
David Siino, directeur général, gestionnaire de portefeuille et analyste principal à TD Epoch, ainsi que Steven Bleiberg, directeur général et gestionnaire de portefeuille à TD Epoch, sont les gestionnaires du Fonds américain de réinvestissement du capital TD. Ils se joignent à Kim Parlee pour discuter de leur approche de placement, notamment de l’importance qu’ils accordent aux flux de trésorerie. Ils expliquent pourquoi, à leur avis, la qualité est souvent mal évaluée par le marché.
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Plus tôt cette année, Gestion de Placements TD a annoncé que sa société affiliée, Epoch Investment Partners, allait reprendre la gestion de son Fonds de valeurs sûres américaines TD. Ce changement a eu lieu le 1er novembre. Il se nomme désormais Fonds américain de réinvestissement du capital TD. Les deux dirigeants du fonds sont David Siino, directeur général, gestionnaire de portefeuille et analyste principal, et Steven Bleiberg, directeur général et gestionnaire de portefeuille. Ils sont tous deux à TD Epoch. Ils se joignent à nous depuis New York.
Messieurs, on est ravis de vous compter parmi nous. J’ai hâte de discuter avec vous pour en savoir un peu plus. Steven, si vous le permettez, j’aimerais commencer par vous.
Ce n’est pas la première fois que je parle à quelqu’un de TD Epoch. J’ai donc conscience de l’importance des flux de trésorerie. C’est un point qui, depuis toujours, est vraiment primordial. Pourriez-vous nous rappeler pourquoi vous mettez l’accent sur les flux de trésorerie plutôt que sur les bénéfices?
Avec plaisir, Kim. Et merci beaucoup de l’invitation. Je crois que le mieux pour commencer, c’est de vous raconter une anecdote qui date de mon premier jour à l’école de commerce, il y a bien longtemps. Je me souviens du premier jour du cours d’introduction aux finances à l’école de commerce. Le professeur a inscrit deux mots au tableau.
Il a écrit « Temps » et « Incertitude ». Et il a ajouté : La finance étudie la valeur donnée à des flux de trésorerie incertains au fil du temps. Pour moi, cette définition de la finance reste la meilleure que j’ai jamais entendue.
La comptabilité s’intéresse à tout autre chose. Elle permet d’obtenir des chiffres comme le résultat par action. Les comptables et les spécialistes de la finance n’ont pas la même vision du monde. Par exemple, si je dirige une entreprise, que je construis une usine et que je dépense 10 millions de dollars pour la construction, le comptable va demander : Pendant combien d’années cette usine va-t-elle tourner?
Si je réponds 10 ans, le comptable va me dire : D’accord, parfait. On va rattacher un million de dollars par an aux revenus pendant 10 ans. Parce qu’en comptabilité, on utilise le principe du rattachement, c’est-à-dire qu’on rattache les charges aux produits au fil du temps. C’est très bien. Ce principe a une certaine utilité.
En revanche, si vous tentez d’évaluer l’entreprise et de comprendre si elle se porte bien, le moment des mouvements de trésorerie joue un rôle important. L’entreprise ne va pas débourser 1 million de dollars par an sur 10 ans. Ces 10 millions de dollars ont été investis aujourd’hui dans la construction de l’usine. D’où l’importance du moment des mouvements de trésorerie. Il faut donc se concentrer sur la façon dont l’entreprise génère des flux de trésorerie et sur ce qu’elle en fait.
Notre philosophie repose donc sur deux piliers. Premièrement, la capacité d’une entreprise à générer non pas des bénéfices comptables, mais des flux de trésorerie disponibles intéressants. Le deuxième point tout aussi important, c’est que la façon dont la direction utilise le flux de trésorerie disponible fait monter ou baisser la valeur de l’entreprise. Pour simplifier, elle peut réinvestir ces flux de trésorerie dans l’entreprise ou les distribuer aux actionnaires.
Si la direction réinjecte ces flux dans l’entreprise, il faut qu’elle soit en mesure de générer un rendement supérieur au coût du capital investi. Et quand la direction est à court d’occasions d’investir, la meilleure décision consiste à redistribuer les flux de trésorerie aux actionnaires, parce qu’ils sauront toujours quoi faire de cet argent.
On voit maintenant s’afficher une illustration sur les principes fondateurs de TD Epoch. Elle porte sur les flux de trésorerie disponibles. Vous venez d’expliquer comment les entreprises peuvent déployer ces flux de trésorerie, soit en les réinvestissant, soit en les distribuant aux actionnaires. Par le passé, au fil de mes échanges avec vous et vos collègues, il m’a semblé que les flux de trésorerie étaient souvent étroitement liés à la qualité des sociétés que vous examinez. Je sais que la qualité est un facteur important à vos yeux, mais vous dites qu’elle est souvent, je cite, « mal évaluée ». Est-ce que vous pourriez élaborer?
Tout à fait. Dans le secteur des placements, la qualité se rapporte traditionnellement à trois statistiques précises. Il existe des indices de qualité. La façon dont les sociétés qui fournissent ces indices se fondent sur trois données statistiques bien précises.
D’abord, un fort rendement des capitaux propres. Ensuite, un faible endettement. Si vous augmentez le rendement des capitaux propres par des emprunts ou par des rachats d’actions, rien ne change véritablement, à ceci près qu’il y a moins de capitaux propres. Un certain niveau de profit engendrera la hausse du rendement des capitaux propres. Pour éviter ce problème quand on définit les qualités, il faut que le fort rendement des capitaux propres s’accompagne d’un faible endettement.
Enfin, on examine souvent la stabilité de la croissance des bénéfices ou la stabilité des bénéfices. Bien sûr, on estime qu’il est préférable d’afficher ces qualités. Les sociétés que David et moi examinons pour la gestion de notre Fonds ont tendance à présenter ces caractéristiques. Mais selon nous, ce n’est pas suffisant.
Pour nous, l’évaluation de la qualité va au-delà de ces définitions statistiques. On la mesure en étudiant deux autres aspects. D’abord, comme on vient de le dire, comment la direction alloue-t-elle le capital? Comprend-elle les principes d’une affectation judicieuse du capital? On ne réinvestit qu’à condition d’obtenir un bon rendement du capital. Sinon, on rend l’argent aux actionnaires.
Passons au deuxième aspect, le plus important selon moi. On recherche des entreprises qui présentent un avantage concurrentiel durable. On parle parfois de « douve ». L’entreprise ne doit pas seulement afficher un fort rendement du capital aujourd’hui – c’est un peu la meilleure mesure de qualité et de rentabilité. Elle doit aussi présenter des caractéristiques uniques qui lui permettront de continuer à produire des rendements du capital élevés, peu importe les conditions du marché.
Si on observe des entreprises du secteur de l’énergie ou des produits de base, quand le prix du produit de base sous-jacent augmente, les rendements sont bons pendant quelque temps, mais au fond, elles n’exercent aucun contrôle. Elles sont à la merci des marchés qui fixent le prix des produits de base. Et quand, inévitablement, les prix finissent par baisser, leurs rendements plongent immédiatement. Pour nous, les entreprises de qualité ont quelque chose d’unique qui leur donne le pouvoir de fixer les prix, et donc de contrôler leurs marges et le rendement du capital.
J’aimerais bien, si possible, savoir plus précisément ce que vous examinez pour décider des sociétés que vous voulez ajouter au portefeuille. Steve, je m’adresse encore à vous. Sur quel processus ou quelles mesures vous appuyez-vous pour trouver des idées?
D’accord. On adopte une approche de gestion fondamentale. Ceci dit, même en allant le plus loin possible dans cette approche, il faut trouver un moyen de réduire l’univers de placement. Il existe des milliers et des milliers d’actions. Il faut donc exercer un jugement aussi efficace que possible, limiter l’univers à un ensemble de sociétés que l’on étudie très attentivement, et trouver aussi efficacement que possible les titres performants.
On a quelques outils à notre disposition pour amorcer ce processus. On a un système de filtrage pour déterminer si on retient un titre ou non. On dispose aussi d’un modèle de classement. On évalue les titres en fonction d’un certain nombre de critères.
Compte tenu de ce que je disais il y a un instant, on examine bien sûr en premier le rendement du capital investi. On vise une prime d’au moins 5 % sur le coût du capital. On tient compte de quelques indicateurs de croissance. On n’attend rien d’héroïque. En résumé, on recherche des entreprises capables d’afficher une croissance égale à celle de l’économie, voire supérieure.
On n’exige pas 10, 15 ou 20 % de croissance. Tant que l’entreprise suit le rythme de l’économie ou fait mieux, c’est bien. On recherche aussi de très fortes marges bénéficiaires, car c’est un bon moyen d’écarter les sociétés qui sont uniquement en quête croissance. Et ce faisant, elles réduisent leurs marges.
Cette méthode permet de réduire l’univers de placement et d’éliminer environ 90 % des titres. Ensuite, on applique un système de classement exclusif mis au point par nos soins. On examine plus d’une vingtaine de variables, dont la plupart se rapportent au flux de trésorerie disponible. On recherche des sociétés qui, comme on l’a dit, génèrent des flux de trésorerie disponibles et les allouent judicieusement, et on les classe par rapport aux pairs du secteur à l’échelle mondiale.
De cette façon, on réduit encore plus l’univers de placement.
À partir des 3 000, 4 000 ou 5 000 titres américains, on arrive à 100 ou 150 titres. On en détient évidemment déjà certains. Mais on dispose ainsi d’une base de travail plus restreinte pour procéder à une analyse fondamentale approfondie, dont David peut vous parler plus en détail.
Sur ce, on va passer à David. L’univers de placement est passé de plusieurs milliers à quelques centaines de titres. C’est ensuite à vous de décider si les noms qui ont retenu votre intérêt vont effectivement intégrer le portefeuille. Sur quoi fondez-vous cette décision?
D’accord. Bonsoir, Kim. Et merci encore de l’invitation. De façon très générale, on se pose deux questions avant de retenir une société. Comment en est-elle arrivée là, et comment se dessine l’avenir? On se demande pourquoi la société affiche aujourd’hui un fort rendement du capital. Quels sont les avantages dont elle bénéficie?
Est-ce qu’elle exerce des activités à marge élevée, comme la plupart de nos entreprises? Ou est-ce qu’elle utilise le capital de façon très efficace? Ou, idéalement, les deux? Pour savoir comment l’entreprise en est arrivée à afficher des marges élevées, on se demande si elle bénéficie d’un avantage en termes de prix par rapport à ses pairs et pourquoi. Ou si elle est mieux placée que ses pairs en termes de coûts, et pourquoi.
Voilà pour la première question. On est presque dans un cours de finance fondamentale. Il est plus difficile de déterminer comment se dessine l’avenir. À quel point le niveau de rentabilité actuel, mesuré par le rendement du capital, est-il durable? Dans quelle mesure ce niveau est-il durable, et pour combien de temps?
Là aussi, la question est double. D’abord, est-ce que cette entreprise a quelque chose d’unique? A-t-elle un avantage technologique? Ses actifs physiques sont-ils, par nature, difficiles à reproduire? L’équipe de direction est-elle très compétente? Est-ce qu’elle bénéficie d’une forte image de marque?
Voilà quelques exemples de ce qui fait le caractère unique d’une entreprise. Et c’est un avantage. Beaucoup d’entreprises sont uniques.
Vous voyez peut-être par-dessus mon épaule l’Empire State Building, par l’une de ces fenêtres. C’est un édifice unique, mais il s’agit d’une structure fixe, sans potentiel de croissance. Les propriétaires ne peuvent pas réinvestir et agrandir l’immeuble.
Or, la stratégie de réinvestissement du capital compte. On doit identifier les opportunités qu’a l’entreprise, que ce soit de façon interne ou externe, de réinvestir dans son activité pour augmenter sa valeur au fil du temps. On est attentifs aux risques, que ce soit l’obsolescence technologique, le risque réglementaire, un changement des goûts des consommateurs, l’arrivée de nouveaux acteurs dans le secteur d’activité de la société. On doit tenir compte de tous ces facteurs.
Le comportement des dirigeants est un risque majeur, mesuré par l’allocation du capital. On est donc très attentifs à la manière dont l’équipe de direction est rémunérée. Quels indicateurs de rendement clés conditionnent la rémunération?
Est-ce qu’ils sont liés à la croissance. Si oui, c’est une bonne chose, mais cette croissance crée-t-elle de la valeur? La rémunération incite-t-elle la direction à certes créer de la croissance, mais surtout à obtenir un rendement du capital supérieur au coût du capital? On est donc attentifs à...
C’est – allez-y. Désolée.
Désolé. Allez-y, Kim.
Non, allez-y.
Pour terminer, on n’achète jamais des titres à n’importe quel prix. On tient fortement compte du pourcentage du flux de trésorerie réinvesti par l’entreprise et du taux de rendement que l’on peut espérer obtenir sur ce réinvestissement. On est prêts à payer la juste valeur pour une excellente entreprise, mais pas le prix fort pour une entreprise médiocre, pour reprendre l’axiome de Charlie Munger. Il ne s’agit en aucun cas d’une stratégie d’égalité, quel que soit le prix. Mais on est prêts à payer la juste valeur, car on est convaincus que les entreprises qui affichent une prime sur le coût du capital enrichiront les actionnaires au fil du temps.
À vous entendre, je ne dirais pas que c’est simple, mais c’est clair. Je suis sûr que le processus est en réalité complexe quand on met tous ces principes en pratique. J’aimerais dire à ceux qui nous écoutent que l’on va donner des exemples pour quelques titres du portefeuille, en expliquant peut-être pourquoi vous les détenez.
Mais auparavant, j’aimerais revenir sur quelques points que vous avez soulevés. C’était intéressant d’entendre pourquoi vous vous intéressez à certaines sociétés et pourquoi vous les intégrez au portefeuille. Mais dans la lignée de cette conversation, pourquoi y restent-elles? Voici une illustration – vous avez parlé du comportement de la direction.
Je suis certaine que c’est un point que vous suivez de près pour déterminer si une société a sa place dans le portefeuille. Mais parlons un peu des raisons pour lesquelles on vend une action. Même si une société intègre le portefeuille, il y a des conditions claires pour y rester.
Oui, on se sépare de certains titres. On a beaucoup parlé des raisons d’acheter, mais moins des raisons de vendre. Vous venez d’en mentionner une.
Le plus souvent, on vend un titre quand on constate que la direction utilise à mauvais escient l’argent des actionnaires et alloue mal le capital, ce qu’on voit surtout dans les fusions et acquisitions. Toutes ne sont pas négatives. La plupart sont positives. Si une équipe de direction dit que l’opération va avoir un effet positif sur les bénéfices dans la deuxième année, très bien. Mais est-ce qu’elle va surpasser le coût du capital à la deuxième ou troisième année?
On ne se préoccupe pas tant de l’effet d’une acquisition sur le résultat net. Pour nous, c’est presque insignifiant. On veut savoir si la direction tient au moins compte du coût du capital quand elle procède à des acquisitions. Et dans le cas de certaines acquisitions assez importantes, nous ne comprenons ni la logique financière ni la logique industrielle de l’opération. C’est donc une raison de vendre.
Par ailleurs, on vend tout simplement parce que le monde change. Si, en 2017, on détient des titres d’une société dont les brevets expireront en 2023, on ne dispose que d’une visibilité à six ans. À l’approche de 2023, on va se demander si ce titre est encore viable par rapport à notre horizon de placement. Par exemple, si une société pharmaceutique n’a pas d’autres brevets en préparation et manque de visibilité sur le plan économique, c’est une autre raison de vendre. [MUSIQUE]
Plus tôt cette année, Gestion de Placements TD a annoncé que sa société affiliée, Epoch Investment Partners, allait reprendre la gestion de son Fonds de valeurs sûres américaines TD. Ce changement a eu lieu le 1er novembre. Il se nomme désormais Fonds américain de réinvestissement du capital TD. Les deux dirigeants du fonds sont David Siino, directeur général, gestionnaire de portefeuille et analyste principal, et Steven Bleiberg, directeur général et gestionnaire de portefeuille. Ils sont tous deux à TD Epoch. Ils se joignent à nous depuis New York.
Messieurs, on est ravis de vous compter parmi nous. J’ai hâte de discuter avec vous pour en savoir un peu plus. Steven, si vous le permettez, j’aimerais commencer par vous.
Ce n’est pas la première fois que je parle à quelqu’un de TD Epoch. J’ai donc conscience de l’importance des flux de trésorerie. C’est un point qui, depuis toujours, est vraiment primordial. Pourriez-vous nous rappeler pourquoi vous mettez l’accent sur les flux de trésorerie plutôt que sur les bénéfices?
Avec plaisir, Kim. Et merci beaucoup de l’invitation. Je crois que le mieux pour commencer, c’est de vous raconter une anecdote qui date de mon premier jour à l’école de commerce, il y a bien longtemps. Je me souviens du premier jour du cours d’introduction aux finances à l’école de commerce. Le professeur a inscrit deux mots au tableau.
Il a écrit « Temps » et « Incertitude ». Et il a ajouté : La finance étudie la valeur donnée à des flux de trésorerie incertains au fil du temps. Pour moi, cette définition de la finance reste la meilleure que j’ai jamais entendue.
La comptabilité s’intéresse à tout autre chose. Elle permet d’obtenir des chiffres comme le résultat par action. Les comptables et les spécialistes de la finance n’ont pas la même vision du monde. Par exemple, si je dirige une entreprise, que je construis une usine et que je dépense 10 millions de dollars pour la construction, le comptable va demander : Pendant combien d’années cette usine va-t-elle tourner?
Si je réponds 10 ans, le comptable va me dire : D’accord, parfait. On va rattacher un million de dollars par an aux revenus pendant 10 ans. Parce qu’en comptabilité, on utilise le principe du rattachement, c’est-à-dire qu’on rattache les charges aux produits au fil du temps. C’est très bien. Ce principe a une certaine utilité.
En revanche, si vous tentez d’évaluer l’entreprise et de comprendre si elle se porte bien, le moment des mouvements de trésorerie joue un rôle important. L’entreprise ne va pas débourser 1 million de dollars par an sur 10 ans. Ces 10 millions de dollars ont été investis aujourd’hui dans la construction de l’usine. D’où l’importance du moment des mouvements de trésorerie. Il faut donc se concentrer sur la façon dont l’entreprise génère des flux de trésorerie et sur ce qu’elle en fait.
Notre philosophie repose donc sur deux piliers. Premièrement, la capacité d’une entreprise à générer non pas des bénéfices comptables, mais des flux de trésorerie disponibles intéressants. Le deuxième point tout aussi important, c’est que la façon dont la direction utilise le flux de trésorerie disponible fait monter ou baisser la valeur de l’entreprise. Pour simplifier, elle peut réinvestir ces flux de trésorerie dans l’entreprise ou les distribuer aux actionnaires.
Si la direction réinjecte ces flux dans l’entreprise, il faut qu’elle soit en mesure de générer un rendement supérieur au coût du capital investi. Et quand la direction est à court d’occasions d’investir, la meilleure décision consiste à redistribuer les flux de trésorerie aux actionnaires, parce qu’ils sauront toujours quoi faire de cet argent.
On voit maintenant s’afficher une illustration sur les principes fondateurs de TD Epoch. Elle porte sur les flux de trésorerie disponibles. Vous venez d’expliquer comment les entreprises peuvent déployer ces flux de trésorerie, soit en les réinvestissant, soit en les distribuant aux actionnaires. Par le passé, au fil de mes échanges avec vous et vos collègues, il m’a semblé que les flux de trésorerie étaient souvent étroitement liés à la qualité des sociétés que vous examinez. Je sais que la qualité est un facteur important à vos yeux, mais vous dites qu’elle est souvent, je cite, « mal évaluée ». Est-ce que vous pourriez élaborer?
Tout à fait. Dans le secteur des placements, la qualité se rapporte traditionnellement à trois statistiques précises. Il existe des indices de qualité. La façon dont les sociétés qui fournissent ces indices se fondent sur trois données statistiques bien précises.
D’abord, un fort rendement des capitaux propres. Ensuite, un faible endettement. Si vous augmentez le rendement des capitaux propres par des emprunts ou par des rachats d’actions, rien ne change véritablement, à ceci près qu’il y a moins de capitaux propres. Un certain niveau de profit engendrera la hausse du rendement des capitaux propres. Pour éviter ce problème quand on définit les qualités, il faut que le fort rendement des capitaux propres s’accompagne d’un faible endettement.
Enfin, on examine souvent la stabilité de la croissance des bénéfices ou la stabilité des bénéfices. Bien sûr, on estime qu’il est préférable d’afficher ces qualités. Les sociétés que David et moi examinons pour la gestion de notre Fonds ont tendance à présenter ces caractéristiques. Mais selon nous, ce n’est pas suffisant.
Pour nous, l’évaluation de la qualité va au-delà de ces définitions statistiques. On la mesure en étudiant deux autres aspects. D’abord, comme on vient de le dire, comment la direction alloue-t-elle le capital? Comprend-elle les principes d’une affectation judicieuse du capital? On ne réinvestit qu’à condition d’obtenir un bon rendement du capital. Sinon, on rend l’argent aux actionnaires.
Passons au deuxième aspect, le plus important selon moi. On recherche des entreprises qui présentent un avantage concurrentiel durable. On parle parfois de « douve ». L’entreprise ne doit pas seulement afficher un fort rendement du capital aujourd’hui – c’est un peu la meilleure mesure de qualité et de rentabilité. Elle doit aussi présenter des caractéristiques uniques qui lui permettront de continuer à produire des rendements du capital élevés, peu importe les conditions du marché.
Si on observe des entreprises du secteur de l’énergie ou des produits de base, quand le prix du produit de base sous-jacent augmente, les rendements sont bons pendant quelque temps, mais au fond, elles n’exercent aucun contrôle. Elles sont à la merci des marchés qui fixent le prix des produits de base. Et quand, inévitablement, les prix finissent par baisser, leurs rendements plongent immédiatement. Pour nous, les entreprises de qualité ont quelque chose d’unique qui leur donne le pouvoir de fixer les prix, et donc de contrôler leurs marges et le rendement du capital.
J’aimerais bien, si possible, savoir plus précisément ce que vous examinez pour décider des sociétés que vous voulez ajouter au portefeuille. Steve, je m’adresse encore à vous. Sur quel processus ou quelles mesures vous appuyez-vous pour trouver des idées?
D’accord. On adopte une approche de gestion fondamentale. Ceci dit, même en allant le plus loin possible dans cette approche, il faut trouver un moyen de réduire l’univers de placement. Il existe des milliers et des milliers d’actions. Il faut donc exercer un jugement aussi efficace que possible, limiter l’univers à un ensemble de sociétés que l’on étudie très attentivement, et trouver aussi efficacement que possible les titres performants.
On a quelques outils à notre disposition pour amorcer ce processus. On a un système de filtrage pour déterminer si on retient un titre ou non. On dispose aussi d’un modèle de classement. On évalue les titres en fonction d’un certain nombre de critères.
Compte tenu de ce que je disais il y a un instant, on examine bien sûr en premier le rendement du capital investi. On vise une prime d’au moins 5 % sur le coût du capital. On tient compte de quelques indicateurs de croissance. On n’attend rien d’héroïque. En résumé, on recherche des entreprises capables d’afficher une croissance égale à celle de l’économie, voire supérieure.
On n’exige pas 10, 15 ou 20 % de croissance. Tant que l’entreprise suit le rythme de l’économie ou fait mieux, c’est bien. On recherche aussi de très fortes marges bénéficiaires, car c’est un bon moyen d’écarter les sociétés qui sont uniquement en quête croissance. Et ce faisant, elles réduisent leurs marges.
Cette méthode permet de réduire l’univers de placement et d’éliminer environ 90 % des titres. Ensuite, on applique un système de classement exclusif mis au point par nos soins. On examine plus d’une vingtaine de variables, dont la plupart se rapportent au flux de trésorerie disponible. On recherche des sociétés qui, comme on l’a dit, génèrent des flux de trésorerie disponibles et les allouent judicieusement, et on les classe par rapport aux pairs du secteur à l’échelle mondiale.
De cette façon, on réduit encore plus l’univers de placement.
À partir des 3 000, 4 000 ou 5 000 titres américains, on arrive à 100 ou 150 titres. On en détient évidemment déjà certains. Mais on dispose ainsi d’une base de travail plus restreinte pour procéder à une analyse fondamentale approfondie, dont David peut vous parler plus en détail.
Sur ce, on va passer à David. L’univers de placement est passé de plusieurs milliers à quelques centaines de titres. C’est ensuite à vous de décider si les noms qui ont retenu votre intérêt vont effectivement intégrer le portefeuille. Sur quoi fondez-vous cette décision?
D’accord. Bonsoir, Kim. Et merci encore de l’invitation. De façon très générale, on se pose deux questions avant de retenir une société. Comment en est-elle arrivée là, et comment se dessine l’avenir? On se demande pourquoi la société affiche aujourd’hui un fort rendement du capital. Quels sont les avantages dont elle bénéficie?
Est-ce qu’elle exerce des activités à marge élevée, comme la plupart de nos entreprises? Ou est-ce qu’elle utilise le capital de façon très efficace? Ou, idéalement, les deux? Pour savoir comment l’entreprise en est arrivée à afficher des marges élevées, on se demande si elle bénéficie d’un avantage en termes de prix par rapport à ses pairs et pourquoi. Ou si elle est mieux placée que ses pairs en termes de coûts, et pourquoi.
Voilà pour la première question. On est presque dans un cours de finance fondamentale. Il est plus difficile de déterminer comment se dessine l’avenir. À quel point le niveau de rentabilité actuel, mesuré par le rendement du capital, est-il durable? Dans quelle mesure ce niveau est-il durable, et pour combien de temps?
Là aussi, la question est double. D’abord, est-ce que cette entreprise a quelque chose d’unique? A-t-elle un avantage technologique? Ses actifs physiques sont-ils, par nature, difficiles à reproduire? L’équipe de direction est-elle très compétente? Est-ce qu’elle bénéficie d’une forte image de marque?
Voilà quelques exemples de ce qui fait le caractère unique d’une entreprise. Et c’est un avantage. Beaucoup d’entreprises sont uniques.
Vous voyez peut-être par-dessus mon épaule l’Empire State Building, par l’une de ces fenêtres. C’est un édifice unique, mais il s’agit d’une structure fixe, sans potentiel de croissance. Les propriétaires ne peuvent pas réinvestir et agrandir l’immeuble.
Or, la stratégie de réinvestissement du capital compte. On doit identifier les opportunités qu’a l’entreprise, que ce soit de façon interne ou externe, de réinvestir dans son activité pour augmenter sa valeur au fil du temps. On est attentifs aux risques, que ce soit l’obsolescence technologique, le risque réglementaire, un changement des goûts des consommateurs, l’arrivée de nouveaux acteurs dans le secteur d’activité de la société. On doit tenir compte de tous ces facteurs.
Le comportement des dirigeants est un risque majeur, mesuré par l’allocation du capital. On est donc très attentifs à la manière dont l’équipe de direction est rémunérée. Quels indicateurs de rendement clés conditionnent la rémunération?
Est-ce qu’ils sont liés à la croissance. Si oui, c’est une bonne chose, mais cette croissance crée-t-elle de la valeur? La rémunération incite-t-elle la direction à certes créer de la croissance, mais surtout à obtenir un rendement du capital supérieur au coût du capital? On est donc attentifs à...
C’est – allez-y. Désolée.
Désolé. Allez-y, Kim.
Non, allez-y.
Pour terminer, on n’achète jamais des titres à n’importe quel prix. On tient fortement compte du pourcentage du flux de trésorerie réinvesti par l’entreprise et du taux de rendement que l’on peut espérer obtenir sur ce réinvestissement. On est prêts à payer la juste valeur pour une excellente entreprise, mais pas le prix fort pour une entreprise médiocre, pour reprendre l’axiome de Charlie Munger. Il ne s’agit en aucun cas d’une stratégie d’égalité, quel que soit le prix. Mais on est prêts à payer la juste valeur, car on est convaincus que les entreprises qui affichent une prime sur le coût du capital enrichiront les actionnaires au fil du temps.
À vous entendre, je ne dirais pas que c’est simple, mais c’est clair. Je suis sûr que le processus est en réalité complexe quand on met tous ces principes en pratique. J’aimerais dire à ceux qui nous écoutent que l’on va donner des exemples pour quelques titres du portefeuille, en expliquant peut-être pourquoi vous les détenez.
Mais auparavant, j’aimerais revenir sur quelques points que vous avez soulevés. C’était intéressant d’entendre pourquoi vous vous intéressez à certaines sociétés et pourquoi vous les intégrez au portefeuille. Mais dans la lignée de cette conversation, pourquoi y restent-elles? Voici une illustration – vous avez parlé du comportement de la direction.
Je suis certaine que c’est un point que vous suivez de près pour déterminer si une société a sa place dans le portefeuille. Mais parlons un peu des raisons pour lesquelles on vend une action. Même si une société intègre le portefeuille, il y a des conditions claires pour y rester.
Oui, on se sépare de certains titres. On a beaucoup parlé des raisons d’acheter, mais moins des raisons de vendre. Vous venez d’en mentionner une.
Le plus souvent, on vend un titre quand on constate que la direction utilise à mauvais escient l’argent des actionnaires et alloue mal le capital, ce qu’on voit surtout dans les fusions et acquisitions. Toutes ne sont pas négatives. La plupart sont positives. Si une équipe de direction dit que l’opération va avoir un effet positif sur les bénéfices dans la deuxième année, très bien. Mais est-ce qu’elle va surpasser le coût du capital à la deuxième ou troisième année?
On ne se préoccupe pas tant de l’effet d’une acquisition sur le résultat net. Pour nous, c’est presque insignifiant. On veut savoir si la direction tient au moins compte du coût du capital quand elle procède à des acquisitions. Et dans le cas de certaines acquisitions assez importantes, nous ne comprenons ni la logique financière ni la logique industrielle de l’opération. C’est donc une raison de vendre.
Par ailleurs, on vend tout simplement parce que le monde change. Si, en 2017, on détient des titres d’une société dont les brevets expireront en 2023, on ne dispose que d’une visibilité à six ans. À l’approche de 2023, on va se demander si ce titre est encore viable par rapport à notre horizon de placement. Par exemple, si une société pharmaceutique n’a pas d’autres brevets en préparation et manque de visibilité sur le plan économique, c’est une autre raison de vendre. [MUSIQUE]