Même si le prix du pétrole a augmenté de plus de 50 % depuis le début de l’année, l’effet sur la demande semble faible. Greg Bonnell discute avec Hussein Allidina, chef, Produits de base, Gestion de Placements TD, des répercussions possibles de la saison de conduite estivale sur les prix.
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On sait que le prix élevé du pétrole a été un important moteur de l’inflation. Bien sûr, on a observé des turbulences et une certaine faiblesse, en particulier aujourd’hui. On a des mesures de confinement en Chine, des préoccupations liées à la croissance. Notre invité de marque affirme toutefois que la demande dépasse déjà l’offre, même avant la saison de conduite estivale. Hussein Allidina nous en dit plus maintenant. Il est chef, Produits de base, Gestion de placements TD. Heureux de vous revoir, Hussein. Allons-y! Beaucoup d’experts sont d’avis qu’on ne lutte pas contre l’inflation avant que les prix de l’énergie se stabilisent. Le marché peut être instable du jour au lendemain. Quels sont les mécanismes actuels du marché? Peut-on s’attendre à une amélioration?
Oui, alors. Greg, merci de m’accueillir. Prenons l’équilibre pétrolier en particulier et ce par quoi on est passé, avec les creux de la crise en 2020, les stocks ont été assez réguliers au cours des 16 derniers mois et pendant la majeure partie de cette année les stocks ont également baissé, bien que le gouvernement américain en ait libéré de ses réserves. Lorsque je regarde l’équilibre actuel et la direction qu’on prend pour l’été, comme vous l’avez mentionné, habituellement la demande d’essence augmente de façon saisonnière et c’est le cas aussi pour la demande mondiale, entre 2 et 4 millions de barils par jour à partir de mai jusqu’à la fin de l’été. Revenons à l’offre, on est déjà en déficit, comme en témoignent les stocks qui diminuent, et elle n’augmentera pas avec la même ampleur. On aura peut-être un million de barils par jour de croissance. Donc on a un déficit aujourd’hui, qui va augmenter tout au long de l’été. Le point de départ, ce sont des stocks serrés et ça va se resserrer encore plus pendant l’été. Pour ce qui est de l’amélioration. Je pense qu’il faudra observer une contraction importante de la demande et de la croissance avant d’obtenir une ligne de demande inférieure à la ligne d’offre. Et c’est uniquement à ce moment qu’on aura une amélioration. Je ne vois pas ce scénario se concrétiser à court terme.
L’amélioration semble n’être possible que dans le scénario que tout le monde redoute, la peur qui domine sur le marché, la récession.
Tout à fait. Et si on regarde la demande de pétrole par le passé, il n’y a que quelques moments dans les 20 ou 30 dernières années où la demande globale de pétrole s’est contractée. Pendant la pandémie quand le monde s’est arrêté, la demande de pétrole était négative. Durant la crise financière de 2008, la demande de pétrole était négative. Entre 1990 et 2022, on a connu des périodes de faible croissance, mais avec toujours une croissance positive de la demande de pétrole. Cela souligne l’importance du rapport entre le pétrole et l’économie mondiale. Si vous voulez que l’économie croisse, vous devez utiliser le pétrole. Donc la position de la Fed vise à réduire la croissance. Si on veut que la croissance de la demande de pétrole diminue considérablement, on a besoin d’une contraction importante du PIB. Et malgré le fait que la Banque mondiale et le FMI ont réduit leurs prévisions pour le PIB, les chiffres indiquent toujours une croissance positive de la demande de pétrole, ce qui signifie des équilibres encore plus serrés.
On a une école de pensée aujourd’hui selon laquelle si on voit une hausse soutenue de la demande, lors de la prochaine réunion de l’OPEP+, ils augmentent le nombre de barils à extraire sur une base quotidienne. Certains sont sceptiques par rapport à ce type de réflexion. Expliquez-moi cela.
OK, revenons un peu en arrière avant d’aborder l’OPEP et parlons du contexte mondial de l’offre de pétrole et des autres produits de base. Il ne faut pas oublier qu’on a traversé une période, Greg, de 10 à 12 ans avant 2022 caractérisée par des prix des produits de base faibles. Ce marché baissier des produits de base qui a suivi le sommet de la crise financière a découragé tout investissement OPEP ou non OPEP dans la production pétrolière. On sort donc d’une période de dix ans de sous-investissement, d’offre restreinte. On voit les projets qui sont attendus dans le pétrole, le cuivre et l’aluminium qui devraient arriver dans les trois, cinq, sept prochaines années. Comme ces projets ont de longs délais d’exécution, il y a pénurie de l’offre. Donc est-il possible que l’amélioration vienne de l’extérieur de l’OPEP? C’est très peu probable. Il n’y a pas beaucoup de croissance de production prévue et même au sein de l’OPEP. Et comme vous le disiez, il y a beaucoup de discussions et débats sur la capacité de réserve. On peut prendre du recul par rapport à ces discussions et juste regarder ce que les performances des producteurs par rapport à leurs quotas. En moyenne, l’OPEP produit moins que ce qui lui est permis ou prescrit de produire. C’est révélateur sur le volume de la capacité inutilisée présente. La plupart des estimations que j’ai vues indiquent une capacité excédentaire de peut-être deux, deux et demi millions de barils par jour à partir de ces niveaux. On n’a jamais produit à ces niveaux. Il y a beaucoup de scepticisme quant à la pérennité de ce scénario, même si on est en mesure de produire à ces niveaux. Greg, le marché du pétrole, c’est 100 millions de barils par jour. On parle de capacité excédentaire d’environ 1 à 2,5 millions de barils par jour. Ce n’est pas une marge de sécurité très réconfortante.
On entend aussi dire qu’on ne serait pas dans cette situation avec les prix de l’énergie et du pétrole s’il n’y avait pas eu le conflit Russie-Ukraine. Est-ce une interprétation trop simpliste du marché?
La Russie est de toute évidence un très grand producteur de pétrole et de gaz naturel, particulièrement pour l’Europe et des parties de l’Asie. L’important, quand on regarde les chiffres, c’est que les perturbations des volumes russes ont été relativement limitées. Je pense que ces volumes diminueront au fil de l’année. Beaucoup de grandes maisons de négoces de produits de base ont déclaré qu’elles avaient des contrats en vigueur avec la Russie et qu’elles allaient les honorer jusqu’à la fin de l’année. Elles ne vont rien changer. Donc je pense qu’on va voir les volumes russes baisser encore plus. La baisse réelle des volumes russes à ce jour a été relativement modeste. La Russie n’envoie pas autant de fret à l’Europe. Ces cargos finissent par aller en Chine. L’Inde prend bien plus de temps, il faut 30 jours pour se rendre de l’Europe à la Chine, trois jours de la Russie, pardon, à l’Europe. Une partie de l’offre est donc touchée par cet état de fait. Mais on n’a pas encore vu l’amplitude des déclins qui devraient avoir lieu au fil du temps et de ce conflit.
Compte tenu de la structure du marché dont vous avez parlé, Hussein, à quoi peut-on s’attendre pour le prix d’un baril de West Texas Intermediate? Tout est très incertain avec beaucoup de catégories d’actifs. La journée est agitée. Mais à l’avenir, quelle fourchette peut-on envisager? Une fourchette raisonnable?
C’est très difficile. Si je regarde l’été et le contexte où la demande augmente et l’offre n’augmente pas autant et compte tenu du resserrement des stocks, il y a un risque réel que les cours connaissent une nouvelle nominale élevée cet été. Les sommets précédents étaient de 147 et quelques. On peut résister à ça. Mais, le problème, c’est qu’avec le resserrement de la Fed, et 24 des 36 banques centrales qui ont resserré ou pris une position vers un resserrement, la croissance va être finalement sous pression. La mesure de la baisse ou de la pression sur la croissance finira par dicter la durabilité des prix du pétrole. Mais si je devais définir les trois ou quatre prochains mois, je pense que ça va augmenter. Et puis, lorsqu’on arrivera à l’hiver, on verra un soulagement, mais pas 70 $, 60 $ à moins que la croissance connaisse une récession importante, une contraction importante. Et je ne pense pas que ce soit le scénario de base en ce moment.
Mais cela semble être le risque le plus important en ce moment, même si vous avez présenté un scénario de base sur la mécanique du marché et où on en est avec l’offre et la demande. En fin de compte, la récession ne serait pas excellente pour un certain nombre d’actifs, y compris le pétrole brut.
En 2007, 2008, l’équilibre fondamental était serré, pas aussi serré qu’aujourd’hui, mais il était serré. Ce qui a fait baisser le prix du pétrole, de montants à trois chiffres à des valeurs de 50 à 60, c’était une contraction importante du PIB. Si on observe une contraction importante du PIB, le pétrole se négociera à 60 $, voire 70 $ par baril. Si la demande fléchit ou baisse, en mars 2020, lorsque la demande a cessé, les contraintes d’offre ont disparu. La contrainte en matière d’offre n’existe que si vous avez une demande. Selon mon scénario de base, la demande en ce moment est ferme. Et même avec le PIB faible attendu, je n’envisage pas une baisse de la demande suffisante pour gérer cette contrainte d’offre.
On sait que le prix élevé du pétrole a été un important moteur de l’inflation. Bien sûr, on a observé des turbulences et une certaine faiblesse, en particulier aujourd’hui. On a des mesures de confinement en Chine, des préoccupations liées à la croissance. Notre invité de marque affirme toutefois que la demande dépasse déjà l’offre, même avant la saison de conduite estivale. Hussein Allidina nous en dit plus maintenant. Il est chef, Produits de base, Gestion de placements TD. Heureux de vous revoir, Hussein. Allons-y! Beaucoup d’experts sont d’avis qu’on ne lutte pas contre l’inflation avant que les prix de l’énergie se stabilisent. Le marché peut être instable du jour au lendemain. Quels sont les mécanismes actuels du marché? Peut-on s’attendre à une amélioration?
Oui, alors. Greg, merci de m’accueillir. Prenons l’équilibre pétrolier en particulier et ce par quoi on est passé, avec les creux de la crise en 2020, les stocks ont été assez réguliers au cours des 16 derniers mois et pendant la majeure partie de cette année les stocks ont également baissé, bien que le gouvernement américain en ait libéré de ses réserves. Lorsque je regarde l’équilibre actuel et la direction qu’on prend pour l’été, comme vous l’avez mentionné, habituellement la demande d’essence augmente de façon saisonnière et c’est le cas aussi pour la demande mondiale, entre 2 et 4 millions de barils par jour à partir de mai jusqu’à la fin de l’été. Revenons à l’offre, on est déjà en déficit, comme en témoignent les stocks qui diminuent, et elle n’augmentera pas avec la même ampleur. On aura peut-être un million de barils par jour de croissance. Donc on a un déficit aujourd’hui, qui va augmenter tout au long de l’été. Le point de départ, ce sont des stocks serrés et ça va se resserrer encore plus pendant l’été. Pour ce qui est de l’amélioration. Je pense qu’il faudra observer une contraction importante de la demande et de la croissance avant d’obtenir une ligne de demande inférieure à la ligne d’offre. Et c’est uniquement à ce moment qu’on aura une amélioration. Je ne vois pas ce scénario se concrétiser à court terme.
L’amélioration semble n’être possible que dans le scénario que tout le monde redoute, la peur qui domine sur le marché, la récession.
Tout à fait. Et si on regarde la demande de pétrole par le passé, il n’y a que quelques moments dans les 20 ou 30 dernières années où la demande globale de pétrole s’est contractée. Pendant la pandémie quand le monde s’est arrêté, la demande de pétrole était négative. Durant la crise financière de 2008, la demande de pétrole était négative. Entre 1990 et 2022, on a connu des périodes de faible croissance, mais avec toujours une croissance positive de la demande de pétrole. Cela souligne l’importance du rapport entre le pétrole et l’économie mondiale. Si vous voulez que l’économie croisse, vous devez utiliser le pétrole. Donc la position de la Fed vise à réduire la croissance. Si on veut que la croissance de la demande de pétrole diminue considérablement, on a besoin d’une contraction importante du PIB. Et malgré le fait que la Banque mondiale et le FMI ont réduit leurs prévisions pour le PIB, les chiffres indiquent toujours une croissance positive de la demande de pétrole, ce qui signifie des équilibres encore plus serrés.
On a une école de pensée aujourd’hui selon laquelle si on voit une hausse soutenue de la demande, lors de la prochaine réunion de l’OPEP+, ils augmentent le nombre de barils à extraire sur une base quotidienne. Certains sont sceptiques par rapport à ce type de réflexion. Expliquez-moi cela.
OK, revenons un peu en arrière avant d’aborder l’OPEP et parlons du contexte mondial de l’offre de pétrole et des autres produits de base. Il ne faut pas oublier qu’on a traversé une période, Greg, de 10 à 12 ans avant 2022 caractérisée par des prix des produits de base faibles. Ce marché baissier des produits de base qui a suivi le sommet de la crise financière a découragé tout investissement OPEP ou non OPEP dans la production pétrolière. On sort donc d’une période de dix ans de sous-investissement, d’offre restreinte. On voit les projets qui sont attendus dans le pétrole, le cuivre et l’aluminium qui devraient arriver dans les trois, cinq, sept prochaines années. Comme ces projets ont de longs délais d’exécution, il y a pénurie de l’offre. Donc est-il possible que l’amélioration vienne de l’extérieur de l’OPEP? C’est très peu probable. Il n’y a pas beaucoup de croissance de production prévue et même au sein de l’OPEP. Et comme vous le disiez, il y a beaucoup de discussions et débats sur la capacité de réserve. On peut prendre du recul par rapport à ces discussions et juste regarder ce que les performances des producteurs par rapport à leurs quotas. En moyenne, l’OPEP produit moins que ce qui lui est permis ou prescrit de produire. C’est révélateur sur le volume de la capacité inutilisée présente. La plupart des estimations que j’ai vues indiquent une capacité excédentaire de peut-être deux, deux et demi millions de barils par jour à partir de ces niveaux. On n’a jamais produit à ces niveaux. Il y a beaucoup de scepticisme quant à la pérennité de ce scénario, même si on est en mesure de produire à ces niveaux. Greg, le marché du pétrole, c’est 100 millions de barils par jour. On parle de capacité excédentaire d’environ 1 à 2,5 millions de barils par jour. Ce n’est pas une marge de sécurité très réconfortante.
On entend aussi dire qu’on ne serait pas dans cette situation avec les prix de l’énergie et du pétrole s’il n’y avait pas eu le conflit Russie-Ukraine. Est-ce une interprétation trop simpliste du marché?
La Russie est de toute évidence un très grand producteur de pétrole et de gaz naturel, particulièrement pour l’Europe et des parties de l’Asie. L’important, quand on regarde les chiffres, c’est que les perturbations des volumes russes ont été relativement limitées. Je pense que ces volumes diminueront au fil de l’année. Beaucoup de grandes maisons de négoces de produits de base ont déclaré qu’elles avaient des contrats en vigueur avec la Russie et qu’elles allaient les honorer jusqu’à la fin de l’année. Elles ne vont rien changer. Donc je pense qu’on va voir les volumes russes baisser encore plus. La baisse réelle des volumes russes à ce jour a été relativement modeste. La Russie n’envoie pas autant de fret à l’Europe. Ces cargos finissent par aller en Chine. L’Inde prend bien plus de temps, il faut 30 jours pour se rendre de l’Europe à la Chine, trois jours de la Russie, pardon, à l’Europe. Une partie de l’offre est donc touchée par cet état de fait. Mais on n’a pas encore vu l’amplitude des déclins qui devraient avoir lieu au fil du temps et de ce conflit.
Compte tenu de la structure du marché dont vous avez parlé, Hussein, à quoi peut-on s’attendre pour le prix d’un baril de West Texas Intermediate? Tout est très incertain avec beaucoup de catégories d’actifs. La journée est agitée. Mais à l’avenir, quelle fourchette peut-on envisager? Une fourchette raisonnable?
C’est très difficile. Si je regarde l’été et le contexte où la demande augmente et l’offre n’augmente pas autant et compte tenu du resserrement des stocks, il y a un risque réel que les cours connaissent une nouvelle nominale élevée cet été. Les sommets précédents étaient de 147 et quelques. On peut résister à ça. Mais, le problème, c’est qu’avec le resserrement de la Fed, et 24 des 36 banques centrales qui ont resserré ou pris une position vers un resserrement, la croissance va être finalement sous pression. La mesure de la baisse ou de la pression sur la croissance finira par dicter la durabilité des prix du pétrole. Mais si je devais définir les trois ou quatre prochains mois, je pense que ça va augmenter. Et puis, lorsqu’on arrivera à l’hiver, on verra un soulagement, mais pas 70 $, 60 $ à moins que la croissance connaisse une récession importante, une contraction importante. Et je ne pense pas que ce soit le scénario de base en ce moment.
Mais cela semble être le risque le plus important en ce moment, même si vous avez présenté un scénario de base sur la mécanique du marché et où on en est avec l’offre et la demande. En fin de compte, la récession ne serait pas excellente pour un certain nombre d’actifs, y compris le pétrole brut.
En 2007, 2008, l’équilibre fondamental était serré, pas aussi serré qu’aujourd’hui, mais il était serré. Ce qui a fait baisser le prix du pétrole, de montants à trois chiffres à des valeurs de 50 à 60, c’était une contraction importante du PIB. Si on observe une contraction importante du PIB, le pétrole se négociera à 60 $, voire 70 $ par baril. Si la demande fléchit ou baisse, en mars 2020, lorsque la demande a cessé, les contraintes d’offre ont disparu. La contrainte en matière d’offre n’existe que si vous avez une demande. Selon mon scénario de base, la demande en ce moment est ferme. Et même avec le PIB faible attendu, je n’envisage pas une baisse de la demande suffisante pour gérer cette contrainte d’offre.