme les régimes fiscaux des sociétés ou même pour les taxes à la consommation. Ces taxes sont donc utilisées ailleurs, mais celle-ci est une toute nouvelle idée.
Ce que tous ceux qui se penchent sur cette question essaient de comprendre c’est comment mettre en œuvre ces mesures? La première question à laquelle il faut répondre est la suivante : quelle est la portée? Est-ce que la taxe va couvrir les exportations et les importations? En théorie, si votre objectif exclusif n’est que d’équilibrer la compétition, comme nous l’avons mentionné, il faudrait rembourser les taxes sur le carbone auxquelles l’industrie nationale est confrontée lorsqu’ils tentent d’être concurrentiels à l’étranger, parce que, encore une fois, c’est un coût que ces producteurs doivent assumer contrairement à leurs concurrents étrangers.
Mais dans le même ordre d’idées, l’objectif d’une taxe sur le carbone est d’aider à réduire les émissions. Donc, si tout ce que vous faites, c’est de rembourser le coût, cela ne sert à rien. Dans la pratique, il est très probable que ce soit davantage à une taxe à l’importation. Essentiellement, toute économie développée qui met en œuvre une taxe carbone à la frontière imposera en quelque sorte une taxe à l’importation à quiconque importe dans ce pays.
Mais il y a beaucoup d’autres questions sur la façon de mettre en œuvre cette stratégie. Par exemple, combien de pays voulez-vous atteindre? Combien de secteurs et de biens voulez-vous toucher? De quels types d’émissions s’agit-il? Il est donc très difficile de régler tous ces problèmes. Plus vous ciblez de pays, plus de biens seront touchés, ce qui représente plus d’émissions et plus c’est complexe.
Vous avez aussi mentionné certaines préoccupations d’ordre juridique. Pouvez-vous nous en parler un peu plus?
Tout à fait, et cela nous ramène à cette question de complexité. Supposons que vous vouliez faire quelque chose de vraiment simple : atteindre seulement les 10 principaux importateurs pour chaque part de marché. Vous ciblez les secteurs à forte intensité d’émissions, qui sont exposés au commerce et vous considérez le carbone sous forme d’émissions seulement, par exemple. Vous ne penserez pas à tous les autres types d’émissions qui pourraient être prises en compte. Vous voulez seulement vous concentrer là-dessus.
En fait, il existe des règles particulières de l’OMC visant à prévenir ce genre de façon de faire, parce que ce que vous faites essentiellement c’est de la discrimination à l’égard de certains pays et de certains secteurs d’activité en fonction de ce critère. Vous risquez donc d’aller à l’encontre des règles de l’OMC si vous simplifiez trop les choses. Plus vous compliquez les choses, plus vous pouvez vous aligner sur l’OMC. Mais du même coup, cela complique votre administration. Il y a donc un équilibre que tous les pays tentent d’atteindre pour comprendre jusqu’où ils veulent complexifier les choses, et pour savoir si cela ira à l’encontre des règles de l’OMC.
Vous parlez donc de la complexité de l’application de ces règles. Quels sont les pays qui appliquent ce cadre relativement à la taxe carbone aux frontières?
À l’heure actuelle, aucun. En fait, aucun pays ne l’a mis en œuvre intégralement. Un certain nombre de pays ont manifesté de l’intérêt à cet égard. Il s’agit surtout de l’Union européenne, du Royaume-Uni, du Canada et des États-Unis. Ils ont également manifesté de l’intérêt pour cette initiative, et ils représentent un groupe de pays intéressants à voir collaborer à cet égard. Mais jusqu’à présent, personne ne l’a mis en œuvre.
C’est dans l’UE que les intervenants sont allés le plus loin. Ils travaillent à la planification du lancement d’un programme pilote qui sera probablement lancé durant l’été. Nous verrons donc probablement plus de détails sur la façon dont un groupe de pays, dans ce cas-ci, l’Union européenne va pouvoir répondre à certaines questions difficiles sur la mise en œuvre. Alors, jusqu’où vont-ils étendre leur portée? Quels pays seront touchés? Quels secteurs d’activité? Toutes ces questions, comme comment évaluent-ils l’intensité des émissions des importations? Nous pourrions avoir au moins quelques réponses préliminaires à toutes ces questions plus tard cette année, ce qui est en fait très excitant.
Cela m’amène à ma dernière question. Compte tenu de la forte dépendance du Canada à l’égard des exportations d’énergie, est-ce que nous profiterons de ce cadre si nous l’adoptons nous-mêmes?
C’est la question la plus intéressante, parce qu’en fait, le Canada peut se positionner de manière à profiter grandement d’un régime de taxe sur le carbone, parce que ce que vous dites, essentiellement, c’est que nous allons considérer toutes les économies développées, rappelez-vous que j’avais mentionné que presque tous les plus grands pays du monde en parlent maintenant. Si nous pouvions collaborer sur un type d’énorme bloc de taxe carbone aux frontières, notre position serait essentiellement d’apporter un équilibre à la situation de la concurrence.
Et nous disons que tout le monde doit jouer sur un pied d’égalité, que vous représentiez la Chine, le Canada, la Bolivie ou le Venezuela, ou tout autre pays. Les secteurs comme le pétrole et le gaz, la fabrication, et autres, seront touchés, car les plus grands consommateurs du monde diront : nous allons maintenant ajuster vos importations en fonction de notre taxe sur le carbone.
Et donc, si nous avons la possibilité de bien performer sur le marché et de réduire nos émissions, de tirer parti des nouvelles technologies, et de devenir plus efficaces dans ce domaine, alors soudainement, nous avons créé un avantage concurrentiel. Il s’agit donc d’une solution à long terme très intéressante pour le Canada, où nous pouvons potentiellement nous intégrer dans ces nouvelles chaînes d’approvisionnement qui pourraient découler de la transition vers l’énergie propre et des politiques gouvernementales qui en découleront, comme la taxe carbone aux frontières.
Francis, c’est un sujet fascinant… Je suis certain qu’il y aura beaucoup d’autres conversations à ce sujet. J’aimerais vous inviter de nouveau pour en parler davantage. Merci encore pour vos explications.
Merci de l’invitation, Anthony.
[MUSIQUE]
Francis, quelques pays, dont le Canada, ont établi des cibles de carboneutralité pour 2050. La tarification du carbone est essentielle pour atteindre ces cibles. Mais dans votre récent rapport, vous parlez d’une nouvelle approche : taxe carbone aux frontières. Tout d’abord, qu’est-ce que la taxe carbone aux frontières?
La taxe carbone aux frontières c’est essentiellement des ajustements à la frontière, des mesures que vous prenez en complément à votre régime de taxe sur le carbone. Au Canada, nous payons environ 40 $ la tonne, au niveau fédéral, par tonne d’émissions. En fait, ce coût supplémentaire avec lequel les fabricants, les producteurs de gaz et pratiquement tous les secteurs d’activité doivent composer, ne touche pas nécessairement les autres pays. Par exemple, la plupart des pays du monde n’ont pas fixé de prix pour le carbone. Bien entendu, cela donne au Canada, ou à l’industrie canadienne, un désavantage concurrentiel par rapport à ces concurrents étrangers.
Donc, une taxe carbone à la frontière permet d’apporter des ajustements à la taxe sur le carbone qui s’appliquent à tout concurrent, qu’il s’agisse d’une entreprise qui veut importer au Canada ou vendre au Canada. À l’inverse, cela pourrait également s’appliquer sous forme de remise ou de rabais sur les taxes sur le carbone que l’industrie canadienne doit acquitter lorsqu’elle exporte. Il s’agit donc d’une façon d’équilibrer ce type de compétition à laquelle nous sommes confrontés au Canada.
C’est un excellent portrait de la situation. J’aimerais maintenant parler de certains des défis que pose la taxe carbone aux frontières. L’une des premières choses dont vous avez parlé est la couverture des échanges commerciaux. Pouvez-vous nous en parler un peu?
Oui, alors mettre en œuvre une taxe carbone aux frontières est en fait extrêmement difficile en pratique. Ce genre de chose n’a été tenté nulle part dans le monde. L’imposition d’une taxe à la frontière est un outil de politique assez ancien. Nous les utilisons dans d’autres domaines, comme les régimes fiscaux des sociétés ou même pour les taxes à la consommation. Ces taxes sont donc utilisées ailleurs, mais celle-ci est une toute nouvelle idée.
Ce que tous ceux qui se penchent sur cette question essaient de comprendre c’est comment mettre en œuvre ces mesures? La première question à laquelle il faut répondre est la suivante : quelle est la portée? Est-ce que la taxe va couvrir les exportations et les importations? En théorie, si votre objectif exclusif n’est que d’équilibrer la compétition, comme nous l’avons mentionné, il faudrait rembourser les taxes sur le carbone auxquelles l’industrie nationale est confrontée lorsqu’ils tentent d’être concurrentiels à l’étranger, parce que, encore une fois, c’est un coût que ces producteurs doivent assumer contrairement à leurs concurrents étrangers.
Mais dans le même ordre d’idées, l’objectif d’une taxe sur le carbone est d’aider à réduire les émissions. Donc, si tout ce que vous faites, c’est de rembourser le coût, cela ne sert à rien. Dans la pratique, il est très probable que ce soit davantage à une taxe à l’importation. Essentiellement, toute économie développée qui met en œuvre une taxe carbone à la frontière imposera en quelque sorte une taxe à l’importation à quiconque importe dans ce pays.
Mais il y a beaucoup d’autres questions sur la façon de mettre en œuvre cette stratégie. Par exemple, combien de pays voulez-vous atteindre? Combien de secteurs et de biens voulez-vous toucher? De quels types d’émissions s’agit-il? Il est donc très difficile de régler tous ces problèmes. Plus vous ciblez de pays, plus de biens seront touchés, ce qui représente plus d’émissions et plus c’est complexe.
Vous avez aussi mentionné certaines préoccupations d’ordre juridique. Pouvez-vous nous en parler un peu plus?
Tout à fait, et cela nous ramène à cette question de complexité. Supposons que vous vouliez faire quelque chose de vraiment simple : atteindre seulement les 10 principaux importateurs pour chaque part de marché. Vous ciblez les secteurs à forte intensité d’émissions, qui sont exposés au commerce et vous considérez le carbone sous forme d’émissions seulement, par exemple. Vous ne penserez pas à tous les autres types d’émissions qui pourraient être prises en compte. Vous voulez seulement vous concentrer là-dessus.
En fait, il existe des règles particulières de l’OMC visant à prévenir ce genre de façon de faire, parce que ce que vous faites essentiellement c’est de la discrimination à l’égard de certains pays et de certains secteurs d’activité en fonction de ce critère. Vous risquez donc d’aller à l’encontre des règles de l’OMC si vous simplifiez trop les choses. Plus vous compliquez les choses, plus vous pouvez vous aligner sur l’OMC. Mais du même coup, cela complique votre administration. Il y a donc un équilibre que tous les pays tentent d’atteindre pour comprendre jusqu’où ils veulent complexifier les choses, et pour savoir si cela ira à l’encontre des règles de l’OMC.
Vous parlez donc de la complexité de l’application de ces règles. Quels sont les pays qui appliquent ce cadre relativement à la taxe carbone aux frontières?
À l’heure actuelle, aucun. En fait, aucun pays ne l’a mis en œuvre intégralement. Un certain nombre de pays ont manifesté de l’intérêt à cet égard. Il s’agit surtout de l’Union européenne, du Royaume-Uni, du Canada et des États-Unis. Ils ont également manifesté de l’intérêt pour cette initiative, et ils représentent un groupe de pays intéressants à voir collaborer à cet égard. Mais jusqu’à présent, personne ne l’a mis en œuvre.
C’est dans l’UE que les intervenants sont allés le plus loin. Ils travaillent à la planification du lancement d’un programme pilote qui sera probablement lancé durant l’été. Nous verrons donc probablement plus de détails sur la façon dont un groupe de pays, dans ce cas-ci, l’Union européenne va pouvoir répondre à certaines questions difficiles sur la mise en œuvre. Alors, jusqu’où vont-ils étendre leur portée? Quels pays seront touchés? Quels secteurs d’activité? Toutes ces questions, comme comment évaluent-ils l’intensité des émissions des importations? Nous pourrions avoir au moins quelques réponses préliminaires à toutes ces questions plus tard cette année, ce qui est en fait très excitant.
Cela m’amène à ma dernière question. Compte tenu de la forte dépendance du Canada à l’égard des exportations d’énergie, est-ce que nous profiterons de ce cadre si nous l’adoptons nous-mêmes?
C’est la question la plus intéressante, parce qu’en fait, le Canada peut se positionner de manière à profiter grandement d’un régime de taxe sur le carbone, parce que ce que vous dites, essentiellement, c’est que nous allons considérer toutes les économies développées, rappelez-vous que j’avais mentionné que presque tous les plus grands pays du monde en parlent maintenant. Si nous pouvions collaborer sur un type d’énorme bloc de taxe carbone aux frontières, notre position serait essentiellement d’apporter un équilibre à la situation de la concurrence.
Et nous disons que tout le monde doit jouer sur un pied d’égalité, que vous représentiez la Chine, le Canada, la Bolivie ou le Venezuela, ou tout autre pays. Les secteurs comme le pétrole et le gaz, la fabrication, et autres, seront touchés, car les plus grands consommateurs du monde diront : nous allons maintenant ajuster vos importations en fonction de notre taxe sur le carbone.
Et donc, si nous avons la possibilité de bien performer sur le marché et de réduire nos émissions, de tirer parti des nouvelles technologies, et de devenir plus efficaces dans ce domaine, alors soudainement, nous avons créé un avantage concurrentiel. Il s’agit donc d’une solution à long terme très intéressante pour le Canada, où nous pouvons potentiellement nous intégrer dans ces nouvelles chaînes d’approvisionnement qui pourraient découler de la transition vers l’énergie propre et des politiques gouvernementales qui en découleront, comme la taxe carbone aux frontières.
Francis, c’est un sujet fascinant… Je suis certain qu’il y aura beaucoup d’autres conversations à ce sujet. J’aimerais vous inviter de nouveau pour en parler davantage. Merci encore pour vos explications.
Merci de l’invitation, Anthony.
[MUSIQUE]