Des conflits géopolitiques à la volatilité des marchés, les informations et les événements dont les investisseurs doivent tenir compte cette année ne manquent pas. Kevin Hebner, stratège en placements mondiaux à TD Epoch, discute des enjeux les plus susceptibles d’avoir de l’importance en 2024 et des raisons pour lesquelles les investisseurs devraient se préparer à être surpris.
Publié initialement le 11 décembre 2023
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[LOGO SONORE] * Des conflits géopolitiques à la volatilité des marchés, une multitude d’informations et d’événements ont dû être pris en compte par les investisseurs récemment. Mais pour 2024, mon invité d’aujourd’hui affirme qu’il faut se préparer à être surpris. Kevin Hebner se joint à moi, il est stratège en placements mondiaux à TD Epoch. * Kevin, c’est toujours un plaisir de vous compter parmi nous. Je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle, ces surprises pour 2024. Passons en revue ce que vous surveillez et ce qui pourrait nous surprendre. Le premier point, c’est l’élection à Taïwan. Dites-moi pourquoi c’est important et pourquoi vous vous y intéressez. * Alors, en tant qu’investisseurs axés sur les fondamentaux, on est obsédés par les flux de trésorerie, le rendement du capital investi et le développement durable. Mais même de ce point de vue, il est important de penser aux risques et aux différents changements de politique qui pourraient se produire. * Comme Ian Bremmer l’a dit hier dans ses perspectives pour 2024, les risques géopolitiques sont plus élevés qu’ils ne l’ont jamais été de son vivant. Les investisseurs doivent en tenir compte. L’année 2024 va être mouvementée et pleine de surprises. La première sur le calendrier est l’élection à Taïwan dans cinq semaines. * Trois partis se présentent. Le parti actuellement au pouvoir est légèrement en avance dans les sondages. Il a tendance à s’éloigner de la Chine. Le deuxième parti, le KMT, veut se rapprocher de la Chine. * Ces différences peuvent être importantes, mais le risque réel lié à l’élection à Taïwan, c’est qu’une erreur soit commise, que quelqu’un fasse une déclaration que la Chine interprète comme un pas vers l’indépendance. Et qu’elle s’en offusque. Cette élection est donc importante, pas nécessairement pour le programme des candidats, mais pour voir comment la politique à l’égard de la Chine change, la possibilité d’une erreur. * Et si une erreur se produit vraiment. Je sais que vous n’allez pas tenter de faire de pronostic et de prévoir le futur, mais si la Chine perçoit un mouvement vers l’indépendance, cela intensifierait la relation… quel impact cela aurait-il? * Oui, c’est une ligne rouge pour la Chine. Et cela aurait un impact négatif. Ce serait terrible pour Taïwan. Ce serait terrible pour les marchés mondiaux et l’économie mondiale. * L’autre facteur qui touchera Taïwan l’année prochaine, c’est que si le président Trump finit par gagner l’élection, il a promis un envoi d’armes important vers Taïwan. C’est également quelque chose que la Chine n’appréciera pas. En 2024, il faudra donc surveiller la relation entre Taïwan et la Chine et la façon dont elle évolue. * Vous avez mentionné l’élection américaine. Évidemment, cela aura une incidence sur ce qui se passe entre la Chine et Taïwan, en fonction du vainqueur. Mais qu’est-ce que vous surveillerez d’autre pendant la campagne électorale? * L’élection aura lieu dans exactement 11 mois, beaucoup de choses peuvent se produire entre temps. Et c’est ce qui s’est passé lors d’élections précédentes. Mais si les élections avaient lieu aujourd’hui, selon les sondages, Trump gagnerait 54 %, devant Biden qui ferait 46 %. Donc, pour l’instant, c’est Trump qui mène la danse. * Et son programme est très documenté cette fois-ci. Si vous consultez son site Web, donaldjtrump.com, le premier point, ce sont des droits de douane de 10 % universels. Et il peut le faire sans le Congrès. Le deuxième point, c’est la réduction des impôts, comme il l’a fait en 2017. * Le troisième point, c’est un changement important dans la politique énergétique. Il est contre les subventions et la réglementation qui favorisent l’énergie verte. En revanche, il veut privilégier le pétrole et le gaz naturel, il veut se retirer de l’Accord de Paris sur le climat, etc. * Pour ce qui est de la politique à l’égard de la Chine, il est très ferme. Sa politique serait imprévisible. Avec Taïwan, il favoriserait des relations étroites et un important contrat d’armement. Et il y a d’autres politiques qu’il… enfin, s’il est élu… aimerait adopter. * Et qu’en est-il de la Fed? Bien sûr, il aurait l’occasion de réfléchir à la succession de Jay Powell, en mai 2026, n’est-ce pas? * Oui. C’est dans longtemps. Mais Trump a clairement indiqué qu’il ne renommerait pas Powell et qu’il aimerait avoir quelqu’un de son camp. Trump a une préférence pour les faibles taux d’intérêt. Il essaiera donc de nommer quelqu’un qui sera plutôt enclin à faire baisser les taux d’intérêt. * Globalement, on peut avoir une réaction viscérale à Trump et à sa façon de dire certaines choses, mais avec la déréglementation, les réductions d’impôt et de l’expansion budgétaire parce qu’il y a des politiques industrielles très audacieuses associées à une administration Trump, ce n’est pas mauvais pour l’indice S&P. Il y a certains secteurs où cela nuit, mais dans l’ensemble, c’est plutôt bon pour l’indice S&P. * Ce sera compliqué pour le dollar. La situation sera probablement également difficile pour les marchés obligataires. Mais pour les investisseurs en actions, d’importantes rotations sectorielles, mais c’est globalement bon comme quand les marchés avaient réagi positivement à l’élection de Trump en 2017. * En tant que Canadienne, je m’inquiète des droits de douane de 10 % sur toutes les importations, Kevin. Mais on y reviendra. Alors, je sais que vous surveillez les conflits mondiaux, Israël-Hamas, la Russie et l’Ukraine, et il pourrait se produire quelque chose en Chine. Mais je ne vais pas m’attarder là-dessus. * Pourriez-vous nous parler de l’évolution de la mondialisation? On sait qu’il y a une tendance vers la démondialisation. Vous m’en avez parlé. Selon vous, comment les choses évolueront-elles au cours de la prochaine année? * Oui, c’est un thème important que nous examinons depuis huit ans. Il y a eu une période, de 1990 à la dissolution de l’URSS jusqu’à 2015, d’hypermondialisation, l’hégémonie américaine, l’Amérique dominait. Et le commerce se faisait en mode accéléré. * Depuis, on va en sens inverse, on le voit avec les flux commerciaux, l’investissement direct des capitaux et les flux de portefeuille. On réduit le risque lié à l’économie mondiale. Il y aura encore beaucoup d’échanges, mais la nature du commerce changera. * Par exemple, la Chine a pour stratégie de croissance d’accroître ses exportations. Mais ces exportations ne se feront pas vers les pays développés. Elles iront vers ce qu’on appelle les pays du Sud, d’autres pays émergents. Je pense que l’atténuation du risque lié à l’économie mondiale est importante. Les chaînes d’approvisionnement sont fragiles et risquées dans de nombreux secteurs et elles doivent être renforcées. * La politique industrielle aux États-Unis et dans d’autres pays est très audacieuse, alors qu’elle était inexistante depuis longtemps. Qu’on ait une administration Biden ou Trump, après la prochaine élection, on verra beaucoup de secteurs où la politique industrielle sera dopée. * Vous avez parlé de Taïwan, de l’élection américaine, des conflits de la mondialisation. Vous parlez de la façon dont cela va vraiment changer les flux économiques, les marchés. Vous avez apporté quelques graphiques. J’aimerais qu’on regarde le premier, qui porte sur les conséquences de cette démondialisation et du friendshoring ou commerce entre amis. C’est un graphique intéressant. Dites-nous ce qu’il nous montre. * Ce graphique illustre les importations. Les États-Unis importent maintenant davantage à partir du Mexique. Selon les données du mois dernier, il y a plus d’importations du Canada que de la Chine. C’est une tendance très différente de celle que nous avions il y a 5 ou 10 ans, où les importations de la Chine augmentaient et s’accéléraient plus que celles de tout autre pays. * On a observé la même chose non seulement pour les importations aux États-Unis, mais aussi, si on regarde les investissements étrangers directs en Chine, qui se trouvent en territoire négatif, les sociétés occidentales n’investissent plus en Chine. Si on regarde les flux de capitaux de la Chine vers les titres du Trésor et autres actifs, ils ont nettement diminué. Les échanges commerciaux entre la Chine et les États-Unis ont beaucoup changé, tout comme l’investissement direct étranger, les actifs réels de sociétés américaines et d’autres sociétés occidentales, les flux de portefeuille dont, et c’est important, les titres du Trésor chinois. * Il ne s’agit donc pas seulement d’atténuer le risque. C’est dans les données. On peut déjà le voir dans beaucoup de séries de données différentes. * Il serait fascinant de voir, si on pouvait prolonger la série de données, vers où ça irait dans un an ou deux. Vraiment fascinant. Dites-moi quels sont les secteurs les plus touchés par ces tendances. * Alors, on a mis l’accent sur six secteurs. L’un d’eux est celui des semi-conducteurs. C’est le plus important au niveau de la réduction des risques. C’est là que la Chine est ciblée par les restrictions à l’exportation des États-Unis. Et c’est à cause des applications militaires, par exemple, des missiles hypersoniques pour lesquels des semi-conducteurs peuvent être utilisés. * L’énergie arrive en deuxième. Et avec l’invasion russe de l’Ukraine, on a vu que la sécurité énergétique est toujours essentielle à la sécurité nationale. C’est important. * L’IA est apparue cette année. C’est un nouveau champ de bataille entre les États-Unis et la Chine. Les États-Unis investissent plus que tout autre pays dans l’IA, comme important écosystème de capital de risque. Mais la Chine est aussi très audacieuse et défiera certainement la domination américaine dans ce domaine. * Le troisième secteur est la chaîne de valeur des véhicules électriques, du raffinage du lithium aux batteries en passant par les véhicules électriques eux-mêmes, les panneaux solaires, etc. La Chine domine de loin ce secteur. Cela va causer beaucoup de tension et de fragilité sur les marchés mondiaux. Les dépenses pour la défense, partout dans le monde, avec les deux conflits en cours et un conflit potentiel, ces dépenses augmentent de façon spectaculaire. * Et le sixième secteur, c’est le système financier mondial en dollars américains. Compte tenu du recours accru aux sanctions contre la Chine, la Russie, l’Iran, etc., les pays qui sont alignés sur la Chine veulent trouver un autre système financier pour réduire leur dépendance à l’égard des États-Unis. Il est facile pour les États-Unis de tirer parti du dollar et d’imposer des sanctions. Il y a plus de secteurs, mais ce sont les six sur lesquels nous avons mis l’accent. * Oui, on pourrait passer deux heures sur chacun, Kevin. Mais vous avez apporté d’autres graphiques dont j’aimerais parler. L’un d’eux examine les investissements liés à la transition énergétique en 2022. Pourquoi examinons-nous ce graphique? Qu’est-ce qui retient votre attention? * En ce qui concerne la transition des combustibles fossiles à l’énergie verte, la Chine est de loin le pays le plus performant du monde. Et j’ai mentionné tous les éléments, avec notamment le raffinage du lithium. Ce sera important, car peu importe qui sera à la Maison-Blanche, on finira par éliminer progressivement les combustibles fossiles et on dépendra de la Chine. * Et l’histoire montre que les pays utilisent leur puissance comme arme. On a cette interdépendance utilisée comme arme. On a une dépendance malsaine à l’égard de la Chine. Cela signifie que les autres pays doivent penser aux chaînes d’approvisionnement, au friendshoring ou commerce amicale, à l’externalisation, pour s’assurer de leurs capacités de production et de leur autonomie par rapport à la Chine. * Pour ce qui est des chaînes d’approvisionnement, examinons celle des véhicules électriques dont vous avez parlée. Ce graphique examine la part du marché mondial. Sur quoi devons-nous porter attention ici? * Le graphique montre que les principales sociétés qui produisent des batteries pour les véhicules électriques sont chinoises. Il y a aussi quelques sociétés coréennes et japonaises. Mais le secteur est largement dominé par la Chine. * Ils sont très en avance sur le plan de la technologie et de la production. Les États-Unis sont à la traîne. L’Europe également. Et au fil de cette transition, cela créera une dépendance et une vulnérabilité malsaines, en particulier dans le monde actuel qui est polarisé et où les problèmes prennent de plus en plus d’ampleur. * Pour conclure, Kevin, il nous reste une minute, vous pensez que les investisseurs pourraient avoir besoin d’adopter une nouvelle manière de penser pour l’année 2024 par rapport à la dernière décennie. Qu’entendez-vous par là? * Oui, c’est le point le plus important. On est axés sur les flux de trésorerie disponibles et le rendement du capital investi. Et habituellement, on pense en fonction de notre expérience au cours des dix ou vingt dernières années. Selon nous, ce n’est plus un bon guide et il y aura des angles morts si on continue de penser comme ça au cours de la prochaine décennie en raison de la nature de l’inflation, des taux d’intérêt, des coûts de la main-d’œuvre et des distributions sectorielles qui seront très différents. * On a besoin d’un modèle différent, et non d’une dépendance excessive à la façon de penser des deux dernières décennies. Et cela, qu’on soit axé sur les paramètres fondamentaux ou sur l’analyse quantitative avec une approche basée sur ce qui s’est passé au cours des deux dernières décennies. Je pense que cette nouvelle manière de penser aux placements sera essentielle au cours de la prochaine décennie et à l’avenir. [LOGO SONORE] [MUSIQUE]