À quel moment une relation devient-elle une union de fait?

NICOLE EWING

DIRECTRICE, PLANIFICATION FISCALE ET SUCCESSORALE, GESTION DE PATRIMOINE TD

Je peux comprendre pourquoi vous vous inquiétez pour votre père, mais en fin de compte, c’est à lui de décider comment partager son argent et ses biens, et avec qui. Il va sans dire que toute décision de partager ses biens avec sa nouvelle partenaire devrait idéalement être volontaire. Il est utile de savoir quelles obligations juridiques peuvent s’appliquer lorsqu’on emménage avec un partenaire, et ce qui peut se produire lorsqu’ils sont enfin considérés par l’État comme des conjoints de fait. Les diverses lois fédérales et provinciales définissent le terme « conjoints de fait » de différentes manières. On peut vivre en union de fait pour une raison (p. ex. lois fiscales), mais pas pour une autre (p. ex. partage des biens en vertu du droit de la famille). 

Si tout cela vous semble alarmant, eh bien, je pense que c’est justifié. Sans une planification adéquate, diverses lois fédérales et provinciales pourraient dicter ce que votre père pourrait devoir à sa copine ainsi que, selon la province, le droit légal de cette dernière sur ses biens, le cas échéant.

Mettons les choses en contexte : chaque province a ses propres règles à l’endroit des couples non mariés qui vivent ensemble – ou, comme disent les avocats, qui cohabitent. Après une certaine période de temps (habituellement de deux à trois ans, selon la province), votre père et sa copine seront considérés comme des « conjoints de fait » aux yeux de la loi. Ce statut juridique s’accompagne de certains droits et obligations en matière de soutien financier et de partage des biens. L’obtention du statut de conjoints de fait ne relève pas de votre père ou de sa copine; c’est une question de fait déterminée par l’État. Notez qu’en ce qui concerne l’Agence du revenu du Canada, ils peuvent être considérés comme des « conjoints » après seulement un an et, là encore, la loi dictera leurs obligations en matière de déclarations de revenus ainsi que leur accès à certains crédits et déductions en fonction de ce statut.

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Dans certaines provinces, les conjoints de fait partagent les mêmes droits en matière de partage des biens que les personnes mariées, alors que dans d’autres provinces, ils n’ont aucun droit. Évidemment, on peut songer à de nombreuses situations où l’un ou l’autre résultat semblerait injuste. Et même dans les provinces où les conjoints de fait ne partagent pas les droits aux biens, ils peuvent être assujettis à des obligations en matière de pension alimentaire.

Les avocats voient souvent de telles situations virer au cauchemar. Par exemple, la copine de votre père pourrait être considérée légalement comme une locataire. Si leur relation devait prendre fin après deux ans de cohabitation, à quel moment devrait-elle être tenue de déménager? Et après 10 ans de cohabitation? Et s’il décédait pendant qu’ils vivent sous le même toit? Si votre père tombait gravement malade, souhaiterait-il que sa copine prenne des décisions financières et médicales pour lui? Dans certaines provinces, elle aurait le droit de prendre de telles décisions pour votre père à moins qu’il n’ait nommé une autre personne dans une procuration valide. Dans d’autres provinces, ces droits reviendraient par défaut à vous ou à vos frères et sœurs.

Ce que je veux dire, c’est qu’il y a des règles avec lesquelles votre père et sa copine devront peut-être composer, qu’ils le veuillent ou non. Une solution possible? Ils pourraient choisir d’être proactifs. Ils pourraient décider dans quelle mesure ils souhaitent conserver le droit de se soutenir l’un et l’autre en cas de rupture et s’ils souhaitent s’octroyer des droits sur leurs biens respectifs. Cela peut se faire par la mise en place d’une entente de cohabitation. Comme un accord prénuptial, il s’agit d’un document juridique qui devrait être rédigé par l’avocat de votre père et celui de sa copine. Ce document peut protéger les biens de votre père et servir de preuve des ententes qu’il a conclues avec sa copine, y compris la renonciation à certains droits reconnus par la loi. Par exemple, si elle avait un droit sur la maison de votre père en cas de décès, elle pourrait renoncer à ce droit en échange d’un règlement en espèces.

Le plus important, c’est que votre père comprenne que ne rien faire ne signifie pas qu’il n’arrivera rien. L’une des meilleures choses qu’il puisse faire est de solliciter des conseils professionnels sur ce qu’il veut accomplir et de préparer les documents appropriés pour assurer sa propre protection, la protection de ses biens et celle de ses proches.

Nicole Ewing est directrice, Planification fiscale et successorale, Gestion de patrimoine TD. Avocate de formation, elle aime informer les gens et les aider à atteindre leurs objectifs de vie grâce à des conseils juridiques ou fiscaux. Dans ses temps libres, elle essaie d’apprivoiser sa petite jungle et de s’empêcher d’y ajouter toujours plus de plantes.