Certains parents redoutent le jour où leur ado leur demandera les clés de la voiture pour la première fois. Mais de nos jours, ils redoutent encore plus le jour où leur enfant adulte leur demandera de l’aide financière pour acheter sa première propriété.

La flambée de l’immobilier n’arrange rien même si les prix moyens ont baissé de jusqu’à 25 % par rapport leurs sommets de 20221. Pour bien des personnes qui aimeraient devenir propriétaires, les prix n’ont pas suffisamment baissé. L’accès à la propriété demeure un rêve lointain pour beaucoup de millénariaux et membres de la génération Z, en particulier dans les grands centres urbains du Canada2. Même si les familles ont tendance à soutenir financièrement leurs enfants jusqu’à ce qu’ils soient pleinement installés dans la vie adulte, les sommes qu’il faut débourser deviennent problématiques, pour ne pas dire stressantes, pour toutes les parties concernées. Puiser dans votre épargne pour aider votre enfant à constituer sa mise de fonds peut être un exercice délicat et vous confronter à un choix difficile entre faire le bonheur de votre progéniture et préserver votre confort financier.

Laima Alberings, planificatrice spécialiste de la fiscalité et des successions, Services-conseils de Gestion de patrimoine TD, explique qu’en raison des sommes considérables désormais nécessaires pour accéder à la propriété, les parents doivent prendre des précautions avant de donner ou de prêter de l’argent à leurs enfants. D’après ce que rapportent les médias, il n’est pas rare de voir des transferts de 125 000 $ dans les agglomérations urbaines3. Selon elle, certaines méthodes sont plus indiquées que d’autres pour contribuer à la mise de fonds d’un enfant. Tout dépend de la situation de la famille.

« Avant de donner 100 000 $ à un ou plusieurs enfants pour l’achat d’une maison, mieux vaut établir un plan financier solide pour s’assurer qu’on peut se permettre de transférer une telle somme sans se mettre en difficulté », prévient-elle.

Si votre enfant scrute les annonces immobilières, Mme Alberings explique qu’il y a toute une liste d’options et d’idées à étudier avant de lui prêter ou de lui donner de l’argent. Chacune comporte des avantages et des inconvénients, mais il importe de les analyser soigneusement en s’entourant d’une équipe de spécialistes en conseils financiers et juridiques.

Une décision personnelle

Selon elle, avant d’aider un enfant à acheter une propriété, mieux vaut prendre un peu de recul et se poser plusieurs questions : « Est-ce vraiment une bonne idée pour tout le monde? »

« Est-ce que ce prêt ou ce don correspond à sa situation économique et personnelle? S’il n’a pas les moyens de constituer la mise de fonds, qu’est-ce qu’il se passera quand il devra renégocier son prêt hypothécaire ou si ses dépenses augmentent subitement? »

Il n’est pas forcément judicieux de faire un chèque à un adulte qui n’a pas de revenu régulier, qui est en plein divorce ou en pleine séparation, ou qui n’a aucune discipline financière. En présence de signaux d’alerte, il vaut peut-être mieux réévaluer votre décision.

Mme Alberings affirme qu’avant de faire un chèque, il faut réfléchir à la façon de protéger l’argent en cas de divorce ou de séparation, ou de le mettre à l’abri des créanciers de l’enfant. Lorsque vous faites un don ou un prêt à un enfant pour l’achat d’une propriété, demandez-vous aussi si vous allez pouvoir être équitable avec ses frères et sœurs en leur donnant ou en leur prêtant le même montant, par exemple pour démarrer une entreprise.

Au bout du compte, elle estime que les parents doivent penser d’abord à eux. Avant d’envisager de donner ou de prêter un montant important, vous devez établir votre propre plan financier pour vous assurer une retraite confortable et pour pouvoir payer les soins dont vous aurez peut-être besoin en vieillissant. Ce n’est qu’une fois ce travail de planification achevé que vous pourrez décider de la part de patrimoine dont vous pouvez vous défaire.

Faire un don

Si vous vous mettez d’accord avec votre enfant pour un don sans aucune obligation ni attente de remboursement, le plus simple est peut-être de lui faire cadeau de cet argent – d’autant que les dons n’entraînent généralement pas de répercussions fiscales au Canada. Dans certains cas, le don peut être considéré comme une avance sur héritage. Toutefois, les deux parties doivent convenir du fait qu’une fois l’argent remis, il n’existe aucun recours pour le récupérer ou pour l’assortir de conditions. Si cette idée fait naître chez vous une certaine nervosité, vous pouvez envisager d’autres moyens plus pratiques de transférer des fonds.

Même si a priori, les dons semblent simples, il existe quelques subtilités dont il faut avoir conscience, prévient Mme Alberings.

Certaines complications peuvent survenir lors du règlement de la succession. Par exemple, si un enfant affirme avoir reçu un don de 50 000 $ de ses parents, mais qu’un frère ou une sœur soutient qu’il s’agissait en réalité d’un prêt qui doit être remboursé à la succession, cela pourrait donner lieu à des disputes, voire à des actions en justice.

Pour éviter ce type de problèmes, les parents doivent documenter le don comme il se doit dans un « acte de donation ».

Faire un prêt

Selon Mme Alberings, si vous souhaitez donner un coup de pouce à votre enfant, mais que vous avez besoin d’un remboursement, un prêt est plus approprié. Elle souligne l’importance de demander à un avocat ou à un notaire de préparer un document de prêt en bonne et due forme. Il est déconseillé de s’entendre de façon informelle autour de la table familiale, car vous vous exposez à des conflits si, plus tard, tout le monde n’a pas le même souvenir des modalités convenues. Par ailleurs, les ententes informelles n’ont aucune valeur juridique, rappelle-t-elle.

Elle souligne également que l’enfant doit garder une trace écrite des remboursements du prêt. Là encore, ce processus aide à valider l’existence du prêt. En effet, en l’absence de preuve des remboursements, le tribunal risque de réfuter qu’il s’agissait effectivement d’un prêt.

Avec un prêt, les parents ont un certain contrôle sur les fonds et ils ont la possibilité, à tout moment, de renoncer aux remboursements restants s’ils le souhaitent, que ce soit de leur vivant ou à leur décès dans le cadre du plan successoral.

Se porter garant ou cosignataire d’un prêt hypothécaire

Si les antécédents de crédit de l’enfant sont mauvais ou insuffisants, un parent peut se porter garant du prêt hypothécaire. Il est aussi possible de cosigner le prêt hypothécaire d’un enfant qui ne parvient pas à obtenir d’approbation parce que ses revenus sont insuffisants ou irréguliers, ou parce qu’il travaille à titre de pigiste ou de consultant. L’avantage de ces solutions, explique Mme Alberings, c’est de permettre à l’enfant d’obtenir un prêt hypothécaire et d’acheter une propriété, ce qu’il ne pourrait pas faire tout seul.

Mais selon elle, les parents doivent garder la tête froide et bien examiner les modalités avant de se porter garants ou de cosigner un prêt. Si un enfant adulte n’est pas admissible à un prêt hypothécaire, ce sont eux qui assumeront le risque associé à l’opération immobilière. Si l’enfant n’est pas en mesure d’effectuer les versements, la responsabilité en revient alors aux cosignataires ou aux garants et l’institution de crédit pourrait prendre des mesures à la fois contre l’enfant et ses parents. Par ailleurs, si le défaut de paiement entraîne des problèmes juridiques, les parents risquent de ne plus pouvoir obtenir de prêt auprès d’une institution financière.

Autre solution : la fiducie discrétionnaire

Les parents peuvent aussi opter pour une autre solution, un peu plus compliquée. Il s’agit d’acheter la propriété au moyen d’une fiducie discrétionnaire, puis de permettre à l’enfant adulte d’y vivre. Dans ce cas, l’enfant adulte n’assume pas réellement les responsabilités financières associées au fait d’être propriétaire du bien immobilier, mais il a sa maison. Il ne peut utiliser la propriété que conformément aux modalités de la fiducie, qui doit préciser qui a le droit d’y vivre. Cette solution peut permettre de mettre la propriété à l’abri des créanciers ou des conséquences d’un divorce ou d’une séparation.

Il y a toutefois des inconvénients, à savoir que l’enfant dépend toujours de ses parents pour son logement et ne se bâtit pas d’antécédents de crédit par le biais de cet achat immobilier. Si les parents décident de combiner une fiducie à d’autres dispositions (par exemple, faire payer un loyer à l’enfant qui vit dans la propriété ou la lui léguer dans un testament), ils devraient en discuter avec leur planificateur ou conseiller financier, ainsi qu’avec un avocat ou notaire. Par ailleurs, il y a des coûts associés aux fiducies, puisqu’elles entraînent des frais d’avocat ou de notaire et des frais d’administration annuels.

Comme l’explique Mme Alberings, au Canada, l’état du marché du logement confronte les parents d’acheteurs d’une première maison à des décisions difficiles. L’un des grands changements pour la planification financière, c’est le besoin grandissant de transférer des sommes importantes aux enfants, au risque de déstabiliser leur situation financière.

En fin de compte, elle conseille aux parents et aux enfants de consulter un planificateur ou conseiller financier pour déterminer la meilleure façon de procéder. Une entente soigneusement réfléchie peut s’avérer essentielle pour aider votre enfant à atteindre ses objectifs financiers, tout en protégeant votre argent.

DON SUTTON

PARLONS ARGENT ET VIE

ILLUSTRATION

DANESH MOHIUDDIN