L’histoire de Susan et de sa tante âgée, Barbie, est un exemple de situation financière qui devient un cauchemar. Barbie a toujours eu un sens aigu des affaires. Au milieu de la quarantaine et de sa carrière, elle a quitté un poste de fonction publique pour ouvrir une boutique de cadeaux près d’un hôpital de Toronto. Susan se souvient qu’étudiante, elle l’aidait pendant les vacances de Noël. Les clients y achetaient des cadeaux, des cartes et des décorations introuvables ailleurs. Quand Barbie a eu un AVC au milieu de la soixantaine, elle a désigné Susan comme mandataire au soin de la personne, car elle ne pouvait plus faire ses courses elle-même.

Quand sa tante a commencé à montrer des signes de démence, Susan a compris qu’elle avait besoin d’aide. Elle a découvert que les plans successoraux de sa tante avaient de graves lacunes. Barbie recevait de modestes prestations de retraite de son mari décédé, et sa situation financière n’avait rien de préoccupant. Mais comme Barbie n’avait pas rédigé de mandat relatif aux biens, Susan ne pouvait pas accéder à l’argent de sa tante pour payer ses soins. Cette dernière n’avait pas non plus de testament ou, du moins, personne ne savait où le trouver.

Après le décès de sa tante, Susan a été confrontée à un véritable casse-tête financier pour liquider la succession. Barbie payait des montants exorbitants à sa proche aidante, mais pendant plusieurs années elle n’avait pas payé ses impôts. La succession devait donc des milliers de dollars au fisc. Le plus dur, c’est que la pénalité et les intérêts pour retard de paiement ont privé la sœur de Barbie, la mère de Susan, de milliers de dollars qui auraient pu lui revenir, mais qui sont allés à l’Agence du revenu du Canada.

« Ça m’a rendu triste, dit Susan. Ma tante était une femme forte, compétente et indépendante qui ne savait tout simplement pas ce qui pourrait se passer si elle ne rédigeait pas de testament ou ne prenait pas les dispositions appropriées. Ma famille et moi avons appris une leçon sur ce qu’il ne faut pas faire. » 

On est tous coupables de procrastination à l’occasion. Malheureusement, le déclin cognitif lié à l’âge (la démence ou la maladie d’Alzheimer) peut nous empêcher de subvenir aux besoins de notre famille si l’on attend trop longtemps avant de rédiger notre testament et de planifier notre succession. Selon Nicole Ewing, directrice, Planification fiscale et successorale, Services-conseils de Gestion de patrimoine TD, pour alléger le fardeau des personnes qui s’occuperont de vous, il y a beaucoup de choses que vous pouvez faire pendant que vous êtes en bonne santé.

Elle explique que de nombreuses personnes attendent d’être à la retraite pour rédiger leur testament, car c’est à ce moment-là qu’ils ressentent l’urgence de prendre des dispositions pour le transfert de leur patrimoine. Or, c’est précisément à ce moment que les risques de problèmes cognitifs surviennent1.

« De nombreuses maladies liées à l’âge peuvent causer différents problèmes. Heureusement, la solution est simple. Rédigez votre testament et vos mandats, et préparez votre plan successoral assez tôt; révisez-les souvent et faites appel à des professionnels pour protéger vos intérêts », conseille-t-elle.

Voici ce que vous devez savoir sur le déclin cognitif lié au vieillissement et les mesures à prendre pour éviter que la maladie ne nuise à vos finances.

Connaissez les causes et les traitements du déclin cognitif

Malheureusement, de plus en plus de personnes pourraient être confrontées à une situation comme celle de Susan. Les données de 2017 montrent qu’au cours d’une période de 10 ans (de 2003 à 2013), la prévalence de la démence a augmenté de 21,2 %2. Comme les symptômes de la maladie sont subtils, ce n’est pas facile de les identifier. Le Dr Jeremy Spevick, neurologue à la Cleveland Clinic Canada, explique qu’en vieillissant, c’est normal de ralentir et d’oublier certaines choses, mais pas d’être confus ou d’avoir des troubles d’élocution. C’est donc difficile pour les personnes atteintes de démence et leur famille de se rendre compte qu’il y a un problème qu’il leur faut des soins.

« Je dis souvent à mes patients que le problème peut être difficile à identifier et que les choses peuvent changer subitement. Il y a toute une échelle de comportements, allant des petites pertes de mémoire qui peuvent arriver à tout le monde avec l’âge à la démence. Tout ce qui tombe entre les deux est une grande zone grise. C’est vraiment difficile de savoir où l’on en est à un moment donné et si l’état de santé restera stable ou se dégradera. »

Selon lui, c’est important de connaître les risques, les causes et les traitements du déclin cognitif. Si la cause exacte de la maladie d’Alzheimer reste inconnue, la gestion des facteurs de risque vasculaires (hypertension, tabagisme, obésité, inactivité et diabète) contribuerait à ralentir le déclin cognitif.

Le docteur nous dit que ce ne sont pas toutes les personnes âgées qui développeront ces maladies, mais comme notre longévité est plus longue que celle des générations précédentes, les risques augmentent. À partir de 60 ans, la probabilité d’un déclin cognitif double tous les cinq ans3. Selon le Dr Spevick, les maladies ne suivent souvent pas une trajectoire prévisible, ce qui peut rendre le diagnostic difficile pour les médecins et la famille.

Malheureusement, la maladie d’Alzheimer est progressive et peut être mortelle. C’est la cause de 4,3 % des décès au Canada4. Il ajoute que ces types de maladies sont tout un défi pour les médecins et que l’efficacité des traitements reste incertaine. Parmi les traitements actuels, mentionnons les inhibiteurs de la cholinestérase, mais le Dr Spevick dit que ces médicaments ne guérissent pas et ne font pas régresser la maladie. Ils ne font que ralentir sa progression.

Réfléchissez aux répercussions du déclin cognitif sur vos plans successoraux

Mme Ewing explique que l’imprévisibilité de la maladie peut compliquer la planification successorale et financière. Elle souligne qu’un avocat ou notaire qui soupçonne qu’un client n’a pas la capacité légalement requise (dont la définition peut varier selon la décision) ne peut pas agir pour lui. Il deviendrait alors impossible de rédiger ou de mettre à jour un testament ou des mandats. Quant à la modification d’autres documents juridiques, elle peut être longue, coûteuse et compliquée, et un tribunal pourrait même l’interdire.

Elle ajoute qu’on devrait réfléchir à l’impact du déclin cognitif sur notre vie et sur celle de nos proches. Par exemple, si un père âgé montre de petits signes de déclin cognitif, comment sa famille réagira-t-elle s’il décide soudainement de changer son testament? Et que se passe-t-il s’ils ne sont pas tous du même avis sur ses capacités?

Pour éviter que des problèmes de santé perturbent vos plans, Mme Ewing insiste donc sur l’importance de prendre rapidement certaines mesures.

Rédigez votre testament et vos mandats pendant que vous êtes encore jeune et en bonne santé

Si vous planifiez votre succession et remplissez les documents pendant que vous êtes encore jeune, vos décisions seront légitimes si vous devenez inapte ou si vous décédez. Le mandat donne à la personne désignée le pouvoir de gérer votre argent et vos affaires dans votre intérêt si vous devenez inapte. Et avec un testament en place, votre patrimoine sera légué selon vos volontés.

Selon Mme Ewing, sans ces documents, votre famille ou vos héritiers pourraient devoir aller en cour, payer des frais juridiques et subir des retards de paiement. Si vous n’avez pas de mandat et que vous ne pouvez plus prendre de décisions concernant votre vie, les choses deviennent compliquées. Imaginez le défi si vous avez besoin de soins de santé et que personne ne peut accéder à votre argent!

Révisez vos plans successoraux (ou laissez d’autres le faire si vous ne le pouvez pas)

Pour nous mettre en garde, Mme Ewing donne l’exemple d’un père qui avait élaboré un plan successoral complet, mais le plan est devenu désuet au fil du changement des lois fiscales. Quand il a reçu un diagnostic de démence, non seulement sa famille a été dévastée, mais elle a subi des conséquences financières imprévues. En l’absence de mandat, ses enfants ne pouvaient pas modifier son plan.

À son décès, son testament a donc été exécuté, et la succession a dû payer beaucoup plus d’impôts que prévu. Ses enfants étaient alors impuissants devant cette saignée de fonds qui auraient pu leur revenir.

La leçon à retenir, c’est que vous devez souvent revoir vos plans successoraux et vous assurer qu’ils sont à jour. Un mandat peut aussi permettre à votre famille d’intervenir et d’apporter des changements si vous ne pouvez pas le faire.

Mettez en place une stratégie pour prévenir l’ingérence

Mme Ewing a été témoin de ravages qu’entraînent des plans successoraux et des plans de gestion de patrimoine bien intentionnés, mais mal conçus. Elle se souvient d’un fils qui a acheté la maison de son père pour un dollar, pensant que la succession éviterait ainsi des frais d’homologation. Le plan s’est retourné contre lui de façon spectaculaire. Elle explique qu’avant de gérer les affaires de son père, la famille aurait eu besoin de conseils financiers et fiscaux d’une société de fiducie privée spécialiste de ces domaines.

Selon elle, le recours à ce type d’expertise peut résoudre de nombreux problèmes financiers et juridiques pour les personnes en déclin cognitif. Comme la société agit légalement au nom de la personne, elle veille objectivement au respect des intentions énoncées dans le testament et des directives contenues dans les mandats pour que les affaires et les soins de la personne soient pris en charge.

Quand Susan s’occupait des affaires de sa tante, elle a remarqué que sa propre mère avait des problèmes de mémoire. Son expérience avec sa tante lui a permis d’être mieux préparée. Le testament et les mandats de sa mère sont maintenant en règle. À 82 ans, sa mère a renoncé, à contrecœur, à conduire. Elle a même pris et payé ses propres dispositions funéraires. Susan a retenu sa leçon en aidant sa mère et en veillant au respect de ses volontés.

Elle dit que les problèmes de santé de sa tante Barbie ont été un grand malheur. Aujourd’hui, on en sait plus sur les causes du déclin cognitif et sur les façons de l’éviter. Heureusement, on peut plus facilement éviter un désastre financier en prenant les mesures appropriées à l’avance.

DON SUTTON

PARLONS ARGENT ET VIE

ILLUSTRATION

DANESH MOHIUDDIN