Les banques canadiennes ont déclaré des résultats solides ce trimestre, malgré les craintes que suscitent le variant Delta. Bien que toutes les banques aient surpassé les prévisions consensuelles, l’écart commence à se resserrer. Kim Parlee discute des perspectives des banques canadiennes avec Mario Mendonca, directeur associé de Valeurs Mobilières TD.
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Les banques canadiennes ont récemment publié leurs résultats du troisième trimestre et bien qu’elles continuent toutes de surpasser les prévisions, l’écart entre les prévisions et les résultats commence à diminuer. Pour faire le tour de ce qu’on anticipe pour les banques canadiennes, j’accueille Mario Mendonca, directeur général de Valeurs Mobilières TD. Mario, j’aimerais commencer par ce que vous dites dans le rapport que vous venez de publier. Vous dites que même si toutes les banques dépassent les prévisions consensuelles, il est clair que l’ampleur de l’écart est en train de diminuer. Ce qui m’a frappé, c’est que vous ne dites pas que l’écart a diminué, mais qu’il est en train de diminuer. Ce qui signifie que la tendance est appelée à se poursuivre.
Comment percevez-vous la situation? Au début de l’année, je crois que c’était au premier trimestre, les banques ont surpassé les prévisions de 26 %. Elles ont donc affiché des résultats réels supérieurs de 26 % à la moyenne des prévisions des analystes. Ce chiffre a ensuite chuté à environ 10 % ce trimestre. Et à mon avis, nous ne sommes pas au bout de cette baisse, comme vous le soulignez. Et c’est surtout parce que la communauté des analystes commence à comprendre à quel point le contexte du crédit est favorable. On ne peut pas imaginer de meilleur environnement. Les banques libèrent une grande partie des réserves constituées l’an dernier et les réinjectent dans leurs bénéfices. Et ce qui me semble encore plus important, c’est la faiblesse du ratio entre les prêts douteux et les pertes, c’est-à-dire les créances qui deviennent irrécouvrables. De mémoire, je n’ai jamais vu un ratio aussi bas. En fin de compte, quand je dis que les écarts sont en train de diminuer, c’est que nous, les analystes, sommes en train de prendre la mesure de la situation et qu’on l’intègre maintenant à nos prévisions. Il est donc peu probable que les banques dépassent aussi largement nos prévisions à l’avenir. On pourrait même voir l’évolution inverse en 2022, avec des résultats inférieurs aux prévisions, le temps que les analystes s’ajustent à ce nouveau contexte.
Vous dites aussi dans ce rapport que ce trimestre marque le début d’un tournant dans l’ampleur des bénéfices. Là encore, les analystes rejoignent votre point de vue sur le contexte du crédit. Mais vous voyez un changement du côté des sources des bénéfices des banques.
Oui, l’une des caractéristiques les plus marquantes de cette pandémie, en 2020 et pendant la majeure partie de 2021, du moins au premier semestre, c’est la solidité des revenus tirés des marchés des capitaux, des activités de négociation, des services de prise ferme. Mais la chute brutale des taux d’intérêt a limité les marges d’intérêt nettes. Le revenu d’intérêts net, qui est en quelque sorte le gagne-pain des banques de détail, n’a pas connu de croissance et les fortes marges n’ont pas été au rendez-vous à cause de la baisse des taux. Mais aussi parce que les consommateurs sont restés chez eux, et qu’ils n’ont pas dépensé. Ils n’ont pas acheté avec leurs cartes de crédit. Ce qui fait que les revenus liés aux cartes de crédit n’ont pas augmenté, ni ceux liés aux frais de services de détail. Ce qui est intéressant à propos du troisième trimestre 2021 et qu’on aurait pu extrapoler ou qui a été anticipé, c’est le ralentissement des revenus tirés des marchés des capitaux. Ces revenus ont chuté de 16% en glissement annuel. C’est la première fois depuis plus d’un an qu’on observe une baisse de ces revenus. Mais on a aussi vu une hausse du revenu d’intérêt net. Une hausse modeste de 3 % mais qui est significative, à mon avis. Le revenu net d’intérêt va probablement continuer d’augmenter. Mais ce qui est vraiment remarquable, ce qui s’est avéré très positif pour certaines banques, c’est la nette amélioration des revenus liés aux cartes de crédit. Pas des soldes. Les gens n’augmentent pas encore leurs soldes, mais ils dépensent clairement plus. Et ça se traduit par des revenus liés aux frais de carte de crédit, aux frais d’interchange. On peut s’attendre à ce que ça continue parce qu’à un moment donné, nous allons tous recommencer à voyager. Et les voyages sont l’un des principaux motifs d’utilisation des cartes de crédit. Ça pourrait stimuler les revenus en 2022.
J’imagine que la nouvelle qui change la donne, c’est bien sûr le variant Delta et ses conséquences dans absolument tous les secteurs. Comment l’intégrez-vous lorsque vous examinez le potentiel d’augmentation du nombre de mutations par exemple? Comment tenez-vous compte du variant Delta dans vos prévisions sur les bénéfices des banques?
L’exercice est très difficile. Pour essayer d’intégrer le variant dans une certaine mesure, j’anticipe une légère hausse des pertes liées au crédit en 2022. Pour moi, une baisse est loin d’être inimaginable. C’est presque inévitable, étant donné la faiblesse actuelle des pertes. Mais avec l’émergence du Delta, je crois que les banques risquent d’être un peu plus prudentes concernant le déblocage de leurs réserves et il se peut qu’on assiste à une légère augmentation des pertes sur prêts douteux. Ce que je n’anticipe pas, et j’espère vraiment avoir raison, c’est un autre grand confinement. Une autre fermeture généralisée où les dépenses par carte de crédit et les taux d’intérêt s’effondrent à nouveau. Je n’intègre pas ça dans mes prévisions. Je ne veux même pas y penser. Mais j’essaie d’en tenir compte dans une certaine mesure avec une hausse des pertes liées au crédit.
Parlons un peu des résultats individuels des banques et de votre avis sur leur rendement. Vous avez dit que la Banque de Montréal et la Banque Nationale se sont distinguées ce trimestre. Commençons par la Banque de Montréal. Quelles sont vos impressions?
Depuis quelque temps, la Banque de Montréal a inscrit la plus forte croissance des bénéfices avant impôt et avant provisions du secteur. Qu’est-ce qu’on entend par là? C’est le bénéfice quand on ne tient pas compte de l’impôt et des pertes liées au crédit. Et ça fait un moment que la Banque de Montréal affiche les plus forts bénéfices avant impôt et avant provisions. Elle s’est démarquée ce trimestre, parce que c’est la seule banque à inscrire une hausse sensible des revenus tirés des marchés des capitaux. Une hausse de 10 % sur 12 mois. À mon avis, la Banque de Montréal brille par son travail d’exécution. Mais il se peut aussi qu’elle prenne un peu plus de risques sur les marchés des capitaux. On voit qu’elle a mis l’accent sur les titres à rendement élevé et le financement à effet de levier. Soyons clairs. Je ne crois pas que la Banque de Montréal prenne des risques inconsidérés. Mais quand vous ajoutez une dose de risque sur les marchés des capitaux, les revenus augmentent. Et je crois que c’est ce qui s’est passé. Le tableau est similaire pour la Banque Nationale, avec une hausse des revenus tirés des marchés des capitaux d’environ 2 %. La hausse semble modeste, mais beaucoup d’autres banques ont affiché une baisse d’environ 20 %. Ses résultats n’ont pas été particulièrement brillants au troisième trimestre 2020. La comparaison d’une année à l’autre est donc plus facilement favorable, mais elle affiche des résultats très réguliers sur les marchés des capitaux.
Et la CIBC? Qu’en pensez-vous?
La CIBC a connu une très bonne année. Parmi les sociétés à grande capitalisation, les cinq grandes banques, c’est elle qui a enregistré la meilleure performance boursière depuis le début de l’année, avec une hausse d’environ 34 %. Et ce qui a vraiment stimulé les résultats pour la CIBC, c’est la reprise des services bancaires de détail au pays. Elle était à la traîne dans ce domaine depuis plusieurs années. Elle a fait des progrès considérables, notamment en regagnant des parts de marché dans les prêts hypothécaires. Et je pense qu’elle doit en grande partie ces résultats à la solidité des prêts hypothécaires. Dans l’ensemble, on voit la CIBC reprendre sa place dans les services de détail nationaux. Elle était en position de force par le passé. Après avoir perdu le fil, la CIBC est en train de regagner du terrain, ce qui explique en partie la solidité du cours de l’action. L’un des défis que la CIBC devra peut-être relever en 2022, c’est qu’après une très bonne année, les analystes, ou plutôt les investisseurs, risquent de délaisser certaines des banques les plus performantes au profit des banques moins performantes. Et la deuxième chose, c’est que la CIBC a laissé entendre qu’elle allait continuer d’engager des dépenses un peu plus importantes. Ses niveaux de dépenses risquent donc d’être un peu plus élevés que ceux de 2021, ce qui pourrait peser sur le rendement. Ça reste une très bonne banque, mais je crois que la CIBC a connu son heure de gloire. On observera peut-être un virage au profit d’autres banques en 2022.
Parlons des autres banques. Je sais que vous ne pouvez pas vous exprimer sur la TD. Comment la Banque Royale s’est-elle comportée ce trimestre?
C’est toujours une banque très performante. Du point de vue structurel, elle cumule les bons points sur tous les tableaux : marchés des capitaux, gestion de patrimoine, services bancaires de détail nationaux. Et ce que j’apprécie dans les bons résultats de la Banque Royale, c’est qu’ils ne sont pas tirés par les marchés des capitaux. On voit que c’est une banque de détail très forte, avec des marges un peu plus stables, une excellente croissance des prêts. La gestion de patrimoine continue de bien se porter. Quand je regarde cette banque, je me dis qu’elle devrait vraiment profiter des nombreux thèmes dont on a parlé, comme la croissance des prêts commerciaux, la hausse des dépenses de cartes de crédit, le raffermissement du revenu net d’intérêts. Tous ces facteurs jouent vraiment en faveur de la Banque Royale. Et on n’a pas encore abordé ce point, mais j’imagine qu’on va le faire, il y a le remboursement de capital qui s’applique aussi à la Banque Royale sous forme de dividendes et de rachats d’actions. Je crois qu’elle a frappé fort sur beaucoup de thèmes qui me tiennent à cœur pour 2022.
On va parler du remboursement de capital, c’est promis. J’aimerais qu’on parle d’abord d’une autre banque, la Scotia. De toute évidence, ses activités sont beaucoup plus étendues que d’autres banques. Qu’est-ce que vous voyez?
En début d’année, j’ai rédigé un rapport dont l’une des sections principales portait sur la Scotia. Je crois que je l’ai publié en janvier. Et ce que je disais ce rapport, c’est que l’Amérique latine serait sans doute l’un des principaux moteurs au second semestre de 2021. On pressentait que l’Amérique latine, qui a été durement touchée en 2020, ferait partie des régions qui renaîtraient de leurs cendres en 2021. Ça ne s’est pas produit. L’Amérique latine reste très affectée par la pandémie. C’est notamment très visible dans la croissance des prêts aux particuliers, qui a été très faible en Amérique latine. Or, c’est sur les prêts aux particuliers que la Scotia génère ses plus fortes marges. Sans cette croissance des prêts aux particuliers, non seulement la base de prêts n’augmente pas, mais les marges sur ces prêts sont plus faibles. Et je pense que ça a vraiment plombé les résultats de la Scotia. Je croise les doigts pour que la Scotia se redresse durant la deuxième moitié de 2022. Mais en fin de compte, la Scotia affiche de piètres résultats dans plusieurs domaines que je surveille de près. Je vais donc attendre que l’Amérique latine se redresse avant de faire un autre grand pari sur la Scotia. L’année 2021 a été très différente de ce que j’avais prévu. À vrai dire, beaucoup de choses ne se sont pas passées comme prévu en 2021.
Dernière question, ou plutôt avant-dernière question sur le remboursement de capital. Vous parlez dans votre rapport de l’importance des dividendes, des rachats d’actions qui vont vraiment stimuler le rendement des actions l’année prochaine.
Actuellement, nos banques canadiennes ne sont pas autorisées à augmenter les dividendes ou à racheter des actions. C’est le statu quo. Mais on doit tous se demander quand ça va changer. En dépit de certains risques associés au variant Delta, je crois que ça arrivera avant la fin de l’année. Les banques auront le feu vert pour racheter des actions et augmenter les dividendes. Si mes calculs et mon calendrier sont justes, je m’attends à ce que début décembre, quand nos banques publieront les résultats du dernier trimestre, elles annoncent des hausses de dividendes et des rachats d’actions. Je pense que ce sera l’un des grands événements de 2022, la façon dont les banques vont utiliser leurs capitaux. S’agira-t-il d’acquisitions, de rachats et d’augmentations de dividendes? Je crois que toutes les banques sont en position d’augmenter leurs dividendes, certaines plus que d’autres. Je dirais que la Banque Nationale et la Banque de Montréal sont sans doute les mieux placées pour augmenter leurs dividendes. La Banque Royale et CIBC devraient assurément augmenter leurs dividendes, mais peut-être moins que la Banque de Montréal et la Banque Nationale. Quant à la Scotia, je pense qu’il faut être prudent. Je ne crois pas que la Scotia augmentera ses dividendes autant que ses pairs, surtout parce que de son point de vue, ses bénéfices ont davantage battu de l’aile. Ensuite, il y a la question des rachats et du remboursement de capital au moyen de rachats d’actions. Les banques qui ont un ratio de fonds propres élevé de plus de 13%, avoisinant les 14%, des ratios de fonds propres de catégorie 1, comme la Banque Royale, la Banque de Montréal, sont très bien placées pour augmenter les dividendes, mais aussi pour racheter une quantité importante d’actions. Je pense que la Banque Nationale et CIBC accuseront un certain retard sur les rachats. Elles rachèteront quand même des actions, mais dans une mesure modeste. Et je crois que les rachats d’actions seront très modestes à la Scotia. Je ne pense pas qu’elle détienne assez de capitaux excédentaires par rapport à ses pairs pour nous étonner avec des rachats d’actions. Ça concerne plus la Banque de Montréal et la Banque Nationale.
Dernière question pour vous, Mario. Vous avez parlé du remboursement de capital. Bien sûr, s’il y a beaucoup de capitaux, ça veut dire qu’il pourrait aussi y avoir d’autres options sur la table. Est-ce que certaines banques envisagent sérieusement des acquisitions? Est-ce que vous vous attendez à des bonnes nouvelles?
Aux États-Unis, il y a eu des acquisitions. Les banques régionales ont été actives. Même les caisses populaires ont été actives. Au Canada, nous n’avons rien vu de tel jusqu’à présent. Je n’exclus pas cette possibilité. Mais il y a des obstacles à cela. Le principal étant qu’en ce moment, les évaluations sont plus élevées aux États-Unis qu’au Canada. Et quand des analystes ou moi-même, à titre personnel, demandent à des dirigeants de banques ce qu’ils anticipent sur le plan des acquisitions, ils haussent souvent les épaules et disent qu’il n’y a vraiment pas d’occasions sur le marché dont les valorisations sont intéressantes. Je crois que nos banques sont vraiment partantes. Il y a d’excellentes banques régionales aux États-Unis qui pourraient enrichir leurs portefeuilles. Mais à ces niveaux d’évaluation, je crois que nos banques ne sont pas au niveau. Une opération de très petite ampleur a été annoncée ce matin. La CIBC a annoncé qu’elle achetait le portefeuille de cartes de crédit de Costco, d’une valeur de 3 milliards de dollars. C’est très, très modeste. Cela n’attirera pas beaucoup de capitaux pour la TD – pardon, pour la CIBC. Mais c’est peut-être ce à quoi on devrait s’attendre : plus d’acquisitions de portefeuilles d’actifs et moins de grandes opérations régionales.
Mario, merci beaucoup.
Merci.
Comment percevez-vous la situation? Au début de l’année, je crois que c’était au premier trimestre, les banques ont surpassé les prévisions de 26 %. Elles ont donc affiché des résultats réels supérieurs de 26 % à la moyenne des prévisions des analystes. Ce chiffre a ensuite chuté à environ 10 % ce trimestre. Et à mon avis, nous ne sommes pas au bout de cette baisse, comme vous le soulignez. Et c’est surtout parce que la communauté des analystes commence à comprendre à quel point le contexte du crédit est favorable. On ne peut pas imaginer de meilleur environnement. Les banques libèrent une grande partie des réserves constituées l’an dernier et les réinjectent dans leurs bénéfices. Et ce qui me semble encore plus important, c’est la faiblesse du ratio entre les prêts douteux et les pertes, c’est-à-dire les créances qui deviennent irrécouvrables. De mémoire, je n’ai jamais vu un ratio aussi bas. En fin de compte, quand je dis que les écarts sont en train de diminuer, c’est que nous, les analystes, sommes en train de prendre la mesure de la situation et qu’on l’intègre maintenant à nos prévisions. Il est donc peu probable que les banques dépassent aussi largement nos prévisions à l’avenir. On pourrait même voir l’évolution inverse en 2022, avec des résultats inférieurs aux prévisions, le temps que les analystes s’ajustent à ce nouveau contexte.
Vous dites aussi dans ce rapport que ce trimestre marque le début d’un tournant dans l’ampleur des bénéfices. Là encore, les analystes rejoignent votre point de vue sur le contexte du crédit. Mais vous voyez un changement du côté des sources des bénéfices des banques.
Oui, l’une des caractéristiques les plus marquantes de cette pandémie, en 2020 et pendant la majeure partie de 2021, du moins au premier semestre, c’est la solidité des revenus tirés des marchés des capitaux, des activités de négociation, des services de prise ferme. Mais la chute brutale des taux d’intérêt a limité les marges d’intérêt nettes. Le revenu d’intérêts net, qui est en quelque sorte le gagne-pain des banques de détail, n’a pas connu de croissance et les fortes marges n’ont pas été au rendez-vous à cause de la baisse des taux. Mais aussi parce que les consommateurs sont restés chez eux, et qu’ils n’ont pas dépensé. Ils n’ont pas acheté avec leurs cartes de crédit. Ce qui fait que les revenus liés aux cartes de crédit n’ont pas augmenté, ni ceux liés aux frais de services de détail. Ce qui est intéressant à propos du troisième trimestre 2021 et qu’on aurait pu extrapoler ou qui a été anticipé, c’est le ralentissement des revenus tirés des marchés des capitaux. Ces revenus ont chuté de 16% en glissement annuel. C’est la première fois depuis plus d’un an qu’on observe une baisse de ces revenus. Mais on a aussi vu une hausse du revenu d’intérêt net. Une hausse modeste de 3 % mais qui est significative, à mon avis. Le revenu net d’intérêt va probablement continuer d’augmenter. Mais ce qui est vraiment remarquable, ce qui s’est avéré très positif pour certaines banques, c’est la nette amélioration des revenus liés aux cartes de crédit. Pas des soldes. Les gens n’augmentent pas encore leurs soldes, mais ils dépensent clairement plus. Et ça se traduit par des revenus liés aux frais de carte de crédit, aux frais d’interchange. On peut s’attendre à ce que ça continue parce qu’à un moment donné, nous allons tous recommencer à voyager. Et les voyages sont l’un des principaux motifs d’utilisation des cartes de crédit. Ça pourrait stimuler les revenus en 2022.
J’imagine que la nouvelle qui change la donne, c’est bien sûr le variant Delta et ses conséquences dans absolument tous les secteurs. Comment l’intégrez-vous lorsque vous examinez le potentiel d’augmentation du nombre de mutations par exemple? Comment tenez-vous compte du variant Delta dans vos prévisions sur les bénéfices des banques?
L’exercice est très difficile. Pour essayer d’intégrer le variant dans une certaine mesure, j’anticipe une légère hausse des pertes liées au crédit en 2022. Pour moi, une baisse est loin d’être inimaginable. C’est presque inévitable, étant donné la faiblesse actuelle des pertes. Mais avec l’émergence du Delta, je crois que les banques risquent d’être un peu plus prudentes concernant le déblocage de leurs réserves et il se peut qu’on assiste à une légère augmentation des pertes sur prêts douteux. Ce que je n’anticipe pas, et j’espère vraiment avoir raison, c’est un autre grand confinement. Une autre fermeture généralisée où les dépenses par carte de crédit et les taux d’intérêt s’effondrent à nouveau. Je n’intègre pas ça dans mes prévisions. Je ne veux même pas y penser. Mais j’essaie d’en tenir compte dans une certaine mesure avec une hausse des pertes liées au crédit.
Parlons un peu des résultats individuels des banques et de votre avis sur leur rendement. Vous avez dit que la Banque de Montréal et la Banque Nationale se sont distinguées ce trimestre. Commençons par la Banque de Montréal. Quelles sont vos impressions?
Depuis quelque temps, la Banque de Montréal a inscrit la plus forte croissance des bénéfices avant impôt et avant provisions du secteur. Qu’est-ce qu’on entend par là? C’est le bénéfice quand on ne tient pas compte de l’impôt et des pertes liées au crédit. Et ça fait un moment que la Banque de Montréal affiche les plus forts bénéfices avant impôt et avant provisions. Elle s’est démarquée ce trimestre, parce que c’est la seule banque à inscrire une hausse sensible des revenus tirés des marchés des capitaux. Une hausse de 10 % sur 12 mois. À mon avis, la Banque de Montréal brille par son travail d’exécution. Mais il se peut aussi qu’elle prenne un peu plus de risques sur les marchés des capitaux. On voit qu’elle a mis l’accent sur les titres à rendement élevé et le financement à effet de levier. Soyons clairs. Je ne crois pas que la Banque de Montréal prenne des risques inconsidérés. Mais quand vous ajoutez une dose de risque sur les marchés des capitaux, les revenus augmentent. Et je crois que c’est ce qui s’est passé. Le tableau est similaire pour la Banque Nationale, avec une hausse des revenus tirés des marchés des capitaux d’environ 2 %. La hausse semble modeste, mais beaucoup d’autres banques ont affiché une baisse d’environ 20 %. Ses résultats n’ont pas été particulièrement brillants au troisième trimestre 2020. La comparaison d’une année à l’autre est donc plus facilement favorable, mais elle affiche des résultats très réguliers sur les marchés des capitaux.
Et la CIBC? Qu’en pensez-vous?
La CIBC a connu une très bonne année. Parmi les sociétés à grande capitalisation, les cinq grandes banques, c’est elle qui a enregistré la meilleure performance boursière depuis le début de l’année, avec une hausse d’environ 34 %. Et ce qui a vraiment stimulé les résultats pour la CIBC, c’est la reprise des services bancaires de détail au pays. Elle était à la traîne dans ce domaine depuis plusieurs années. Elle a fait des progrès considérables, notamment en regagnant des parts de marché dans les prêts hypothécaires. Et je pense qu’elle doit en grande partie ces résultats à la solidité des prêts hypothécaires. Dans l’ensemble, on voit la CIBC reprendre sa place dans les services de détail nationaux. Elle était en position de force par le passé. Après avoir perdu le fil, la CIBC est en train de regagner du terrain, ce qui explique en partie la solidité du cours de l’action. L’un des défis que la CIBC devra peut-être relever en 2022, c’est qu’après une très bonne année, les analystes, ou plutôt les investisseurs, risquent de délaisser certaines des banques les plus performantes au profit des banques moins performantes. Et la deuxième chose, c’est que la CIBC a laissé entendre qu’elle allait continuer d’engager des dépenses un peu plus importantes. Ses niveaux de dépenses risquent donc d’être un peu plus élevés que ceux de 2021, ce qui pourrait peser sur le rendement. Ça reste une très bonne banque, mais je crois que la CIBC a connu son heure de gloire. On observera peut-être un virage au profit d’autres banques en 2022.
Parlons des autres banques. Je sais que vous ne pouvez pas vous exprimer sur la TD. Comment la Banque Royale s’est-elle comportée ce trimestre?
C’est toujours une banque très performante. Du point de vue structurel, elle cumule les bons points sur tous les tableaux : marchés des capitaux, gestion de patrimoine, services bancaires de détail nationaux. Et ce que j’apprécie dans les bons résultats de la Banque Royale, c’est qu’ils ne sont pas tirés par les marchés des capitaux. On voit que c’est une banque de détail très forte, avec des marges un peu plus stables, une excellente croissance des prêts. La gestion de patrimoine continue de bien se porter. Quand je regarde cette banque, je me dis qu’elle devrait vraiment profiter des nombreux thèmes dont on a parlé, comme la croissance des prêts commerciaux, la hausse des dépenses de cartes de crédit, le raffermissement du revenu net d’intérêts. Tous ces facteurs jouent vraiment en faveur de la Banque Royale. Et on n’a pas encore abordé ce point, mais j’imagine qu’on va le faire, il y a le remboursement de capital qui s’applique aussi à la Banque Royale sous forme de dividendes et de rachats d’actions. Je crois qu’elle a frappé fort sur beaucoup de thèmes qui me tiennent à cœur pour 2022.
On va parler du remboursement de capital, c’est promis. J’aimerais qu’on parle d’abord d’une autre banque, la Scotia. De toute évidence, ses activités sont beaucoup plus étendues que d’autres banques. Qu’est-ce que vous voyez?
En début d’année, j’ai rédigé un rapport dont l’une des sections principales portait sur la Scotia. Je crois que je l’ai publié en janvier. Et ce que je disais ce rapport, c’est que l’Amérique latine serait sans doute l’un des principaux moteurs au second semestre de 2021. On pressentait que l’Amérique latine, qui a été durement touchée en 2020, ferait partie des régions qui renaîtraient de leurs cendres en 2021. Ça ne s’est pas produit. L’Amérique latine reste très affectée par la pandémie. C’est notamment très visible dans la croissance des prêts aux particuliers, qui a été très faible en Amérique latine. Or, c’est sur les prêts aux particuliers que la Scotia génère ses plus fortes marges. Sans cette croissance des prêts aux particuliers, non seulement la base de prêts n’augmente pas, mais les marges sur ces prêts sont plus faibles. Et je pense que ça a vraiment plombé les résultats de la Scotia. Je croise les doigts pour que la Scotia se redresse durant la deuxième moitié de 2022. Mais en fin de compte, la Scotia affiche de piètres résultats dans plusieurs domaines que je surveille de près. Je vais donc attendre que l’Amérique latine se redresse avant de faire un autre grand pari sur la Scotia. L’année 2021 a été très différente de ce que j’avais prévu. À vrai dire, beaucoup de choses ne se sont pas passées comme prévu en 2021.
Dernière question, ou plutôt avant-dernière question sur le remboursement de capital. Vous parlez dans votre rapport de l’importance des dividendes, des rachats d’actions qui vont vraiment stimuler le rendement des actions l’année prochaine.
Actuellement, nos banques canadiennes ne sont pas autorisées à augmenter les dividendes ou à racheter des actions. C’est le statu quo. Mais on doit tous se demander quand ça va changer. En dépit de certains risques associés au variant Delta, je crois que ça arrivera avant la fin de l’année. Les banques auront le feu vert pour racheter des actions et augmenter les dividendes. Si mes calculs et mon calendrier sont justes, je m’attends à ce que début décembre, quand nos banques publieront les résultats du dernier trimestre, elles annoncent des hausses de dividendes et des rachats d’actions. Je pense que ce sera l’un des grands événements de 2022, la façon dont les banques vont utiliser leurs capitaux. S’agira-t-il d’acquisitions, de rachats et d’augmentations de dividendes? Je crois que toutes les banques sont en position d’augmenter leurs dividendes, certaines plus que d’autres. Je dirais que la Banque Nationale et la Banque de Montréal sont sans doute les mieux placées pour augmenter leurs dividendes. La Banque Royale et CIBC devraient assurément augmenter leurs dividendes, mais peut-être moins que la Banque de Montréal et la Banque Nationale. Quant à la Scotia, je pense qu’il faut être prudent. Je ne crois pas que la Scotia augmentera ses dividendes autant que ses pairs, surtout parce que de son point de vue, ses bénéfices ont davantage battu de l’aile. Ensuite, il y a la question des rachats et du remboursement de capital au moyen de rachats d’actions. Les banques qui ont un ratio de fonds propres élevé de plus de 13%, avoisinant les 14%, des ratios de fonds propres de catégorie 1, comme la Banque Royale, la Banque de Montréal, sont très bien placées pour augmenter les dividendes, mais aussi pour racheter une quantité importante d’actions. Je pense que la Banque Nationale et CIBC accuseront un certain retard sur les rachats. Elles rachèteront quand même des actions, mais dans une mesure modeste. Et je crois que les rachats d’actions seront très modestes à la Scotia. Je ne pense pas qu’elle détienne assez de capitaux excédentaires par rapport à ses pairs pour nous étonner avec des rachats d’actions. Ça concerne plus la Banque de Montréal et la Banque Nationale.
Dernière question pour vous, Mario. Vous avez parlé du remboursement de capital. Bien sûr, s’il y a beaucoup de capitaux, ça veut dire qu’il pourrait aussi y avoir d’autres options sur la table. Est-ce que certaines banques envisagent sérieusement des acquisitions? Est-ce que vous vous attendez à des bonnes nouvelles?
Aux États-Unis, il y a eu des acquisitions. Les banques régionales ont été actives. Même les caisses populaires ont été actives. Au Canada, nous n’avons rien vu de tel jusqu’à présent. Je n’exclus pas cette possibilité. Mais il y a des obstacles à cela. Le principal étant qu’en ce moment, les évaluations sont plus élevées aux États-Unis qu’au Canada. Et quand des analystes ou moi-même, à titre personnel, demandent à des dirigeants de banques ce qu’ils anticipent sur le plan des acquisitions, ils haussent souvent les épaules et disent qu’il n’y a vraiment pas d’occasions sur le marché dont les valorisations sont intéressantes. Je crois que nos banques sont vraiment partantes. Il y a d’excellentes banques régionales aux États-Unis qui pourraient enrichir leurs portefeuilles. Mais à ces niveaux d’évaluation, je crois que nos banques ne sont pas au niveau. Une opération de très petite ampleur a été annoncée ce matin. La CIBC a annoncé qu’elle achetait le portefeuille de cartes de crédit de Costco, d’une valeur de 3 milliards de dollars. C’est très, très modeste. Cela n’attirera pas beaucoup de capitaux pour la TD – pardon, pour la CIBC. Mais c’est peut-être ce à quoi on devrait s’attendre : plus d’acquisitions de portefeuilles d’actifs et moins de grandes opérations régionales.
Mario, merci beaucoup.
Merci.