Le marché de l’emploi des États-Unis fait mentir les craintes d’une récession, ce qui fait penser à certains que la Fed va probablement continuer à augmenter les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation. Greg Bonnell discute avec Michael O’Brien, chef, Actions canadiennes de base, Gestion de Placements TD, des répercussions possibles sur les actions canadiennes.
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On voit qu’il y a un certain engouement pour les actions cet été. Dans l’ensemble, les marchés sont de nouveau dans le vert. Mais selon notre invité d’aujourd’hui, au vu du rapport sur l’emploi de la semaine dernière, la valeur des actions risque de plafonner. Je reçois Michael O’Brien, gestionnaire de portefeuille, Gestion de Placements TD. C’est un plaisir de vous revoir ici. Je fais appel à vos lumières pour nous aider à comprendre la réaction du marché : cela veut dire telle affaire, ceci veut dire telle affaire, c’est une bonne nouvelle, c’est une mauvaise nouvelle; comment on fait pour s’y retrouver? Eh bien, je pense que ces dernières semaines, les bonnes nouvelles étaient des bonnes nouvelles et les mauvaises nouvelles étaient aussi des bonnes nouvelles. Il y a beaucoup de pessimisme-- (RICANE) Que des bonnes nouvelles. beaucoup de pessimisme qui a imprégné le marché et beaucoup de ces actions, en particulier les actions technologiques américaines fortes, vigoureuses et de croissance ne demandaient qu’à se redresser. C’est ce qui s’est passé ces deux, trois ou quatre dernières semaines. Une belle série. À mon avis, ça s’explique en partie par le fait que les attentes étaient rendues pas mal pessimistes, mais aussi parce qu’on a commencé à entendre sur le marché une petite musique selon laquelle la Réserve fédérale américaine était près d’avoir atteint ses objectifs, et qu’elle n’allait peut-être plus avoir besoin de hausses de taux aussi agressives. Alors évidemment, quand le bruit court que la Fed va lever le pied, c’est-à-dire changer de cap et freiner le cycle de hausse des taux, ça rejaillit forcément très positivement sur les évaluations des actions. Je crois que c’est ce qui explique cet engouement récent. Et donc, si je dis que le rapport sur l’emploi de la semaine dernière est très important, c’est parce qu’il nous montre clairement qu’il ne faut pas trop s’emballer quand même. L’économie est encore pas mal solide. C’est ce que vous voulez dire par changer de cap, c’est ça? Selon vous, il y avait beaucoup d’espoirs, voire de rêves, chez certains investisseurs, qui se disaient : « Pas besoin de s’inquiéter, la crise est presque terminée. On va changer de cap. » Et là, le rapport est tombé avec des chiffres de l’emploi très solides. Forcément, certains ont changé d’idée sur là où la Fed s’en va. Je ne sais pas si ça a fait changer-- oui il y en a sûrement plusieurs que ça a fait changer d’idée. Mais je pense que ça a probablement conforté la vision des choses de la Fed elle-même, qui nous dit depuis le début qu’elle pense pouvoir augmenter les taux de façon plutôt agressive, car l’économie entame ce cycle de hausse des taux en étant globalement en bonne santé. On a d’ailleurs eu la preuve vendredi que le marché de l’emploi aux États-Unis reste tendu. Je pense donc qu’il faut s’attendre à d’autres hausses des taux. On pourrait voir 75 points de base en septembre. On n’est donc pas encore à un tournant. Je crois que le marché s’est réjoui un peu vite ces dernières semaines. Qu’est-ce que vous répondez à ceux qui disent que les marchés sont tournés vers l’avenir? Que comme on s’attend à ce que l’économie américaine reste vigoureuse, les hausses de taux vont se poursuivre pour lutter contre la forte inflation? Que tout ça est pris en compte dans les cours et que les difficultés sont derrière nous? Là aussi, c’est la vision optimiste des choses. Qu’il ne faut pas s’en faire et que le marché des actions est tourné vers l’avenir. Parfois, j’ai encore du mal à interpréter ce que le marché des actions essaie de nous dire sur la situation actuelle, et je me demande même s’il est conscient de la situation actuelle. Oui, absolument. Vous avez raison, le marché est tourné vers l’avenir. Par contre, le problème c’est qu’il n’a pas de boule de cristal. Parfois il a raison, parfois il a tort. On réagit tous à ces données en temps réel. Or, comme le climat ambiant était plutôt morose et que les évaluations avaient beaucoup diminué, ce n’était pas déraisonnable de se montrer un peu plus optimiste. Les gens qui étaient sûrs que le verre était entièrement plein et qui se disent maintenant qu’il est finalement à moitié vide, ont eu envie de tenter le coup. À mon avis, c’est une partie de l’explication. La conjoncture était très négative. Et le marché est de plus en plus convaincu que la Fed – la Réserve fédérale américaine – et, par extension, la Banque du Canada, ne vont pas baisser leur garde contre l’inflation. Si on regarde ce qui se passe, sur le marché des obligations en particulier, mais aussi le marché des actions, on voit bien que les titres longue durée ont vraiment décollé, et on se dit : « OK, on a eu une petite frayeur cette année, mais on a écouté les banques centrales, on a regardé ce qu’elles ont fait, et on comprend où elles s’en vont. Elles luttent contre l’inflation. Elles ne vont pas la laisser s’envoler. Elles ne veulent pas qu’on revive les années 1970, elles ne veulent pas du retour de la politique menée par Paul Volcker. » Je pense que c’est très bien pour restaurer la crédibilité des banques centrales. Le problème, c’est que la crédibilité a un prix. Et pour ramener l’inflation à un niveau plus acceptable autour de 2 %, il y a du pain sur la planche. Il faut notamment un marché de l’emploi plus souple, ce qui passe par un ralentissement de la croissance. Et le ralentissement de la croissance se traduit généralement par moins de bénéfices. Donc il faut bien savoir ce qu’on veut, parce que pour relever leur garde contre l’inflation, elles vont devoir ralentir un peu l’économie. Reste à voir si elles vont réussir à apporter l’assouplissement auquel tout le monde aspire, sans que cela entraîne un fort ralentissement. Ou si elles vont aller trop loin et empirer la situation. Il n’y a pas encore d’assouplissement du marché du travail aux États-Unis. Les données sur l’emploi au Canada sont un peu étranges concernant la tension du marché, mais aussi parce qu’on perd des postes. Vous avez mentionné la Banque du Canada. Est-ce que la voie à suivre est aussi claire que pour la Réserve fédérale américaine et ses indicateurs économiques? Ou est-ce que c’est un peu plus imprévisible ici? C’est un peu plus contrasté au Canada, car comme vous disiez, les deux derniers rapports sur l’emploi vont à l’encontre de ce qui se passe aux États-Unis. Ils montrent que le marché est étonnamment souple. On a même perdu des emplois en juin et en juillet. On sait bien que le rapport sur l’emploi au Canada est habituellement volatil. Alors, il faut prendre tout ça avec un grain de sel. Par contre, deux mois consécutifs de croissance négative de l’emploi, c’est sans doute signe de quelque chose. Ça doit envoyer à la Banque du Canada le message que l’économie est en train de réagir au cycle de hausse des taux pas mal agressif qui a été enclenché. Je suis sûr que ça les fait réfléchir. Par contre, l’inflation demeure très élevée. Et comme vous l’avez dit, ce même rapport sur l’emploi montre que les salaires ont augmenté d’environ 5 %, ce qui est un niveau assez sain. Et le taux de participation, qui donne une idée des capacités inutilisées, a de nouveau chuté, ce qui n’est pas une bonne chose. Ce n’est donc pas le genre de rapport sur l’emploi qui plaît à la Banque du Canada. D’une part, l’économie semble réagir assez rapidement à ces hausses de taux d’intérêt, d’autre part, il y a toujours des signes qui montrent qu’il faut encore agir, parce que malgré ces pertes d’emplois, le marché de l’emploi est encore trop solide. Si on en arrivait dans notre pays à un point où la Banque du Canada avait des données justifiant de suivre une autre voie que la Réserve fédérale américaine, est-ce qu’elle pourrait, au sortir de la pandémie, essayer de maîtriser l’inflation? Est-ce que tout le monde marche avec la Fed et la suit dans ce qu’elle fait? Bon, évidemment, la Fed c’est le gorille de 800 livres des banques centrales mondiales. Mais, dans une certaine mesure, chaque banque centrale peut tracer sa propre voie. On a vu la Banque du Canada commencer plus tôt et plus fort ce cycle de hausse des taux. Elle a agi plus vite que la Réserve fédérale américaine. Et elle a depuis longtemps pour politique de viser entre 1 % et 3 % d’inflation; ça remonte au début des années 1990. Je pense que la Banque du Canada n’a jamais baissé sa garde contre l’inflation. Et l’avoir vue réagir aussi rapidement et aussi agressivement me conforte dans cette impression. Ça lui donne de la souplesse si les données montrent que c’est nécessaire. Ça lui donne l’occasion de s’écarter un peu de la voie empruntée par les États-Unis. On verra où ça nous mènera. Je ne m’attends pas à beaucoup de surprises au niveau de la politique monétaire lors des prochaines réunions. C’est peut-être vers la fin de l’année qu’on commencera à voir certaines divergences si ces tendances se maintiennent. [MUSIQUE]